Mercredi 22 janvier 2014

Le corps est encore nu. Cette fois c’est Boris Charmatz qui danse. Il reprend les mêmes gestes, durant 50 minutes je crois, que le danseur précédent. Je sais que ce sont les mêmes gestes, enfin je le devine, c’est évident, mais puisque j’ai dormi par intermittence lors du premier passage je ne peux pas l’affirmer. Et puis ce n’est pas tout à fait pareil. Est-ce mon esprit éveillé qui ne capte pas les gestes de la même façon ? Est-ce la différence de corps qui fait que ? À la sortie, ce garçon que tu me présentes à nouveau – je n’étais moi même plus très sûr que c’était lui –  a eu le même sentiment que moi. Mais il a dormi plus profondément, dit-il.

Mardi 21 janvier 2014

Le film du soir : Les Gouffres. Oui, non, enfin peut-être. C’est peut-être dommage que ça s’enfonce ainsi.

Lundi 20 janvier 2014

Et Plossu il dit quoi ? Je plonge dans l’abstraction invisible, livre d’entretien joli publié  aux éditions Textuel. Ses premiers mots sont sur sa chambre d’enfants. De la mienne on voyait des hangars, un parking, un mur. C’était quoi déjà ? Un vendeur de pneus ? Derrière les éclairages du stade. Les rares soirs de match, des clameurs.

Dimanche 19 janvier 2014

Évidemment, il est 14h50. Appeler Fred. Non je n’y serai pas à 15. À 15h30, on fait terrasse, on regarde passer les gens comme Denis P. mais celui que je ne regardais pas se retrouve sur la photo. La nuit tombée, on fait boutiques, ce jean jaune est parfait, puis café puis Bûcheron tandis que les autres s’agrègent. Le serveur est italien, des Pouilles, mais je ne vais pas lui en parler, s’il est ici c’est peut-être parce qu’il ne veut plus en entendre parler, des Pouilles.

Vendredi 17 janvier 2014

Il est tôt, l’enfant dans la poussette mange un morceau de pain d’épices. Je lis Barthes, il parle de sa mère, justement : “... alors que, contemplant une photo où elle me serre, enfant, contre elle, je puis réveiller en moi la douceur froissée du crêpe de Chine et le parfum de la poudre de riz.“. À ces/ses souvenirs se joignent les miens, liés au pain d’épice. C’est à l”école maternelle. C’est le goût particulier que je n’ai jamais vraiment apprécié. C’est le goûter ; elles nous servaient un yaourt nature avec. Je ne sais pas si c’est un souvenir ou un rêve très ancien, comme certains rêves qui m’accompagnent depuis toujours, mais dont l’invraisemblance est nette. Il parait qu’avant 6 ans on n’a pas de souvenirs, je ne sais pas si c’est vrai, je ne cherche même pas à savoir. Mais j’aimerais pouvoir me rappeler les passages où Barthes parle de sa mère.

L’après-midi, avec F et C, Anders Petersen nous frappe de ses noirs et blancs. C’est pourtant, peut-être, la moins “petersenienne” des photos qui me retient. Hambourg, 1965, 5 garçons devant un mur.

Le soir on signe. Tu me passes le stylo ?

Jeudi 16 janvier 2014

Sur les photos que d’autres ont prises, il y a mon visage, mon sourire, l’émotion d’un bouquet de fleurs, les autres, tous ceux qui sont venus, ceux venus de loin, même les présences des autres. Vous avez dit ravi ?

Mardi 14 janvier 2014

Je m’assieds deux sièges derrière elle. Elle a l’air étrange, sourit béatement. Elle n’est pas seule, ils sont quatre, deux ici, deux au fond. Ils commencent (continuent ?) à se moquer, et elle réplique en leur demandant pourquoi ils s’en prennent à une femme seule, qu’ils ne devraient pas, qu’elle est la fille de la Vierge, dit-elle en brandissant un livre d’Hubert Reeves. Tout le monde descend à la station suivante, elle, eux, moi. Moi soulagé : qu’est-ce que j’aurais fait sinon ?

(Et puis au sixième étage, une pile de Baudrillard et des escalopes panées)

Lundi 13 janvier 2014

Accrocher. Verbe transitif. Suspendre, retenir à l’aide d’un objet pointu.
Ex.
– J’ai accroché mes photos au mur.
– Et alors c’est bien ?
– Ah ouais, j’
accroche totalement.


