Vendredi 3 août 2012

J’attends, sur un banc, regarde les passants, certains courent, je m’en amuse, pour rien. Un message, elle est derrière la colonne, je m’en approche, ne la vois pas, on tourne autour, on s’en amuse.

Un jeu de mots (Narbonne vacances… on fait ce qu’on peut), des rues presque vides, une place malgré tout, un futur nouveau site, et puis les autres arrivent, on grignote, on raconte, on dîne, on l’interroge, on boit, ça fume (trop, non ?), ça cause, un désaccord ?, on voyage encore, un thé ? et voilà, déjà, mais si, 1h30 le dernier métro je vous dis.

Jeudi 2 août 2012

Americano, de Mathieu Demy. J’aurais envie de faire un jeu de mots avec le titre de ce film, du style “Ah mais ricanons”, mais même si ce film ne m’a pas emballé (bon OK OK j’avoue, j’ai vraiment pas trouvé ça bien), ne nous en moquons pas… juste parce qu’il donne envie de traverser la frontière américano-mexicaine au volant d’une Ford mustang rouge.

Je vous ai déjà parlé de la première voiture dans laquelle je me suis assis, à Chicago ? Non ? Eh bien c’était une Ford mustang. Noire. J’avais manqué de défaillir, parce que j’ai pas l’air comme ça, mais une Ford mustang quoi… Bref, je venais de franchir l’Atlantique, et cheveux aux vents j’essayais de compter le nombre de voies aux autoroutes et de mesurer la longueur des limousines qu’on croisait… La suite du séjour a été un peu moins fun, mais c’est une autre histoire…

PS. La journaliste de Elle qui a dit que c’était aussi vertigineux que Vertigo pourrait-elle  vraiment regarder le film ?

Mercredi 1er août 2012

Derrière ses lunettes de soleil et sous cette chevelure sévèrement coupée, j’hésite à reconnaître Ph. jusqu’à ce qu’il soulève les verres teintés.
– Tu n’es pas au Japon ?
– Ben non tu n’as pas vu Ch ?
– Ah vous êtes là tous les deux ? Vous allez voir quoi ?
Après les questions suivent les réponses, surtout le titre du film, Poussières dans le vent, avec un nom pareil c’est forcément asiatique. Oui : taïwanais. Joli film sur ces jeunes de la campagne qui prennent le train et travaillent à la ville, contrairement au père qui trime à la mine, au grand-père – très joli personnage pas si secondaire – qui plante ses pommes de terre. Parfois, on ne sait pas trop quand ni à quel rythme, les jeunes reviennent, fêter les morts ou pleurer cette jeune fille qu’ils auraient tant aimée.

Juillet 2012

Mardi 31 juillet

Tu m’appelles et me proposes autre chose plutôt que ce que l’on n’avait pas vraiment prévu,. Alors me voici chez S, pour voir enfin le livre, son livre, d’abord 150 pages vides et colorées, 150 couleurs pour un dégradé qui remet en cause la notion de page vide, c’est beau, et la suite l’est tout autant, dans ce lieu magique qu’est son atelier. « Attention derrière toi« , me dit-elle avec précaution et justesse, puisque mon oeil avait entr’aperçu et vite oublié la plaque qui se faisait discrète… Puis, tandis que l’on écoute les clapotis de voix, je cherche la jonction, le moment, l’endroit où cette même plaque se fond dans le mur par cet hypnotique jeu de similitude de couleurs, ces blancs qui n’en sont pas vraiment, surtout sur la photo. Les mots me viennent, un peu aidés par ce verre de vin peut-être, mais je ne note rien et puis j’oublie, la mémoire aussi se fond dans les murs blancs.

Lundi 30 juillet 2012

Reprise. Sur le sol du bureau la matière a changé, un faux parquet plutôt agréable a remplacé les vieux carrés de moquette qu’on essayait d’ignorer. La pièce vide résonne, sonorité étrange et oubliée des anciens déménagements. Une fois la dernière pile de dossiers multicolores posée sur ici ou là, ma voix rebondit encore sur le sol ; j’ouvre un peu la fenêtre, un peu de courant d’air en attendant la solution… De toute façon il fait un peu chaud, on parle de la météo, de celle que j’ai eu là-bas, de celle qu’il a fait ici, et comme je ne suis pas original, je rebondis sur le film du soir, Sans soleil, de Chris Marker, Chris Marker qui est mort alors évidemment tu me demandes, si j’ai vu le film, non, si je veux le voir, oui.

(Et j’en reste sans voix)

Dimanche 29 juillet 2012

Malgré tout on en a ri de toutes ces toiles d’araignées qui avaient envahi les bois et qui se collaient sur nos bras, nos cheveux, sur ces bâtons que l’on a fait mouliner pour combattre l’arachnide enjôleuse et insistante, nous pauvres Don Quichotte du dimanche matin partis faire un petit tour par là. Et puis je suis remonté, vers le nord les nuages devenaient plus présents, parfois menaçants, sombres, compacts. A très grande vitesse, lorsque l’on traversait ces étendues infinies qui nous font demander si la terre n’est pas plate, je les regardais, ces nuages, nombreux mais clairsemés, moutonneux, y cherchant une ressemblance avec un oiseau, un objet, un visage inconnu, mais nulle forme pour les rêveurs, sauf celle de quelques matelas accueillants. Dans le reflet de la vitre ce visage assez beau, que regardait en souriant cet autre garçon sur le quai de la gare de Poitiers et Morrissey qui chantait. Plus tard encore, chez Karen, chacun a évoqué les jolis moments qui ornent ses voyages, pourtant je n’ai pas parlé des nuages.

Samedi 28 juillet 2012

Les rayons un peu mieux rangés d’un autre bric-à-brac, puis l’abbaye de Fontdouce qu’on trouve malgré tout…

Et comme les jours se suivent et se ressemblent, c’est à nouveau sur quelques cartes postales que l’on s’arrête : un improbable couple années 70, ongles propres et transistor, ou quelques messages anti-Allemands d’il y a presque un siècle.

Vendredi 27 juillet 2012

Frpoussi arrive avec les nuages, et les espoirs de plage se transforment en errances dans les rayonnages et les rues, touristes parmi les touristes, avec, puisque tourisme, l’éclat de quelques cartes postales du meilleur goût.

Jeudi 26 juillet 2012

Sous l’ombre du grand chêne, là-bas, je profite du soleil qui perce à travers le feuillage. Il tourne et je tourne avec lui, lis et relis, écoute et réécoute la leçon numéro tant de ces cours de japonais, prends quelques photos de moi, vous savez ces autoportraits où je tombe, mais les vêtements sont ternes, le bermuda coupe trop la silhouette, et en maillot de bain non non on oublie tout de suite.

Pour les photos, alors, je cherche un peu plus loin, va chez la voisine, je crois qu’elle y est, car dans sa cuisine… non dans sa cuisine on ne bat rien du tout, la pauvre a le bras cassé.

Mercredi 25 juillet 2012

Il a l’insolence de sa carte 12-25, plus près du deuxième nombre que du premier. Dans la gare il arborait fièrement sa jeunesse et ce short rose bonbon qui frappait le regard dans ce hall triste. Baskets en toile blanche et tee-shirt blanc également parsemé de motifs pastels, le hasard l’assied à côté de moi, un siège et un couloir nous sépare. Autour de son cou un gros casque, il s’endort. Par la fenêtre, les paysages d’été, les champs moissonnés, les prés, la couleur de la paille et de l’herbe encore verte, je pense à une photographie à faire, frontale, le cercle d’une meule, l’arrière-plan coupé en deux, avec le bleu net sur la partie supérieure.

Du 10 au 24 :

Séjour au Japon

Du 1er au 9 juillet

Oui… juillet ?

Les jours de juin s’accrochent. Ceux de juillet sont restés crayonnés dans un petit carnet. Dommage, ceux du premier étaient un peu tristes mais ensoleillés, sucrés comme un gâteau de chez Dalloyau et accompagnés de jolies images. Les autres ensuite je ne sais plus précisément, j’aurais parlé de Woody Allen, d’un film italien, de la pluie parce que je ne suis pas original, j’aurais mis une citation Premier Amour de Beckett en précisant que je n’avais jamais lu Beckett, j’aurais encore rêvé de voyage même si le prochain approche à grands pas et je sais maintenant que brosse à dents se dit haburashi.

Ce mardi 10 juillet nous partons à Kyôto pour deux semaines. Il y aura peut-être des images et des mots, des cartes postales virtuelles comme celle envoyées l’an dernier. Peut-être pas. Cela dépend du temps (celui qui se déroule et celui qui pleut)…

À suivre…

Kyôto : du 10 au 24 juillet

Mardi 24 juillet

On n’a pas osé réveiller Fumiko mais elle nous a entendus ; la voici sur le pas de sa porte alors que vos valises grognent sur l’asphalte de la petite rue. Elles nous appelle, on se retourne, court l’embrasser. Voilà. Ça y est. Nous sommes partis. Kyoto se réveille. Vide, presque vide. Deux hommes attendent devant l’entrée du métro Imadegawa, le rideau de fer est baissé, il est si tôt. Heureusement un taxi passe, un taxi orange dont les portes ne s’ouvrent pas automatiquement, c’est si rare. La gare est au bout de l’avenue, là, tout droit, c’est rapide évidemment. La lumière est belle, inoubliable, à croire que l’absence y est pour quelque chose.

1380 yens.

Voie 30.

Au revoir.

Lundi 23 juillet

Un dernier coup d’œil. Une petite surprise sur le pas d’une porte.

Et ensuite…

Direction Arashiyama. Nous sommes invités chez un ami de Fumiko. Nous n’en savons pas plus… Elle nous rejoint en train et saute dans un taxi blanc… Chauffeur, suivez cette voiture !

Le reste est longuement décrit dans mon carnet, il y a même quelques petits dessins qui représentent la salle de bain et trois pièces de vaisselle mais je ne laisserai ici que quelques rêveries. Parce que le moment est incroyable, entre tradition et modernité (tiens, ça me rappelle quelque chose ça…), entre sentiment luxueux et ambiance amicale.

Et donc le déjeuner… allez, je vous parle un peu du déjeuner. Au début il faut se présenter, à la fin on me demande mes impressions , et entre les deux je regarde comment font les autres (parce que nous sommes dix à table, des collaborateurs de notre hôte, une femme en kimono, une chanteuse lyrique….) oui donc comment font les autres pour manger, se tenir… On a l’honneur de manger des kaiseki, spécialités locales constituées de petites portions de plats. Les mélanges de saveurs et de textures sont étonnants, le tout servi dans une vaisselle de rêve. Fumiko traduit un peu, mais quitte à être baigné dans cette ambiance, après tout… pourquoi pas être carrément linguistiquement perdu.

Enfin… toutes les belles choses ont une fin, et nous voici repartis. Pour notre dernier jour nous allons chez Inoda – imaginez-vous qu’on n’y était pas encore allés et nous retrouvons ensuite Shiji à la gare pour un soda-cinéma (le festival, etc.). Il faut ensuite rapporter le scooter…

C’est en haut de l’hôtel Okura que nous regardons la lumière baisser, remplacée par celles de la ville… Deux verres de vin qui me montent à la tête, dans la coupelle les gâteaux apéritif sont en forme de coeur, a-t-on vraiment besoin de ce détail romantique pour apprécier ce moment ? Notre séjour se termine, mais nulle tristesse, juste le bonheur des moments vécus et du moment présent.

Nous allons dîner dans notre rolling sushi préféré de Sanjo, autour de nous la mixité sociale est vraiment étonnante… Puis les quais de la Kanogawa où nous marchons jusqu’à ETW. Peu de monde au bar, mais un couple que je cherche à prendre en photo – à voler leur image, dis-tu -… mais pourquoi ? Sur le moment je me suis dit qu’il fallait que je me rappelle leur visage, que je les décrive, parce qu’elle on aurait dit que… que quoi déjà ? et parce que lui avait un air de… de qui ? de quoi ? Un air de rien peut-être bien. Juste parce que c’est la fin.

Dimanche 22 juillet

Une dernière fois nous allons à Ohara, mais cette fois c’est d’en haut que l’on va regarder le village. On grimpe, tu connais le chemin, je te suis. Là haut Ohara est ponctuée de polygones violacés au milieu du vert. Nous pique-niquons, sur ce promontoire, de ce que nous avons acheté à la coop. Parfois on entend le souffle d’une voiture qui passe, mais ce sont surtout les grimpeurs qui rompent à leur rythme le calme du lieu. C’est amusant, ils doivent se demander par quel moyen on est arrivés là, après avoir machinalement lâché un Konnichiwa manquant de souffle.

Quelques chants d’oiseaux évidemment, une punaise aux couleurs étonnantes, à peine un nuage par ci par là, et face à nous cet arbre mort. Je parle de l’abattre, tu parles de le laisser : il rappelle la vanité des choses. Je poursuis la lecture de La Vie tranquille (laissé, depuis, chez Mireille) dont je note quatre petites phrases :

Je ne pense pas à m’ennuyer. L’ennui est loin, vague. Je sais déjà qu’il arrivera. Mais avant, il faut qu’on lui creuse sa place.

D’après mes notes sur le carnet rose, il y a aussi d’autres mots à transmettre, page 126, page 148. La jeune femme est alors à l’océan, seule. Elle n’avait jamais vu la mer. Sur des dizaines de pages elle pense, face aux vagues, à ces/ses morts, à ce qui lui semble être l’amour, un monologue splendide traversé çà et là par quelques échanges avec les vacanciers qui vont bientôt partir.

« Je ne pense pas à m’ennuyer », c’est exactement ça, ici face au vide ou ailleurs… Au retour de Ohara un arrêt à cette même petite boutique d’antiquités que l’autre fois. Je regarde cette même photographie, deux femmes en longue robe blanche, joueuse de golf souriantes des années 20 peut-être.

Après un peu de repos et le réveil des coups de soleil sous une pluie de Mozart, nous allons dîner chez Ono, restaurant dont la carte nous avait alléché il y a quelques jours. On comprend mal et l’on commande alors trop, mais évidemment on en sourit.

Et devinez où ça se finit…

Samedi 21

Qui sont-ils ? Sur les photos d’autrefois les visages défilent, figés, raides, stricts, posés, sévères. Figés ici dans le temps, ils ont vu les guerres et d’autres années que les nôtres. Photos de groupes, portraits, costumes-cravates, habits traditionnels, ils sont des témoins gris ou sépia, tristes ou souriants, que je laisse ici, hésitant pourtant à acheter ces si beaux albums – dont j’ignore le prix – et à acquérir ces moment qui ne m’appartiennent pas. Car ce matin nous sommes aux puces, naviguant d’une envie à l’autre, une petite poupée en bois ou de la vaisselle, des papiers colorés ou des objets en laque. Je cherche plutôt quelque objet des années 50, ces japonaiseries américanisées aux couleurs vives ou acidulées mais je ne trouve rien qui en vaille la peine.

Lorsque la pluie se met à tomber on se dit que ça va faire du bien, rafraîchir – il fait si chaud – et que l’on a bien fait de ne pas acheter ces albums, ces papiers… Mais la pluie insiste et s’abat finalement lourdement sur le temple. Nous patientons sous un abri de fortune, mais au bout d’une vingtaine nous nous avouons vaincus et décidons de braver la situation.

C’est donc sérieusement humides, mais protégés d’une couche supplémentaire et plus ou moins imperméable, que nous grimpons sur le scooter. Au sushi tournant de Funaoka je me déchausse pour sécher, dans le bar j’ai les pieds qui baignent encore un peu, et finalement au onsen, une fois plongé dans l’eau, ce n’est plus un problème.

Au onsen le temps s’écoule lentement et on y reste presque une heure sans s’en rendre compte. Je savonne mes lunettes pour éviter la buée le plus longtemps possible, afin de regarder les autres…

Un vieil homme au tatouage sur le bras gauche, tatouage léger, lignes et fleurs, pas de couleur. Il se lave longuement dans un coin, il frotte, encore et encore, de sa serviette jaune, son dos surtout, ce dos qu’il me tourne.

Un très vieil homme, très vieux oui, très sec, il n’a plus que la peau sur les os comme on dit, plutôt grand, sa peau forme des plis là où autrefois du muscle ou de la graisse faisait leur office. Qui le caresse aujourd’hui ? Le corps n’est pas usé, pas marqué, pas abîmé : juste vieux, très vieux oui. La peau est très blanche, transparente, veines apparentes, aucun poil ne la recouvre et le pubis n’est plus qu’un creux, une ombre, une forme. Ses mouvements sont lents, son regard un peu ailleurs. Il pourrait être sur l’album photo du matin, il a dû voir les guerres et tant d’autres années que les nôtres.

Évidemment d’autres plus jeunes, dans la cour extérieure où je reste car il y fait moins chaud et l’ambiance est presque feutrée – à l’intérieur les sons résonnent. La statue au-dessus du petit bassin a un visage sur lequel on lirait presque la surprise. J’observe, à travers les vitres je vois dans les vestiaires le ballet de ceux qui s’habillent et se déshabillent, je vois ceux qui vont et viennent dans ce petit couloir qui mène au bain, comme ce garçon bientôt adolescent, trop jeune apparemment pour être conscient du sens de cette horizontalité naturelle.

Plus tard, 17h45, la Villa K. De la terrasse on regarde une fois de plus l’horizon, les collines sombres derrière la ville qui prépare le soir, les cimes au premier plan. Nous venons voir une répétition de Ken. Dans la salle les gestes sont courts, d’abord hésitants, petit à petit plus fluides, c’est toujours intéressant de vois les choses se construire…Intéressant mais tôt ou tard il faut bien partir, s’arrêter à la boulangerie, chez DONQ, un de ses nombreux endroits où l’hommage aux spécialités culinaires françaises est toujours un peu approximatif, approximatif dans les mots ou évidemment adapté dans les goûts, les cuissons, les ingrédients…

Les casques posés, Fumiko est là, ce n’était pas prévu, ce n’était pas très clair, qu’importe, cela se transforme en moment délicieux : une boîte qui reste dans le frigo, un saut chez Lawson et on improvise quelque chose entre edamame, foie gras, salade de tomates et bière ; les conversations naviguent entre son travail et ce film qu’elle nous a montré hier, les femmes dont elle adore lire les biographies (Françoise Sagan, Louise de Vilmorin…), ou ses projets de maison qui font pétiller son regard… Pétillant, c’est cela, pétillant.

Vendredi 20

Le premier réveil est à 6h : bruyante, dense, une averse comme celles qui, en France, nous étonnent et nous collent à la vitre pour voir le spectacle tandis qu’on dit bêtement « C’est la mousson ». Au deuxième réveil, le vrai, le bon, celui de 9h15, la pluie s’est calmée, mais derrière le petit mur le ciel est bas et sombre. Durant le petit-déjeuner la pluie s’abat à nouveau. Le café est un peu trop léger, accompagné de ce pain de mie si épais et de melon au goût discret mais rafraîchissant. Je monte à l’étage pour m’assurer qu’aucune vitre n’est ouverte, de toute façon ce serait trop tard. Je découvre les pièces du haut, lumineuses, paisibles, fenêtre ronde au sud, balcon à l’ouest.

Tout cela se calmera… Nous décidons de rester la journée à Kyôto, à faire quelques boutiques. Tout commence par un café au Ogawa café – rien à voir avec Yoko Ogawa. Ici (ou ailleurs), le café c’est tout une affaire : on chauffe les tasses, on transvase, on mesure, on veille (et pas qu’au grain) et on vérifie la température de l’eau. Mais je jette un oeil plus long à mon petit écran connecté à Internet qu’aux faits et gestes de la jeune femme en chemisier blanc.

Suivent les boutiques, les vitrines, les étals, les dépatô (= department stores)
De ce magasin d’encens chiquissime on ressort étonnés et amusés par les noms des bâtonnets (agua de beber…).
Des magasins de vêtement ou de sacs, Zara ou autres, on ressort sans rien malgré les tentations (tissus, matières, motifs, mélanges, coupes, détails, empiècements, couleurs, lignes…).
D’ici ou là on repart avec quelques d’utile tout de même : un parapluie (il pleut), cet éventail (il fait chaud), des brosses (ça gratte), des cadeaux pour Lili (ben oui !).
Et j’en passe : Nishiki, Muji, etc.

Les pauses bien sûr, pour déjeuner (le regard du serveur parce que vous ne vous comprenez pas), pour un café (chez Zen encore). Chez Zen, confortablement installés dans un grand fauteuil vert, la buée sur la vitre. On regarde ce couple de de personnes âgées, elle porte des chaussures trop grandes (c’est tellement plus pratique) ; plus tard ils prendront un taxi, lentement.

Toute cette journée, calme malgré le tumulte de la ville, calme parce que c’est le rythme qu’on lui a imposé, baigne dans une certaine humidité. La pluie, par averses ; le siège du scooter, je vous passe les détails ; l’air, toujours ; les montagnes au loin, desquelles se dégagent de poétiques volutes. Et la rivière, la Kamogawa qui charrie, presque violente, les conséquences des orages. On la connait habituellement si douce et reposante.

Pour le dîner nous retrouvons « les filles ». Arata et Masako nous entrainent dans un restaurant de yakitori. Le lieu est très bruyant mais elles recouvrent le brouhaha de leurs rires (brouhahahahahaha) et de leur enthousiasme. Revoir les photos de cette soirée, plus tard, me déclenchera au minimum d’immenses sourires. On découvre ou redécouvre quelques éléments indispensables de la gastronomie japonaise : les edamame évidemment, les brochettes de cartilages de poulet, les frites de… de quoi déjà ? de bugou ??

Après le dîner et une séance vidéo-photo qui déclenche l’hilarité, on cherche un petit bar. Kyôto en regorge, mais au hasard nous voici à l’Elephant Factory… qui s’avère être un café. Mais un café café, vous voyez ? Y a que du café quoi… Et de la bière, pour moi. 500 mL, c’était marqué sur la carte mais ça m’avait échappé… Buuurp…  Voilà. Fini. Dans la rue où l’on se quitte, un garçon sévèrement éméché aborde une des filles : « I love you » lui dit-il. Yes girls, we love you too.

Jeudi 19 juillet

Vous vous rappelez Uji ? Vous auriez pu en recevoir une carte postale l’an passée. C’était vraiment bien Uji, une évasion hors de Kyôto, un joli moment dans le temple et le long de la rivière, mais comme il faisait chaud sur le barrage !

Ce jeudi, on y retourne. Un repérage de la route avant de partir et… ah non, pardon, avant de partir je peux parler du matin, du petit-déjeuner que l’on fait traîner, tranquilles. Je feuillette Traces et fragments de l’esthétique japonaise, de Murielle Hladik, et je saisis dans quelques phrases quelques évidences japonaises que je n’avais pas forcément vues, sur la fragilité, l’éphémère des matériaux de construction… Et puis l’on va au magasin de thé pour quelques questions, tu t’interroges, ça ira vite. Mais au Japon, non, ça ne va pas forcément vite. Je pense au verbe tergiverser, je me demande comme ça peut se dire en japonais… j’ai le temps de penser, de regarder les gens qui passent, qui s’arrête : monsieur conduit, madame descend, rentre vite dans le magasin, monsieur se gare un peu mieux ou un peu plus loin (le stationnement sur la rue, spécialité locale…) et un peu plus tard madame ressort. Je n’ai rien sur moi, alors je t’attends, finalement c’est aussi bien, si j’avais eu de l’argent sur moi, je serais allé à côté, jeter mon dévolu sur ces beaux cahiers au papier qui glisse tant, ou plus simplement sur un radis dessiné sur une carte écrue. Mais comme on me voit attendre et attendre encore on vient me voir, on m’offre un thé glacé (« very sweet », me dit-elle, et effectivement c’est very sweet, délicieuse harmonie entre le sucre et les arômes), on me propose d’entrer à l’intérieur du magasin, oh bien sûr j’accepte, ça ne se refuse pas (et puis un peu de fraîcheur…). Enfin te voilà, c’était un peu long alors la dame est un peu gênée (I didn’t knoooow..) mais à présent tu sais tout…

Uji donc. Y aller en scooter ce n’est pas si évident, ça a l’air tout droit vers le sud, mais non, ce n’est pas si simple. Mais on y arrive, bien entendu, après une route, avouons-le, assez désagréable. Beaucoup de circulation, de camions… On n’a pas ce genre d’habitude à Kyôto, lorsqu’on s’échappe pour respirer au nord ou à l’est. Quelques courses au « K » et l’on cherche un endroit pour pique-niquer. On rejoint donc simplement ce petit endroit où l’on s’était posé l’an passé. Oui mais voilà, c’est un peu sale (la batterie de voiture n’est pas un élément de décor très agréable à regarder), le lieu encaissé où l’on a choisi de s’asseoir manque sincèrement de charme et de confort, l’eau qui coule n’est pas fraîche, nos bentos ne sont pas vraiment bons… et toute cette énumération de petites anicroches dans nos si belles vacances finit en fou rire…

Alors on ne reste pas longtemps, on enfourche le scooter et hop, on prend ce petit chemin vers le nord. On espère voir des champs de thé, c’est la région… On roule, on roule dans ces montagnes où les arbres s’élancent encore. Parfois un croisement : on hésite. Parfois deux plans qui se côtoient : on s’interroge face à deux nord. « Vous êtes ici » blanc sur fond rouge… oui mais c’est où, ici ? Tu penses aux ambiances des dessin animés de Miyazaki, tu me dis que ce ne serait pas étonnant que des monstres gluants viennent ici la nuit. Et pour cause, certains endroits ont l’air abandonnés (et je ne parle pas des déchets qui ornent la forêt – pas très japonais tout ça), comme cette sorte de hameau industriel, dont les seules traces de vie sont des voitures neuves garées et des bruits de tôle. Mais soudain au fond d’un hangar, une silhouette, mains sur les hanches…

Au bout d’un moment, un peu plus de vie, un village où certains jardinent, un groupe d’enfants saluant le chauffeur de bus devant ce que l’on suppose être un observatoire. On a beaucoup roulé, on commence à sentir les effets du scooter sur le dos, le fessier… On roule encore un peu, à peine, et comme d’après notre plan il y a tout près le daigoji, on demande le chemin. C’est là que commence le petit jeu dont je vous épargnerai tous les détails… mais après avoir interrogé 2 personnes, fait 6 kilomètres pour rien puisque cul-de-sac countryclubesque au bout, fait demi-tour, décortiqué les kanjis sur les panneaux, redemandé à une dame en voiture complètement larguée puis un monsieur âgé et une mémé pliée en deux qui nous confirment que non non non impossible avec la baïku de prendre cette route, à pieds uniquement… et bien après tout ça, on repart vers Uji. On nous indique la direction et on se retrouve… devant un péage… et finalement sous un tunnel avec des camions qui vous doublent et ffffffffffff appels d’air et tout et tout… 4,2 km là-dessous, rien que ça… pfiouu…

Heureusement on est au Japon, il y a toujours un petit lieu agréable et original pour vous accueillir. Cette fois, à peine sortis du tunnel, nous nous arrêtons devant un petit café au bord d’une « nationale » mais est-il ouvert ? Et comment dit-on « ouvert » d’ailleurs ? Mais oui, le monsieur hoche la tête, nous voilà dans un vrai de vrai petit café, torréfaction et tutti-quanti, avec sacs de café from Colombia, etc. Et puis on reprend le chemin, un arrêt courses dans un supermarché où le jingle tourne en boucle…

On termine cette journée tranquillement, du goût français en bouche arrosé d’un vin blanc et quelques lignes piochées ici ou là dans le livre « Le Japon d’André Malraux » de Michel Temman : la spiritualité, l’américanisation, la mort, les jardins et les pierres… Malraux est allé au Japon en 1931, 58 et 74, et son regard est (probablement) une référence sur laquelle se clôt cette amusante journée.

