Mardi 10 mai 2022

Le premier janvier 1981, vers midi, je m’éveille avec une gueule de bois carabinée dans une chambre que je ne connais pas. Contre moi est allongée une jeune femme brune que je ne connais pas davantage. Désireux de ne pas briser l’enchantement, je me blottis contre son dos et me rendors jusqu’à ce qu’elle m’arrache à mon deuxième sommeil en m’apportant un bol de café et une tartine. Une belle plante, indéniablement, vêtue maintenant d’une culotte et d’un ample tee-shirt en coton sur lequel est écritTake it easy. Les seins qui ballent derrière ce message donnent envie de le traduire trop littéralement, mais, de toute évidence, ma chance est passée. La fille s’appelle Ariana, et parle français avec un ravissant accent italien. Il se confirme que nous avons passé la fin de la nuit ensemble dans cet appartement que lui prête une amie lyonnaise. Tandis que me reviennent en mémoire les fragments d’une scène de gymnastique rythmique sexuelle assez fastidieuse, elle me confirme que nous avons essayé de faire quelque chose qui s’apparente à l’amour. D’après elle, je me suis montré opiniâtre et vaillant, mais hélas trop ivre pour conclure. Elle ne s’en formalise pas, mais en revanche il faut maintenant que je m’en aille vite car elle doit prendre un train pour Paris à quinze heures et il lui reste mille choses à faire d’ici là. Petit à petit, se reconstitue le puzzle du réveillon à Charbonnières, chez des amis d’Antoine où cette Ariana est arrivée avec un petit groupe sur le coup de minuit. Il me semble que nous avons longtemps discuté ensemble – mais de quoi, au juste ?
::: Emmanuel Venet ; Virgile s’en fout

Oh bien sûr tu sais que j’ai pu attendre cela de nous, marcher ainsi, ou bien t’attendre là, comme ce soir.

Lundi 9 mai 2022

Quel plaisir alors de pouvoir se livrer à toutes ces fantaisies ! Par exemple, on va perdre, oui, perdre deux heures dans l’arrière-boutique d’un bar inconnu (il y a aussi à Londres des bar ; ils s’ouvrent seulement à certaines heures et on y entre en se glissant comme un voleur) et on cause avec le garçon de café, des derniers records d’aviation. Ce garçon ne se doute de rien, il ne sait pas qu’il doit mourir un jour ou l’autre (et moi je le sais).
::: Jean Grenier ; Les Îles

Je t’envoie ces mots, lus, provenant du chapitre intitulé « Les Îles Kerguelen » que j’ai trouvé magnifique. J’ai la voix plus basse que l’autre jour, quelque chose d’un peu cassé. Juste avant, j’avais chanté un peu puisqu’après une chanson de Mercedes Sosa, tu m’avais écrit  « c’est très beau , mais j’ai cru que t’allais me chanter un truc haha« . Et donc ces mots, tu ne les reconnais pas, c’est pourtant toi qui m’a poussé dans ces pages, combien de fois ?

Jeudi 28 avril 2022

Elle est assise devant moi, concentrée, attentive, soucieuse d’apporter des réponses à mes questions. Sa petite taille, la minceur de son corps enfoui dans une robe de chambre et l’expression sérieuse de son visage la font ressembler à une enfant un peu malade, momentanément consignée dans sa chambre. Quand elle sourit, des rides strient la peau fine, pâle, presque transparente. Sa voix singulière est demeurée la même malgré quelques hésitations. C’est celle de Thérèse, la bouleversante criminelle des Anges du péché, le premier film de Robert Bresson, tourné à Paris, en 1943. Pour moi, elle s’efforce d’évoquer l’homme qu’il a été. Cette femme s’appelle Jany Holt.
De temps en temps, elle se tait. Mais ses silences sont pleins, je ne sais pas de quoi, peut-être d’autres morceaux de sa vie dans lesquels elle s’attarde. Je me tais aussi, ma respiration suspendue à la sienne. J’attends qu’elle se rappelle que nous sommes là, qu’elle reprenne le récit commencé.
::: Anne Wiazemsky ; Jeune fille

Soudain, puisqu’elle parle de Godard, je me lève, vais à la lettre W dans les étagères de livres et le prends. J’ai envie de ça. Depuis longtemps : je me souviens lorsque le livre est paru. C’est le moment.

Finalement, c’est peut-être celui-ci le livre que je cherchais, quand je te disais que je n’avais plus envie. J’avais écouté un peu plus tôt une conférence de presse que Godard avait tenu à Cannes, après le film Passion. C’était passionnant, brillant, drôle, piquant. Et puis voilà cet extrait ce soir, que je lis dans le téléphone.

