Hikari / Regards croisés sur le Japon

Photographies de Ferrante Ferranti et Arnaud Rodriguez

Exposition du 21 novembre 2015 au 10 janvier 2016

Musée d’Aquitaine – Bordeaux

Dans le cadre du festival FACTS.

L’exposition Hikari, « lumière » en japonais, propose un regard croisé sur le Japon par deux photographes.

Ferrante Ferranti, explore depuis près de 30 ans les lieux de la spiritualité dans le monde.
Il s’est rendu plusieurs fois au Japon pour y photographier les formes du sacré et en particulier le temple d’Isé, mais aussi Tokyo, décor urbain dans lequel évoluent des personnages portant délicatement les empreintes d’un temps arrêté.
Lors des séjours dans différents lieux sacrés, l’écriture est apparue comme élément structurant de l’architecture et du culte, soulignée par les variations de la lumière.

Arnaud Rodriguez pratique la photographie quotidiennement depuis 12 ans.
Résidant à Kyoto depuis 2014, il continue d’y explorer l’anodin du quotidien, et s’intéresse également aux espaces semblant abandonnés, adoucis par la lumière et, la nuit venue, aux rues et parcs éclairés de peu.
Mais au fil des saisons, lors de fêtes populaires nocturnes ou de moments plus intimes, ses images portent toujours un regard attentionné sur l’autre et rappellent les photographies rapportées de ses premiers séjours.

Tirages : Central Dupon - Bordeaux

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INTERVIEW

La première impression en voyant l’exposition Hikari le soir du vernissage, c’est que votre travail invite le spectateur à un mouvement continu, qu’il impose un va-et-vient, le proche et le lointain, la déambulation et l’arrêt sur image. On remarque l’accrochage avant de regarder les images. Quelle volonté et quel projet manifeste cette proposition spatiale et visuelle de la photographie ? 

Ce qui s’est très vite imposé, c’est d’interroger le quotidien : ce qui m’entoure et la pratique quotidienne de la photographie qui l’accompagne. Comment montrer des images du Japon où je vis, où je réalise chaque jour des photos, qui ne sont pas parfaites, mais qui pointent un détail et forment un tout. Mon travail photographique est une accumulation d’images sans directions préconçues – à part deux ou trois sujets qui m’intéressent et qui justement, n’apparaissent pas ici. Et au milieu de ces photographies, il y a parfois des images fortes, auxquelles je m’attache et qui dégagent une impression spéciale. Elles méritent d’être regardées autrement, elles peuvent être regardées seules, sans faire partie de ce tout.

Dès le début de ce projet, j’ai donc eu en tête l’idée d’exposer un nombre important d’images et de plusieurs formats pour aller dans le sens de ces deux types d’images. Une sélection de 15 photos alignées et de même format, comme envisagé au départ, ne me convenait pas : il aurait éloigné l’idée de multiplicité et l’envie de composer avec des images plus ou moins fortes.

Au départ, la disposition était plus rigide et les images regroupées par deux, trois, ou quatre. J’étais « obsédé » par l’idée de rapprocher certains formats et de les regrouper en les alignant (comme dans le journal Contrepoints exposé en 2014). L’ensemble, formé par ces petits groupes d’images juxtaposées avec les plus grands formats, dessinait une sorte de nuage plus resserré. C’est en montrant ces premières recherches à quelques personnes que la composition définitive s’est imposée ; j’ai conservé quelques alignements mais donné au tout une direction plus dynamique… Ça ne vivait pas assez ! C’est une métaphore un peu évidente peut-être, mais il fallait que l’exposition ait la complexité de la vie de tous les jours.

J’ai donc conservé l’idée d’avoir plusieurs formats, et j’ai trouvé une composition plus fluide en ajoutant des respirations, du mouvement et de tout petits formats. Ces derniers ont permis de lisser visuellement la composition, d’offrir un meilleur équilibre, et d’aller plus loin dans cette multiplicité des niveaux de lecture. Dans Contrepoints, je disais que je laissais le spectateur faire un bout du voyage ; j’ai gardé cette idée à l’esprit. Le spectateur peut regarder chaque image ou entrer, de façon non linéaire ou pas, dans une lecture globale.

J’ai aussi souhaité, sur les murs qui forment un angle, donner un sentiment de continuité dans l’espace, une linéarité qui dépasse le cadre du mur. Je voulais comme tendre un fil supplémentaire entre des espaces visuels apparemment distincts. Le spectateur peut voir les murs séparément ou chercher des liens entre les différentes surfaces d’exposition.

Le résultat c’est en effet que le spectateur est obligé de s’approcher et de s’éloigner. L’accrochage induit un déplacement dans la profondeur en plus du parcourt habituel le long du mur d’exposition. J’adore moi-même regarder de très près les photographies dans les expositions, m’éloigner et m’approcher.