Laisser un commentaire

Mercredi 18 juillet

Il est à peine 8h, la chaleur est déjà présente, une musique au loin. De l’autre côté du quadrillage du portail de bois ils passent, les étudiants. Les talons claquent et les semelles se traînent. Chapeaux et ombrelles sont déjà utiles mais pour les garçons on se limite souvent à cette chevelure noire, parfois assez longue, recherchée, rarement décolorée, celui-porte une casquette de football américain…  Le soir, certains s’arrêtent à la boutique d’en face, une auto-école peut-être, on n’a pas demandé. Au téléphone Fumiko te parle de la Gion Matsuri, ravie, elle nous décrira plus tard les chars immenses, quelques photos sur le petit appareil. Et puis l’on part. « N’oublie pas ton éventail ! ».

Et puis on part à Nara, cinquante minutes de trajet, les rizières à travers les vitres… On passe sur la chaleur de la journée, écrasante, mais elle nous a poussé à l’ombre, dans les endroits arborés de l’ancienne capitale du Japon où les daims sont indénombrables. Mais avant les arbres, un rendez-vous et LA rencontre rapide mais souriante avec ton idole (enfin moi aussi j’adore ses films), N.K.

Du shabu-shabu pour déjeuner… une variante de la fondue chinoise, qui s’appelle ainsi car quand on trempe la viande dans l’eau bouillante, ça fait « chabou chabou ». Comme si notre fondue savoyarde s’appelait bloup-bloup quoi…

La longue promenade qui suit est un joli moment, calme, même si je pousse un cri au milieu d’un temple pour cause de piqûre d’insecte… Une pause en haut, et le bruit des cigales, ces incroyables vagues de crissements sur lesquelles on ferme les yeux. A l’autre bout de la ville les touristes admirent l’immense bouddha ; ils ne savent pas ce qu’ils loupent.

Retour dans la ville… Dans le bar, le serveur tente un peu de français : « Café glacé ? ». J’acquiesce, je suis près à tout pour me rafraîchir, mais définitivement je n’aime pas ça. En fond sonore de la musique brésilienne, avec en particulier une version accélérée de Mas que nada (obaaa obaaa obaaa). Une boutique pour touristes et une galerie marchande avant de reprendre le train, je m’achète trois feutres japonais… souvenir de quelques essais en calligraphie.

Le soir on se casse le nez sur deux restaurants, on finit dans un boui-boui à ramen. Infâme. La journée se termine dans le calme de chez ETW cinq cartes postales et un american cheese-cake…

Mardi 17 août

Nous avons pris rendez-vous quelques jours plus tôt ; j’aurais dû vous parler du rendez-vous, il fallait mon numéro de carte d’identité ou de passeport, n’importe quoi, un numéro quoi. On a triché. C’est pas mon genre, encore moins celui des Japonais, mais le tien irait très bien. Bref. Le rendez-vous c’était pour voir la villa impériale de Shugakuin, un bout de campagne aménagé pour héberger un empereur dans les années 1650. Un petit bout de campagne, vous imaginez bien… Non, franchement, c’est immense. Et sous un soleil de plomb comme celui d’aujourd’hui, c’est vraiment immense. Mais très beau. Vraiment très beau. Un peu chichiteux dis-tu, mais l’horizon me plait, les étangs, les arbres, les nuages rares qui flottent, cette libellule rouge vif m’enchantent… Bon, le guide était japonais, et pour l’audio-guide voyez-vous je peux pas faire des photo et tenir l’audio-guide, mais on a fait « oooooooooh » comme les autres visiteurs pour montrer que c’était passionnant. Bref…

On part ensuite se rafraîchir à Ohara. pikku-nikku sous les arbres près d’une cascade avec bain de pieds fort bienvenu. Pause lecture, je continue La Vie tranquille de Duras dont le titre est parfaitement adapté à ces moments que l’on vit là. Quelques hommes viennent se poser ici durant leur pause déjeuner, un photographe aussi ; il en prend, du temps, pour la prendre en photo cette pauvre cascade, sort son pied et sa patience, et je me demande si la photo de Jean-Jacques – ah ben oui je l’ai surnommé Jean-Jacques – vaudra le coup, parce que les photos de cascade, moi…

(« Surveille Jean-Jacques, j’ai en vie de pisser ». Rire.)

« Sanzen-in ? » Me demande deux hommes. Tu es un peu derrière moi, on sort d’un autre temple, je sais que c’est en bas le Sanzen-in mais j’ai un doute. Comment dit-on « attendez un instant » ?

Dans le bar où l’on se pose avant de repartir, la femme a les cheveux violets. Peut-être sentaient-ils l’aurore, comme l’écrit Duras p. 34.

Et le soir ? Pas de soir. Lecture, du calme, pas de bar…

Lundi 16 juillet

Parc impérial. Tu vas enregistrer ; je crois naïvement que ce sont les premières cigales que tu cherches, celles qu’on entendait hier aux premiers rayons du soleil. De mon côté je cherche l’ombre, quelques souvenirs à photographier comme cette vieille date qui remet son chapeau au moment où je me retourne, car tous ces cyclistes sous la chaleur ne m’intéressent pas vraiment… Et puis autour d’un arbre ils sont là, des photographes, équipés de zooms gigantesques que je regarde dans les magazines spécialisés en me demande à quoi ça peut bien servir (à aller plus haut, dirait Tina Arena). Je m’approche, la zone est circonscrite, un petit panneau avec photographie m’indique qu’il y a des chouettes. Je regarde dans la direction des objectifs, je ne vois rien (bon je suis un peu nigaud, j’ai gardé mes lunettes de soleil). Une femme s’approche : « Can you watch? ». Non, je watch rien du tout… Alors elle prend une feuille, un crayon et dessine les branchages. Un point rouge désigne l’emplacement du volatile. Je regarde je devine bien un truc (non mais vraiment, le coup des lunettes de soleil, quel niais alors je fais…) mais finalement c’est sur l’écran d’un appareil que je vois la bête. Trop sympas ces Japonais ! Je prends finalement moi-même une ou photos, voyez le résultat, elle pas belle hein ? (Allez-y, moquez-vous…)

Faute de trouver un café à proximité (sauf un vieillot sentant une sacrée odeur de tabac froid duquel nous ressortons de suite), nous allons chez Zen. Aaaah zen… lieu paisible, gâteaux délicieux, gros fauteuils confortables et c’était donc qui en fond sonore ? Trompé par la chaleur qu’il fait déjà, je ne prends pas un café mais commande machinalement ce yuzu cider qui m’intrigue (le yuzu étant un agrume local au goût un peu proche de la mandarine, mais qu’attendez-vous pour goûter ??). Par bonheur il est accompagné de morceaux d’arc-en-ciel, ces petites choses cristallines entre le bonbon et la pâte de fruit que l’on avait goutées l’en dernier : le paradis mes amis, le pa-ra-dis !

Nous retrouvons ensuite Yukiko à la gare et nous allons déjeuner dans un restaurant de soba. On y sert aussi des tempura… mmmm… avec le cuistot au milieu c’est encore une fois le spectacle.

(Intermède musical virtuel avec la petite ritournelle qui tourne en boucle dans le grand magasin, zut je ne l’ai pas enregistrée…)

Direction ensuite Ippodo (LE salon de thé) pour un thé, un thé spécial matsuri ! La matsuri, donc la fête, c’est LE truc du moment, tout le monde parle de ça, tout le monde nous demande si on y va, tout le monde vient à Kyoto pour ça, et ce lundi justement ils installent les chaises sur Marutamachi Dori en prévision du défilé. Des centaines de chaises, un truc incroyable, pour que les spectateurs puissent voir passer les chars. Bref, donc le thé spécial matsuri est accompagné de deux gâteaux (encore !!) : un mochi long (mmmmm) et une sorte de jelly (mmmmmm). Mais ne traînons pas trop, on nous attend…

On retourne garer le scooter chez Fumiko et l’on repart à pied, sous un soleil de plomb, pour rejoindre une « dépendance » de l’Université. Vers 16h45, à peine arrivés, on nous propose… un verre d’alcool (du shochu noyé dans la glace). C’est soirée spécialement organisée pour toi, avec projection et… tadadaaaam… Dîner ! (Oui je ne pense qu’à manger) Et quel dîner ! Quel festin ! Je passe un moment merveilleux, le professeur étant un personnage drôle et évidemment passionnant, et j’en profite pour lui raconter l’anecdote du sushi au nato (hu hu hu) et pour apprendre ce qu’est la cuisine macrobiotique (ho ho ho). Bon quand le professeur me demande de clore la soirée avec un mot de la fin je l’aime un peu moins, mais je trouve tout de même trois banalités à bafouiller. Mais trois banalités sincères : j’ai vraiment vraiment passé un moment formidable et un vrai moment japonais je crois :-)

Fin de la soirée chez ETW pour un verre improvisé avec Ken.

(Note : parler un jour de cet étonnant gâteau en jelly offert par Yukiko)

Dimanche 15 juillet

Dans ce petit marché que trouvera-t-on, si ce n’est la foule et la déception de ne rien trouver, ah si, tout de même, mais quoi donc, quelques coupelles ? Je regarde les visages et les attitudes, au sol les prévoyants ont mis des bâches car le sol est encore humide des très fortes précipitations de la nuit. On tourne un peu, la femme à qui l’on achète un très joli petit sac nous prend en photos avec un grand sourire, mais vous imaginez bien qu’on ne s’embarrasse pas à lui expliquer que c’est un cadeau, de toute façon qu’est-ce que ça fait, de tout façon qu’est-ce que ça change.

On tourne encore un peu et puis l’on repart. Dans un tout petit café comme on en trouve tant au Japon, une vieille femme s’affaire pour deux cafés tandis que deux policiers discutent à une table. De l’anti-moustique fume près de la porte. Son pull est fuschia, sa chevelure d’un noir infini, j’imagine la photo que je pourrais faire d’elle, derrière son comptoir. Un portrait fixe, de face, forcément elle sourirait : je me surprends moi-même, c’est si rare que j’aie ce type d’envie. Je me dis qu’elle fera l’objet d’une description précise dans mon journal ou dans un album de photo, une description pleine de passion pour les petites dames qui tiennent des café ; te souviens de celle de l’an passé, dans ce bar si sombre, presque sur Shirakawa, ou à Tokyo, avec le petit sapin de Noël sur le comptoir.

Et puis on part. Sur la photo d’hier, l’œil rivé sur une carte, tu en parlais déjà je crois. Direction le nord de Kyoto, suivre les panneaux indiquant Kibune. Les pluies de la nuit ont en fait été plutôt torrentielles. Il y a quelques coulées de boue, la chaussée est très humide et toi d’une extrême prudence : ça bouchonne, je dirais même plus, ça bouchonne sévère. Mais à scooter on se faufile sans soucis : le Japonais au volant est très prudent, et le policier à casquette très prévoyant, plastification du couvre-chef obligatoire !

Dans Kibune (qui est, en résumé, une enfilade de restaurants le long d’une rivière, les terrasses étant au-dessus de la rivière), soudain, à travers le pare-brise arrière de la voiture que l’on suit, une coiffure se distingue, élégante, précieuse. A droite je devine une autre femme, une attitude similaire dans ce taxi au nom de Cedric (Revoir la BD où Florent Chavouet liste tous les noms de taxis). Tu dépasses la voiture noire par la gauche, je tourne la tête. Le visage est blanc de poudre, les lèvres d’un rouge éclatant qui souligne également les paupières, le visage sombre, elle fixe l’écran de son téléphone portable. Les promeneurs qui bordent la route la regardent, commentaires et moues de circonstance.

Nous continuons, la route est sinueuse, belle, perdue aux milieux de ces arbres interminables ; les automobiles sont simplement inexistantes, la voie est à nous, rien qu’à nous, sentiment délicieux et opportunité pour me passer le guidon pour que tu puisses filmer un peu.

Il est donc presque 14h quand nous nous arrêtons dans un petit restaurant au cadre idéal et à la carte parfaite pour notre appétit. Le couple qui tient le lieu a des visages fascinants : le monsieur en cuisine a le rire édenté, la petite dame qui fait le service me fait penser à Ginou, un bandeau écossais, assorti à son tablier rouge, coupe ses cheveux noirs. On se rappellera tout même à quel point on ne capte pas ce qu’elle dit (on comprendra après qu’elle ne fait que répéter ce qu’on a commandé).

Une heure plus tard nous repartons, le hasard nous a stoppés justement à l’embranchement de la route pour Kurama, que l’on n’aurait peut-être pas vu sans cela. Bref… Sur le chemin, une halte : d’un côté de la route le village, de l’autre les champs et le temple, merveilleux moment sans savoir où l’on est exactement. Et puis Kurama, pas de photo à Kurama, mais le bain public en extérieur, avec vue sur les montagnes. La première fois que je suis allé dans un onsen c’était ici, comment oublier ça ? Il y avait alors trois belges parlant très fort, cette fois il y a des coureurs, épuisés… ah tiens, des papas avec enfants aussi. C’est dimanche…

Est-ce ce jour-là que nous nous sommes arrêtés chez ce petit antiquaire ? Qu’importe… Le soir, autre bain de foule que celui du matin : un bain de foule pour la Fête nationale (Gion matsuri) mais cette fois c’est très organisé (à la japonaise dirait certains…) : on marche dans la rue en respectant les côtés, on TRAVEEEERSE PAAAS si les policiers ne veulent pas ! Bon allez, ça suffit… au lit ! (Mais sans glace au thé vert).

Samedi 14 juillet

Fumiko nous donne rendez-vous à Kamigamo, un temple dans le nord de Kyoto. Elle y va pour une inauguration d’expo par des étudiants en art plastique… où évidemment je m’étonne (encore longtemps je m’en étonnerai) des hommes en costumes traditionnels au milieu de la foule…
Une fois l’inauguration terminée (ne me demandez pas ce qu’ils ont raconté), une carte de visite donnée par un Japonais riant de son geste en réalisant que de toute façon on ne comprend pas les kanji, nous allons voir le temple de plus près… Et comme c’est le jour des mariages, on a droit là encore à un VRAI bain de vie japonaise et à quelques moments cocasses, surtout quand la mariée est poursuivie par une maquilleuse, une rajusteuse de plis et une éventeuse à éventail… Il faut dire qu’il fait une chaleur terrible ce matin ! 
Petite promenade dans tout le temple : le petit ruisseau, le petit chemin qui monte avec la vue sur la ville et les bancs sponsorisés, les gens qui prient, la dame qui met de l’eau dans ses bouteilles et d’autres mariages… décidément nous avons beaucoup de chance car l’endroit est très agréable et j’aime vraiment énormément ces moments de vies…

Autre scène cocasse, imaginez donc qu’il y avait là (en raison de l’inauguration because Institut franco-japonais, etc.) un Français qui donnait un petit cours improvisé de… danse bretonne (ou auvergnate, enfin bref, vous voyez le tableau). Et au milieu des apprentis danseurs, un de ces personnages dont les Japonais raffolent…

La chaleur étant un peu éprouvante, nous décidons de passer l’après-midi à faire les boutiques. D’abord une pause dans une boutique de fleurs, puis dans un nos deux rolling sushi bar préférés. Il est malheureusement trop tard lorsque tu me dis que le sushi que je viens de mettre dans ma bouche est au nato (du haricot fermenté, c’est absolument infâme)… et me voici parti dans un concours de grimaces se terminant en fou rire.
Un stop rapide au 100 yens shop où tout coûte 105 yens, puis un arrêt dans à Yodobashi camera où les clés USB en forme de sushi coûte la bagatelle de plusieurs dizaines d’euros… Nous finissons par faire les boutiques de vêtements à Terramachi (après un café chez Japonica) et comme ce sont les soldes, hop hop hop un petit pantalon tout léger léger parfait pour ici.
Nous retournons en fin d’après-midi à Kamigamo pour voir du théâtre traditionnel. Bon, je vous raconterai une autre fois l’histoire de shibiri, mais sachez qu’il s’est mis à tomber des cordes. Au moment de partir, ô joie, l’une de mes chaussures était malheureusement… pleine d’eau. Sans nato, mais pleine d’eau :-) Je vous laisse imaginer la gêne terrible de la femme chargée d’abriter les chaussures, la pauvre, elle s’est excusée vingt fois tandis que j’enfilais ma chaussure comme si de rien n’était, en disant en souriant que c’était OK. C’est là qu’on a eu envie de manger des nouilles, direction donc le petit resto de ramen (et la boutique de livres / musique / dvd d’en face, Albator et Akira, etc.) de Sanjô…

Et pour finir ce bar dont j’ai encore oublié le nom, vous savez, celui avec les céramiques… Ah mais non, vous ne savez pas. Bref, il y a eu Nat King Cole en fond sonore et le serveur était en short sous son tablier ce qui n’a décidément aucun intérêt raconté comme cela.

Vendredi 13 juillet

L’air est déjà moite lorsque l’on s’installe sur la terrasse pour le petit-déjeuner, mais de la matinée on ne dira pas grand chose : cet arrêt chez Zen (nous y reviendrons bien assez tôt) et ce coucou (qu’on qualifiera de durasso-optique) à la Villa…

A 13 heures, on ne rigole plus, attention, déjeuner avec Ph. J. Ah mais en fait si si on peut rigoler, il est très amusant.

Nous allons ensuite dans un coin conseillé par Bakou : Daitoku-ji, qui s’avère être un temple constitué plusieurs temples secondaires : nous visiterons le Koto-in et le Daisen-in qui est le temple principal. L’ensemble a donc l’aspect d’un village ancestral aux rues pavées, et je tombe sous le charme de ce petit havre de paix, où seulement quelques couples de touristes regardent les plans pour trouver la sortie lorsque la pluie commence à se faire sentir. (Notons que chaque temple secondaire ou jardin zen est malheureusement payant…)

Nous décidons ensuite d’aller au bain public, le funaoka onsen. Pas de photo bien sûr, mais je dois bien avoir une image de l’entrée dans mes clichés de l’an dernier, puisque c’est le onsen où nous sommes allés le plus souvent. Quelques centaines de yens pour l’entrée, la petite serviette, la savonnette… Se laver d’abord, se plonger ensuite… Eau (très) chaude ou eau (très) froide ? L’endroit que je préfère est extérieur, ce petit bain d’eau chaude et cette petite cascade qui trouble à peine la nage des carpes multicolores dans leur petit bassin. Aujourd’hui ils sont trois à discuter, le père et ses deux fils peut-être. Une autre génération les rejoint, très vieux monsieur extérieur à ce trio. À chaque fois je pense à Bania, ce film magnifique de David Teboul. Ici j’essaye de retenir ce que je vois, les attitudes, les silhouettes, le décor, ce que j’entends, le bruit des portes qu’on pousse, des bassines qu’on pose, des robinets qu’on ouvre, les voix, ce que je ressens, la chaleur, la fraîcheur, la torpeur, la pluie là, dehors, je me demande à quoi pourrait ressembler les photographies, la buée floutant ceux qui se lavent, positions improbables des corps accroupis et des bras qui frottent…

Pour le dîner nous retrouvons Ken et Madoka : dîner thaï juste à côté de notre maisonnette. On n’oubliera surtout pas ces poissons avalant et recrachant un gros caillou, sorte de football sous-marin… Après la traversée à pieds de l’inteeeeerminable Parc impérial, retour chez ETW pour un dernier verre avec notre couple d’amis. Le Parc impérial est vraiment un lieu fabuleux la nuit : très peu éclairé, on y croise à la rigueur quelques joggeurs. La prochaine fois (ben oui, il y aura bien une prochaine fois…) j’apporterai un pied d’appareil photo…

Jeudi 12 juillet

La nuit a été légèrement perturbée par les pluies torrentielles, mais ayant globalement dormi de 20h30 à 11h30 (je vous avais bien dit que j’étais épuisé), on va dire que… ça va.

Nous partons pour Ohara par une météo incertaine, puisque ici c’est la saison des pluies. La route est superbe, nous l’avions également faite cet hiver, un peu de neige tombait alors ou se maintenait sur quelques cimes ; nous avions alors visité la partie plutôt touristique, avec en particulier ce moment magique et enneigé au Temple. Cette fois, je découvrirai la partie plus habitée. A peine arrivés, le regard se pose sur la brume qui s’élève des montagnes. On pourrait passer des heures à regarder ce flux incessant qui semble donner corps à la création des nuages. Mais bon, cessons d’admirer le paysage : il fait faim ! Tout d’abord une halte inévitable à la COOP pour acheter quelques légumes et puis voici le déjeuner : bentos, et pour dessert un mochi trempant dans un jus très sucré. La dame en cuisine te reconnait ; j’en profite pour cherche le mot vacances (kyûkachû).

Dans le village, les activités sont principalement agricoles. Que fait cette femme derrière la vitre ? Que font-ils donc dans ce hangar avec le chizo rouge ? Mais les rues sont quasiment désertes, les petits chemins escarpés encore plus… peut-être à cause de la pluie qui s’annonce ? Effectivement, la voici… Une pause dans un café où l’on s’étonne des tuyaux de gaz, mais il faut bien s’y résoudre : on va finir mouillés, et pour confirmer nos prévisions une minuscule grenouille verte traverse la route. Notre promenade continue entrecoupée d’averses de plus en plus fortes… et le retour en scooter est le meilleur moyen de vérifier si les vêtements sont adaptés.

(Sur le chemin du retour, un magasin de gadgets bien tentants, mais je n’achète rien)

Après une courte pause (hop hop hop surtout ne pas s’endormir !), nous allons retrouver Bakou. Nous faisons connaissance avec sa maison et le Castella, ce gâteau… qu’il n’aime pas trop :-)

Pour finir, un tour chez ETW, qui sera un peu notre QG, à cause de l’accès wifi, du personnel que tu connais un peu, et de l’american cheese-cake…

Mercredi 11 juillet

Il est encore tôt au Japon. Enfin, nous voici. L’attente des bagages, la douane, toujours la douane qui veut ouvrir la valise et moi qui me trompe en disant que tu as la clef de cette valise qui n’en a pas. Évidemment le douanier ne comprend pas pourquoi c’est TOI qui a la clef de MA valise… Comment dit-on « Bienvenue au Japon » ?

Du train les mêmes paysages, je n’ai pas oublié les première images vues dans ce pays, la ville qui ne s’arrête presque pas, qui n’offre qu’une ou deux respirations vertes comme une rizière, Osaka bien sûr, imposante, les silhouettes des maisons, et enfin Kyôto eki, cette gare à l’architecture improbable, qui nous accueille aujourd’hui avec une petite musique locale : la fête nationale approche… Taxi aux cheveux et gants blancs, direction Karasuma Imadegawa. Chez Fumiko les retrouvailles sont relatives, nous nous sommes vus il y a environ un mois à Paris. Un peu de repos, à peine, si peu, et nous prenons le métro : notre scooter nous attend.

Allez, hop, en route !

Une halte en bas d’Eisan, j’ignorais cet endroit, et je me dis que le séjour commence merveilleusement bien, le lieu est paisible, à peine quelques passants et gouttes de pluie, mais des hortensias, tant d’hortensias, ils sont heureux de cette saison des pluies… Un restaurant délicat nous accueille pour déjeuner au bord de la rivière ; de l’autre côté des fragiles cloisons de paille, des visages. Nous allons ensuite à la Villa K pour retrouver les filles, le sommeil me gagne terriblement, la lutte est sans pitié pour reste éveillé. La solution est donc d’aller marcher. Au « petit temple », comme on l’appelle, le petit vœu accroché cet hiver est toujours là. Mais on ne s’arrête pas là, on marche un peu plus, encore un peu plus, on grimpe, c’est beau, on est ailleurs, je le savais mais j’en ai la preuve devant les yeux, on grimpe encore, j’aime ces statuettes posées ici ou là, ces touches de couleur de matière plastique et autres signes de modernité au milieu des rites… une cascade et une autre, mais finalement, évidemment, on redescend, redescend, et ô surprise nous voilà de l’autre côté, au Nanzen-ji. Les jardiniers, les arches du viaduc, la petite rue, les enfants qui sortent de l’école… et le chemin qui monte, monte…

Allez, on rentre ? Il y a une bouteille de vin d’Arbois qui nous attend pour nous achever en douceur.

Mardi 10 juillet

Partir.

Juin 2012

Samedi 30

Il n’y a plus d’après, à St Germain des Prés ?

Il reste des boutiques, un jean et des éclairs au chocolat, puis il reste le rendez-vous du festival, aller voir un film portugais, Tabu, une histoire d’aujourd’hui puis d’hier, en noir-et-blanc quel que soit le temps passé.

Y a-t-il un après au journal de juin 2012 ?

Vendredi 29

« Y a même des chaises ! », dit-elle en franchissant le perron. Ils n’ont pas pique-niqué mais ils sont là pour le film, eux aussi. Truffaut les attend. Jean-Pierre Léaud et Bernard Menez aussi… Moteur… Action !

Jeudi 28

Chaleur oppressante, dans le RER du matin c’est déjà trop, déjà trop tard, j’étouffe, dégouline, me décompose, désespère, je me demande pourquoi ce gilet dans mon sac, pourquoi ce livre si lourd, pourquoi cette revue en plus. Au fil de la journée la chaleur n’a qu’un avantage : accélérer le séchage. Pensez-vous, je n’allais pas me rendre à l’ouverture dans cette tenue.

J’approche. Ton SMS prend des airs de Cannes, le petit tapis rouge une fois là, mais j’ai loupé le photo-call pour Kylie. Mireille est là aussi, presque évidemment, joli moment pour se revoir, et puis on attend. On attend. On attend encore. Quelques visages plus ou moins célèbres au milieu de la foule dans cette salle immense et puis enfin, voilà…

Je n’avais rien lu, j’ignorais tout, que sais-je depuis ? Que sais-je de ce que Carax dévoile, démontre, expose, redéfinit, balance, renie, compose ? C’est le type de film au-delà de tout, au-delà de la définition du mot film, au-delà du simple amour du cinéma, du simple amour d’être dans une salle. Peu importe qu’on n’aime ou qu’on n’aime pas, peu importe que j’aie souffert comme on souffre d’être perdu dans le noir ou dans un mauvais rêve, peu importe quelques soupirs devant quelques moments (pénibles, etc.), Carax m’a montré qu’en 2012 on pouvait encore nous emporter ailleurs sans jungle ni espace.