Vendredi 22 avril 2022

Il est parti alors que j’étais tout enfant. L’image que je garde de ce grand frère que j’ai à peine connu, et celle d’un jeune homme à la fois ombrageux et doux. Je ne puis me le remémorer sans éprouver une grande tendresse et presque une souffrance. Il incarne pour moi toute une époque, toute une histoire à la fois collective et familiale. Il symbolise ces années de guerre et d’après-guerre qui marquèrent si profondément l’existence de chacun de nous, de temps et tant d’êtres humains.
::: Alva-Carcé ; Mémorial du silence

Soudain dans le train j’écris. Je parle de toi. J’écris ce que je ressens, là, depuis hier, ce qui me traverse en pensant à toi, ce quelque chose qui vient du manque réel ou enfoui ou de la mer qui s’approche. C’est peut-être elle qui me manque, la mer. Ici, j’ai envie de me souvenir que ce sentiment m’a traversé sans trop savoir s’il était vrai, éphémère.

Nous nous connaissons sans nous connaître, nous coexistons sans liens, sans espaces communs, sans habitudes, sans messages quotidiens. Nous nous parsemons, si j’ose dire puisque cela ne se dit pas. Nous nous effleurons, à peine. Je ne sais pas exactement comment je suis là pour toi. Je ne sais même pas comment tu es là pour moi, parfois tu n’es plus vraiment là non plus même si je pense à toi. Jamais je ne t’appelle, pourquoi ?

Ce matin, il y a eu ta voix dans deux messages vocaux : tu proposais d’aller danser. Où tu iras, j’irai et nous irons danser. Et tu me disais « Viens !« . J’ai aimé cela. Ordonne-moi de te rejoindre. Dis-moi que quelqu’un m’attend quelque part et que c’est toi. Dis-moi, pour voir… voir si j’en ai envie.

Samedi 9 avril 2022

Ils me regardent avec admiration pendant que je prépare mes valises pour quitter la Syrie. Ils sont fascinés par ce combat que je mène contre les frontières. Ils sont fiers de moi parce que j’ai réussi à arracher un visa touristique de deux mois à l’ambassade française de Damas. Eux, ils savent que je ne suis pas un touriste et que je ne reviendrai pas dans deux mois.
::: Abdulrahman Khallouf  ; Ne parle pas sur nous : chroniques syriennes

Mardi 5 avril 2022

Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes. Il les consulte d’instinct en s’éveillant, et y lit en une seconde le point de la terre qu’il occupe, le temps qui s’est écoulé jusqu’à son réveil ; mais leurs rangs peuvent se mêler, se rompre. Que vers le matin après quelque insomnie, le sommeil le prenne en train de lire, dans une posture trop différente de celle où il dort habituellement, il suffit de son bras soulevé pour arrêter et faire reculer le soleil, et à la première minute de son réveil, il ne saura plus l’heure, il estimera qu’il vient à peine de se coucher. Que s’il s’assoupit dans une position encore plus déplacée et divergente, par exemple après dîner assis dans un fauteuil, alors le bouleversement sera complet dans les mondes désorbités, le fauteuil magique le fera voyager à toute vitesse dans le temps et dans l’espace, et au moment d’ouvrir les paupières, il se croira couché quelques mois plus tôt dans une autre contrée. Mais il suffisait que, dans mon lit même, mon sommeil fût profond et détendît entièrement mon esprit ; alors celui-ci lâchait le plan du lieu où je m’étais endormi, et quand je m’éveillais au milieu de la nuit, comme j’ignorais où je me trouvais, je ne savais même pas au premier instant qui j’étais ; j’avais seulement dans sa simplicité première le sentiment de l’existence comme il peut frémir au fond d’un animal ; j’étais plus dénué que l’homme des cavernes ; mais alors le souvenir – non encore du lieu où j’étais, mais de quelques-uns de ceux que j’avais habités et où j’aurais pu être – venait à moi comme un secours d’en haut pour me tirer du néant d’où je n’aurais pu sortir tout seul ; je passais en une seconde par-dessus des siècles de civilisation, et l’image confusément entrevue de lampes à pétrole, puis de chemises à col rabattu, recomposait peu à peu les traits originaux de mon moi. »
::: Marcel Proust, Du côté de chez Swann

Mardi 29 mars 2022

« Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers mol. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. »

Je pense souvent à cette image que je suis seule à voir encore et dont je n’ai jamais parlé. Elle est toujours là dans le même silence, émerveillante. C’est entre toutes celle qui me plaît de moi-même, celle où je me reconnais, où je m’enchante.

Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais pas si c’est tout le monde, je n’ai jamais demandé. Il me semble qu’on m’a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d’en être effrayée j’ai vu s’opérer ce vieillissement de mon visage avec l’intérêt que j’aurais pris par exemple au déroulement d’une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu’un jour il se ralentirait et qu’il prendrait son cours normal.
::: Marguerite Duras ; L’Amant

Depuis quelques temps, j’écoute des podcasts. Ce soir, la voix de Ludmila Mickaël m’accompagne avant que je m’endorme, elle lit L’Amant, de Duras. Un peu plus tôt, ma sœur m’avait appelé ; elle était joyeuse, elle sortait d’un concert. Elle s’étonnait de mon SMS, elle aussi.

Vendredi 25 mars 2022

Parfois j’allais me baigner tout seul, sur des petites plages isolées où il n’y avait personne. J’y arrivais en voiture au long de ces virages lents où de temps à autre surgissait l’éblouissante apparition de la dalle marine. J’arrêtais la voiture, je descendais à pied sur des sentiers envahis d’une végétation dure et épineuse. Je me déshabillais, je me couchais sur le sable brûlant. Je pénétrais dans l’eau, je nageais un moment vers le large, je faisais la planche sur le ventre, le visage plongé dans la bouillie chaude de la mer. Je revenais m’écrouler sur la petite plage déserte, face à la déclivité de l’eau. Son éclat gélatineux traversait le voile de mes paupières fermées tandis que je restais ainsi, hors d’atteinte, seul, hébété.
::: Antonio Moresco ; Les Incendiés

Mardi 1er mars 2022

A moi que la poésie n’émeut pas, écris-tu, voici Beams, le poème qui clôt les Romances sans Paroles. Que c’est beau, réponds-je.

Elle voulut aller sur les bords de la mer,
Et comme un vent bénin soufflait une embellie,
Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie,
Et nous voilà marchant par le chemin amer.

Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse,
Et dans ses cheveux blonds c’étaient des rayons d’or,
Si bien que nous suivions son pas plus calme encor
Que le déroulement des vagues, ô délice !

Des oiseaux blancs volaient alentour mollement
Et des voiles au loin s’inclinaient toutes blanches.
Parfois de grands varechs filaient en longues branches,
Nos pieds glissaient d’un pur et large mouvement.

Elle se retourna, doucement inquiète
De ne nous croire pas pleinement rassurés,
Mais nous voyant joyeux d’être ses préférés,
Elle reprit sa route et portait haut la tête.

::: Paul Verlaine

Mercredi 23 février 2022

Quant aux estampes – époque Tokugawa, quelques bons maîtres -, plutôt que d’érotisme au sens où nous l’entendons, c’est d’un mélange de grotesque et d’histoire naturelle qu’il s’agit. Sans esthétisme aucun, ni retenue. Le jeu d’organes énormes très crûment figurés, l’air stupide, affairé, béat des partenaires. Aucune frivolité, aucun parfum de fruit défendu : la rencontre d’une betterave et d’un chou frisé, et voilà ! Tout ça n’est pas pour moi.
::: Nicolas Bouvier ; Le vide et le plein

Alors je ris, et ris encore. Le relis, et ris encore.

Mercredi 2 février 2022

Je suis un imposteur.
Adolescent, j’étais un garçon éthéré qui ne savait que faire de sa propre vie. Adulte accompli, je ne le sais toujours pas. Je suis un dandy falot. Je m’en suis contenté longtemps. Jusqu’à ce mois de novembre qui vient de s’achever.
Chacun de nous porte au plus profond de soi une part cachée de vie, un petit secret misérable, une lâcheté, une traîtrise qu’il dépense une énergie et une imagination folles à étouffer, une pépite noire qui empoisonne son existence et risque de ruiner une carrière, une honora­bilité et une position sociale durement acquises au moyen de toutes sortes d’artifices.
Jusqu’à présent, je l’ignorais.
::: Richard Collasse ; La Trace

Le film à peine fini, comme à plusieurs reprises je l’avais déjà exprimé, parfois en appuyant sur trois touches du clavier pour garder trace de l’image – alors malheureusement fixe – et en glisser une ci-dessous, me voilà qui dis « Que c’est beau. » C’était Cris et Chuchotements, de Bergman, réalisateur à côté duquel je suis passé depuis 47 ans, par manque d’opportunité plus que par manque de curiosité : on ne peut pas crier au génie maintes fois à mon oreille sans que cela m’interpelle, n’est-ce-pas ?

Cris et chuchotements, Ingmar Bergman
Cris et chuchotements, Ingmar Bergman

Samedi 29 janvier 2022

– Je me représentais le Japon aseptisé, dit-elle, pas qu’on y sentait la friture.
– On n’est pas chez les Protestants, dit-il, et je sais de quoi je parle. Le Japon est majoritairement un joyeux bordel.
– Pas chez lui, dit-elle, incapable de dire chez mon père.
– Majoritairement, répéta-t-il.
::: Muriel Barbery ; Une rose seule.