Le choix des tirages mats allait de pair avec la proximité nécessaire pour bien voir certaines images. Je voulais de la matière, comme quand on s’approche d’une peinture. Je voulais induire un rapport à la surface de l’objet, donner une présence au tirage, que l’on remarque l’objet et pas uniquement l’image. Roland Barthes dit : « Une photo est toujours invisible : ce n’est pas elle qu’on voit ». Je voulais au contraire que les photos affirment leur présence, se détachent du mur, qu’on observe le pigment et la granulation du papier…

Aucune des images n’échappe au regard du spectateur malgré une attention différente en fonction du format et de la tension qui lie entre elles les photographies. Comment s’est opéré le choix des images ? Peut-il se faire individuellement ? Comment se fait l’équilibre entre le choix de l’image et la composition ?

Les grands formats se sont imposés dès le début. Le plus gros du travail de sélection a été sur les autres formats. Il y a eu un va-et-vient constant entre la sélection des images et la composition. Disons que pour plus de la moitié des photos, je n’ai pas hésité une seconde, mais il fallait cependant leur trouver leur place dans l’ensemble.

J’ai régulièrement cherché dans mes archives pour modifier la sélection. Au départ, j’ai cherché une unité visuelle des regroupements. J’ai éliminé, pour les formats moyens, des images trop évidentes, qui donnaient trop à voir, qui écrasaient les autres… Et puis j’ai regretté de ne pas les mettre. Je les ai alors regardées autrement, je les ai replacées – pour certaines – dans ce contexte du quotidien et elles ont trouvé leur place. Le fait de fluidifier l’ensemble a offert une place à ces photographies.

Pour les tout petits formats, je crois que la sélection finale n’en conserve que deux des premières recherches. Je les ai vraiment choisis lorsque les murs d’images étaient à peu près faits, et qu’ils permettaient cet équilibre visuel global.

Lorsqu’on a parcouru tout l’espace d’exposition, on prend conscience d’un niveau de lecture plus ample qui relie vos images à la présentation proposée par Ferrante Ferranti avec qui vous partagez cette exposition. Comment se sont construits les échanges, les liens, comment s’est établi le dialogue entre vous ?

Ferrante m’a envoyé une première sélection très rapidement. Je connaissais bien son travail, très différent du mien, et cette sélection ouvrait encore une autre direction. Cela m’a complètement libéré et je n’ai pas cherché les correspondances entre mes images et les siennes. De temps en temps je lui envoyais quelques réflexions, une sélection d’images… et un jour il m’a envoyé une sélection de mes photos. Cela m’a aidé à trancher sur quelques hésitations… Lui-même dit avoir fait sa sélection finale en ayant mes images en tête.

C’est moi qui ai accroché en premier, car j’avais besoin de temps pour finaliser le placement. J’ai positionné certaines photos en pensant à ses images – que j’avais sous les yeux. D’où des grands formats près de ses murs, dans la première salle. D’où le triptyque à droite dans la deuxième salle, pour faire un lien avec les siens.

Ce projet d’exposition part à l’origine d’une thématique commune à vos photographies : le travail autour de la lumière. Dans votre cas, est-ce que ce thème initie le travail de prise de vue ? Celui de la sélection des images ? Celui de la construction de l’espace ?

Est-ce vraiment un thème commun entre Ferrante et moi ? En tout cas je pense que nous n’avons pas la même approche. La lumière forte du soleil, les jeux d’ombres, c’est très présent chez Ferrante, il sait attendre et magnifier cela. Et puis il ne fait aucune photo de nuit, alors que les photos de nuit et les éclairages artificiels sont très courants dans mes images. Même en intérieur, je me satisfais d’une pénombre qui va créer un flou. Avec la lumière, je suis beaucoup dans le « faire avec ».

Ce thème imposé – car celui du festival FACTS -, et qui a donné le titre à l’exposition, correspondait à une direction que j’avais prise en m’installant au Japon : la nuit. Les photos de mon quartier peu éclairé le soir, la pénombre dans le parc impérial, allaient à l’opposé de moments vivants lors de fêtes nocturnes. Ce fut le point de départ de ce projet d’exposition. Mais très vite, cette direction m’a gênée car je voulais aussi questionner le quotidien, et comme dit précédemment, c’est cette idée du quotidien et de la multiplicité qui s’est imposée. J’ai conservé les photos de nuit ou les ambiances sombres, qui restent très présentes mais sans m’y restreindre… j’ai aussi considéré que l’absence de lumière (c’est à dire l’absence de contraste, de couleurs vives, d’ombres…) c’est aussi une part de mon quotidien photographique. Il n’était donc pas question d’éliminer des images plus ternes au sens propre. D’ailleurs un tel accrochage n’aurait pas fonctionné avec uniquement des photos de nuit. Il fallait conserver un équilibre.

Pendant les 5 mois entre le projet d’exposition et la sélection finale, j’ai pensé à ce thème mais je n’ai pas changé mon rythme de travail, j’ai juste fait peut-être plus attention, et j’ai réalisé plus d’images que je n’en aurais fait sans ce projet. En septembre, à certains moments où la lumière était particulièrement forte ou basse, j’ai repensé à ce thème, je me suis dit : « c’est l’occasion ! ». C’est ainsi que des photographies ont trouvé leur place au dernier moment, dans les tout petits formats.