… Bon, il faut bien un verre de vin et une cigarette pour s’en remettre, non ?

Mercredi 27

Dans les pages que je feuillette je m’envole. Un nouveau magazine : Destination photo, qui ose 35 pages de reportage sur la Mongolie – une splendeur – et – ô merveille – du Plossu aussi au menu, encore lui, tant mieux. Je te retrouve et l’on s’arrête dans un resto japonais approximatif : l’écran accroché au mur penche autant que nos certitudes. Mais pressons-nous donc, Jules et Jim nous attendent pour des retrouvailles. La dernière fois c’était quand ? Un ciné-club sur FR3 ? Une cassette empruntée ? Il y a si longtemps…

Mardi 26

Lire Guibert et voir, sur ce quai, un garçon qui lui ressemble. Juste après, lire ça, page 110 :
(Je ne sais pas pourquoi j’aime autant ce mot, en ce moment, fantôme. Je le fourgue partout, il m’excite, il me rappelle des photographies de fantômes que j’avais vues dans un magazine lorsque j’étais petit…)

Repenser aux souvenirs de fantômes (les miens).

Relire la page 109 (« L’angoisse de ma mère, rapportée par Suzanne, etc. »).

Lundi 25

À peine assis sur le siège, je le cherche. Je tourne mon regard vers le quai. Là, par terre, le bout de carton blanc, un peu tordu. Il m’appartient. M’appartenait : je peux bel et bien en parler au passé. J’y avais noté une de ces phrases entendues dans la foule du RER, station Bibliothèque, quelque chose comme « Tu me gardes une crêpe et tu dis à ma belle-mère que je l’appelle« . Je me demande si quelqu’un va ramasser le carton, le lire, s’en étonner, mais je suppose que tout le monde va l’ignorer. Quelle drôle d’idée d’aller ramasser ça.
Le bout de carton me servait de marque-page. J’ai perdu la page ? Non, je me souviens, je m’étais arrêté page 103. Il y avait eu aussi ces femmes parlant baignoire, danger de glissade, porte de salle de bain qu’on ne ferme pas à clefs. « Oh moi je vis seul, il peut se passer trois jours sans appeler personne. » : elles avaient peur de mourir ainsi, oubliées, sans secours, la bouche entre-ouverte, sur le carrelage crème, une main s’accrochant encore au rideau de la douche.

Au retour la voix de C.C. est légère, fluette, cristalline, fragile, presque imperceptible dans les rumeurs du bus puis du métro. Et puis encore – il y a un coffret et on ne s’en lasse absolument pas -, Ariane Doublet, cette fois pour La Pluie et le Beau Temps, sur la culture du lin, toujours en Normandie, toujours ces gens qui regardent le ciel ou l’horizon.

Dimanche 24

Les parapluies sont colorés, mais ça n’empêche pas le sentiment rageur que… que non quoi, non non non, parce qu’il pleut, que je n’ai que deux mains, et que pfff. Ensuite il y a trop de monde. Re-pffff. Après quelques visages amis qui grognent eux aussi du temps, chez Podalydès la journée s’égaye et l’enterrement (celui de mémé) est joyeux. Adieu Berthe est d’une légèreté fort bienvenue pour un dimanche de pluie.

Samedi 23

Tiens, il parle de Valère Novarina. Toi aussi tu en avais parlé quelques heures plus tôt, je ne savais pas qui c’était. Tu en parlais avec S, Cité universitaire : dans une pièce ancienne aux grotesques discrets on écouta sa pièce moderne au superbe dégradé sonore. La voix multipliée, superposée, est comme de l’eau, et à travers la fenêtre on regarde un peu le soleil.

Voix quadruplée, film de Doublet. Jeu de mots moyen pour annoncer le soir, le film : Les Bêtes. Où l’on replonge encore dans ces portraits indispensables, dans ce quotidien du pays de Caux, caux-tidien parfois caux-casse d’une clinique vétérinaire cette fois, entre les chien-chiens à mémères et les drames agricoles de notre époque moderne.

Vendredi 22

De l’autre côté de la vitre, tu es là, tu n’es pas seul et d’autres que moi entendent ta voix, vous écoutent. « Tu parles dans le poste » : cette phrase me vient à l’esprit, une phrase à l’ancienne qu’aurait pu prononcer ma grand-mère, par exemple. Le poste, le poste, le poste, je répète ce mot, comme pour m’assurer qu’il s’utilise, comme pour en graver les différents sens, celui-ci surtout. Au sortir il fait beau et je suis enchanté de cette nouvelle expérience, cette émission en direct, l’effervescence de mon côté, les mots du tien, les gestes aussi, tes mains qui dessinent des idées, comme ça. Ça ne manque pas aux auditeurs ? Au sortir je suis ravi, Ph aussi (une bonne nouvelle) mais on file voir le Visconti, Violence et Passion. Avant le film, une autre vitre derrière laquelle nous avalons en vitesse quelques menues bricoles. Enfin, Silvana Mangano, le bleuté d’un maquillage, autour du visage quelque chose de flou, à l’étage au-dessus quelque chose de fou.

Jeudi 21

Mercredi 20

Assis, seul, dans le métro, face à un jeune garçon aux cheveux blonds et fins, courts, et aux yeux bleus.

Le Mausolée des Amants, p. 56, Hervé Guibert

Mardi 19

L’autre soir, j’entre dans un taxi pour rentrer chez moi, et l’homme qui conduit se met à me dire, sans autre transition entre ses phrases : « J’adore les parquets en chêne. Vous n’êtes pas bricoleur ? J’adore les antiquités, et les collections d’art . Si j’avais les moyens, mais je n’ai pas les moyens voyez-vous ? Vous avez des hobbys ? » Je retranscris aussitôt des phrases sur le dos de mon carnet de chèques, ce qui m’empêche de répondre à ses questions, et la conversation tourne court.

Le Mausolée des amants, p. 49, Hervé Guibert

Je note le numéro de la page, comme si un jour je voulais revoir ce paragraphe au milieu des autres. Me voilà qui relate dans mon journal celui d’un autre, ô combien illustre, et je compare, prétentieux, puisque j’aime comparer mes habitudes (prendre des notes et des photos) à celles d’Hervé Guibert, ça me rassure quelque part.

… Sauf qu’aujourd’hui j’ai oublié mon carnet. Je ne note rien durant la visite (guidée) et fouille au fond de mon sac pour trouver non pas un dos de carnet de chèques mais quelques versos froissés et griffonner durant la conférence sur le papier-peint Art nouveau. J’ai depuis un nouvel ami sur FaceBook – le conférencier – et l’envie d’acheter le livre qu’il présentait ce soir.

Après la conférence je te retrouve, un bar si près où un jeune moustachu s’arrête et s’exclame que justement depuis deux jours il te cherche pour les images, il y a longtemps, te souviens-tu. Quelques rues enfin, et dans ce petit restaurant japonais c’est un avant-goût de ce qui nous attend dans si peu de temps, dans les assiettes et dans les oreilles…

Lundi 18

Je chope tout ce que je lis : je lis un article sur la syphilis et aussitôt je me persuade de l’avoir, j’en reconnais les symptômes alors que je n’ai couché avec personne. Je m’accroche au dernier regard (dans le désir), du denier rencontré.

Le Mausolée des Amants, Hervé Guibert.

Un nouveau visage derrière le bureau, là, à ma droite. Un nouvel accent aussi, pour quelques semaines, et ma fâcheuse envie (mimétisme) de parler de la même manière. Quelques photos d’enfants sur scène, devant la foule éclairée de rouge ou autres, je ne reconnais pas tout de suite le dos, ombre chinoise. Un visage qui agrémente dorénavant un mur du 13ème, du métro l’apercevoir. Et puis Les Terriens, film d’Ariane Doublet. Ils attendent l’éclipse qui va rompre, brièvement, le rythme de leurs journées de paysans. Là encore un autre accent, celui que je pourrai(s) mettre sur certains mots d’Annie Ernaux par exemple, accent normand, mais chez Ernaux la terre est rare, les vaches sont loin et le blé pousse ailleurs. Ici, sous une réalisation claire et des sourires francs, les visages sont beaux, parfois un peu assombris par autre chose qu’une éclipse, plutôt par la pluie qui ne vient pas ou autre aléa d’un métier qui s’évapore.

Dimanche 17

Dans les transports les corps sont fatigués : qui se réveille à peine, qui n’attend plus que son lit. Sur la 6, le jeune rouquin avachi a laissé échappé de sa poche 6,90 euros et un briquet Zippo couleur bleu pétrole, mais quand je m’en aperçois, le signal a retenti, les portes se ferment, je ne le vois plus, il est trop tard. D’autres corps, pliés, laissent plutôt échapper un peu de peau sous le tee-shirt bientôt jeté au pied du lit. Plus tard ils iront voter, mais sont-ils seulement majeurs ?

Neuf heures plus tard, le corps est fatigué : la femme âgée, dans son fauteuil, fait face au soleil, rare ces temps-ci. Elle est de l’autre côté de la vitre, je ne profite pas du soleil, j’ai un peu froid : la fatigue ? Les images de Nora Martirosyan sont une pause splendide dans la torpeur de ce deuxième tour, une pause délicate, riche, colorée, vivante. Cette scène avec les agneaux, l’homme perdu dans le couloir d’un hôpital, de jeunes gens rieurs qui secouent un mûrier. Je pense que c’est un mûrier, comme celui qu’il y avait dans la cour de l’école primaire ; était-ce donc comestible ?

NB. Et puis cette femme âgée, moins âgée bien sûr, très bien mise, son 31 à peu de choses près et qui dit hargneuse « Y a quelque chose qui a foiré. »

Samedi 16

Future mariée, casque de cycliste recouvert de tulle et décoré de fleurs en plastique. De loin j’ai cru à du papier crépon. J’ai cru à un peu de fabrication artisanale et à la possibilité que la pluie tache de couleurs vives le tulle blanc. J’ai cru à un peu de poésie en quelque sorte, comme celle que Laurent Grasso distille vaguement, un peu, parfois, au détour d’un improbable jardin italien où les statues étrusques viendraient jusqu’à hanter vos nuits.

Vendredi 15

Des rencontres, coïncidence, comme celle-ci, Y au téléphone, presque devant l’entrée du théâtre où je t’attends un peu, parce que nous allons au théâtre, une fois n’est pas coutume, je discute un peu avec Y et on s’éloigne, lui les courses, moi pour t’attendre, on se recroise, un sourire de plus, l’autre jour sur FB on s’était promis de se revoir, il faudra se revoir, les trottoirs improvisés ne reçoivent que quelques phrases un peu convenues sur le temps qu’il fait et les vacances qu’on regrette déjà. Le théâtre est fin de siècle, fin du 19ème siècle, réunion idéalisée entre les plumes de l’époque pour évoquer Oscar Wilde et ses tourments de l’époque. Du salon old-style on passe rapidement à un bar du quartier et enfin à un resto aux parfums épicés (rhum-gingembre, etc.) où nous attend J. À l’autre table, Patric Chiha, quand il te salue puis nous serre la main je ne sais pas qui il est, tu nous l’apprends et je vous raconte peut-être un peu fébrile combien ce film reste ancré – j’allais écrire encré, et pourquoi pas en craie – dans mon esprit. Peut-être est-ce celui (en dehors de ceux que j’ai vu plusieurs fois, voyez-vous desquels je parle) qui est le plus là, encore là, les pas de Béatrice Dalle dans la forêt, ce monologue sur la terrasse, ce ralenti dans la boîte de nuit. Peut-être est-ce donc celui que j’ai le plus peur de revoir ? D’autres sujets, B et cette amie qui ne font que passer, l’addition et les clés que J nous laisse puisque c’est soir de fête. Fête en-dessous de chez nous, fête chez M.D. aussi mais notre arrivée tardive semble décalée, qui sommes-nous ? que faisons-nous là ? pourquoi maintenant ? qui sont tous ceux qui dansent ? Tiens M.O. danse un peu, je ne l’imaginais pas aimer danser dans les fêtes où les buffets sont calés dans les recoins des salons. Par la porte quelques dessins d’enfants. On part ? Déjà.

NB. Sur le carnet j’ai écrit Batman. Pourquoi ?

Jeudi 14

Il a une cravate à rayures noir et blanc, la même que moi je crois. Chemise bleu ciel, costume anthracite, chaussures « de ville », ce genre de modèle avec… mmmm comment expliqué, des motifs à trous… oui voilà c’est ça. La tête est coiffée d’une casquette de sport, bleue et caramel. Américain ? Forcément Américain, non ? J’essaie d’entendre un éventuel accent quand il parle à cette jeune femme qui mange une viennoiserie en lisant The New Yorker ; elle a un sac constitué de différents tissus japonais,  il lui demande s’il doit descendre ou quelque chose du genre, en lui montrant le plan du métro. Je me demande l’âge qu’il peut avoir, aussi bien 25 avec un air de vieux que 45 avec l’air beaucoup plus jeune, j’exagère sûrement un peu, mais à peine. Éternel adolescent… qui descend donc, porte d’Ivry, déjà. Dommage : je suis sûr qu’il y avait encore des choses à décrire, une lecture sorti d’un sac, une improbable manie, d’étonnantes manières.

Mercredi 13

De rouille et d’os, Jacques Audiard. 19h. UGC Danton. Il faudrait que je me force, que je cherche quoi dire, qu’écrire, c’est toujours un peu pareil avec ce genre de film, je ne sais pas quoi faire ressortir de ces objets trop parfaits. J’aurais pu faire des longues phrases qui s’étirent doucement comme un ralenti dans l’eau de mer, j’aurais pu parler des corps à l’imparfait, décortiquer, décrire les animaux noir et blanc comme peut l’être le film, noir, blanc, sombre, lumineux, dur et simple, comme les personnages, durs et doux, cogneurs et caressants. J’aurais dû écrire car quelque chose me dit que je vais l’oublier, ce film.

Mardi 12

Nous déjeunions de poulet froid et de petits pois, je déteste ça.

Dit-il, Christian Gailly

Bon faut aimer Buren… les colonnes… pfff…    Ton père aime bien.

Conversation dans le métro, une femme pas maquillée parlant
à l’un de ses deux fils adolescents, qui l’accompagnent.

Lundi 11

Il y aurait sur cette page une photographie d’un ciel de fin de journée, une éclaircie passagère (pléonasme) où l’orée des nuages serait baignée d’orange et d’or. L’un de nous a d’ailleurs pris une photographie en remarquant la lumière qui me tournait le dos ; je ne voulais pas paraître impoli, me retourner, sortir l’appareil, il n’y pas eu de photo.

Il y aurait sur cette page une photographie de chantier, baigné de cette même belle lumière, derrière moi également, de l’autre côté du grillage, les tas de pavés offrant un lien avec le film, toujours pas de photo.

Il pourrait y avoir ici une moquerie, une exaspération, une interrogation sur ce qui a précédé le film, une litanie de pourquoi sur ce moment dansé, moment complètement idiot que quelques références cinématographiques sur l’écran ne rattrapèrent pas. Trop long ! Coupez !
Le film, le vrai, celui pour lequel nous étions venus, je n’ai pas su en parler après. Sur le carnet, le lendemain, à l’encre orange, je note qu’il m’a rappelé mon enfance : la cabane, les cris, l’invention d’un monde qui s’arrête au coin d’une rue.

Dimanche 10

22h51. Nation. Püp ! Je viens de le prendre en photo, le bruit vient de sa direction, ce pourrait être le bruit d’un silencieux posé au bout du canon, ce canon fièrement pointé sur l’affiche. Il vient (peu) discrètement d’ouvrir une bouteille et en effet il la porte à sa bouche avant de la poser sur le rebord de l’autre bouche, celle de l’escalier, qu’importe qu’on n’appelle pas cela vraiment ainsi, vous m’avez compris. Les couleurs sont jaune, bleu, ça brille un peu, le mot MONOPOLE est inscrit sur l’étiquette. Fête-t-il le premier tour ainsi, seul, alcoolisme urbain des dimanches d’élection. Moi j’y ai déjà eu droit, au champagne, pour le hasard d’un anniversaire ; on m’avait dit d’approcher alors que je venais seulement pour dire que ça y était, c’était bon, c’était fait, que demain ce serait mieux mais que là… Là, voyez-vous, je voulais rentrer chez moi, ce chez moi quitté vers 6h18, oui oui du matin. La démocratie vit grâce à ceux qui se lèvent tôt.

Samedi 9

Voilà qu’enfin elle apparait, fatiguée dit-elle, fatiguée évidemment d’avoir essayer d’appeler sur ce fichu téléphone posé là-bas, si loin, trop loin ; on ne l’entendait pas sonner.  J était déjà là, avait offert une bou-J, un verre de Cèdre Rive Gauche, respirez donc un peu, c’est à peine gorgé du souvenir délicat de la cire d’abeille.

Le soir ce sont d’autres parfums qui évoquent des contrées ensoleillées aux sonorités italiennes, mais il faut déjà partir, fatigué dis-je, fatigué d’imaginer le réveil du lendemain.

Vendredi 8

Bon si on regardait plutôt la fin de Tout sur ma mère ?

Jeudi 7

Sur la Route. C’est le titre du film. Du livre aussi. Kerouac, vous savez, 1957, la fumette, les amis, le rouleau, vroum vroum, monument littéraire, révolution stylistique, j’ai jamais lu le bouquin mais bon voilà un peu l’image que j’en avais. Bon ben voilà. Et vous ça va sinon ?

Hein ? Le film ? Mouais, bof, pfff, ah pis alors, rho non quoi, enfin bon voilà, oui bon bien sûr, mais non quoi ça commence à bien faire.

Mercredi 6

Elle me fait penser à la femme de mon ancien dentiste, le docteur M, celui de mon enfance que je n’ai pas vu si souvent. Je suppose que c’était plutôt le week-end que j’allais chez le dentiste. Elle a un peu l’allure de la femme de mon (très) ancien dentiste, un port de tête, quelque chose de chic et vulgaire, un très beau visage trop lisse ou trop maquillé, des cheveux longs, raides et foncés, une bouche un peu comme ça, des ballerines vernies noires et un total look bleu, sauf le sac, LV bien sûr.

Le soir d’autres cheveux bruns et longs, une autre beauté : Polly Maggoo. Qui êtes-vous, Polly Maggoo ?, film de William Klein, 1966, formidable, oui formidable, laissez-moi me remettre de mon enthousiasme et je vous parlerai de cette folie, de cette audace, de ce truc auquel on n’a plus droit dans les salles de cinéma, ce montage surtout, ce rythme que je compare immédiatement, avec mes petites références, à Alphaville de Godard et à Le Départ de Skolimovski ah oui je me souviens aussi du début de Muriel ou Le Temps d’un retour de Resnais, ce moment, là, vers le début… Bref… 1966… Elle avait quel âge en 1966 la femme de mon ancien dentiste ?

Mardi 5

Nous avons la même cravate. Coïncidence. On s’en amuse ; d’autres le remarqueront. On n’est pas là pour se pencher sur les motifs de toute façon, enfin si, mais pas ces motifs-ci, par ceux d’un tissu écossais au rouge majoritaire. Regardons un peu ce que l’on nous propose ce soir, on y verra bien les motifs des films : les raisons, les intentions, les prétextes.

Les pré-textes ?

Lundi 4

C’est la dernière ligne droite. Avec moi les poids d’objets inutiles, utopie des jours chargés, idiotie des sacs surchargés. La bibliothèque l’est aussi, surchargée, encombrée de livres, de cartons et d’une odeur étrange. Mais le passage y est bref, le temps d’un regard circulaire et d’un soupir : il faut aller gare d’Austerlitz, L arrive.

Dimanche 3

Un tour inutile pour voir cinq cyclistes (du cynclisme ?) parce que mon travail a parfois le visage triste d’un dimanche matin gris où personne ne souhaite pédaler, et je vous rejoins. « C’est toi qu’André Labarthe attend ? » me dit-elle. Non, ce n’est pas moi… Mais je serais extrêmement flatté d’être attendu par André Labarthe. On s’en amuse. Durant la journée les témoignages se succèdent, je note peu de chose (« C’est assez surprenant de voir que tout ne part pas des idées » qui est peut-être la phrase qui résume tout) et lorsque tu parles de brouillard le hasard pose quelques nuages sur l’écran et les montagnes.

Ces heures se terminent par quelques sourires sur des photos – pourtant dehors il fait toujours gris – et par ces mots : « La lumière a pris ma place« . Cela ferait un beau titre de film, je le note plus tard pour ne pas l’oublier, surtout ne pas l’oublier. Dans le film du soir, l’adolescent de dix-sept ans note lui aussi sur des carnets, mais ce sont des impressions, des manques, des douleurs. Un jour il écrira un livre, cela s’appellera Todo sobre mi madre.

Samedi 2

La 8.6 est posée là où ils posent souvent des détritus, là où je tourne souvent la tête pour regarder de l’autre côté de la vitre, dans l’autre rame. De mon côté il y a quelque chose comme un vieux mouchoir. Oui, un vieux mouchoir. Dégoût, abstraction. Le petit garçon vient de s’asseoir avec son père (gel effet mouillé), il joue avec la canette vide et un petit objet. Une toupie ? J’entame Dit-il, de Christian Gailly, son premier roman, alors que je terminai un peu plus tôt Nuage Rouge, au soleil, un café dans une petite tasse rayée, vous avez dit Buren ? Après il y a eu Ravel, c’était magnifique, mais bref, là je suis dans le métro et le petit garçon parle très fort. Essayer de lire. Son papa n’est pas vraiment là, il lui répond vaguement puisque il a le nez dans son portable, échangeant des SMS avec sa maîtresse pendant ce week-end, un week-end sur deux… Le papa dit que c’est à Place d’Italie qu’il descendront.

À place d’Italie le papa a les yeux rivés sur le petit écran. Je ne dis rien. J’aurais pu. Mais non. Je le regarde. Les portes se referment lorsqu’il réalise qu’il faut descendre. Trop tard. Il descendra aux Gobelins et marchera un peu, peut-être un peu plus attentif à son fils, qui de toute façon parle trop. Moi je continue bien sûr, je vais retrouver J, qui m’attendra juste un instant à côté du Calder. On s’assied là où on ne s’est jamais assis, ni lui ni moi, on parle de ceci et de cela, de cadeaux et c’est alors il sort le sien, pour moi. Gêne et joie. Il a su que cela me ferait plaisir, ce livre dont j’ignorais totalement l’existence. Je me dis que c’est aussi à ça qu’on reconnait les amis, cette manière de bien vous connaître… mais ce n’est pas le genre de choses que je dis ici normalement. Je vous ai parlé du ciel bleu ? des tenues légères ? de cette foule qui passe devant nous ? du rendez-vous qui s’achève parce que le soir il y en a un autre ? Sur la terrasse, F viendra s’asseoir là où il ne s’est jamais assis, puisque il n’est jamais venu.

Vendredi 1er juin

Juste envie de quelque chose qui ressemble au calme, avec ce qu’un trajet en transports en commun suppose de relatif pour ce qui est du calme. Il faut dire qu’il est tard, vois-tu, 0h26.
Il descend en même temps que moi à Maison Blanche. Sur le quai il va falloir patienter, comme souvent l’affichage est improbable : on nous prédit 46 minutes d’attente. J’en suppose 6… Au moment où les portes se referment, un autre descend brusquement. C’est là que le calme ne devient plus qu’une notion abstraite, c’est là que commence le sketch. Ils ne se sont pas vus depuis on ne sait pas quand, mais le premier est surexcité en retrouvant l’autre, il hurle de joie, gesticule, fait des aller-retours, un vrai one man show. Ses phrases sont vaguement compréhensibles et l’on attrape quelques mots (neveu, soeur, à chaque fois, pense à toi…). Je cesse donc ma lecture, pourtant la fin approche. Le métro aussi : 6 minutes, je supposais juste.

Beyrouth : 8 -11 mai 2012

Nous quittons la France quelques jours alors qu’on n’y parle que d’une chose : l’élection d’un nouveau président de la République. Nous partons pour un autre territoire, un autre pays, une autre Histoire surtout… Nous quittons notre calme géopolitique pour mettre les pieds là où il y avait la guerre il n’y a pas si longtemps. Qu’en reste-t-il comme traces ? Et puis la Syrie est à quelques dizaines de kilomètres, les camps palestiniens sont là… Le monde a les yeux rivés sur cette région, on aimerait tant qu’il détourne enfin le regard.

08.05.12 – 18:40
Voilà, Beyrouth, nous atterrissons, à travers le hublot j’aperçois des immeubles à flanc de collines, nappé de… brume ? pollution ? poussières ? Lorsque l’on sort de l’aéroport la lumière est magnifique, dorée, désertique ? elle me rappelle celle de Louxor ce matin de janvier 2003. Le taxi nous attend, il s’appelle Antoine, il parle un peu français. En route vers l’hôtel.

Sur le parcours je regarde la ville, je la découvre, je l’étudie, avant de partir je savais que c’est elle que je photographierai, ses immeubles, ses murs, sans trop savoir pourquoi. Je vois la ville blessée, abîmée, je ne sais rien de l’histoire des quartiers que je traverse, je ne sais pas grand chose des guerres qui se sont abattues sur la ville, je sais à peine ce que j’ai lu dans la guide touristique acheté à l’aéroport – nous ne sommes pas très prévoyants – je ne sais pas à qui étaient les bombes, qui les balles visaient, je me souviens à peine des images télévisées, je n’avais pas dix ans, il y avait les chrétiens et les musulmans, j’ai oublié.

Dans le taxi j’ouvre la fenêtre, il fait chaud, tu demandes au chauffeur comment ça va le Liban. Il répond, évasif, toujours les problèmes… mais toujours ils s’en sortent. Résignation, fatalité. Sur les façades, les panneaux, les publicités, les enseignes, la vie est multilingue : arabe, anglais, français. Et puis il y a la mer, je ne la vois pas mais je sais qu’elle est là, pas loin, derrière ces quartiers, je la sens, je tends l’oreille et je la devine.

Nous découvrons l’hôtel, la chambre aux tissus rosés à un goût de désuétude et une certaine – légère mais certaine – odeur de tabac froid. On s’amusera ou s’agacera, c’est selon, d’une porte qui s’ouvre toute seule, d’une autre qui se rabat toute seule ou de celle, de guingois, qui ne ferme pas du tout…

08.05.12 – 20:20
On repart, le chauffeur est là, comme prévu, au coin de la rue. Nous traversons Beyrouth pour rejoindre le Beyrouth Art Center. Il fait nuit, autre vision, la ville est plus calme peut-être, les lumières m’attirent, évidemment, la grande mosquée est immense, lumineuse, ostentatoire. En approchant du B.A.C. le quartier est rempli de concessionnaires, les plus grandes marques de voitures sont là.