Samedi 11 janvier 2014

C’est samedi, c’est galeries. Un tour dans le Marais ici ou là, sans trop de hasard pour voir ceux qu’on connait, ceux qu’on aime, ceux qu’on nous conseille d’aller voir : le minimalisme de Chai Siris, les jeux de mots d’Angela Detanico et Rafael Lain, l’épopée cinématographique de Luidgi Beltrame, la poésie d’Ulla Van Brandenburg… Comme à chaque fois c’est un enrichissement, un pas de plus, le plaisir de croiser les amis, les chuchotements qui demandent si ça va, la déception d’arriver trop tard car c’est déjà fermé.

Vendredi 10 janvier 2014

Mon frère et moi avions eu le droit d’une demande, pourvu qu’elle soit économiquement réalisable. Dans le budget alloué, il s’agissait d’un petit miroir rectangulaire entouré d’une bordure ronde de plastique, au dos cartonné. Dans la voiture il n’avait pas été question de s’approprier l’achat, le mien comme celui de mon frère dans une poche papier personnelle et séparée – aucune idée si c’est pour lui aussi un souvenir.

François Bon, Autobiographie des objets

Jeudi 9 janvier 2014

S’il y a une musique à garder de mon enfance, en dehors de celles des dimanches matins ou de l’autoradio, c’est celle du générique d’Il était une fois l’homme. La première fois que j’ai entendu la véritable version, des années plus tard, ma fascination d’alors, les yeux grands ouverts devant ces personnages défiant les siècles, m’est revenue en plein visage. Elle s’est dévoilée, a trouvé son explication dans autre chose que le sentiment d’infiniment petit que prenait ma place face à l’Histoire. Sur le chemin du retour, alors qu’il est un peu tard en raison des discours sur les pastels et les visages en papier, j’écoute le célèbre air de Bach, comme souvent assez fort. Il faut bien ça pour passer à autre chose, tandis qu’à la maison c’est encore autre chose, la délicatesse de M qui parle de son fils, un projet pourquoi pas.

Mercredi 8 janvier 2014

J’ai entamé le livre sur la photographie vernaculaire ; j’en relis l’introduction avec le besoin de retenir la définition de cet adjectif. Mais elle parle fort. Elle est en colère. Pourtant elle lui dit que non, qu’elle n’est pas en colère, que la colère c’est quand on est surpris, là elle n’est pas surprise parce qu’il est égal à lui-même. “Tu changeras jamais faut que je m’habitue“. Elle termine en disant qu’elle est à Vincennes, qu’est-ce que ça peut lui faire où elle est ? Salut.

Dans YSL les relations entre Bergé et Saint Laurent sont parfois du même acabit : tendues, mais ils ne changeront jamais, il faut qu’ils s’habituent.

Mardi 7 janvier 2014

Bin s’appelle Richard. Il est chinois. Il parle un anglais parfait. Pas d’accent. It almost sounds weird to me parce que les Asiatiques que je connais ont tous un fort accent en anglais. Il se fait appeler Richard parce que c’est plus simple que Bin… Vous voudriez vous faire appeler Poubelle ? Il est drôle, frais, intelligent, un jour il sera riche. Il préfère manger avec des baguettes, même la tarte, et me poussera peut-être à relire le texte de Susan Sontag duquel j’avais extrait ceci :

Nous trouvons les chinois naïfs de ne pas percevoir la beauté d’une porte craquelée, dont la peinture s’écaille, le pittoresque du désordre, la force de l’angle inhabituel et du détail significatif, la poésie du dos tourné.

Je l’avais notée sur un post-it, sans noter la date, en guise de pense-bête pour que je relise le texte en question. Je l’avais notée à cause des “dos tourné”. Je l’avais notée car je voulais comprendre ce que j’avais survolé. Le métro est souterrain mais combien de chose j’y survole !

Lundi 6 janvier 2014

La pluie. Et même s’il ne pleut pas l’eau est sous les barques. Le film Lola, de Brillante Mendoza, est un film humide mais les larmes des femmes sont sèches malgré le drame. Humide et beau.