Lundi 24 janvier 2022

Le Japon, donc, était entré chez moi bien avant que je m’y rende. Le thé l’après-midi par exemple, je le bois depuis toujours dans un service que mon arrière-grand-père rapporta de Kobe. Peintes à la main, les tasses et sous-tasses, toutes uniques, représentent le même motif : un lac, des pins, les fleurs roses d’un pêcher, des jeunes femmes assises sur un carré de mousse vert pâle. Au loin des montagnes frémissent dans la brume. La minutie d’un monde en miniature, comme les objets japonais, les jardins japonais, et le Japon lui-même.
::: Christian Garcin ; Carnet japonais

Samedi 22 janvier 2022

On danse, le plus souvent, pour être ensemble. On se met à plusieurs. Les corps s’approchent les uns des autres, vont et viennent sans ordre préétabli mais avec la même obstination dans le tour et le retour. Ils se frôlent,se frottent, se désirent, s’amusent, se déchaînent. C’est une fête. C’est une variante de parade sexuelle. Ou bien les corps s’approchent les uns des autres, mais pour se mettre en ordre sous la baguette d’un maître de cérémonie, pour aller du même pas dans la même direction. C’est une variante de parade militaire, autre genre de fête. Cela va des défilés de Nuremberg jusqu’aux grandes mises en scènes olympiques, en passant par les souriantes chorégraphies hollywoodiennes (mixtes de parade sexuelle, de parade sportive et de parade militaire). Innombrables fêtes rituelles, réjouissances convenues,  processions funèbres, grandes prières dansées où toute une société fait masse et se commémore. Innombrables rites de passage fondés sur un pas commun. Une anthropologie – le projet d’envisager la condition humaine en tant que telle, pour ce qu’on appelle sans doute bien prétentieusement, une « science de l’homme » – ne peut même pas commencer sans se poser la question, cruciale, de la danse. On découvre un peuple, souvent, en commençant par s’étonner de sa façon de danser.
::: Georges Didi-Huberman ; Le Danseurs des solitudes

Nous nous étions mis à discuter ; d’abord M et moi nous étions salués, puis B s’était retourné. Nous faisions alors la queue pour boire un verre au bar de la Manufacture après le spectacle. Le spectacle était émouvant et fort, l’auteur et acteur y raconte l’homophobie et le racisme qu’il a subis, mais mon voisin de gauche, à la fin n’avait pas salué. J’avais trouvé ça gênant, qu’il n’applaudisse pas du tout, au moins par respect pour « ça », mais son corps aussi m’avait gêné durant les 45 minutes du spectacle – et mon envie de pisser, aussi.
M et B lorsque je les ai côtoyés, n’étaient déjà plus un couple d’amoureux, mais vivaient encore ensemble. Nous nous connaissons peu. Nous avions partagé quelques moments ensemble et puis j’avais décidé un jour de plus les voir pour les mêmes raisons qu’on arrête une relation amoureuse : « ça ne le faisait pas ». Je l’avais écris à B, le 9 juillet 2020, par un froid mais réaliste « Je prends un peu de distance avec un certain nombre de relations amicales« .
Nous voilà, donc, près de la table où l’on vend des livres, nous discutons du spectacle, et je dis que non, je dis que je résisterai, que je n’achèterai pas de livre. Et puis il y a ce Didi-Huberman, je ne sais pas de quoi il parle, j’aime le titre, je l’achète. Je dis que c’est héréditaire. Mais chez moi, c’est à plus petite dose. Et puis mon père n’achetait pas des livres pour la même raisons que moi. Je crois que la différence, elle est comme dans le studium et le punctum de Barthes, dont nous avons parlé avec T mardi soir au milieu d’autres sujets de conversations. Mon père aimait les livres « studium », qui apprennent quelque chose, qui décrivent. Je suis dans le « punctum », il faut que quelque chose me « pointe ». Bref, je divague.

Jeudi 20 janvier 2022

À cet âge où se développent toutes les grâces de la femme, je n’avais ni cette allure pleine d’abandon, ni cette rondeur de membres qui révèlent la jeunesse dans toute sa fleur. Mon teint, d’une pâleur maladive, dénotait un état de souffrance habituelle. Mes traits avaient une certaine dureté qu’on ne pouvait s’empêcher de remarquer. Un léger duvet qui s’accroissait tous les jours couvrait ma lèvre supérieure et une partie de mes joues. On le comprend, cette particularité m’attirait souvent des plaisanteries que je voulus éviter en faisant un fréquent usage de ciseaux en guise de rasoirs. Je ne réussis, comme cela devait être, qu’à l’épaissir davantage et à le rendre plus visible encore.
::: Herculine Barbin ; Mes souvenirs