Au B.A.C, on retrouve JF&N, mais aussi évidemment Nasri, Abraham, qui habitent ici. Exposition de Gerhard Richter et surtout quelques films puisque nous sommes là pour cela.

08.05.12 – 23h50
Nous repartons dans la voiture de Nasri. Beyrouth by night, encore cette mosquée dont cette fois je fixe l’image, au passage tu me montres ce lieu entre elle et nous, cet imposant souvenir de la guerre. Les deux visages se côtoient : la reconstruction et les souvenirs. Dans les rues, quelques murs de pierres millénaires, murs factices, montés ici pour rappeler au passant l’histoire du pays.

Au restaurant, assortiment de mezze, un régal, c’est sublime. Les discussions vont bon train, le pays, l’art, les films, les plats, le bonheur, le plaisir de se retrouver… En voyant mon appareil, on m’alerte et on insiste sur ce que j’avais lu dans le guide : attention aux photos, attention à ce que je capte, attention aux militaires. L’un de nous confirme, il a eu quelques soucis à cause de cela. Les conseils ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd : je serai vigilant.

Il est près de 2 h lorsque nous rentrons à l’hôtel, tout près. Nous sommes ailleurs et heureux d’y être.

La suite en images


Mercredi 9 mai 2012

Jeudi 10 mai 2012

Vendredi 11 mai 2012

Mai 2012

Jeudi 31

Cela se précise…

Mercredi 30

Voilà. 38.

Et donc tu as fêté ça ?

Oui : coca saucisson avant une projection sur le land art.

C’est tout ?

Non. RER A. Jeune femme (25 ans ?) qui regarde par la vitre d’un air doux avant d’ouvrir son cartable usé duquel dépasse le bouchon bleu d’une bouteille d’eau minérale ; le genre enseignant. La fille, pas la bouteille. Le cartable aussi. Son gilet bleu à coudières vient probablement de chez Zadig & Voltaire. Elle a un quelque chose de Natalie Wood. Je vois quelques mots écrits au Tipp-Ex sur le cuir intérieur du cartable mais je ne parviens à lire que « pourquoi » avant qu’elle le referme. Pourquoi. C’est le mot.

Mardi 29

Lundi 28

Il a dit quelque chose que j’aurais dû noter. J’ai dit « Il faudrait la noter celle-là » après que l’on a ri. En effet, je l’ai oubliée.

Samedi 26, dimanche 27

Nous descendons à Gare de l’est. La surprise que tu me prépares se précise : Strasbourg ? Metz ? Reims ? Nancy ? Sur l’affichage des départs, le prochain train est direct pour Nancy. La surprise devient excitation, joie, ravissement de retrouver la cité lorraine sous ce ciel bleu…

Pendant deux jours nous profitons des merveilles Art nouveau (visite de la Villa Majorelle et du musée de l’École de Nancy), du calme des parcs, de tes souvenirs, des folies étudiantes pour les 24h de Stan, de quelques assiettes bien remplies, de notre curiosité pour les quartiers au-delà des berges, du charme de la chambre d’hôtel… Pendant deux jours je n’écris rien, et prends quelques* photos souvenirs sans trop y faire attention, juste comme ça, je crois que je m’en fiche… j’ai le sentiment étrange que tu m’as offert des cadeaux merveilleux durant ces deux jours : la légèreté et l’insouciance.

(Et une paire de chaussures de rêve, soyons terre à terre aussi…)

* un « quelques » très relatifs

Vendredi 25

Sur les murs, les tout premiers bruissements d’un aboutissement…

Mais sinon… Dis ? On fait quoi demain ?

Jeudi 24

Je l’ai transporté à l’hôpital de La Roche-sur-Yon. Ça faisait loin.

Tandis que je poursuis la lecture de ce Nuage Rouge de Christian Gailly commencé le matin, elle parle du fait divers, c’était évident : « C’est des circonstances un peu particulières, je ne peux pas t’en parler« . Elle est au téléphone, nous sommes dans le bus, sa fille est très bavarde, elle en parle aussi vaguement, ou bien ce ne sont que des coïncidences, que vais-je donc imaginer ? Il fait si chaud, j’ai laissé ma veste sur le porte-manteau : le matin même je ne m’attendais pas à une telle chaleur. En voyant le jeune homme en short pourtant je n’avais pas été surpris, je n’y avais pas vu un lien. Était-il sportif ou météorologiquement prévoyant ? Son short était gris, avec quelques motifs disséminés, son polo était rose bonbon et sa blondeur sur la peau bronzée frisait l’indécence.

Après le bus, le métro, une brunette un peu absente à côté de mère aux cheveux blancs, elle lit Anna Galvada, l’Échappée belle. Je n’ai jamais lu Anna Galvada, sinon j’aurais pu comparer l’écriture de l’une avec les vêtements de l’autre, leur légèreté peut-être, leur transparence, leur fadeur, mais je ne sais pas.

À Beaubourg enfin Anri Sala, c’était beau Anri Sala, j’aurais sûrement aimé que ce soit plus court mais c’était beau. Lassant ? Peut-être quelque chose comme ça, peut-être à cause de cette musique, à l’orgue de Barbarie, pourtant bien sûr ça m’a fait sourire, cet air à l’orgue de Barbarie ; au début ça m’a fait sourire. Et puis au fond, les ombres passaient.

Mercredi 23

Terrasse, deux boissons gazeuses puisque l’on est un peu en avance. Elle passe devant nous, évidemment elle y va elle aussi. Mais elle ne se dirige pas dans le bon sens. Tu l’interpelles, on la salue mais de l’enfant dans ses bras on ne voit que le crâne. Quelques mots de plus et deux indications géographiques et elle repart dans le bon sens. À tout de suite.

Tout de suite après, intérieur rococo, mais ce n’est pas un appartement, c’est un lieu d’exposition, et dans quelques instants va se produire un évènement, quelque chose comme de la danse, des mouvements, des bruits. Je n’avais jamais pensé qu’il puisse rester une trace des tout premiers enregistrements réalisés. Quand était-ce ? J’ai oublié. 1860 ? Oui c’est bien ça, je n’avais pas oublié. Je n’ai pas pu oublier la surprise en entendant l’année. Disons que c’était cela, ce moment : surprenant.

Mardi 22

À ta demande, je relis les mots avant de les relier. Tes mots. Ceux que tu m’avais adressés durant ces jours, ces semaines, ces mois, tes mots qui racontaient, décrivaient, s’interrogeaient, voulaient, espéraient, craignaient, attendaient, réfléchissaient… Tes autres mots sont à nous, n’attendez rien.

Lundi 21

Mais qui a renversé du Ricard dans le poulet ?

Dimanche 20

Certains livres qu’on qualifiera d’artistiques (monographies, catalogues d’exposition….) ont pris récemment une place prépondérante voire stratégique dans la géographie de notre environnement domestique, prenant la place des recettes et autres voyages. D’autres, égarés, ont rejoint leurs confrères et l’espace thématique (photo, architecture, graphisme…) qui leur était déjà dédié dans le couloir. Voici donc que je picorai en ce dimanche un Photo Poche sur Duane Michals, dont j’écorchai le nom – ou plutôt la prononciation du nom. Le petit livre noir était posé sur l’étagère en attendant d’être rangé, c’est à dire posé en attendant d’être lu puis rangé. C’est donc le travail noir-et-blanc (et mi-figue mi-raisin) de Duane Michals qui m’accompagna sur le trajet aller pour un dîner en terrasse mais on n’en parla absolument pas : l’Ouganda, c’était autrement plus exotique. Cela dit, le livre n’est toujours pas rangé.

Cette pause dominicale et fleurie est sponsorisée par le blog Un jardin à la campagne.

Samedi 19

Rue St Lambert on dîna, chacun ayant apporté de quoi. C’est sous la pluie que j’avais transporté les clafoutis, bravant la rude averse pour un complément, un panettone que les puristes renieraient puisque nul Noël à l’horizon, un panettone de la rue Mouffetard : c’est sur le chemin. Pas vraiment le chemin vers la rue St Lambert, d’abord le chemin vers la rue St Martin. Vers Beaubourg où Anri Sala nous attendait, mais les averses ont eu raison du projet. Alors c’est (presque) rue St Lambert qu’on se retrouva.

Vendredi 18

Ces textes sur les nuages ne cessent de glisser dans ma tête cette chansonnette de Françoise Hardy qui commence par « Comme s’en vont les nuages ». Sur le gris bleu de la mer, ils s’en vont. Elle continue en disant que leur amour est à l’orage, puis mer rime avec envers. La chanson s’appelle Le Rendez-vous d’automne, c’est un peu le temps qui règne en ce moment, d’ailleurs sur le quai de la gare la jeune femme porte un imperméable. Rouge. Comme les yeux dans la chanson, peut-être. À propos de chanson, on parla de Manset lors du dîner, un autre genre ce Manset, on n’est pas dans la bluette sixties là… On parla de Manset et P fredonna quelques airs dont celui qui parle de voyage. Ca rime avec nuages.

Jeudi 17

Paris, parler, attendre, marcher, Paris, Palais, couleurs, Bûcheron, roux, Cre, bar.

Mercredi 16

Voilà. Nous repartirons. Nous y retournons. L’envie était trop forte. De toute façon la Sicile c’est mieux à la mi-saison. Allons allons, ne dites pas le contraire. C’est irréfragable. Irréfragable : c’était l’adjectif du jour, lu dans le Païni sans en connaître le sens. Finalement ça tombait très bien. C’est irréfutable. Kyôto, nous revoici.

Mardi 15

La légende cachée avec la main, vous devineriez la saison, l’heure et le vent. Je n’exagère rien. J’ai vu. À la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de saint noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium.

Ces mots écrits en 1859, commentaires sur des études au pastel d’Eugène Boudin, sont extraits du livre L’attrait des nuages de Dominique Païni, un ouvrage au thème délicieux : les nuages dans le cinéma. À présent, je les regarderai plus attentivement, peut-être même, comme Païni, m’échapperai-je de la fiction pour regarder les ciels qui surplombe le récit… Mais voici que dans le RER je m’échappe de ma lecture pour (évidemment) regarder quelques voyageurs. Celui-ci, par exemple, quatre lettres tatouées, une sur chaque doigt, un AMEN en caractères gothiques plus ou moins assortis à l’allure générale : vêtements noirs mais pantalon bleu nuit et bonnet rayé, et une barbe, imposant et rousse.

Le soir on parle encore des nuages, de ceux qui nous menacent en rejoignant la gare de Blanc-Mesnil, alors que peu avant le noir était sur scène, quoi qu’un peu de jaune… et le gris clair des souvenirs, ceux des chansons acidulées de mon enfance comme ce tube d’Elli Medeiros.

Lundi 14

J’ouvre ce petit livre à la couverture grise acheté à Byblos, les Cahiers de Beyrouth de Jean-François Pirson. J’ai aussi glissé dans mon sac le Beyrouth Centre-ville, de Raymond Depardon. Le premier raconte quelques histoires, des moments, des séances de travail entre 2006 et 2009, montre un peu, suffisamment en tout cas, il en faut peu pour prendre visuellement la mesure d’une ville frappée. Le deuxième montre beaucoup, parle peu, il montre quelques petits bonheurs d’autrefois dans un noir et blanc assez doux, il montre surtout la guerre, des couleurs chaudes ou un noir-et-blanc contrasté parce que les sols sont aussi frappés par le soleil et les ombres et puis il raconte un peu quelques anecdotes ; en faut-il beaucoup pour prendre la mesure de la peur ?

Dimanche 13

La photographie est un endroit presque banal, un de ces lieux sans histoires, anodins, qu’on pourrait voir chez Tourneboeuf ou Depardon, ou d’autres noms encore, mais j’ai la référence qui s’évapore facilement. Elle est encadrée de bois clair ; c’est un cadeau d’anniversaire. C’est donc un anniversaire, une surprise pour lui, et l’image encadrée en est une pour moi. Son auteur dit qu’elle fait partie d’une série, une série qui contient 49 autres images. Je suis curieux d’en savoir plus, mais curieusement je n’en demande pas plus. Curieusement ? Non pas tant que ça, c’est plutôt bête, de fil en aiguille on passa à autre chose, à des coqs, à des ânes, au cheval de Don Quichotte…

Samedi 12

Le Liban, encore, son histoire, encore, hasard du calendrier, mais au théâtre cette fois, ici, juste à côté, Incendies.

Vendredi 11

Repartir

Jeudi 10

Mercredi 9

Mardi 8

Voilà qu’à l’horizon la ville, à travers le hublot, brille sous ce soleil de fin de journée, masquée par un voile. A peine plus loin les montagnes, au sortir de l’aéroport la lumière, quelle lumière ! Beyrouth.

Lundi 7

Ils ont venu ils sont tous lààààà, elleuh va mouriiiiir laaaaaaaa mamaaaaaaaahhaaaaaahaaahaaaaaaaaa. Enfin non ils ne sont pas tous là, et personne ne va mourir, au contraire c’est une naissance, celle d’un petit catalogue de 18 par 24 cm (et combien de grammes ?), occasion d’un petit moment festif où évidemment on ne parle pas que du catalogue, pas que de l’exposition qui approche, on parle du sujet, LE sujet, celui d’hier, avec une amusante (logique, rassurante) unanimité. Et en plus il fait beau. Vous voyez : le changement…

Dimanche 6

Et voici qu’on s’envole vers d’autres horizons, d’autres idéaux, d’autres façons, pleins d’espoirs, avec quelques graines de fatalité dans nos poings serrés. Regarde-les, eux, autour de nous, sur cette place multicolore, sous leurs pieds il y a soudain des ailes, dans leurs yeux des sourires, dans leurs mains les nôtres.

Samedi 5

Profiter du temps, prendre son temps, regarder le temps, détester le temps qu’il fait en sortant d’un film insupportable dont je ne citerai pas le nom – il restera dans le carnet. Le film est encore plus insupportable parce que décevant : j’aurais aimé l’aimer, l’aimer plus ou l’aimer simplement, aimer autre chose d’autre que l’idée de départ et cet acteur, avoir autre chose que les pieds humides et le cœur sec.

Vendredi 4

S’étonner et s’interroger devant des photos abîmées. S’énerver devant des poules, oui, des poules. Pourtant je les aime les poules, les vraies poules, j’aime leur arrogance et leur ridicule ; a-t-on donc besoin de les habiller ?

Et sinon ? La triennale. Pas de photo ? Non.

Jeudi 3

Maison d’art, expo Tamar Guimaraes. J’avais forcément oublié ce que j’avais lu et copié-collé. Passée la surprise sur le sujet : celle des cimaises, puis ce visage sur l’écran où ce qui passe me fait penser à Erwin Olaf. Des teintes, des pauses, des visages, des rigueurs, des postures ; mais Erwin Olaf a-t-il déjà évoqué Watteau ?

Puisque je suis là, je t’attends, discute, et achète ce catalogue feuilleté et souhaité l’année passée, ce catalogue de « Jamais le même fleuve », collection de collections de photographies. Sous la photo de Bernard Faucon, une faute de frappe ; je compatis.

Plus tard, assis dans la 7, collé contre la vitre, je continue d’écrire. Je lève les yeux. Il est là. Il est encore là, comme quelques minutes plus tôt sur la ligne 5, à la même place, dans la même position, le même regard figé, perdu, ailleurs, presque hagard. L’espace d’un instant, je me demande si j’ai changé de ligne de métro, si j’ai pensé à descendre, si j’ai marché dans les couloirs. Le choc de le voir là, comme si rien n’avait changé (puisque rien n’a changé dans son regard et ses mains croisées), m’a fait oublier cette correspondance, je réfléchis, je regarde autour, mais oui, j’ai bien changé de ligne, la tension retombe. Ah, il bouge, jette un oeil à sa droite vers ce type grand, noir, très beau, très chic, un gros casque sur les oreilles ; c’est notre seul point commun, ce type de casque. Mais le fil du mien est trop long. Porte d’Italie le bel homme chic descend, l’autre est déjà replongé dans ses pensées. Lesquelles ? À quoi pense-t-il ? En fermant les yeux, à quoi pense-t-il d’autre ?

Plus tard, Perec pour son film sur Ellis Island, exactement ce que j’aime : un sujet, une vision, des mots.

Mercredi 2

Tu es au B pour voir B puis le débat. Le savais-je ? l’avais-je oublié ? Le catalogue est là, je ferme les yeux, allume la radio sur ces deux voix qui en cherchent d’autres pour le second tour, mais j’éteins plus rapidement que prévu, j’éteins tout de suite en réalité, j’éteins parce que j’ai vu leur tête pendant deux heures, j’éteins parce que je n’ai pas envie de ça.

Mardi 1er mai

Quitter la campagne, retrouver la ville et Alice, Alice dans les villes.

Avril 2012

Samedi 28, dimanche 29, lundi 30

On part, ailleurs, pas si loin, quelques jours, à quelques heures de train. On y trouve la pluie, le lendemain encore du gris, le jour suivant c’est un peu mieux. On y trouve la cheminée, avril ne te découvre pas…

Vendredi 27

Respiration abrupte, geste abruptes, plaqués contre un mur, elle puis il reproduisent des mouvements connus, vaguement, brièvement ; rapidement on passe à autre chose, quoi je ne sais pas, violence, désir, appétit (des corps), je ne sais pas, ceci n’est pas une pomme, puisque c’est cubique et soudain je repense à La Nuit des temps, de Barjavel. À ma droite, quatre sièges plus loin, un fou rire : chacun s’échappe comme il peut.

Et sinon ? Carlottikuptible, Etapes (et me voilà qui rêve d’être lettreur), T.A.C.T, etc.

Jeudi 26

Cette nuit j’ai quitté le lit, je me suis posé sur une chaise et je vous ai regardé dans l’obscurité, jusqu’à ce que le jour se lève. Savez-vous que vous grincez des dents ? Parfois j’avais l’impression que vous vous débattiez contre je ne sais quel ennemi, cher guerrier de la nuit. Vous livrez bataille quand vous dormez, le savez-vous ? Il y a eu des trèves, j’ai cru voir un sourire, je remettais les draps en place chaque fois que vous les jetiez au pied du lit.

Bohème, Olivier Steiner.

Trois quarts du livre passés, le dialogue continue de glisser, le flots des mots s’écoule doucement, joliment, tendrement, amoureusement, follement… Le marque-page ? Encore un coup de l’expo Ça & Là

Mais de La Habanera de Douglas Sirk on ne dira rien (si ce n’est que c’est vieux, bien vieux).

Mercredi 25

Et sinon ? Quelques films de Rohmer. Trois. Courts. Bavards. Bof.

Mardi 24

C’est bientôt la saison des fraises des bois. Oui, c’est vrai, le titre était frais, l’affiche était rose, le producteur à suivre… le lieu de projection… comment dire ? à fuir. Bingo ! Le film était à l’image du lieu de projection, triste, étouffant, pénible, alors au bout de 70 minutes, on ne supporta pas l’idée d’en prendre encore pour 50. Fuyons.

Et alors ? Alors un autre film, sans le début cette fois, puisque commencé la veille, un vieux, vieux film – tu m’étonnes, Douglas Sirk ne s’appelait pas encore Douglas Sirk – au titre pas frais : Paramatta, bagne de femmes. L’affiche était de quelle couleur à l’époque ?

Lundi 23

Dimanche 22

C’est ça la France ? Suicidez-vous, le peuple est mort, disait l’autre… Ne vous suicidez pas, réveillez-vous, 18% du peuple est mort, mort de trouille, de bêtise, de haine, de cauchemars, quoi, pourquoi, c’est comme ça qu’on les a élevés, ces 18 %, c’est comme ça ? Qu’est-ce qu’on leur a dit pour en arriver là ? Qu’est-ce qu’on leur a fait croire ? Qu’est-ce qu’ils ont bouffé ? C’est ça la France ? C’est pas ça ma France. Ma France elle sent le kebab, la charcuterie et les nems, et c’est plutôt pas mal je trouve…

Bref…

A demain…

Samedi 21

K&S, L et nous…

Et sinon ? Sinon cinéma, ciné captif, ciné capture, ciné capital, ciné Bonitzer… Agathe Bonitzer… A moi seule.

Vendredi 20

Et sinon ? Sinon cinéma, ciné ski, ciné simple, ciné Seydoux… L’Enfant d’en haut. Une toile des neiges quoi…

Jeudi 19

Palais de Tokyo. Triennale.

Pas trop longtemps ; nous reviendrons.

Mercredi 18

J’ai vu des poissons dans le métro. Ce n’était pas un rêve, pas un vrai rêve, un de ceux qu’on fait la nuit. C’était un rêve hypothèse, un rêve espoir, un rêve idée, idéaliste, dans lequel les couloirs du métro seraient recouverts d’œuvres d’art, de photographies, d’installations, de dessins ; les correspondances seraient des moments légers, beaux, graves, simples, formidables, colorés, instables, fascinants, flous, nets, gris, sobres, simples, efficaces.
Ariane Michel a investi un couloir, station Concorde, celui entre la ligne 1 et les lignes 8 et 12, ce couloir qui mène (mais ce n’est pas indiqué) à la sortie devant le Crillon. J’aurais pu mettre ici d’autres photos, mais j’ai mis le poisson. Je vous ai montré le poisson que j’ai vu dans le métro. Vous n’avez pas rêvé.

Et sinon ?
Kayak, moiteur, conférence, anisette.

Mardi 17

Continuer ?

Lundi 16

Continuer ?

Dimanche 15

José ne viendra pas, la journée se poursuit, ici, sans quitter les murs, pas même un pas par la fenêtre. José ne viendra pas malgré les gâteaux, moelleux, doux, à l’orange ; il me rappelle le cake au citron d’autrefois. Le soir, dans l’étonnant donc merveilleux L’Arbre, le maire et la médiathèque, Arielle Dombasle s’exclame « Elles sont extraordinaires ! ». Elle est face à des vaches. Décidément, je ne me suis toujours pas trouvé de point commun avec elle.

Dix ans de journal. Continuer ?

Samedi 14

Installation José Levy au Bon Marché...Bizarre, le type. Il entre brusquement dans la galerie, lunettes de soleil sur le nez, fige son corps devant les images et bouge la tête dans plusieurs directions. Il se tourne vers moi : « C’est que je fais des effets de lumières avec mes lunettes. Ne vous inquiétez pas. Je suis artiste, c’est pour ça… Vous voulez voir ? j’ai apporté des photos…« . Je lui réponds timidement que… non non… que… je ne m’inquiète pas… Au sous-sol il fait le même sketch à deux visiteuses, « ah oui, les paysages je préfère, c’est plus le style de photos que je fais… vous voulez les voir ? j’en ai apporté… »
Mais moi, justement, les paysages, je ne les aime pas du tout. Le reste me parle plus, pas tout, l’usine abandonnée, et surtout les visages, là, derrière les vitres. Cela me rappelle des essais faits dans la Fiat, pourquoi n’avais-je pas insisté ? Bref, une discussion, une demande, me voilà obligé de signer le livre d’or… Vous auriez écrit quoi, vous ?

Ensuite ? Un éclair, le lumineux travail de José Levy au Bon Marché, une boutique pantalon-veste, la librairie des Alpes pour l’expo Ça&Là, un joli film japonais (I Wish) et Laurent qui nous attend…



Vendredi 13

Rien. Rien ? Non, rien, des tas, c’est tout.

Jeudi 12

(entre)ouverture…





Mercredi 11

C’était un film après lequel on avait couru, en vain, avec K : séance manquée. C’était un film qu’on avait donc vu ailleurs, le même jour en fin d’après-midi ; j’avais un peu dormi. Juste un peu dormi : le film m’avait vraiment marqué ce 3 novembre 2007, puisque 4 ans et demi plus tard je m’en souvenais assez bien : les couleurs jaunes, les immeubles éventrés, cette femme russe qui met le pied dans la guerre et qui tend la main, une main moite sous la chaleur tchétchène. Simple et beau.

Mardi 10

Je vous regarde. Vous regardez l’endroit. La chaleur. Les eaux plates du fleuve. L’été. Et puis vous regardez au-delà. Les mains jointes sous le menton, très blanches, très belles, vous regardez sans voir. Sans bouger du tout, vous me demandez ce qu’il y a. Je dis comme d’habitude. Qu’il n’y a rien. Que je vous regarde.

Emily L. ; Marguerite Duras.

J’entame le livre à peine monté dans le TGV. La femme à ma droite, côté couloir, porte à sa bouche, à un rythme régulier, des M&M’s. Elle fait tout pour que cela ne fasse pas de bruit, le moins possible en tout cas. Le chocolat fond, la cacahuète est délicatement écrasée entre les molaires. De toute façon il y a cet enfant, là, nul silence.
J’entame le livre dans l’attente de quelque chose de beau, mais qu’y trouverai-je ? Quelques jours plus tard, dernier quart, las, hélas, voilà que je soupire.

Plus tard, Ricard… Fondation Ricard. Sur les murs, des impressions noir-et-blanc de ce qui sera, à l’issue de l’exposition Ça et là, le catalogue : les idées, les lieux, les noms, les promesses, tandis qu’à l’heure de dîner, ce seront les visages qui s’aligneront… sous la Madeleine. Sous la Madeleine ? Oui oui, sous la Madeleine.

Lundi 9

Une éclaircie ?


Dimanche 8

Une promenade, un temps joliment nuageux, le cimetière encore, où je cherche les signes, l’oubli, les marques, les couleurs éclatantes sur le ciment ou le marbre, les céramiques ébréchées, les messages détachés, les lettres disparues, quoi qu’on fasse, on a beau revenir, le temps, le vent, le soleil, la pluie, bref l’usure…

La famille, complète, un dimanche de Pâques, et le soleil est là pour marquer cette journée, et pour poser, poser devant le lilas, photo de famille, c’est si rare. C’est si rare la photo de famille, on en a perdu l’habitude. C’est si rare d’être tous ensemble, on a perdu le hasard des calendriers, les incontournables Noël, de toute façon à Noël il fait trop froid, on n’irait pas devant le lilas, poser ainsi, en bras de chemise, sourire aux lèvres, rires aussi, pensez-vous, il fallait bien que je fasse le mariole. De l’autre côté de ce que l’on appelle le canton, l’autre côté de la famille ; complet lui aussi. Et ?

Samedi 7

Deux films de Mati Diop à l’heure où d’autres déjeunent, à la demi-heure décalée, alors un peu de précipitation imprévue et puis les doigts d’un guitariste qui semblent ne pas toucher le manche sur cet air de Dylan, son sourire communicatif, les hésitations devant la presse et finalement un quotidien national avec supplément du week-end, qui m’accompagne sur un bout du chemin vers la Saintonge, c’était samedi. Déjà.

Vendredi 6

Vin blanc, jambon, musique légère, lumières colorées, à travers la vitre la Place des Vosges est verte. Des pâtes au Bûcheron, deux verres aux Souffleurs, les publics se succèdent, plus ou moins sages, dandys, moustachus, le sac en option. Au sous-sol du bar je bouge un peu, quelques mouvements vagues, discrets et plus tard je m’endormirai à peine après quelques portraits sortis d’un livre presque trop lourd.