Dimanche 5 janvier 2014

Travelling. Neige, balançoire, jeux pour enfants colorés, machine sur laquelle s’affiche le taux de microsieverts. Pour aller au delà du léger studium* du film sur Fukushima de Natacha Nisic, je m’accroche au calme voulu de la scène. Puis un autre film sur le même sujet : j’avais donc oublié que la région avait déjà subi un tremblement de terre quelques années plus tôt que 2011. L’avais-je su ? Et puisque chez Blumenfeld je ne tire (non plus) aucune émotion – sauf dans ces couleurs qui ont dû inspirer Guy Bourdin -, je m’accroche à la littérature et pioche dans la bel étalage du Jeu de Paume cet ouvrage sur les planches contacts et cet autre sur la photographie vernaculaire qui aura de toute façon l’avantage de me faire enfin retenir la définition de cet adjectif.

* Désolé, je n’arrive plus à me débarthiser.

Samedi 4 janvier 2014

Il y a presque toujours ce besoin de chercher dans le(s) cinéma(s) quelque chose de différent, une altérité, une niche, un regard, une particularité, un grain, une pépite, une bizarrerie, un underground, un souterrain, une remarque. Le verbe qui vient alors à l’esprit, c’est “dégoter”. C’est ainsi qu’en un soir, sortis d’un coffret qu’on a qualifié de “queer” dans tous les sens du terme, on regarde le relativement dérangeant* “Swoon” puis le premier Todd Haynes, “Poison“, hautement plus fascinant et déroutant, montage de trois objets fascinants et déroutants. Et ensuite ? Ensuite on regarde Mad Men. Trois épisodes s’il le faut.

* L’inconvénient d’être concis c’est qu’on finit par utiliser un adjectif qui ne convient pas.

Vendredi 3 janvier 2014

Aussitôt que la photographie donnera l’impression d’avoir été débarrassée de liens dépassés avec l’art et la joliesse, rien ne l’empêchera sans doute de faire une place au goût pour la photographie pictorialiste, l’abstraction, les sujets nobles, plutôt que pour les mégots, les stations-service et les dos tournés.

Susan Sontag, Sur la photographie (1977)

Pourquoi donc me sens-je obligé de préciser que cette phrase date de 1977 ? Me voilà en tout cas, depuis la lecture de cette phrase, qui m’interroge sur la notion de noblesse de la photographie, sans jamais avoir pensé que la mienne le fût – noble. C’est peut-être un peu comme le film Arcadia vu ce jour, quelque chose de simple, avec au milieu l’émotion d’un plan séquence au bord d’une route d’Amérique.

Jeudi 2 janvier 2014

C’est une impression de lumière rose. Car la lumière est forte et les couleurs sont vives sur les trois stands de forains qui, comme chaque année, illuminent la place. Ce soir il y a un adolescent en tee-shirt blanc malgré le froid. De sa carabine, il fait éclater les ballons qui voltigent ; au-dessus de lui une vache en peluche, au fond une vidéo de Céline Dion en concert, ça sent les gaufres. Comme chaque année je n’ose pas vraiment faire de photo, les deux vieilles dames de la pèche au canards me regardent. Comme chaque année je sais que de toute façon c’est impossible, il y a cet arrêt de bus dans le champ. Comme chaque année je regarde la simplicité de ces scènes de vie avec une certaine joie. Peut-être un peu de mélancolie tout de même, car à cette heure-ci il n’y a jamais grand monde et le bonheur des deux dames qui regardent tourner les canards dans l’eau froid doit être assez fragile.

Le film du soir c’est autre chose, pas de lumière rose mais le noir et blanc de Mouchette de Bresson. Il n’y a pas d’arrêt de bus dans le champ, il y a des vieilles dames, il y a des cadrages magnifiques, des mains surtout, des cadrages sur des mains qui donnent, qui touchent brièvement. Il y a surtout cette scène étonnante, marquante vers la fin de ce film magnifique, cette femme qui dit qu’il faut vénérer les morts, que ça devrait être ça la religion… qu’elle aime les morts.

Mercredi 1er janvier 2014

C’est une sorte de folie, le 2ème effet coup de cœur, rien à voir avec la nouvelle année, pas de bonne résolution, juste une envie, (re)voir différemment My Fair Lady. Cette fois c’est Audrey Hepburn qui could have danced all night.

Mardi 31 décembre 2013

J’aurais pu terminer cette année 2013 par une phrase de Susan Sontag que je n’ai strictement pas comprise. Mais il y avait mieux, tellement mieux.