Jeudi 5

Barbara Carlotti chante. « J’ai froid », dit-elle. Moi aussi j’ai froid. Pas assez couvert, optimiste météorologique, imprécisions des prévisions. Mais précision des mots, des notes, des arrangements, le disque m’accompagne depuis plusieurs jours, parfois maltraité par le son rugueux des moyens de transports, mais à l’écoute je flotte, je flotte comme les taches de couleurs sur le ciel de nuit, quelques clichés récupérés dans des enveloppes de tous les formats glissées dans un trop grand sac plastique par l’employée du laboratoire photographique, souriante rousse au décolleté discret mais inévitable : la robe était noire, la peau laiteuse.

Mercredi 4

8h passées. Elle me fait penser à Jessye Norman, avec une paire de RayBan ; elle dort un peu, surveille les stations qui défilent. Elle a posé la sac en carton bordeaux sur le rebord, lettres dorés, luxe froissé.

20h passées. Il y a du monde dans le bar et presque personne sur les plages. Solitudes de bords d’eaux, immensités carrées accrochées sur des murs rouges, belles images de Mathieu Oui, tandis que sur le zinc on attrape quelque chose, on grignote, on papote, mais seuls les murs ont goût de sable.

Mardi 3

Pantalon bleu, sac orange, elle est assise sur une banquette de RER déjà décrite ici, une banquette parfaitement assortie. Une veste noire et des chaussures dorées ajourées viennent compléter ma vision. Le cadrage aurait été au niveau des bras, serré, insistant sur les couleurs, évitant la vitre et surtout ce qu’elle laissait paraître, mais montrant le livre ; je griffonne ce qu’il aurait été, ce cadrage, si j’avais (pu / voulu / osé / essayé).

Et puis quoi d’autre ? B et P devant le MK2, toi qui me demandes « C’est qui ?« , peut-être dans ma réponse glissé-je l’adjectif « sporadique », un adjectif efficace que j’utilise peut-être un peu trop souvent. Et puis évidemment le superbe film Jaurès de Vincent Dieutre et puis le dîner asiatique avec A et N mais il faudrait plutôt que je reste sur le film, que j’en parle, mais finalement non : il est déjà bien tard.

Lundi 2 avril

Bye Bye Blondie (Béatrice Dalle, ah oui !)
– Resto italien (mmmm donc bien meilleur que son nom pourrait l’augurer, mais je n’ai pas retenu son nom c’est toi qui a dit le lendemain qu’il avait un nom un de pizzéria).

Dimanche 1er avril

– José L. au café N.
Vos chefs d’œuvre (mmm)
– Jean-Philippe Toussaint au Louvre (pfff)
La Sainte Anne de Léonard de Vinci (ooooh)
– Barbara C.
– Mort A V.

Mort aux vaches ? Mais non, Mort à Venise, andouille.


Mars 2012

Samedi 31

– A Nogent ? Un samedi ?
– Mais oui à Nogent un samedi.
– Mais pour quoi ?
– Pas pour quoi, pour qui.
– Pour qui ?
– Vivaldi, Marcello et Mendelssohn.
– Menselssohn ?
– Oh ça va hein…

Vendredi 30

Assis sur un de ces sièges en plastique anonyme d’une salle de transit de l’aéroport international de Hongkong, je regardais le sol de linoléum sale entre mes jambes écartées, pensif, les mains jointes et le corps incliné, un peu perdu et désorienté (je venais de Osaka, où j’avais décollé quelque cinq heures plus tôt, et je me rendais à Francfort, où il était prévu que j’atterrisse douze heures plus tard).

Autoportrait (à l’étranger) ; Jean-Philippe Toussaint

Le soir aussi, nous sommes ailleurs, emportés ailleurs sur l’écran, pas à Osaka, mais pas si loin, quoi ? une heure trente de train et le reste en scooter, un peu au nord de nord de Kyoto. Les visages autour de nous sont surtout barbus, quelques filles évidemment, dont l’une aux lèvres rouges, vibrantes, presque audacieuses mais c’est surtout son amie qui a parlé du film. De quoi a-t-elle parlé ? qu’a-t-elle dit ? demandé ? remarqué ? J’ai oublié. J’ai vraisemblablement laissé un peu de ma mémoire dans les brumes de cette montagne ou dans le regard perdu de cette femme.

Jeudi 29

Je ne peux pas dire que j’ai aimé les lasagnes. D’ailleurs après coup j’ai dit que de toute façon je n’aimais pas les lasagnes, mais j’avais oublié que j’aimais les lasagnes, les siennes, les tiennes… Enfin bref de toute façon ce n’était pas les lasagnes l’important, c’était la rencontre et le premier sujet de conversation surtout, prendre des nouvelles de Y surtout, le reste ? oh le reste, vous savez…

Et puis… le soir… Plouf !

Mercredi 28

Vêture. Le mot est assez dur, étrange, mais réel. Il est prononcé après le film, il explique la litanie : vêtements(s), date, lieu d’achat, prix, vêtements(s), date, lieu d’achat, prix, vêtements(s), date, lieu d’achat, prix…

Le film, Le dossier 332, de Noëlle Pujol, ce sont les 20 (21 ?) premières années de sa vie, la DDASS, une famille d’accueil, St Girons : des documents lus, principalement des courriers (mais donc aussi les listes de vêtements achetés), comme si la vie d’un enfant de la DDASS c’était une vie tracée, écrite, tapée à la machine à écrire, signée, datée et conservée dans un dossier, et quelques images, des plans fixes… C’est donc ça aussi une vie comme la leur, la sienne ? une succession de plans fixes ? On nous pose et on attend ?

Mardi 27

Je n’ai pas ouvert mon Journal depuis une semaine, dans l’abandon total de mes projets d’écriture. Je me laisse vivre. J’écris dans ma tête des choses perdues, je regarde toutes ces choses s’enfuir de ma mémoire, ces villes dantesques, ces situations rocambolesques, difficiles, je les regarde comme si je n’allais pas les écrire, je le sais, elles ont un goût d’enfants abandonnés au bord des routes, une mélancolie parce que je ne les capte pas dans mon Journal, je me laisse glisser, vivre, il faut que je me ressaisisse, que je consacre au moins deux heures obligatoires à l’écriture, et en même temps à quoi bon, qu’y a-t-il de si extraordinaire ? Rien.

Ce qu’écrit Ch. Donner dans Forme d’amour n° 3 ou 4 correspond un peu aux questions du moment, j’y vois un parallèle puisque mon Journal va avoir dix ans, le 15 avril il aura dix ans, dix à temps presque complet : à quoi bon ?

Bref.

Femme longiligne vêtue de noir assise sur les sièges outrageusement colorés de la ligne 1. Ses cheveux sont très longs, châtain clair, elle me fait pense aux sylvidres d’Albator. Mais souriaient-elles ainsi, discrètement, comme pour masquer une moquerie à laquelle elles penseraient ?

Sourire, justement, devant Femmes Femmes, de Paul Vecchiali, rire aussi, aux éclats parfois, devant ce duo touchant, léger, sombre, étrange, illuminé, champagnisé, fenêtre ouverte sur Montparnasse, esprit ouvert sur les folies.

Lundi 26

Un panneau l’annonçait depuis quelques temps, mais je n’y croyais pas, je me disais non, c’est derrière, là où il y a déjà la grue, la construction en cours… Ce matin il ne restait de la petite maison qu’un squelette, que dis-je, un fantôme : un tiers de façade sur lequel les deux fenêtres déchiquetées de ce qui était le rez-de-chaussée offraient une image à garder, une image un peu triste comme les cimetières en sont plein. J’aurais dû descendre du bus, garder l’image, peut-être en faire quelque chose de beau.

Reste aujourd’hui à attendre, attendre ce qui prendra la place. Espérons que ce symbole architectural d’une autre époque, qui offrait une respiration au milieu des façades aux nombreux étages, se verra remplacé par quelque chose de notre époque, quelque chose d’une respiration stylistique au milieu de ce qui pousse dans la ville en ce moment.

Dimanche 25

Hipoglycéquoi ?

(Demander à JF&N l’adresse de leur traiteur libanais)

Samedi 24

« Mais essaye de t’ouvrir un peu l’esprit !« . Le père est un peu énervé, les deux enfants ne s’intéressent pas, pas à la peinture en générale, pas à Matisse en particulier. Les arguments du père n’y font rien, ceux du grand-père non plus, de toute façon le plus grand (9 ans peut-être) l’a dit dès le début : c’est moche. Plus tard, quand les années auront passées, l’esprit et l’œil ouvert, il se souviendra des couleurs vues ce jour-là, mais pas de sa remarque cinglante et infantile (9 ans peut-être vous dis-je), il s’en souviendra alors qu’il aura oublié la lumière d’été qui frappait Paris.

Moi aussi, j’aurai oublié cette espèce d’été (et le goût du camembert), mais ni la fragile pâleur des renoncules ni « Mon père était chef de gare ».

Vendredi 23

Les archives. Et pourquoi pas ? M’y voici donc pour accompagner D.M. et N.H. dans leurs recherches, ici où, de préférence, on chuchote. Un siècle est derrière nous, quelques bords de feuilles s’effritent, j’aide et m’intéresse, questionne, découvre les usages et me hasarde sur quelques étagères, sans but, glissant un regard sur les tranches alignées, un regard qui s’arrête :

PREUVE DE LA NATIONALITE – 20 1941-1950 MEN-R.

Je feuillète et m’arrête encore :

Rodriguez (Antonio), Luanco (Espagne), 03-09-09, NAT, 25-11-49, 18874×49.

Et donc ?

Et donc je passe à la suite, la Maison des métallos, vernissage, exposition (be)au boulot ! L’impertinence de Julien Prévieux, la douceur de Cécile Paris, la force de Jean-Luc Moulène, l’humour de David Poullard et Guillaume Ranou (avec leur Très Précis de conjugaisons ordinaires, cf. la photo ci-dessus) et évidemment la simplicité de témoignages, les gens qui racontent, moi, vous savez bien… Ceux qui racontent, hein, pas ceux qui parlent, parlent, parlent…

Et donc je passe à la fin, le soir, doux soir, Visconti. « On dirait Andy Gillet de trois quarts dos« , te dis-je, mais ensuite je réalise que de face aussi, de face aussi Helmut Berger lui ressemble, oooh moins quand il grimace bien sûr, mais au début de Ludwig, il ne grimace pas, il minaude, il parade, il bisouille sa cousine, le port est presque altier, les désirs également, et le plaisir, pour nous, le plaisir est entier.

Jeudi 22

Dans le train je clos le Mréjen, t’en dis le plus grand bien sans trop t’en dire, l’idée d’une écriture à la marge, quelque chose de différent, peut-être que j’exagère, peut-être que je n’ai pas les bonnes références, les bonnes lectures, les bons repères, les bons goûts, peut-être que j’aime particulièrement lire ce que j’aimerais avoir écrit. À ma droite les paysages se normandisent, à ma gauche le reflet souriant du Japonais se confond avec les alentours vert printemps, mais c’est également sa montre que je regarde, ce rond noir de cinq centimètres de diamètre bordé de doréoù s’affiche 17:44. Ici il est 9h44, mon pull est assorti au siège, tu lis le roman d’Olivier Steiner, Bohème, lettres rouges à empattements sur fond crème, tandis qu’à la une du journal le fond est plutôt sombre. Rouen passée, en voyant les petits cours d’eau en contrebas du train, allez savoir pourquoi, me revient en mémoire l’odeur des bords de Charente après la crue, je ne saurais la décrire mais je dirais qu’elle est grisâtre. Après tout, pourquoi pas…

Dieppe, nous revoilà Dieppe, nous te retrouvons sous un soleil radieux, enfin ! Une terrasse sur le port, la plage et ses galets, la plage et ses courageux et rares baigneurs, les boutiques qui s’installent, début de saison déjà ?, un déjeuner copieux, des brasses au soleil, l’air humide d’un hammam… Dieppe, tu n’as pas changé, toujours ce même parfum léger.

Mercredi 21

Loin des villes, quelque chose d’une carte postale basque, la brume, des teintes d’automne, un rythme, des visages, et l’étouffement d’une situation où le ciel bleu n’est même pas à l’horizon. Mais quand on sort du film L’Hiver dernier, la lumière est là, la vache ! Plus tard je te rejoins, tu es à la même place qu’hier, le lieu est encore calme, ça ne va pas durer, le brouhaha bientôt, mes cheveux sont coupés. À pieds nous allons jusqu’à un autre bar, ton rendez-vous, et sur le chemin (populaire), les bancs, les gens, réalité 2012. Dans cet autre lieu, murs jaunes, bande bleue, autrefois il n’y avait pas ces appliques métalliques. De l’autre côté de la vitre, là-bas sur le trottoir, un jeune papa enfant sur les épaules, des adolescents à guitare, deux jeunes femmes qui se saluent, un quinquagénaire fringuant qui fume une cigarette et ajuste son col, une poussette jumelle, une immense écharpe rouge, un sac de courses prune, un foulard rose pâle, le bus 80, un chapeau parme, en face la pharmacie clignote (7/7 rouge, croix bleue et verte), tu lis. Nos boissons sont gazeuses et A, pétillante, arrive en même temps qu’une femme avec une enfant un peu turbulente. Elles (la femme et l’enfant) s’installent à la place du garçon sage que son père est venu chercher et commandent des frites. Quand V arrive il y a une certain odeur grasse (les frites) ; il se présente, oui il se présente. Et puis O, et puis l’heure de la séance.

Quand celle-ci se termine, tiens mon libraire, on parle un peu, de ce qu’il verrait s’il venait plus souvent, de ce qu’on a vus et que je n’ai pas trop aimé, voire pas du tout. Mais alors pas du tout. Heureusement, Marylin…

Mardi 20

Répu, Régis B., poulet curry, BHV, Mathieu G., Erwin Olaf, rue B., rendez-vous pris, Potemkine, Prune, Perrier menthe, Artazart, Christophe H., canal, Prune, Noé S., homme/métro/téléphone. Prendre son temps.

Lundi 19

Elle serait stupéfaite, après avoir accordé tant de prix à l’instruction et à l’esprit, d’une certaine rustrerie ambiante.

Forêt noire ; Valérie Mréjen.

Il y a une pastille rose sur le bandeau bleu. Les voyageurs du tramway ont pu se dire que c’était un cadeau, mais les clients du Lutetia, trop occupés à leurs conversations, trop loin, trop trop pour certains, ignorent passablement la pastille et ma lecture, d’ailleurs de lecture il n’y en a finalement pas, je suis plutôt dérangé par leur présence, par des bribes, par leur passage, par l’envie simple de les regarder, les écouter, deviner ce qu’ils font, ce qu’ils font là. Dis, tu ne trouves pas que ça sent le renfermé ? la cave ? une odeur de moisi quoi ? C’est depuis qu’il est arrivé, lui là, à droite.

Avant, il y a eu le salon du livre, je ne sais pas pourquoi j’ai voulu que l’on aille au salon du livre, pour voir, comme ça, who knows, et puis tout de même le Japon était invité, je m’étais dit qu’il y aurait une sélection d’ouvrages de photos sur le sujet, mais non. Alors j’ai acheté un livre de Jean-Philippe Toussaint, justement en relation avec ce pays : Autoportrait (à l’étranger).

Après, il y aura des courts métrages de Rohmer, films d’une autre époque, d’un autre genre… mais de quel genre ?

PS. Le livre de Valérie Mréjen est une merveille. Je tiendrai un discours un peu moins péremptoire si l’on en parle ensemble, mais là, voyez-vous, je résume. Surtout ne lisez pas le résumé qui en est fait sur le site de l’éditeur, surtout ouvrez le livre sans rien savoir, en ayant juste lu la quatrième de couverture.

Dimanche 18

Mon premier était souvent rouge à Bastille ce dimanche.

Mon deuxième était l’objet d’une expo à la Maison Rouge à Bastille ce dimanche.

Mon troisième a été prononcé au moment du dessert du dîner de ce dimanche.

Mon tout était un général des armées de la Révolution qui se fit appeler Premier un peu plus tard parce que c’était plus chic pour un empereur.

Alors ? Alors ? Drapeau, néon, bonne la tarte.

Samedi 17

Ranger, jeter, trier, faire du vide, harmoniser, thésauriser, classer, retrouver, découvrir, tant pis, abandonner, froisser, virer, déchirer, poubelliser… Parmi les papiers, cette enveloppe ouverte que j’avais gardée, au cas où, avec mon écriture dessus, un mot bref pour qu’il n’oublie pas. J’ai dû envoyer un mail à la place. Le tampon date du 17.03.2004. Je jette un oeil machinal à ce qui est à l’intérieur : une facture détaillée, les appels téléphoniques du 12.01 au 11.03. Période virage. J’ai devant moi la liste des appels passés avant et après mon départ. Après. Je sais les durées et les numéros. Étrange. Presque fascinant. Comme si je m’immisçais dans cette intimité que je venais alors de quitter, un regard à travers la serrure. Fascinant mais gênant, troublant. Cela pourrait pourtant inspirer quelque auteur autobiographe, une Mréjen par exemple, ça tombe bien te revoilà et tu m’offres son livre (Forêt noire) tandis que nous attendons la séance sur les fauteuils rouges du cinéma. Le parapluie a tenu son rôle, dans le film aussi il pleut je crois, une grosse averse si je me souviens bien, désolé je ne note pas ces détails dans mes carnets. Le film c’est 38 témoins, sujet passionnant, réalisation aussi propre et carrée que le béton du Havre après la pluie, et puis Nicole Garcia oui oui et Yvan Attal tiens tiens Yvan Attal ça faisait longtemps, tellement longtemps que j’ai un doute sur l’orthographe…

Vendredi 16

Nation. Elle monte dans le RER. S’assied. Regarde vers sa gauche, vers l’extérieur (la porte est ouverte). Elle fait son signe de croix. Elle me regarde. Elle baille. J’hésite. Où vais-je ?

Là où je pourrai changer Le Camion, là où il y aura sûrement quelques photos à faire, faute d’un horaire puisque il est bientôt 20 h 30.

Jeudi 15

On a fini par manger quand même des tortellini au gruyère, vers minuit, quand personne n’avait plus rien à se dire.

On est partis en s’échangeant nos adresse, nos numéros de téléphone sur des petits bouts de papier. L’hypocrisie des fins de partouze, ai-pensé.

Forme d’amour n° 3 ou 4 ; Christophe Donner

Parce que finalement j’ai choisi celui-ci (pour la beauté du titre je crois), remisé Emily L. sur l’étagère. Voilà longtemps que je n’avais pas lu Donner, le Donner d’une certaine époque avec Mon Oncle ou Les Maisons, souvenirs d’un immense plaisir de lecture, parce Bang ! Bang !, beaucoup plus récent, j’ai trouvé ça Bof ! Bof !

J’ai commencé le roman une fois dans les transports, j’avais coupé la musique, c’était Dusty Springfield, c’est terrible de l’écouter dans la rue, dans des oreillettes : j’ai envie de chanter. À tue-tête bien sûr. Mais non, je ne peux pas, ce n’est pas possible, c’est impossible, je serre les mâchoires… fredonne vaguement à la rigueur mmmm mmmmmm mmm mmmm mais pourvu que personne ne me suive. J’ai enlevé les oreillettes à la gare RER, il était 8h25, comme tous les jours à 8h25 un accent misérable nous annonçait « Zissize a seciouriti annoncemeunte… » et j’avais évité de marcher sur une parodie d’un tract bleuté avec visage de profil.

Je pensais ensuite raconter le retour, comment par chance le bus, comment par chance le métro, si tard, oui si tard les trajets peuvent être si longs, rongés par l’attente. Comme il est tard je ne lis pas vraiment, profite de l’abandon du supplément Mode du Monde, les prix sont hors d’eux-même, est-ce à moi que l’on s’adresse ? Je ne lis pas, feuillette, c’est sûrement un tort, il était peut-être bien cet article sur les mélanges des motifs (ah oui, c’est à moi que l’on s’adresse) et puis un adolescent ultra-stylé monte, tout droit sorti des pages. Il est en groupe. Des Anglais. Of course. Je le regarde, discrètement, je crois que sa prof me sourit, je lui rend son sourire, manque la station. Comment on dit « Zut » ?

Mercredi 14

Je regarde celle qui regarde celle qui se regarde dans le miroir et se maquille. Celui qui est assis en face de celle qui regarde celle qui se regarde la regarde (celle qui se regarde). Je le regarde donc aussi. Puis elle répond au téléphone, avec un « Ouais » qui m’étonne, ça ne lui correspond pas, je pensais qu’on ne disait pas « Ouais » dans les transports, parce qu’on est regardé. Mais elle ne sait pas qu’elle est regardée. Bref, je sors mon crayon, griffonne vite fait (pléonasme ?) sur ce bout de papier qui me sert de marque-pages ; à ce sujet, j’ai presque fini le livre. Le soir on décrochera Duras, Duras et les autres, et je la choisirai, elle et puis un autre, pour prendre le relais.

Le soir, avant de choisir un autre livre, on a choisi un film norvégien. Oslo 31 août. Bien, oui bien. Triste mais joli, gracieux peut-être parfois, c’est marrant comme au bout de quelques jours j’ai déjà un peu oublié, fragile non ? que dirais-tu toi ? Cousu de fil blanc un peu dans la deuxième partie, mais la première partie est peut-être même plus que jolie, assez forte en fait, ces dialogues par exemple, avec cet ami par exemple, dans cette cuisine. Ou ailleurs.

Mardi 13

Aruspice : devin qui faisait profession d’annoncer l’avenir, soit par l’observation de la foudre, soit par l’inspection des entrailles des victimes.

Ah. Cette fois le mot existe bien. Mais je suis en retard. Très en retard. Plus de trente minutes. Dix de ma faute, j’en conviens. Tant d’autres dues à l’attente. Attendre, attendre, encore attendre, ne rien voir venir, sœur Anne de banlieue… Alors quand j’arrive tu as déjà consommé, on peut déjà partir, aller dîner, là où je ne suis jamais allé, cela t’étonne. Le rapport qualité-prix aussi. Au revoir, à bientôt. À bientôt ? Pas sûr…

Lundi 12

Un cri sur le quai. Quelques regards interrogatifs. Ce n’est que le réparateur d’escalator. Soulagement ? Oui, ouf, mais ce « chorente », qu’est-ce donc ? Le mot m’est inconnu et sur le petit écran de mon téléphone on me propose comme signification une ville au Brésil et des fautes de frappe (Poitou-Chorentes, etc.). Plus tard, le Robert m’offrira un « choreute ». Tant pis. Sur cette page 51 le mot est probablement sorti du même endroit que le passage duquel je l’extrais, à savoir de l’imagination de Guibert. Et puis sorti des souterrains c’est le soleil qui frappe. Presque inquiétant : où sont les giboulées ? Les voilà remplacées, chez cet enfant, par un pull léger, teintes grises et bleues, motif Jacquart.

Dimanche 11

La porte ne s’ouvre pas. « Tu es sûr que c’est au 14 ? » Je lève encore les yeux sur la belle façade, richement décorée, un peu trop peut-être. La porte est élégante, on a envie de la pousser, de découvrir l’autre côté. Mais c’est au 12. Une fois les étages gravis, bienvenue chez J, cabinet de curiosités que tu connais déjà : un café… Un café ? Un café. Suivi de lentilles, c’est l’heure du brunch, et je bronche à peine sous les délices, presque muet sous les effets un peu sévères de la veille et de la nuit relativement courte. Alors je les laisse parler, j’esquisse un ou deux mot pour montrer mon intérêt pour les autres, leur vie, leurs œuvres, leurs paroles et puis l’on part. Déjà ? Déjà, oui déjà, il ne faut pas manquer le film et les séances sont rares. Trois heures et des brouettes, alors…

Fengming, portrait d’une femme chinoise. C’est le titre du film. Fascinant. Un moment de cinéma comme on en fait peu : plan fixe sur un témoignage de la période maoiste de la Chine. Plus de trois heures. Fascinant. Mais plus de trois heures de film et mon état de léthargie bien avancé, évidemment… j’ai dormi. Pas trop, tout de même, heureusement. Je pourrais même vous en parler…

Samedi 10

La soirée est déjà bien avancée. Me croiras-tu si je te dis qu’il est déjà 1h35 ? Les doigts se tendent, les visages s’illuminent, surpris, devant les photos des hommes de la Casa Susana, travestis touchants, fascinants. Les coiffures, les couleurs, les moments sont d’époque, une autre époque, quelqu’un s’en souvient-il ? Mais une fois tous les paquets vides, les fumeurs, tous, oui tous ceux qui sont là ce soir, commencent à faire grise mine. L’une fouille, deux autres cherchent, et de l’addiction nait d’autres rires. Et puis il partent, certains dans la voiture de sport bariolée, moteur ronflant, mais à cette heure-ci, qui n’en fait pas autant ?

Vendredi 9

Un goût d’Asie dans la lecture, ce Magazine littéraire sur le Japon.

Un goût d’Asie au cinéma, ce Apart Together, agréable, mmmmoui, agréable comme un dîner qu’on arrose un peu d’alcool pour le sortir de sa torpeur, un film peut-être trop court pour dessiner les relations improbables qui se renouent et se tissent, un film probablement sauvé par une scène centrale décalée et donc drôle.

Un goût d’Asie dans l’assiette ? Heu… non : de la joue de bœuf.

Jeudi 8

Dès que B. me fit la proposition de ce voyage, je projetai mon corps entre le désert et la mer. Mais surtout, et c’est ce qui me donnait le plaisir le plus particulier, je projetai une certaine assise de mon corps, il était debout, sur une corniche, ou sur le haut d’une dune, entre la mer et le désert, vers lesquels il se tournait, de part et d’autre, successivement, il surplombait les deux enfants, à d’autres postes d’observation, en contrebas (dans ce paysage simplifié, les enfants s’employaient peut-être à guetter l’éclosion d’animaux minuscules entre les grains de sable).

Voyage avec deux enfants. Hervé Guibert

Une odeur d’orange. Quelle heure est-il ? Tard, relativement. Au Carré, c’était vernissage, avec foule, même Mme V, voyez-vous, mais je m’échappe après les photos d’usage. Dans les couloirs du métro, après que l’homme aux mains tatoué a fini de peler l’agrume, je m’étonne, m’amuse, me dis que non, ce n’est pas possible : mais pourquoi diable ce garçon a-t-il gardé le carton d’emballage sur son sac à dos ?

L’homme au lit regarde ensuite L’homme au bain. T’ai-je dit avec qui j’ai déjeuné ?

Mercredi 7

C’est un jour qui pourrait être raconté sur des pages et des pages, un jour non travaillé qui nous entraîne de l’autre côté de Seine.

À la Cinémathèque, premier jour pour Burton, Tim Burton you know… Nous n’avons pas choisi la date, le hasard nous a posé au milieu de tous ceux qui probablement piétinaient depuis longtemps, fébriles, impatients, regarde-les, les fans, évidemment, quelques caricatures, entre le gothique sage et la post-adolescente slave accompagnée de sa mère, qui photographie tout, pourtant c’est interdit, presque tout : clic-clac, frénésie. Et je me dis que peut-être ils vont être là, vous voyez de qui je parle, mais non, nul visage connu. Sur les murs, noirs de préférence (quand le démon de la danse… comme dirait la chanson) : dessins, écrans, dessins, dessins, dessins, concision, raretés, que sais-je encore…

Rue Sainte-Anne, les nouilles glissent et les « Bonjour » s’échappent, les mots en japonais aussi, comme quelques réflexes face à tant de voyelles, mais les réflexes pataugent et en retour d’un merci nippon allongé comme il se doit sur le dernier son on répond quelque chose de vague et timide, ni français ni japonais, merzaimas, à bientôyonara….

À Beaubourg le Festival est toujours Nouveau, au menu la ventriloquie tiens tiens bonjour, la roulotte de Fred Vaësen tiens tiens bonjour, ou le début de ce Pelechian présentée par Valérie Mréjen tiens tiens bonjour, ce Pelechian dont les images avaient étrangement disparu de ma mémoire, mais ne restons pas là debout, tant pis.

Au BHV on pourrait parler de fils, de douilles, de garçons bredouilles.

Écran, enfin, fin de soirée. Petit écran malheureusement, Marylin pleure sur le sort de quelques mustangs et sur le sien. Désaxée.

Mardi 6

J’avais découvert le joli travail d’illustrateur de Florent Chavouet à Kyoto, forcément à Kyoto ; presque forcément c’était José L. qui avait été à l’origine de cette rencontre colorée. La rencontre ne dura guère ; José L. voulait récupérer le livre, et comme je n’avais pas été immédiatement conquis par l’objet survolé, malgré les couleurs et les traits, il l’emporta (après s’être bien assuré que le « oh non oh non, ça ne me gêne pas » était sincère). Je crois qu’en fait ce n’était pas le bon moment. J’y étais, au Japon, voyez-vous et je n’étais pas vraiment ouvert à d’autres regards : je me battais déjà avec le mien, cherchant dans l’objectif à compléter une série, à capter quoi les détails, les couleurs, les attitudes, les lieux, les gens…

Catherine V. arriva vers 12h40 avec un sac plastique Monoprix que tu jetterais le lendemain en grommelant un « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? » justifié (Mais qu’est-ce que ça faisait donc sur la table ?). À la fin du repas, elle ouvrit le sac : elle m’avait apporté les deux tomes japonais de Florent Chavouet. Évidemment j’étais ravi : de l’attention, de retrouver le Japon, de mieux connaître ce travail. Dans les transports, donc plus tard, j’ouvris Tokyo Sanpo, plongeant dans l’immensité de la ville via le regard joyeux, tendre et drôle de l’auteur, et riant de bon cœur à la lecture d’un simple « Ai dozo« .

PS. Le Camion cale au bout de cinq minutes. Je répète : Le Camion cale au bout de cinq minutes.

Lundi 5

Bon, on la regarde, la fin de Little Big Man ?

Dimanche 4

Tu n’es pas encore revenu, il faut attendre l’après-midi ; le matin je vais à la MEP quand d’autres courent un semi-marathon, folie colorée – regardez donc ces tenues sous les dossards – où quelques bicyclettes osent doubler la foule parsemée. L’abonnement renouvelé, je découvre une diversité de styles, mais ce Fumaroli, là, c’est vraiment un photographe ? Quand je pose la question, je ne sais pas qui il est. Je sais juste que le travail qu’il présente me laisse la triste impression qu’au-delà du concept il n’y a rien, que la poésie du propos et les bonnes intentions se sont – à mes yeux – délavées, n’offrent à voir que des images aux teintes plutôt vilaines, des grains mous, des profondeurs de champ plates, et en définitive des visages qu’on a envie d’oublier. Mais leur imminente sortie du champ est peut-être là pour nous y aider.

Samedi 3

Une odeur de poisson sur le trottoir humide et quelques bribes de mon pantalon qui traînent sur le sol. À côté de moi elle fait la même remarque ; je viens de les dépasser, je hâte un peu le pas. Et j’arrive à l’heure exacte : exactitude, politesse des rois. Mais ici on n’est pas chez les rois, non, même si… Dans son intérieur presque caricatural pour le quartier, il me reçoit chaleureusement, me pose quelques questions sur ma vie, en retour seulement des réponses. Que vouliez-vous que je lui demande ? Ce qu’il fait de ses journées ? Un dernier merci pour le livre que je lui apporte, et je repars sous une pluie très fine, presque absente.

D’un rayonnage à l’autre, pas de casque (efficace), pas de disque (dur), mais un petit livre (utile) de plus et quelques bouchées cylindriques que les passants me regardent avaler… L’heure de la séance approche, je suis appuyé sur le mur extérieur lorsque A arrive à cette espèce de faux rendez-vous qu’on ne s’était pas donné. A ? Alphaville. Aaaaah. Anna Karina. Amoureux, qu’est-ce-que c’est ? dit-elle. GodArd nous emporte et je le suis avec enthousiasme et plaisir, entre science-fiction et poésie, entre combat politique et humour.

Au sortir je te laisse un message improbable, vague imitation d’alpha 60 et les passants sourient peut-être, de toute façon ça ne va pas, ni l’imitation ni les photographies que j’abandonne sur les pavés, mais heureusement il y a les hasards et les éclats de rire de Jeanne. Et le téléphone.

Vendredi 2

Je lève le nez. Je n’avais jamais prêté attention au fronton d’un autre temps : il pourrait alimenter une de ces conversations que l’on a, à la cantine ou ailleurs, sur l’architecture actuelle. Quelques minutes plus tard, l’apparence mod’s est aussi d’un autre temps. Son âge est avancé mais elle a le chignon sévèrement dressé, les Docs à quatorze trous et le dress-code noir. De son pull s’échappent quelques centimètres carrés de blanc, un tee-shirt de rigueur. C’est quand le type à casquette se met à dodeliner de la tête à outrance que s’échappe également un éclatant sourire. Celui que je lui offre en retour est plus discret et elle tourne la tête avant qu’on n’explose. Avant que les immeubles de Seattle n’explosent, également… Ah ben oui je suis allé voir (l’efficace) Chronicle.

Février 2012

Mercredi 29

Parce que dans quelques semaines on vote, je me penche : sur l’écran de mon téléphone, je lis un discours teinté d’une couleur éclatante. Je me surprends moi-même, pour diverses raisons, la première étant que le texte a vaincu mon impatience de lire ce que j’entamerai à Nation :

Il fait toujours très chaud dans mon souvenir. Je suis assise contre un talus, ou appuyée à une barrière, et tout ce que je regarde me rend triste, et j’ai toujours une main qui caresse de l’herbe, pétrit du sable ou fait rouler des petits cailloux.

C’était mes plaisirs solitaires dans mon ennui de petite fille.

Zouc par Zouc.
L’entretien avec Hervé Guibert.

… On en arrive à la conclusion que je lis donc en ce moment quatre livre en même temps. Hasard des abandons et des oublis, des supports numériques et des tailles de caractère sur de vieilles éditions sentant les décennies passées. Sentiment amusé mais n’y verrait-on pas un peu de dispersion ?

Le soir, nulle dispersion : Les Bosquets, film de Florence Lazar. Nulle dispersion : un lieu, de longs plans fixes, un très joli regard sur l’habita(n)t, avec au milieu, UNE scène.
Deux femmes parlent, ou essayent plutôt de converser : celle qui voudrait parler ne trouve pas les mots. Rien que ça, c’est un moment, rompu visuellement par quelques mains qui fabriquent des tresses de pâquerettes, geste simple et fragile comme leur présence, leur relation, le lieu, l’époque, leur histoire peut-être. Des voix s’approchent… autre genre, autre langue, autre position. Hors champs, leurs voix si proches semblent nous toucher. Peut-être même être à l’intérieur de nous. Super(be)position.

Et puis le mois se termine. Dans le métro, une fois le saxophone muet, deux garçons asiatiques épuisés. Ils ne dorment pas vraiment, ils aimeraient tellement. Ils luttent pour ne pas plonger dans un profond sommeil qui les emmènerait… allez savoir où. L’un desserre ses chaussures, s’évente avec le plan du Louvre, se pince longuement la joue ; j’en ris. L’autre a déjà ôté ses baskets, grimace, il souffre vraiment, sur son sac sont posées ses mains, maigres, fortement veinées, plus fines que les miennes, aux doigts plus longs. J’aurais aimé les prendre en photo, ces mains, rien qu’elles ; j’ai souvent cette envie d’ailleurs. Février m’a offert un jour de plus. Un beau jour de plus se terminant par une certitude : les mains. Un jour ce sera les mains.

Mardi 28

Je pose le cadeau entre ses mains et je l’ouvre pour elle. Elle voulait noter des choses, des impressions surtout. Je lui ai trouvé un stylo en or et un carnet de moleskine noire qu’elle pourra garder sur sa table de nuit. J’accompagne ses doigts pour défaire le papier. Je me rassieds. Je lui demande si le stylo lui plaît, elle dit oui beaucoup.

Cérémonie, Bertrand Schefer

Le soir, le livre, livre-regard, livre-miroir, livre-amitié, n’est pas dans le sac, oublié, pas de doute, posé là où il ne fallait pas, alors j’écris, phrases tremblantes dans le bus, voix tremblante dans le RER. Puis je t’appelle, on se parle, j’erre, on attend, je les retrouve au pied d’une obélisque, comme elle dit, et en effet j’y suis aussi. Une fois au restaurant que j’ai pourtant choisi, je me demande si l’endroit est bien celui qu’il fallait, je me suis déjà vu là plus enthousiaste avec K, avec JLM, avec toi peut-être mais je n’en suis pas sûr. Qu’en penses-tu ?

Et même si c’est l’hiver on marche un peu, d’une rive à l’autre, d’une parole à l’autre, d’une vitrine Mercedes à un visage qui pourrait être celui d’un politicien ou d’un acteur avec un rôle de conseiller politique dans un film des années 1973. N’y pensons plus.

Lundi 27

Il est encore là. Il tourne le dos à l’entrée. J’essaye de pousser la porte vitrée : elle résiste. Je jette un oeil : pas d’horaires marqués. Je tape sur le verre, doucement, puis plus fermement : il se retourne. Il n’ouvre pas alors on se parle à travers la porte, un rapide échange de questions et de réponses qui se termine en lui montrant la clef. Il ouvre, me dit qu’il préfère laisser fermé, qu’il est plus tranquille comme ça… à l’heure qu’il est, il est bien seul, tout est fermé, surtout un lundi. D’ailleurs au BHV, ça faisait bien longtemps qu’il était fermé, son confrère. « Ah mais oui mais ça ferme à 18h30 » m’avait dit le quinquagénaire en tenue de travail en regardant sa montre et mon visage presque aussi désolé que le sien. Au BHV, tant qu’à faire, j’avais grimpé au troisième, rayon literie, coin des oreillers. Un petit coin pour des carrés qui vous déplument s’ils sont en duvet, on croit rêver.

Bref, c’est après la soupe de légumes que j’avais trouvé le courage de faire qu’ils sont arrivés. Ils avaient dîné, et donc moi aussi, vaguement, la moue au coin des lèvres : ce n’était pas une réussite, même la couleur n’étais pas encourageante. On n’en a pas parlé, ni du goût, ni de la couleur.

Dimanche 26

C’est un jeu de rôle ? Ah non c’est un rêve. Peut-être. Ou bien un cauchemar ? Une histoire de fantômes ? Ah de fantômes aveugles lisant dans les pensées ? Mmm mais lui c’est qui là en fait ? Non mais vous êtes sûr que ce n’est pas un vieil épisode de La quatrième dimension ?

Je devrais ne pas chercher, me laisser porter, mais je n’y arrive pas. Alors je trouve Ulysse, souviens-toi insupportable, un peu malgré lui peut-être, même si honnêtement je me demande si l’auteur (Guy Maddin, dont j’avais adoré Winnipeg, mon amour, mais si rappelez-vous) ne se fout pas outrageusement de la gueule du monde.

Heureusement à quelques mètres du cinéma il y a Beaubourg et son Le Nouveau Festival… J’y pioche quelques jolies choses, le souvenir des Mystères de l’Ouest, d’autres plus gênantes comme les poupées de Gisèle Vienne, mais j’y reviendrai, il y a d’autres choses à voir, plus longuement, pas une fin de dimanche après-midi, nuit tombée, esprit agacé, affiche à terminer.

Ouh la la non non vous ne pourrez pas grossir l'image

Samedi 25

Il a sous le bras le Figaro magazine ; il demande (pourtant ?) le livre de François Hollande et plaisante avec le vendeur sur le fait de n’en prendre qu’un seul pour l’instant. Dans la librairie il y a une légère ambiance de fête, un anniversaire ou un départ, quelques bulles pour un petit groupe et l’on offre à cette femme déjà quadragénaire un livre de Cindy Sherman, quoi d’autre je ne sais pas.

Je suis venu ici un miroir sous le bras, miroir acheté chez Leroy M. après que l’immense glace de la salle-de-bain était tombée dans un fracas assourdissant ; par chance j’étais alors dans la pièce d’à-côté, par chance il n’y avait eu aucun (trop) gros dégât, par chance je ne craignais pas de souffrir de 7 ans de malheur et j’en aurais la preuve le soir-même en ayant le bonheur de manger des TUC.

Bref, revenons à la librairie où règnent le présent de narration, quelques voix grisées et un choix terrible. Au bout de quatre ouvrages sélectionnés je m’arrête, j’hésite encore sur le Christian Gailly qui vient de paraître, je pense que j’y reviendrai plus tard, que la somme totale est déjà conséquente malgré le faible nombre total de pages, que de toute façon je trouverai peut-être l’élan suffisant pour terminer le Faulkner qui, tristement, me lasse, malgré quelques éclairs et le sentiment que je passe à côté du génie. Le choix se porte donc sur les autres : Cérémonie car Bertrand Schefer est de saison, je me dis que tu seras content de pouvoir toi aussi le lire ; Zouc par Zouc par Hervé Guibert était de saison il y a quelques mois, il ne fallait pas que je reste sur l’impression du spectacle ; et puis Hervé Guibert encore, besoin de continuer à l’explorer avec cette fois Voyage avec deux enfants. Mais je n’imagine pas en passant à la caisse que le soir même j’entamerai un autre livre, version numérique trouvée en « cadeau » dans mon téléphone : Alice in Wonderlands. Arnaud in wonderbooks ?

Vendredi 24

Les nommés pour le César du meilleur statut Facebook d’Arnaud de ce soir sont :

– Mais qui écrit les textes des Césars ?

– Et en plus ils font des fautes de français.

– Mooouaaaahahahahahaa

– Gourmet ! Gourmet ! *

– Antoine De Caunes aime le cinéma et Guillaume Canet l’honnit.

* Alors j’ai tout de suite j’ai commenté « Ah ben non » et « Ah ben Sy » et Fred aussi en même temps « Ah ben Sy » et voilà je vous épargne la suite des commentaires, enfin bref en tout cas non vraiment on ne m’y reprendra plus… Heureusement que je vais au cinéma, sinon je croirais que c’est chiant et mal écrit.

Jeudi 23

C’est parce qu’elle ne voulait pas abîmer la couverture ou parce qu’elle voulait rester discrète. C’est parce qu’elle ne souhaitait pas me donner la chance de savoir ce qu’elle lisait : l’ouvrage était grossièrement emballé de morceaux de papier blanc scotchés entre eux. À voir son style, en tout cas, il aurait été plus adapté que le papier fût pincé.

Mercredi 22

Nouveau téléphone, nouvelles habitudes. J’ai glissé la veille quelques dizaines de titres dans l’objet, ce matin j’en écoute quelques-uns ; autour de moi j’ai l’impression qu’il y a un autre rythme, une autre ambiance. Mais je crois que ça ne dure pas longtemps ; pourquoi ? Deux jours après je ne sais déjà plus. Ai-je été gêné par le brouhaha mécanique alentour ? Ai-je voulu écouter une conversation ? Ou bien ai-je écouté jusqu’au bout du trajet, et voici que je ne m’en souviens plus ? À Gare de Lyon c’était un morceau de Let England Shake. Et ensuite ? Ensuite il y a une odeur de lavande, et bien plus tard, alors que j’ai oublié les écouteurs sur mon bureau, le café B duquel B est déjà repartie. Tu as la fraîche galette et le sourire aux lèvres ; glisserai-je les titres dans l’objet sus-cité ?

Batignolles. Intérieur chaleureux, multiformes, hétéroclite où l’on regarde, touche et décrit les chauffages d’appoint années 30, les bancs en bois tourné et la porcelaine Tsé-Tsé (mais d’ailleurs où est mon assiette ?), où l’on parle cuissons, épices, liaisons, french manucure, Japon… Et vous, vous faites du cheval ?

Mardi 21

La femme à gauche porte un manteau fuchsia, une écharpe d’un rose que je n’arrive pas à définir, je pense à un bouton de rose fané avant de s’ouvrir, en tout cas c’est rose. Elle ne fait rien, ses mains gantées d’un cuir fin sont posées sur un sac à main très sale, au teintes grises et motifs en forme de cœur.

La femme à droite porte un manteau marron clair, une écharpe couleur terre de sienne. Ses ongles sont vernis, couleur bordeaux, et ses mains tiennent un tout petit livre au format étrange, pages à l’italienne mais reliure en haut.

Entre elles on aperçoit les rayures de la banquette : bleu gris, moutarde, orange brûlé, céladon.

L’ensemble est parfait, mériterait un cadrage assez serré.

Rien.

Lundi 20

Quand tu reviens de ton dîner, tu évoques la double initiale, mythe effondré depuis des lustres. Moi je ne pense même plus au matin, à ce moment rare mais simple, rare mais qui pourrait être quotidien, avoir marché un peu dans ce Paris de 8h58 parce que j’étais très en retard, en retard donc un peu fébrile, voyez donc la photo n’est ni bonne ni nette, de toute façon elle n’est qu’un coup d’œil. Ils sont nets vos coups d’œil ?

Dimanche 19

Tu me dis « Prenons un autre chemin que celui de la dernière fois« , alors on prend à droite, là où je ne vais que moi-même très peu, pour ainsi dire jamais, m’en souviens-je d’ailleurs ?

Samedi 18

Voir et revoir, parce qu’on est là pour ça, revoir Le Procès d’Oscar Wilde ici, le revoir avec à chaque fois un sentiment plus fort ; cette fois j’attends avec encore plus d’impatience et de crainte cette fin sur laquelle j’ai déjà écrit, je me souviens des mots, j’ai peur de les entendre. Vaine empathie ?

Revoir Mourir comme un homme. L’apprécier encore plus, vraiment, presque indéniablement, complètement, ne plus y ressentir une ou deux longueurs, ne plus y voir une ou deux scènes de trop. J’ai envie de retenir tous les mots et toutes les images, surtout ce passage qui contient tout et bien plus encore, des éléments cachés qu’on découvrirait à d’autres séances. Mais tout c’est déjà beaucoup : la poésie, l’humour, le fantastique, la musique, l’amour, les genres, l’imaginaire, les souvenirs d’enfance, quelques myosotis et les doux sifflements de la langue portugaise.

Quoi d’autre ? La conférence sur Oscar Wilde, le premier film dont je ne sais pas quoi penser mais sur lequel j’ai beaucoup dit, ma voix étrange dans laquelle traînait ce rhume, un nouveau téléphone, Jeanne, Claire et les autres, le resto du déjeuner, le resto du dîner, et finalement le silence, alors qu’il est minuit passé de peu, le silence à peine dérangé par le bruit du papier : mon carnet, ton livre.

Vendredi 17

C’est un couple un peu étrange qui est là devant moi. Je suis assis, elle aussi, elle lui a dit « Tu ne veux pas t’ass… » et puis elle a vu qu’il n’y avait pas de strapontin. Elle a un air infiniment triste, pince les lèvres et regarde devant elle mais ne voit rien qui masque ses pensées. Il la soutient : une légère étreinte à l’épaule, un regard. Et donc un peu étrange ? Oui. Parce qu’au départ je crois qu’ils ont les mêmes chaussures. Je les compare ; non, ce sont presque les mêmes. Ils portent un jean ; plus clair pour elle. Ils portent un blouson vert ; plus clair pour elle. Un sac à dos, presque le même sac à dos, la même marque. Je me dis qu’ils aiment la randonnée, mais aujourd’hui elle n’aime rien.

Je descends deux stations après eux, je te retrouve au bout du quai numéro 3, j’ai à la main un magazine sur la photographie que je n’ouvrirai qu’après avoir dormi pour y lire mon nom au milieu des autres.

Jeudi 16

Bien sûr je pourrais parler du gilet, j’imagine déjà son sourire en lisant ceci. On devrait plutôt parler des œuvres, de l’impressionnisme de ces arbres d’encre et de pâleur ; à travers les fenêtres on pourrait voir tomber la neige et nos préjugés sur les paysages. Passant dans la salle du fond, on s’arrêterait longtemps devant ce travail, cet homme, poète au quotidien, qui laisse imaginer un beau devenir de corps colorés. Écoutez-les qui chuchotent, eux qui sont là aussi, ils n’en pensent pas moins.

Mais le lambrusco était bouchonné.

Mercredi 15

Alors c’est rue Gabriel Laumain qu’on se retrouve, après que j’ai eu l’impression de ne jamais avoir marché rue d’Hauteville. Parce que rue Laumain il y a cette galerie, il y a cet artiste qui expose, il fallait que tu y ailles, il faut toujours y aller de toute façon, toujours découvrir, regarder, s’interroger, s’amuser de ces annonces d’un autre temps, de ces dessins qui montrent un autre temps… Mais du temps on en a peu, il faut aller à Sceaux ; il fallait vraiment aller à Sceaux, voir Jan Karski, superbe spectacle, mais c’est toujours un peu gênant de trouver superbe ce genre d’histoire, de parler de spectacle aussi, parlons de moment, de témoignage, et je vous parlerai de la voix sur les contours du ghetto de Varsovie, de l’homme perdu dans un couloir d’opéra, d’une danse démembrée ou d’un air de Bizet qui se laisse entendre, juste comme ça, juste entendre, étouffé.

Mardi 14

Le livre est posé devant la bouilloire. Une carte, que j’avais achetée au Japon dans l’idée de quelques vœux de janvier, masque la majeure partie de la couverture (la photo, le titre, le nom de l’auteur), et ne laisse apparaitre qu’un contour plutôt jaune. Au robinet l’eau est froid, la douche donc rapide, rapide mais nécessaire, je ne sais pas vous mais moi… Te voici alors, découvrant le présent. Tarkovski, polaroïds… Qu’en penses-tu ? Et que pense-t-elle, elle qui ne fait rien dans le métro, ni téléphone, ni roman, ni gratuit (puisque l’adjectif est devenu un nom) ; je demande toujours ce que font ceux qui ne font rien.

Et c’est au retour qu’on entrevoit des fleurs. Comme ce pot que tient cet homme en pantalon dont le nom de la couleur m’échappe, entre une huile de noisette et la peau d’un chevreuil, quoi qu’un peu plus foncé non ? Des fleurs comme celles qui, sur le bureau, dominent de leur rouge la vue vers l’extérieur.

Ce n’est qu’un peu plus tard que John Wayne délivrera la prisonnière du désert, mais ça n’a aucune rapport.

Lundi 13

C’est parce qu’il reste là, dehors, juste là sous la fenêtre, à clouer et à scier cette sacrée boîte. Là où elle est forcée de le voir. Là où chaque gorgée d’air qu’elle respire est pleine de ses coups de marteau, du grincement de sa scie, là où elle peut le voir lui dire : Vois. Vois comme je t’en fabrique un beau. Je lui ai dit d’aller ailleurs. Bon Dieu, tu veux donc l’y voir couchée. C’est comme quand il était petit, le jour où elle a dit que si elle avait de l’engrais elle essaierait de faire pousser des fleurs, alors il a pris la corbeille à pain et il l’a rapportée de l’écurie toute pleine de crottin.

William Faulkner, Tandis que j’agonise.

Évidemment le titre du roman… Mais non, pas d’allusion voulue à toutes les unes qui affichent l’ancienne star de la chanson, Whitney, Whitmorte dirait l’esprit blagueur quelles que soient les circonstances. À la fin de la journée, quelle journée ! mais si enfin vous en avez forcément entendu parler, à la fin de la journée donc, ce pauvre Faulkner s’agrippe difficilement à mon esprit : parce qu’un sosie de Laurent M. dans le RER, sosie qui ne peut être lui puisque ce badge des Beatles ; parce que trois accordéonistes virevoltant sur la musique du Parrain tandis qu’en face elle dodeline de la tête en rythme, sans le vouloir, puisque sous le casque blanc elle écoute vraisemblablement autre chose.

Sur l’écran de fin de journée on s’embarque pour autre chose, tellement autre chose, encore les images de l’ouest lointain, les carabines et les chevaux : magnifique La captive aux yeux clairs.

Hein ? Mais non, bande d’ignares, pas de robe en velours à côté de sa mère et la famille autour.

Dimanche 12

Quatre pieds de table, une lampe à pétrole trop oxydée, deux rallonges probablement inutiles, un sac isotherme de forme parallélépipédique contenant quatre mugs en plastique bleu et une demi-douzaine de cuillers de la même matière mais rouges, un rouleau de film transparent, un tuyau de douche, etc. L’inventaire à la Prévert finit dans la benne, mais le vide créé n’a pas permis de retrouver ce que l’on cherchera donc encore. En vain ?

Avant cette occupation digne d’un froid dimanche, on avait eu de quoi remplir un annuaire, avec F croisée, J invité, le poulet grillé dont on ignorait le prénom, et tous ceux venus voir la projection de The American Tetralogy de Philippe Terrier-Hermann, offrant dans la salle 2 de Beaubourg un moment superbe à la croisée de la photographie, de l’écriture et de la musique, un moment qu’on appelle encore cinéma. Sur l’écran de mon téléphone ne s’affichait alors plus que d’étranges rectangles rouges barrés de rayures multicolores : The End.

Samedi 11

Pas de photographie. L’appareil est resté chez W, sans doute avais-je eu inconsciemment peur qu’il souffrît du froid intense qui bordait la Loire ce matin. Pas de photographie. Pas d’image. Pas d’image de la glace charriée par le fleuve, des étals devant lesquels on hésite parfois, du hall de gare où l’on attend Laurent, de la neige qui nous amuse encore, de l’ambiance douce du restaurant où tu as bien eu raison de prendre des quenelles de brochet, des vitraux et des couleurs qu’ils diffusent. Pas d’image de ces hommes et cette femme qui s’affairait dans cette chapelle, avec dans les mains une serpillière, un balai, un bidon de cire ou des fleurs ; l’évêque vient demain. C’est peut-être là le plus grand des regrets, être face à cette scène d’une photogénie évidente, un moment de cinéma même, mais le laisser là, laisser aussi cette femme assise, ne bougeant pas sauf pour tourner la tête dans notre direction.

À propos de direction il nous faut repartir. Sur l’écran, le soir, Liz Taylor épouse Richard Burton et se retrouve au milieu du Texas, où l’horizon est comme un titre de film : géant.

Vendredi 10

SUPPRIMÉ. L’adjectif est en majuscules sur le panneau censé m’indiquer la voie. Finalement c’est la suite logique d’une journée un peu… enfin non rien… donc le train est supprimé mais te voici, bonne nouvelle en échange de laquelle je t’en annonce une autre, le retour du chauffage, finies les moufles sur ton clavier. Évidemment on oubliera le retard qui complétera la suppression, on n’est pas là pour râler mais pour se satisfaire du moment : l’accueil chaleureux, les échanges intéressants, le buffet réussi, les sourires, ta présence…

Jeudi 9

Au départ de Nation, elle avait mis fin à une conversation « parce que le métro va partir. » Mais finalement la v’là qui cause encore quelques secondes plus tard, évidemment il faut couvrir le bruit et dire bien fort ce que personne ne veut entendre, les cancans sur cette fille là, qui en a bien des problèmes de cœur, et puis ensuite cette morte, elle dit ça comme ça, que l’autre est morte, d’une manière, comme dire… ah ben oui tiens, voilà, elle confirme : « Oui tu sais je suis à l’hôpital Truc, en master 2. » Trois blabla plus tard elle raccroche, compose un autre numéro, prononce la phrase qu’il ne faut pas (« Oui bonjour vous avez essayé de m’appeler »), dit qu’ah bon justement elle est médecin, et moi je l’écoute, parce que de toute façon que voulez-vous que je fasse d’autre, et puis un autre appel, enfin bref, elle doit se demander pourquoi je la regarde fixement, elle ou son reflet dans la vitre entre deux stations, elle ne comprend pas qu’elle me fascine, elle n’imagine pas que je me demande qu’elle âge elle peut avoir, elle ignore que je l’imagine seule dans les rayons d’un supermarché, elle ne sait pas que j’essaie de deviner à quoi peut ressembler sa vie et les bibelots posés sur son téléviseur. Certes, aujourd’hui on ne peut plus poser de bibelots sur les téléviseurs. Mais je suis sûr que ça la démange.

Mercredi 8

Et me voici face à un grand nombre d’hésitations, d’incertitudes, de lacunes : les cadratins, les capitales, les accords…

L’incertitude c’est aussi au sortir de la séance. Pas sûr d’avoir aimé… Pas sûr ?

Mardi 7

Sans se soucier de son rouge à lèvres qui s’écaillait, elle a engouffré ses champignons marinés, s’est attaquée par la tête aux sardines frites, a essuyé avec sa serviette le gras à la commissure de ses lèvres.

Ma lecture des Tendres Plaintes de Yoko Ogawa avance doucement : les conditions de transport ne sont actuellement pas optimales pour déployer un livre. Le matin, tandis que le jeune homme révise ses hiragana sur son téléphone portable, j’étais d’ailleurs un peu en lévitation entre les autres passagers. Passagers, patience, passivité. Mais réactivité, il y a ce fichu dossier à terminer… (et ma tête dans le journal, mais ça n’a rien à voir).

Lundi 6

Le torse en débardeur de David Beckham est coupé en deux sur le sol de la rame. Je sais que de l’autre côté de cette page l’image offre plus d’indécence, peut-être d’érotisme : nul débardeur et un plan plus large. À côté de cette vision d’homme déchiré que je ne prendrai en photo qu’une fois au terminus, l’homme a l’allure triste de ceux qui, à toute saison mais surtout actuellement, sont allongés sur les quais du métro. Je reviens de l’Espace Pierre Cardin, où assis sur d’improbables fauteuils au velours abîmé et à l’assise inconfortable, j’ai vu défiler les @ sur l’écran puis les vêtements gris sur la scène. Avec N, puisque ô bonheur elle était là, on s’est attristé de ce camaïeu mais qu’y pouvons-nous… Au sortir en revanche, l’obélisque était aussi vive que le froid et à l’arrivée, les yeux étaient bleu clair et me rappelaient comme à chaque fois quelque chose de l’Italie lointaine. Mais c’est surtout du Japon que l’on a parlé ; Romain était finalement resté pour le bourguignon.

Dimanche 5

Déjà, à travers les voilages de la chambre d’hôtel, une lumière étrange ; ce n’est pas un ciel bleu. Voici qu’en effet la neige tombe, fine, si fine que plus tard elle sera trop friable pour une boule efficace ; la bataille sera de courte durée.

Évidemment ça glisse un peu, tirer la valise est un peu difficile, au marché c’est compliqué puisque tout gèle, le poisson ou les fruits… Mais entre chaleur familiale, plaisirs de panettone ou lotte et cette sensation enveloppante qu’offre la neige et sa lumière, on apprécie ce dimanche. Même si, encore, il faut attendre…

À travers la vitre du train, les couleurs sont rares et les arbres sont un peu leur propre fantôme. C’est donc un peu comme dans le film du soir, ce superbe La Chevauchée des bannis d’André de Toth, western aux âmes perdues dans un blizzard enneigé, ces âmes qui fuient et souffrent autant du froid que du désir. Avant de fuir une dernière fois ils dansent. Dansent ? Bougent maladroitement, secouent littéralement ces femmes qu’ils désirent, sous une incroyable tension et sur la lancinante ritournelle d’un pianiste ignoré.

Samedi 4

Il y a les rideaux verts (entre glauque et opaline) d’un compartiment, banquette assortie avec supplément de rayures grises. Il y a, à travers la vitre, les paysages plats entre Blois et Les Aubrais.

Il y a ce tramway. Il me demande de jeter un œil mais je ne comprends pas la première demande ni la deuxième. À la troisième je réponds que non, que je vais descendre.

Il y a ce petit restaurant asiatique d’Orléans, Orléans ciel bleu, avenue aux façades anciennes et plutôt élégantes, bouffe dégoulinant comme un vieux rhume finissant en regret d’être entré ici parce qu’on n’avait pas beaucoup de temps.

Il y a sûrement de joli paysages entre Orléans et Châteauroux ; les as-tu regardé, toi ? Je ne sais pas, j’ai dormi.

Il y a le wagon un peu triste, tissus bleu pâle et motifs beige, plafond lavande, et les horizons enneigés, apaisés et éblouissants puisque le soleil est là.

Il y a enfin Limoges. Nous voilà enfin, des heures plus tard que prévu, des détours imprévus. Entre plaisirs (ce gâteau) et obligations (ses lunettes, des collants parce qu’elle a évidemment froid), je retrouve les rues que j’avais oubliées ; j’ai très peu de souvenirs de cette ville où j’avais fait deux ou trois sauts depuis Angoulême. Il fait déjà nuit quand on décide un petit tour. « Excusez-moi madame, où est la Cathédrale ? » Joli hasard, tu connais la dame, vous vous en amusez et elle montre le chemin. Mais le lieu est fermé et on erre rapidement dans les rues glaciales. De toute façon au chaud les révisions attendent.

Vendredi 3

Voilà. Blois. Tu m’accompagnes évidemment ; JLM est là aussi. Satisfaction. Grande satisfaction. Joie ? D’être ensemble ; de voir l’accomplissement de ces longs moments d’hésitations, de doutes ; d’offrir ce moment à ces images que j’aime tant…

Les photos sont alignées sur les murs blancs du hall ; dans une semaine on vernira. En attendant c’est déjà parfait. Puisque c’est fait, partons voir la ville d’un peu plus près, voir ce que l’on ne connait pas encore, les traiteurs tant tentant, le beau château et son joli musée, un éventuel salon de thé pour se réchauffer d’une pâtisserie mais pour ça c’est loupé, le troquet où l’on s’installe gelés n’a rien de bien à proposer, rien de bien ou plutôt rien du tout, qu’une ambiance de café de lycéens. C’est pour qui le café ?

Jeudi 2

Hors Pistes. Valérie Mréjen à Hors Pistes. Ah Mréjen. Évidemment Mréjen. Des mots et des visages, des histoires que d’autres racontent, dernièrement des visages mais pas de mots, des visages fixés, des visages se voulant beaux, rendus plus beaux, rendus différents, on a le temps de les regarder, scruter, d’y voir – ou d’y chercher – les défauts, la gêne, et les regards se détournent, les sourires sont embarrassés, nous aussi, parfois à peine, c’est cocasse et touchant aussi, pas seulement embarrassant, c’est plein de questionnement et d’amour aussi sûrement. Mais tout de même, je préfère* les mots, les mots et les phrases, les vieux films si joliment colorés, les mots aussi sont colorés, couleurs vives. Mais Édith Scob ne dit rien.

* préférence toute relative, oh la la ce plan sur les « toits » de Tokyo…

Mercredi 1er février

Deux présences ici, car pour une fois je reste, le matin comme prévu mais l’après-midi parce que c’est plus raisonnable, plus simple, plus efficace. Sur le canapé, les clichés allongés. Je n’y vois rien, rien qui m’aide, seulement deux groupes, le noyau dur en quelques sortes, cette quinzaine, et puis les autres. Et puis tant pis.

Alors tout de même, Naomi, Naomi Kawase pour Hanazu, je ne sais pas, oui, non, bah, oui mais non. Plutôt Gus finalement, Gus Van Sant et sa fable déjantée de Even Cowgirls Get the Blues.

Janvier 2012

Mardi 31

On s’est déjà vus ? Oui, on s’est déjà vus, l’autre jour d’abord mais surtout avant-hier, ce regard appuyé c’était moi. Ah oui, c’était moi. Bien sûr, ça lui revient. Enchanté en tout cas.

Lundi 30

J’aurais pu raconter comment j’ai failli abandonner mon sac dans le RER, moi sur le quai, lui de l’autre côté des portes. Cela pourrait faire une scène efficace dans un recoin de film, parce que c’est très visuel, l’élan pour monter dans la rame le bras droit en premier et les portes qui se referment, le visage terrifié du mec qui se retrouve le bras le bras coincé, les visages des gens qui se portent sur lui, le geste presque placide du grand type qui tire sur la porte, le mec qui rougit dit merci et désolé dans la même foulée en se demandant 10 secondes plus tard si le signal a retenti, ce qu’il aurait fait si…

Bref. Une matinée plus tard je te retrouve. Sushi tournant rue Richelieu, appartements Napoléon III au Louvre, La Folie Almeyer dont je ressors dubitatif voire agacé et enfin l’étage électro-ménager du BHV parce que la culture c’est bien mais les plastiques mats et les métaux chromés sur les percolateurs c’est quand même autre chose.

Dimanche 29

« Et du coup les gens ils posent pas. »

Sur la photographie, une femme porte des paquets dans une rue de New York. Non, elle ne pose pas. Je souris, note la phrase entendue, sourirai à d’autres reprises, noterai à d’autres reprises, mais pas des paroles volées, non, plutôt des légendes et des impressions, beaucoup de légendes pour pointer les photos dont je veux absolument me souvenir, des notes mal écrites faute de stabilité, faute de tranquillité, je ne suis pas seul vous savez, il y a du monde pour voir le travail (magistral) de Diane Arbus ; même dans le parc, ensuite, il y a du monde, ça se promène malgré le froid, il y a même quelqu’un déguisé en renard bleu, ça court aussi, tiens d’ailleurs c’est… mais le temps d’un regard appuyé il est déjà parti, on attendra mardi pour sourire de ce hasard.

Et puis tu reviens, je souris encore mais pas pour la même raison évidemment et puis ce sont les rues de Los Angeles qui finissent la journée, Jack Nicholson croise la route de Faye Dunaway dans ce Chinatown dont l’affiche hanta longtemps mes références néo-Art nouveau.

Samedi 28

Hi-ro-shi-ma. Elle prononce lentement le nom en découpant les syllabes, c’est un peu à l’image du rythme de ce samedi. J’ai déjà vu Hiroshima mon amour. Le lendemain, j’avais dit « C’est beau mais c’est chiant« . Été 1996. Peut-être. Je confonds peut-être, mais je ne crois pas, je confonds peut-être avec un autre film durassien mais lequel si c’est le cas ? J’ai l’impression que c’était l’été de mes 22 ans, l’été qui se termina par une session de rattrapage de licence un mercredi après-midi de septembre, un été à remplir un beau cahier à la couverture verte de formules de chimie organique ; je revois la glycine sous laquelle j’avais fait ce commentaire à ma sœur, mais peut-être étais-je assis sur le rebord du trottoir. Mais que faisait-elle là ? Peut-être n’était-ce pas le lendemain. Je n’avais alors jamais lu Duras. Parce que j’ai commencé à la lire en 1999, au printemps. Peut-être.

Vendredi 27

Il est tard, on me propose, j’accepte qu’on me dépose, propose autre chose en échange, un petit rien, un apéro mais ça se prolonge par un dîner, on improvise comme on peut et puis voilà, au moment de partir, quelques regards sur des photos, deux, je suis enfant, on reconnait mon front et je m’en étonne, je ne dis pas que c’est la main de ma grand-mère et on me dit que cette autre photo est belle, ma peau claire sur les teintes bleues de l’océan, l’air un peu hésitant des premiers pas.

Jeudi 26

Rita Gorr m’avait accompagné la veille et l’annonce de sa mort m’avait entraîné vers quelques vidéos en ligne. Mais en ce matin frais, voici son sosie dans le RER C, avec un sac à dos Ikea Family tandis que j’ouvre un autre livre. J’ai décidé, sans grand enthousiasme, de retrouver les histoires particulières de Yoko Ogawa plutôt que les écritures pointues des romans de chez Minuit m’accompagnant régulièrement en ce moment. Le livre se nomme Les tendres plaintes, finalement c’est un peu ça, je me plains tendrement…

Dona au début, ayant du mal à se poser, allait et venait sous la table, mais bientôt je ne sais pourquoi, paraissant aimer l’endroit à mes pieds, il s’est assis, a posé la tête sur mes cous-de-pied. Ses gros globes oculaires manifestement atteints et qui semblaient à moitié lui sortir de la tête étaient néanmoins d’une belle couleur, comme si l’on avait mélangé un peu de peinture bleu clair à du yoghourt.

Et puis le soir cet appel. Au milieu ce « Tu ne dis plus rien« . Que dire ?

Mercredi 25

Bon on met des tirets ou pas ?

Mardi 24

Le lien. Ai-je inconsciemment choisi ce livre de Laurent Mauvignier parce que tu pars ? Pas si loin. Pas si longtemps. Quelques jours à Berlin. J’aurais aimé venir, dû venir. Plus facile à dire qu’à faire…

La pluie est fine, mesquine ce soir. Une bruine, dirait-on. J’ai déjà oublié l’odeur qui m’a frappé dans le couloir de chez Fabienne, je n’avais probablement pas 10 ans, nous rendions une visite à l’hôpital : l’odeur était de nouveau là ce soir, tant d’année après. Dans le bus 96, deux japonaises derrière moi, je tends l’oreille ; je retrouve des sensations que je n’aime pas vraiment dans les bus en hiver, cette humidité. Mais les images troublées par la vitre embuée offrent des flous qu’on ne choisit pas.

Lundi 23

On se retrouve à Beaubourg. Tu es déjà là, appuyé sur la rambarde ; que lis-tu ? C’est le dernier jour pour l’expo Munch ; à une autre époque (pas si lointaine) je me serais rué sur cette exposition … On s’est donné rendez-vous à 20h30, sans réfléchir que… que ce serait trop tard. C’était trop tard. Une demi-heure de ceci, une demi-heure de cela ; « Vous pouvez quand même tenter… » a-t-il dit nonchalamment. C’était presque trop tard, peut-être pas finalement, mais on s’est regardés et l’on est reparti. Tu avais fait une quiche de toute façon.

On a trouvé de quoi rattraper le coup, de quoi donner à cette soirée un autre air, un air bien plus fou avec l’incroyable « Touche pas à la femme blanche » de Marco Ferreri. Folie, ô folie, quand un Reggiani presque nu, un Mastroianni aux cheveux longs, un Ugo Tognazzi en indien, un Michel Piccoli en Bufallo Bill ou une Catherine Deneuve en jeune ingénue pinçant les lèvres comme jamais se retrouvent dans le trou des Halles pour une reconstitution ultra-parodique et anachronique de la bataille de Little Big Horn…

Dimanche 22

Tu vois, j’ai choisi un modèle pour garçons sages ou quadragénaires centristes ; un modèle pour lequel je n’ai aucune cravate assortie, c’est un peu le problème. Tu dois te demander si c’était bien utile cette nouvelle chemise, mais tu t’amuseras plus tard d’un « Regarde-la bien, tu ne la verras jamais aussi bien repassée. » On s’échappe de Beaubourg, besoin d’air après la longue exposition « Danser sa vie« , parce que c’est vaste la danse, dans ce cas c’est long comme un siècle, que dis-je un siècle, même la Loïe Fuller est de la partie… De quoi faire un billet long comme un siécle, mais passons à la suite, au moment suivant, le verre de vin au comptoir, dans ce lieu exigu et chaleureux.

Et puis une invective en anglais, l’homme grand et roux s’emporte après la femme qui vocifère seule dans la rame ; son charabia m’avait pourtant amusé, faute de tout comprendre… Puis sur l’écran c’est encore un homme et une femme. La rivière sans retour les emporte, sous-titrés en anglais, après tout pourquoi pas, faute de mieux…

Samedi 21

Il n’y a pas de raison de penser que l’artiste conceptuel est là pour ennuyer le spectateur. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est elle, là, derrière le bar…

À côté de moi, Judith prend quelques notes, de ce qu’elle voit et entend je suppose, je n’ai pas l’audace ou le toupet de pencher la tête ; moi je n’écris que cette phrase, vite, car je n’ai pas envie de manquer trop de bribes de cette expérience, de cette liste de moments à la Prévert, happenings, poésie, tonic, mouvements, fumée, lumière noire, images, imaginaire, mots, description, solo, duo, légèreté, profondeur, mais je manque quelques bribes pour capter quelques images, c’est plus fort que moi bien sûr, le moment est photogénique bien sûr : la moquette et la fumée, les noirs et les blancs… Au milieu de tout cela, ce tout en construction, imparfait mais agréable, agréablement bancal, je retiendrai surtout deux moments. Les mouvements de Noé Soulier d’abord. Les souvenirs d’Oliver Beer ensuite. Oliver Beer a gardé le lino, celui de sa grand-mère, marqué par les traces d’une vie, les passages et les absences de passage. Frappé par l’évidence, j’emporte l’image avec moi, enroulée, comme si j’emportais ainsi un peu de mes propres souvenirs.

Vendredi 20

Puis l’homme a conclu : « On dirait tes parents. »

Éclat de rire page 44. Merci Dominique Noguez (et Fred).

Jeudi 19

La pièce est terminée. Un vrai plaisir. Divine, au théâtre de l’Athénée. Vous connaissez le théâtre de l’Athénée ? Moi non. Enfin maintenant si. Élégante façade néo-rocaille de 1896…

La pièce est terminée, on attend l’acteur-danseur au bar pour le féliciter, mais nous ne sommes pas les seuls. On entend le retour scène. Les voix qui jouent Les bonnes sont fortes, alors on attend en silence. Presque en silence : sous les pampilles les chuchotements sont quasiment imperceptibles, décidément je trouve tout beau en ce moment parce que je trouve ça beau, ces gens que je vois parler sans les entendre, ça me fait penser à L’année dernière à Marienbad.

Ensuite le monsieur joua de l’accordéon dans le métro, et c’était pas Marienbad…

Mercredi 18

Quelquefois votre seul regard me fait peur. Quelquefois jamais je ne t’ai encore vu.

Quelquefois jamais je ne t’ai encore vu. Quelquefois jamais je ne t’ai encore vu. Je relis la phrase, la lis encore, plusieurs fois, la répète, essaie de la retenir, mais dans le doute j’attrape mon téléphone, cherche la fonction bloc-note. Dans le métro, debout, c’est plus simple ainsi. Alors que la veille j’avais buté sur les mots, là je m’arrête sur ceux-ci, je les aime, j’aime cette phrase, passionnément, je ne sais pas pourquoi et nous sommes le matin.

Nous sommes vers midi quand on me signale un bug, ça ne va pas, ça ne marche pas. Alors je vérifie, j’ouvre les fichiers. Ca ne va pas, non ça ne va pas, sur l’écran soudain, la vue d’ensemble me frappe. Quelques corrections mais… Oh et puis…

Nous sommes le soir, un taxi nous ramène, le genre de taxi sur lequel on regrette d’être tombé, parce qu’on sent que ça va pas être fun, qu’il va y avoir comme une chape de plomb sur la carlingue, en résumé qu’il a une tête de… bref… Sa tête c’est rien : y a la radio. Des types (quatre ?) parlent (chacun au bout de son téléphone ?) de foot. Le volume est assez fort, enfin trop fort quoi, c’est même pas le foot le problème (quoi que…) il a dû le monter quand il nous a entendu parler de… mais de quoi parlait-on ? De notre journée probablement, du film assurément, l’un des deux vus ce soir ; sur le premier, on passe, joker, next, on le laisse à d’autres. Le deuxième, 63 regards, de Christophe Pellet, c’était beau, délicat, les mots glissaient, livre ouvert sur ces femmes qui parlent, parlent ou pensent, mais sont-ce leurs mots ou ceux des autres ? Les femmes marchent, évoquent Moritz, on sait donc un prénom et une ville (Berlin), dans laquelle elles glissent un peu, elles aussi, on les suit, je trouve que c’est beau évidemment, et parfois plus que ça, comme par exemple quand elle s’arrête, l’imperméable anthracite dans un coin de l’écran, sa blondeur, ailleurs le parc.

Et pourtant Moritz ça m’évoquera toujours le nom d’un prof de math de ma sœur.

Mardi 17

C’est évidemment un doux sentiment de bonheur qui débarque quand je vois le colis posé sur mon bureau, le colis enfin, le colis allé et venu entre ici ou là. Le paquet ouvert, la joie décuple – oh les verres rouges ! -, puis retombe ; sous le papier à bulles se dessine la déception des bris de verre. Mais il reste assez de rescapés pour que mon plaisir reprenne forme, et l’ouvrage qui accompagne le tout (Les trente-six photos que je croyais avoir prises à Séville, de Dominique Noguez) est à la fois une jolie coïncidence avec ma lecture du moment et un probable moment de plaisir. Évidemment je me rue sur le téléphone pour un grand merci, un peu comme je me ruerai sur les lasagnes le soir venu…

Me ruant moins sur le « je » que tu me conseilles le soir même, je finis par convenir que, oui, ce je, c’est bien aussi, voire aussi bien, voire mieux.

Lundi 16

Et puis une fois, vous êtes resté longtemps sans écrire. Un mois peut-être, je ne sais plus pour ce temps-là ce qu’il avait duré.

Yann André Steiner – Marguerite Duras

Entre ces autres passagers trop proches de moi, je regarde cette brillante lumière d’hiver entre deux immeubles assez tristes, elle efface l’amertume de la position debout qui empêche la lecture que j’avais espéré. J’ignore que le soir aura un goût de financier, d’abord un goût de soupe miso qui fera grimacer L, sourire en face, un peu moqueur.

Dimanche 15

Et voilà que déjà, les goûts de là-bas te manquent. Dans les rayons du supermarché asiatique, entre nos habitudes, on peine à retrouver les produits japonais ; il suffisait de monter, pourtant nous avions hésité. Au retour, la table du petit-déjeuner est intacte, les belles au bois dormants sont encore assoupies, pourtant l’heure est bien avancée.

Le déjeuner se clôt coloré. De tels brillants, c’est indécent, surtout sur une galette ; on dirait la couronne d’un roi, la couronne de la fille d’un roi, est-ce toi Marguerite ?

Et l’après-midi passe, photographique pour moi, un peu martelé pour toi, juste un peu, juste un meuble, puisque il n’est pas utile de frapper ces encornets dont le nettoyage m’a sorti du clavier. Alors regarde, c’est simple, tu mets ton doigt et hop…

Et le dîner arrive, déjà, enfin se revoir ici, comme avant. Ta parenthèse de là-bas est refermée, tu en racontes certains contours, mais il reste tant de points de suspension à combler qu’il faudra d’autres moments.

Samedi 14

Sorti du lit, des l, des i, Lili, Alice puis Wil’, (joli) clichés, Austerlitz, Auterlilitz ? Un livre, quel poids, pourquoi pour quoi faire, pour entendre derrière moi, dans la file, un « Franz » crié mais retenu. « Franz !« , elle l’appelle, je tourne la tête à gauche, tiens c’est lui, ne me dites pas qu’il… ah si.

Et puis l’on se rejoint, je te raconte vaguement leurs histoires d’imprimante, leur triste inconvénient de vivre sur deux étages, et puis l’on se dit que la brasserie… Alors au Montparnasse 1900 on s’installe, la verrière offre ses couleurs et les assiettes leur goût ; on s’étonne d’un rognon rosé et il serait triste de clore ainsi le soir. Sur les Champs elles nous entraînent et l’on s’en amuse, pourtant les lumières des fêtes sont déjà éteintes, parfois elles n’offrent plus à voir qu’une morte carcasse. Pour être éblouis, on entre donc ici ou là, devant les phares l’inconnu pose, puis sous les lumières violentes d’une enseigne parfumée le vieil homme exagère. Pas de grand roue alors ?

Vendredi 13

Après les bâillements dans la rame, je cherche une respiration. Alors je prends mon temps, de toute façon je suis en avance. Dans le Paris du matin, je marche un peu, de Châtelet aux Halles, les rues sont presque vides, comme elles l’étaient chaque matin d’autrefois. Autrefois ? Ce n’est pourtant pas si loin ; mais ça y ressemble.

Le soir, à la recherche d’un livre sur lequel j’hésite, je me penche finalement sur le rayon dvd de ces mêmes Halles et j’emporte avec moi Marylin et Faye.

Jeudi 12

Je ne m’attendais pas à rire, surpris, en rentrant de déjeuner. Je ne m’attendais pas à ces deux photos, reçues à 12h26. Sur une, une enseigne. Sur l’autre, des cartons sur un chariot, un grand sac bleu facilement reconnaissable tranchant avec le gris du bitume d’un parking. Une question accompagne l’une des deux images : « Ah quelle heure tu rentres ?« .

À une heure (malheureusement) (presque) habituelle je rentre. 160 ans après l’invention de l’ascenseur pneumatique, nous gravissons quatre étages d’escaliers avec ces cartons qu’on devinait immenses et lourds sur les photographies. Mais le plaisir de voir mes beaux livres rangés est au bout de l’effort.

Tandis qu’au bout de la journée, de la journée puis du dîner, du dîner en compagnie, on touche à la poésie, la poésie culinaire. Des fragments d’arc-en-ciel s’écrasent sous la langue : c’est ainsi qu’on rêve encore aujourd’hui, 160 ans après l’invention de l’ascenseur pneumatique.

Mercredi 11

Évidemment je me souviens de ce café mais j’avais oublié son nom… L’avais-je jamais su ? On s’y retrouve, je suis là un peu avant toi, me glisse derrière la table, lit vaguement quelques phrases, non finalement non, une photo ou deux, tu souris et commande : « la même chose…c’est quoi ? »

Sur un plan on cherche et sur l’écran on s’attache à cette Délicatesse ; oui, pour une fois, quelque chose comme ça, vous voyez, léger, simple, sans amertume ni aigreur, quelque chose loin de cet énergumène parlant fort, couvrant nos bruits de fourchette — parce qu’il fallait bien dîner après le film —, pourtant je n’y prête pas tant attention que ça, juste un peu : son avis sur les Japonais, et – ouf – c’est si beau les Pouilles… Il s’éclipse quand l’addition arrive mais n’a pas le temps de franchir la porte des toilettes qu’on apporte notre bref avis à son camarade de table : « péremptoire votre ami… non non mais… oui oui au moins… ».

Dans le métro, joli hasard, les sourires des filles et d’autres avis sur un autre film.

Mardi 10

« Tu y vas avec qui ? »

Et sur la réponse je dessine un sourire.

Lundi 9

La petit fille ressemble à Amy W, bonnet à pompons (notez le pluriel) en prime. « Mind the gap » lui dit sa mère, répétant le conseil anglophone de la voix synthétique. Je descends une station plus loin, 44 photos trop petites dans le sac, récupérées presque à l’instant, remonte la rue Custine ; tu es au bout. Du pâté parce qu’il fait faim, on traverse parce qu’il est l’heure et on salue (A, M, M…) avant de confirmer que Laurent Lacotte a toujours cette manière de jouer délicate, distinguée, portée par cette discrète diction et quelques mouvements de la main. Oui mais voilà, c’est pas tout ça, mais j’ai toujours pas vu les photos… on y va ?

Dimanche 8

Rien, plus ou moins, continuer à choisir, faire de ce dimanche un dimanche d’hiver où l’on hésite à sortir. La tête par la fenêtre pour s’étonner de ce feu allumé pour se débarrasser de quelques menus branchages et puis c’est tout ; ou rien.

Samedi 7

L’article dans le magazine et je me dis « Voilà, je ne peux plus reculer ». Le choix de photos qui continue et les tâches ménagères : un samedi en quelque sorte. 19h15 je pars t’attendre et te retrouver. Dans quelques rues au nord de la gare nous marchons, je connais peu ce quartier, un peu, vaguement, je me rappelle le petit resto japonais où tu avais insisté pour attendre ; nous y avions dîné. Quelle était l’occasion ? Ton anniversaire ou le sien ?

Celui qui nous accueille est méditerranéen, il y a même Henri Ch., mais aucun rapport entre les deux, du moins je crois. Mais tu es sûr que c’est lui ?

Nous marchons encore, jusqu’à l’Escurial, cette salle de cinéma où tu as bien plus de souvenirs que moi, et pour cause, comment en avoir sans y être venu ? Au menu, Le Havre, Kaurismaki, là encore une première. Ah bon ? Tu t’étonnes. Sur l’écran moins de surprise, cela ressemble à ce que j’attendais : des couleurs, un ton.

Vendredi 6

Tu as probablement emporté les romans. Cela m’étonne mais c’est que je suppose, à tort. Le magazine posé sur la table ne me faisait pas envie ; je l’avais feuilleté la veille, cela suffirait. Devant la bibliothèque, donc, hésitant.

Sur la banquette en imitation cuir, bleue et confortable, j’ouvre ce roman vaguement entamé quelques minutes plus tôt pour m’aider à choisir. Deux pages déjà et puis :

On crie un nom d’une sonorité insolite, troublante, faite d’une voyelle pleurée et prolongée d’un a de l’Orient et de son tremblement entre les parois vitreuses de consonnes méconnaissables, d’un t par exemple ou d’un l.

La voix qui crie est si claire et si haute que les gens s’arrêtent de parler et attendent comme une explication qui ne vient pas.

Peu après le cri, par cette porte que la femme regarde, celle des étages de l’hôtel, un jeune étranger vient d’entrer dans le hall. Un jeune étranger aux yeux bleus cheveux noirs.

Les yeux bleus cheveux noirs, Marguerite Duras

Le soir, nul cri, nul hôtel des Roches noires, et c’est sur un parquet que l’on danse.

Jeudi 5

La jeune femme dans ce bus 114 lit La délicatesse, je souris, pas uniquement parce que son sac a une couleur improbable, une espèce de saumon ou plutôt truite fumée, de celle qu’on achète en face, le dimanche matin, chez Leader P, avant de faire la queue. Je souris en voyant ce livre, tu sais pourquoi. À peine le temps de regarder les bottines fourrées couleur crème que la lectrice a chaussées le matin que je poursuis la lecture du Gailly, cette écriture un peu hachée, étouffée, peut-être un peu malade, comme le personnage qui nous emmène enfin sur la côte.

Mercredi 4

Le colis est reparti, moi aussi, du bureau de poste principal, penaud et peiné, à peine énervé ; mais comment vouliez-vous que je récupère ce colis dans les temps ? Et puis dans les rames pas un seul Japonais, c’est flagrant, je m’imagine, souriant, laissant échapper un « sumimasen », je souris certes mais autour de moi les visages sont plutôt graves, cette femme-là par exemple, alors je passe à la légèreté, j’ouvre un Gailly, Dernier amour, roman glissé plus tôt dans mon nouveau sac où il reste quelques traces, un ticket de caisse du 25 décembre, le plan de transports de Tokyo, ou le ticket du kiyomizu qui fera office donc de marque-pages.

Dernier amour le matin, premiers amis le soir : Fred et Johann, duo inédit et invité pour un joli petit dîner un peu raccourci, fleur et frangipane, démesure et mathématiques…

Mardi 3

Nous voici de retour. Après ça : http://www.arnaud-rodriguez.net/voyages/japon-hiver/

Et puis le sommeil gagne.

Lundi 19 décembre 2011

Un café chez J dont je fais la connaissance, rejoints par D qui part demain puis Y. Je croise ensuite rapidement Ph, que je ne connais pas non plus, mais j’ai aperçu un échantillon de ses superbes photos accrochées dans le couloir.

Arashiyama, suite. Y gravir un chemin, des marches, l’horizon n’est parfois que des lignées de troncs, pour arriver à l’étonnant mélange visuel entre un temple et une cascade, mais trouver presque normale la présence de seaux en plastique.

On déjeune ensuite de la version japonaise du plateau-repas… Joli lieu, service parfait, multiplicité des saveurs, mais on retiendra surtout le tofu chaud à plonger dans le bouillon : un délice.

Une pause chez le loueur de de scooter pour deux jauges à revoir (celle de l’huile et celle de mon casque) puis le bonheur singulier de trouver des olives au milieu de tous les produits exotiques, au propre comme au figuré, qui remplissent les rayons du supermarché. Un café et un muffin à la fraise comme si déjeuner n’avait pas suffi, une lignée de personnes solitaires plongées qui dans un téléphone, qui dans un livre, qui dans ses pensées… Des hauts-parleurs s’extraient quelques improbables musiques de circonstance, ici aussi c’est Noël, qui serait, d’après ce que l’on me racontera plus tard, plutôt l’équivalent de notre Saint Valentin.

Après le dîner nous rejoignons le petit groupe pour un verre chez Japonica. Les serveurs et les habitudes locales insistent pour noyer le shu dans de la glace ou de l’eau gazeuse et l’on s’incline, après tout donnez-moi de la coutume, je suis là pour ça.

Dimanche 18 décembre 2011

Au réveil, le vrai réveil après ceux qui se sont succédé durant la nuit, il reste le sourire de l’hôtesse et le lever du soleil, lumière orangée que j’aperçois là-bas, à travers l’un des rares hublot restés ouverts. Je repense aux couleurs du ciel dans ces rares moments, dans ce train pour Bari ou dans ce car pour Abu Simbel. La femme devant moi dort encore, elle voyage seule, enfin je veux dire que son mari n’est pas à côté d’elle.  “Tu ne vas pas me faire ça” avait-elle dit, mais si, il est resté sur ma rangée, n’a pas voulu changé de place, tandis qu’elle, elle préférait ; c’était mieux pour ses jambes.

Dans le magazine de la compagnie la poésie culinaire de René Redzepi et celle vue au CAPC de Wolfgang Laib, et puis voilà, sur le petit écran s’affiche la mer, celle que l’on survole. La piste d’atterrissage approche, légèrement blanche, sûrement un peu de givre.

Couloirs, contrôle, escaliers, tapis roulant, toujours une légère angoisse, surtout quand le temps passe sans que déboule le bagage, douane, je choisis une femme quinquagénaire plutôt que le genre jeune mec de la dernière fois, au moins elle ne me demande pas en insistant si j’ai du cannabis sur moi. Non, je transporte une autre drogue madame : du vin, du foie gras, du saucisson et du pâté basque.

Et puis ça y est, toi, un café, toi, un train, toi, un taxi, une femme dans une voiture verte couleur boîte d’aspirine, retour, habitudes, seules les températures ont changé – beaucoup – et le paysage – un peu, un peu plus rouge, un peu plus dégarni.

Assez vite on repart à l’aventure, cette fois-ci en scooter, pour découvrir bien d’autres choses, bien plus libres, librement, fraîchement, joyeusement. Direction Arashiyama. Un arrêt pour un remise de prix de base-ball, les familles rient, les enfants sont fiers mais ont du mal à tout tenir et la poignée de main est fébrile.

Un temple, les couleurs des feuilles évidemment, de près, une petite boutique avec un verre de thé chaud pour l’accueil et l’on se sent (presque) obligés d’acheter ces (jolies) cartes, la nuit tombe vite et les lumières sont là, joli moment imprévu, magique, par petites touches de lumières ou de manière plus imposante avec la forêt de bambous illuminée, nous ne sommes pas, la foule s’agglutine, rêveries d’un promeneur non solitaire.

C’est au bar Onze que l’on se réchauffe, puis restaurant que l’on rêve encore, juste devant nous les plats se préparent, les coloris et les goûts se succèdent, un sashimi de thon comme on n’en mangera jamais ailleurs, une huître lardée frite, un demi-kumquat aux œufs de saumon, du poisson grillé recouvert d’un mélange d’algue et d’anguille, etc. Autour de nous tout le monde mange exactement la même chose, quasiment en même temps, les sourires en disent longs, d’un côté comme de l’autre sur le plaisir partagé. Mais le sommeil gagne… rentrons.

Samedi 17 décembre 2011

Oublions la foule et le stationnement debout en lisant Susan Sontag, qui m’extrait quelques sourires dans son “Sur la photographie” :

L’utilisation d’un appareil photo apaise l’angoisse que ressentent ces bourreaux de travail quand ils sont en vacances et qu’ils sont censés s’amuser. Ils ont quelque chose à faire, une sorte de travail d’agrément : ils peuvent faire des photos.

Et continuer sa vie ici… http://www.arnaud-rodriguez.net/voyages/japon-hiver

Vendredi 16 décembre 2011

Pour une fois je ne pars pas en congés à des heures qui frisent le lendemain ou n’existent presque plus : je dois passer par la dernière étape avant décollage, à savoir le bureau de change avant 18h30 où un bug informatique aurait pu me donner 712000 yens au lieu de 72000, mais ne rêvons pas inutilement, et réalisons que ce n’est pas vraiment la dernière étape puisque il reste une valise à faire.

Jeudi 15 décembre 2011

Trois notes qui sortent des hauts-parleurs et machinalement je frappe dans mes mains en cadence tandis que Sheila entame les paroles… il faut évidemment que je fasse le guignol alors que j’accompagne C à la crèche, elle va récupérer le petit et moi je dois y faire quelques photos puisque c’est la magie de Noël. Avec deux bouchées chocolatées bien sûr…

Et puis le temps d’un RER me revoici chez “Vivre le Japon”. Il se souvient de moi, de ma venue au mauvais moment, au déménagement. Cette fois-ci tout est en ordre, tout fonctionne, et je repars avec le sourire du crémier et mon Railpass qui m’emportera de Kyoto à Tokyo (et inversement)… Sur le mur de jolies photos, je ne demande pas comment on fait pour exposer, j’attends un peu, mais en fait vous pouvez me dire pourquoi je n’ai pas demandé ?

Mercredi 14 décembre 2011

Mais qu’est-ce qu’un horizon dans un lieu conçu pour briser tout espoir ?

Voilà, déjà, je le relis, pour mieux le comprendre et mieux en retenir l’essence. Essence, écorce, forcément… Dans Le Monde, justement, j’essaye de comprendre ce qu’un archéologue en retire, mais heu… qu’est-ce-qu’il dit ?

Et puis c’est l’heure de l’apéro, on frappe à la fenêtre et on oublie les écorces avec un petit blanc bien frais et quelques rillettes…

Mardi 13 décembre 2011

À mon retour du Mali, j’avais cru comprendre que l’homme n’est rien ni personne. Et j’aurais pu aussi bien dire qu’il était tout.

Et la femme de ce roman, ne fut-elle personne ? Exista-t-elle ? Et l’homme, le narrateur, qui est-il ? Lui ou un autre ? Un peu lui, certes, malade du sida, ce sida qu’il l’a déjà emporté quand le livre parait, ce livre où la mort frappe dès la première ligne, mais pourtant livre de vie (l’ivre de vie, dirait Cixous), une vie (tumul)tueuse, etc. Le Paradis, titre posthume, est refermé. Comment ai-je pu penser un seul instant que ça ne ressemblait pas à du Guibert ?

Lundi 12 décembre 2011

On aurait pu se réjouir et parler pour une fois ici de manchons de canard. Mais voilà qu’ils avaient la peau dur et la chair ferme. On allégea donc le dîner par quelques conversations souriantes et Chopin, toujours Chopin, il faut bien cela avant de se pencher sur les phrases qui accompagneront les images, une petite musique, en attendant celle des mots.

Dimanche 11 décembre 2011

C’est à Rome, c’est ça ?

Oui c’est à Rome, c’est même le titre de l’exposition que vous êtes en train de visiter… Oui, je suis de retour devant les photos de W. Klein à la MEP, je m’en imprègne, je les ausculte, je les décrypte un peu plus, m’arrêtant sur les textes qui les accompagnent. Un autre regard aussi sur la photographie albanaise, sur ces visages hors du commun, sur ces gris et cette vieille femme devant sa porte, un parapluie en guise de canne. Sur la carte achetée, je découvre, je vois enfin autour de son cou un boa en fourrure, noir sur les vêtements sombres, et je me demande encore quelles pensées se cachent derrière ce visage perdu.

Le hasard d’un restaurant au nom ensoleillé de Salento plus tard, nous voici au Bal, Le Bal, autre lieu de photographies, l’exposition en cours se nomme “Topographies de la guerre”, et que voilà de beaux travaux encore ici, surtout ceux de Jananne Al-Ani, Walid Raad ou Till Roeskens. Ce dernier, en quatre films de quelques minutes chacun, expose la notion de territoire au camp d’Aïda à Bethléem. Fort.

Les courants d’air d’un café de la place Clichy plus tard, nous voici à l’église. J’ai entraîné JLM chez Bizet, l’orchestre remplit le lieu de culte d’une foule, chanteurs et spectateurs, repartant en chantonnant que le toréador doit prendre garde.

Quelques cacahuètes enrobées de chocolat plus tard, nous ne sommes toujours pas seuls, mais c’est un écran qui nous fait face pour le film Shame. La nouvelle coqueluche du cinéma plus ou moins d’auteur se dévoile (et à vapeur), mais on aurait préféré voir moins, ressentir plus, et ne pas subir la version la plus chiante de New York, New York jamais entendue ou les cris sous la pluie.


Samedi 10 décembre 2011

Il faisait beau, nous étions là, on rendait hommage à Jorge Semprun, Bernard Pivot lisait quelques passages et le hasard me ramenait donc, après Écorces, sur les terrains douloureux des camps de concentration. Je relirai le livre un peu plus tard, très bientôt sûrement, mais d’abord en offrir un exemplaire à JLM et finir Le Paradis de Guibert. En attendant on m’a présenté comme étant celui qui… et l’on a visité le lieu où…

Je découvrais alors Blois, charmante, escarpée, vivante, c’était Noël, ça achetait et patinait… Les bords de Loire me rappelait un sandwich au rôti de veau orloff et la chambre d’hôtel désuète de Beaugency ; ces souvenirs plutôt agréables (comme quoi…) ne remplissaient cependant pas les rêves dans le wagon du retour.

Vendredi 9 décembre 2011

N° 11 du boulevard, c’était bien ça, le repère c’est la station service, mais je n’avais pas le code. Une fois entré et présenté je pose par terre les 2 formats 40×60 et les 4 plus petits, je regarde le résultat, satisfait, très satisfait. Ceux qui m’accueillent ont aimé ce qu’ils on vu l’autre jour, K me demande si cette fois aussi j’écrirai un texte et sur la table basse il y a de quoi faire saliver les yeux. Je fais donc la très jolie connaissance de Sh, ses paroles et des anecdotes teintées d’ailleurs sont douces ; sur la photo le petit garçon, assis en tailleur évidemment, a l’air bien concentré sur son nouveau cahier. S puis L arrivent, on se presse un peu et malheureusement mon dîner se finit avant le leur puisque un train m’attend… et JLM aussi, dans ce hall d’Austerlitz où les inconnus ont les traits autant tirés que leur valise ; il est bien tard quand enfin on part.

Jeudi 8 décembre 2011

Cette journée aurait pu être constellée d’échecs, voire être elle-même un échec total, car sur la liste des choses à faire, en raison d’inadvertance et circonstances, j’ai bien failli de rien rayer. Mais le hasard d’un salon de coiffure encore ouvert, le courage d’un aller-retour supplémentaire at home, ou la perfection d’une librairie possédant l’objet du désir sauvèrent cette jour(tt)née.

Alors me voici accoudé au bar, la femme au fond mange du raisin et j’ouvre le petit sac. Colette K m’a dit qu’elle l’avait lu deux fois de suite. Je commence :

J’ai posé trois petits bouts d’écorce sur une feuille de papier. J’ai regardé.

En vingt-quatre heures, dans mon cas, le livre aura été lu, absorbé. Dans Écorces, Georges Didi-Huberman — auteur dont je regardais justement régulièrement les tranches sur l’étagère —, mêle et entremêle deux analyses, sur le camp d’Auschwitz-Birkenau et sur les photographies du lieu. Dès le début de la lecture, l’adjectif “extraordinaire” s’impose, mais au fur et à mesure s’en interposent d’autres : précis, émouvant, intelligent, bref… indispensable.

Mercredi 7 décembre 2011

Évidemment dans le métro du retour il y a de quoi écrire ici, cette femme trop maquillée endormie sur les sièges bleus, et cet(te) androgyne, moue et regard droit sous les cheveux longs. Je repense à ce qu’elle m’a dit, mon éclat de rire face à cet air détaché en m’annonçant l’incroyable, puis mon impassibilité face à la deuxième nouvelle, encore plus incroyable, je repense à cette journée, à la liste écrite en orange qui m’attend à la maison, cette liste de ce qu’il faut faire demain, je suis sûr qu’au milieu j’oublierai quelque chose, que la liste ne suffira pas et pourtant j’ai éliminé un élément, j’ai biffé sur mon avenir proche ce dossier d’inscription à envoyer, c’est tellement vain, je ne pourrai pas préparer l’impossible en une semaine, surtout avec les jours qui viennent, rappelons-nous la fable, rien ne sert de courir, alors un jour je partirai à point, sur un plateau d’argent je leur donnerai ce qu’ils veulent, tous les recoins de ma vie estudiantine, professionnelle, bénévole voire personnelle… Bref, en attendant les compétences et les acquis, pensons d’abord aux vacances et aux confettis : contrepet approximatif.

Mardi 6 décembre 2011

À l’aller je me plonge dans un nouvel ouvrage, un Guibert, tiens le revoici, Le Paradis, un Guibert surprenant qui ressemble à un livre écrit par quelqu’un d’autre en fait… mais je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai cette impression…

Jayne éventrée, l’andouille, l’ex-championne de natation, sur la barrière de corail au large des Salines, je me retrouvai seul au bout du monde, avec une voiture de location que je ne savais pas conduire, les mains vides mais les poches bourrées de liasses de billets de cent dollars, un grand chapeau de paille sur la tête, dans ce pays de sauvages dont j’ignorais la langue, ayant longtemps attendu sur cette plage qu’un rouleau me rapporte le corps de Jayne pour constater que sa ch…

Mais stop, cette première phrase fait une page, passons à la suite, aux fugaces révisions avant d’arriver à Nogent et ce “soko de tomette kudasai” qui me revient.

Au retour… dialogue improbable, une virgule d’accent asiatique pour la fille, une difficulté à articuler pour le garçon…
– Elle : J’ai pas très bien compris c’est qui l’autre là.
– Lui : Qui ?
– L’autre
– Quel autre ?
– Ben l’aaauuutre làààà.
– Machin * ?
– Non l’autre.
– Bidule ?
– Oui, j’sais pas, c’est qui ?
– J’sais pas…
(Bon en fait après la fille a dit qu’il avait bu trop de bière, lui il a commencé à s’effondrer sur elle en l’embrassant dans le cou tandis qu’elle tapotait sur son nifône et puis voilà, ensuite j’ai cuisiné du lapin pourtant il était tard, dîner à vingt-trois heures c’est de la folie mais c’était excellent d’ailleurs en même temps j’ai commencé à faire ma compil 2011 ben oui.)

* Les prénoms ont été changés.

Lundi 5 décembre 2011

Ah au fait je vous ai pas proposé un chouinegomme“. J’avais acheté Le Monde, pour me tenir un peu au courant de l’aura de Mme Clinton et pour découvrir qu’on étouffe à Pékin, et évidemment le vendeur, vous savez le vendeur, enfin non vous ne savez peut-être pas, mais il est un peu bizarre. Très gentil. Mais bizarre. Du genre qu’il m’aurait fait louper mon rer avec son histoire de chouinegomme… bref, vers 22 h, ça sent encore le foie de volailles dans le salon, mais le lit m’accueille déjà. D’une tâche à l’autre, les pieds sous la couette mais les mains sur le clavier, le film reste dans sa boîte et je m’endors sous les airs de Bach. JS, pas CPE, écorché hier d’ailleurs le pauvre mais bref…

Dimanche 4 décembre 2011

Oh elles sont belles tes chaussures !” La petite fille sourit ; un sourire satisfait. “Elle attendait ça“, me dit le propriétaire de la boutique d’à-côté où mon choix avait failli se porter sur des chaussures plus colorées que celles que je suis en train d’essayer, tandis que le père de la petite (probablement le frère de l’autre, il y a un air) est descendu chercher une autre pointure d’une autre couleur : le 42 ça n’allait pas. Elles seront donc chocolat, c’est de saison — vous n’avez pas acheté des truffes ? — finalement c’est aussi bien que la version noir profond qui me faisait de l’œil en vitrine depuis des mois.
Et celles-ci ?” Ma pointure avait été achetée par un japonais, alors on se met à en parler du Japon, du style des Japonais, les tissus, les coupes…

Il m’avait proposé de les garder aux pieds, malgré la pluie. C’est donc avec un certain plaisir que me voilà donc assis à une table du bar-restaurant du Lucernaire, parce que les chaussures neuves, vous voyez… À ma droite deux femmes remontent le temps et les anecdotes, elles en sont en 1981 et j’attends CK qui sera en retard. Et puis cette femme entre, lunettes ovales, coiffure datée, manteau cintré, on est soudain quelque part à la fin des années 50, peut-être un peu après, même son visage est d’autrefois. Elle aussi vient écouter Marie-Christine Barrault nous plonger dans l’Europe des lumières, quand Frederic II et Voltaire usaient de bons mots, entre deux airs, flûte et violoncelle. Plus tard elle fera la grimace : le vin, c’était pas ça.

Samedi 3 décembre 2011

Le déjeuner eut lieu, finalement il eut lieu, peut-être au même endroit que prévu la semaine dernière, qu’avait-il prévu, quel nom m’avait-il alors dit au téléphone, je n’en sais rien, qu’importe, le déjeuner avec MRG et OT eut lieu, entre deux bouchées distinguées on tenta de résumer la situation et les années passées, nous n’avions pas changé (toujours ce même parfum léger) si ce n’est de fonction.

Plus tard, autre table, tellement plus bruyante, on se retrouva à nouveau, mais des visages étaient passés (à la Galerie, rue Berthe) et d’autres étaient encore là, ça tombaient plutôt bien : points communs, etc.

Un arrêt à Concorde, pour changer de ligne c’était bien agréable, un peu d’air frais, la grande roue qui me faisait de l’œil et cette femme hurlant à Palais Royal face aux visages à peine interloqués de touristes en terrasse. Et puis le soir passa, salade et caetera, jusqu’à Wenders, Wim, déjà la nuit, déjà le lendemain. Sur l’écran, l’Ami américain, ce fut ton film culte, c’était une lacune pour moi, comblé(e) : on m’avait caché que le cinéma allemand produisait en 1976 de tels albums photos où contempler les grues sur Beaugrenelle ou ce couloir orangé… Le petit garçon blond regarde à travers la vitre de la Volkswagen bleue, sa mère monte, démarre… l’image m’emporte.


Vendredi 2 décembre 2011

Dans quinze jours tout devra être acheté, fini, prêt, même certaines échéances administratives pour pouvoir voter ici. En attendant les urnes du 22 avril, on en avait sorti quelques-urnes pour le Téléthon (qui croyait tondre, évidemment), et moi pour l’occasion j’avais repris mon 24-120 ; le pauvre il est bien délaissé depuis l’arrivée du petit frère. Il était 13h passées, j’étais en retard, c’est ça les demi-journées de repos, on prend son temps et puis voilà, on change d’objectif et on se demande si on ne devrait pas considérer cela au figuré, mais c’est juste pour la formule parce que le reste n’a rien à voir.

Pour ne pas regretter d’être rentré tard, amusé tout de même par le sérieux d’une gamine pailletée de 5 ans, un passage par Beaubourg avec achat compulsif à la librairie (Sur la photographie” de Susan Sontag), peut-être le seul livre que j’emporterai à l’autre bout du monde : il va falloir partir léger.

Métro, strapontin, profil droit d’un asiatique, coréen probablement à voir les caractères de son livre à jaquette bleu ciel, profil superbe, garçon très grand, très brun, très mate, imper clair, on dirait presque un sud-Américain, j’essaye d’être discret, à défaut d’un photo, un dessin, j’ai envie de me rappeler ce visage tandis que quatre jeunes femmes entrent dans la rame. Point commun : petit sac à main. Pointe commune : celle d’un accent. R qui roule amasse Erasmus ?