2013 aura été une année belle de voyages et de projets, de rencontres et de surprises, de la Charité-sur-Loire à Tokyo en passant par Berlin, Istanbul, Venise, Trouville et évidemment ces quatre mois au Celsa. 2013 s’est terminée par cette merveilleuse nouvelle, LA date pour ta prochaine sortie, fêtée par une coupe de champagne et un croque-monsieur au Zimmer en attendant le 26 février. 2013 s’est terminée par le plaisir de revoir Manue, devant un théâtre où l’on ne pensait pas aller quelques heures plus tôt. 2013 s’est donc terminée par deux places haut perchées, nos regards dominant avec une joie sans égale les spectateurs, la fosse d’orchestre et la scène du théâtre du Châtelet pour un moment de magie pétillante. My Fair Lady could have danced all night and still have begged for more ? So could we.

Lundi 30 décembre2013

Écrire sur la photographie, c’est écrire sur le monde. Et ces essais sont en fait une méditation prolongée sur la nature de notre modernité.

Susan Sontag, préface à l’édition française de “Sur la photographie”

Mais oui, ce sont des poires au roquefort.

Arnaud R, préface au hors d’oeuvre du dîner

Dimanche 29 décembre 2013

Elle s’appelle Aurélie C. Elle est étudiante, travaille parfois comme agent de surveillance dans un musée parisien. Son nom de famille est rare, le seul à Paris ne répond pas au téléphone. Parmi tous les papiers éparpillés autour de son sac déchiqueté, un seul indice géographique plus précis, picard. Les Pages jaunes m’aiguille cette fois sur la bonne personne, au téléphone elle me dit que oui, c’est elle, c’est à elle le sac. “Il y a mes cours ?” me demande-t-elle fébrile. Oui, il y a ses fiches jaunes sur lesquelles j’ai à peine jeté un oeil ; c’est tout de même gênant d’entrer par effraction et sans le vouloir dans la vie de quelqu’un, comme ça, quelqu’un qui, depuis la veille probablement, revivait la scène de ce vol en se disant que si… Le soir elle me rappelle, pour me remercier, comme convenu elle a récupéré au commissariat. Là-bas aussi ils m’ont remercié. “On prend vos coordonnées ?” J’ai répondu que non, je lui avais donné, nom et téléphone, au cas où.

Au milieu de ce dimanche rendu utile par la B.A. sus-citée, du nettoyage de terrasse et de la plomberie sans plombier ni solution pérenne, un Greg Araki, The Living End, sorte de Thelma et Louise version gay. Mais je ne suis pas sûr de me souvenir très bien de Thelma et Louise.

Samedi 28 décembre 2013

Tel père tel fils n’est malheureusement à mes yeux qu’un gentil film contemporain japonais de plus, qui joue des caricatures, des oppositions (intello / manuel, pauvre / riche, etc.) et qui posent une question de plus sur la famille. La famille, si l’on en croit ce que l’on nous montre ici du cinéma japonais c’est LE sujet. Il n’y a guère que Wakamatsu qui nous a épargné les histoires de frères qui ne se connaissent pas, de belle-mère ceci, d’enfant prodige, de grands-mères cela, de parents disparus, de familles déchirées par la tsunami, j’en passe, j’ai tellement cette impression que je suis sûr que j’en déforme la réalité, que ce n’est pas si courant, que ce n’est pas si important, qu’ils ne veulent pas tous copier leurs maîtres en espérant faire un “Voyage à Tokyo” bis.

Vendredi 27 décembre 2013

Alors on parle de l’avenir. Autour de la longue tablée du soir aussi car il y en a qui vont bientôt partir – ici définitivement ou là avec juste une valise.

Jeudi 26 décembre 2013

Toi aussi, finalement, tu vois, tu te moques un peu, gentiment, de celui qui a fait les paquets. Mal et lentement. Dans l’un des miens, une source d’éclats de rire venant du Japon. Quoi ? Vous ne connaissez pas le franponais ?

Mercredi 25 décembre 2013

Il faut savoir (et pouvoir) s’échapper, et rendre aux jours de fêtes leur visage de surprise, leur air de rareté. Revenir à Trouville quatre ans et demi après notre première et unique visite était une idée divine – c’est de circonstance d’être divin un jour de Noël.  Sans compter sur les petits bonheurs s’ajoutant au plaisir d’être là, comme ces pages proustiennes lues au bord d’une piscine. Le système de chauffage est un peu en panne, alors l’eau est un peu “juste juste”… “Vous voulez des peignoirs ?”.

C’est après le déjeuner qu’on va jusqu’aux Roches Noires. Il y a bien sûr l’idée de la présence de Marguerite Duras, elle ne peut pas être absente des conversations. Cette remarque sur les volets pas repeints depuis longtemps – c’est donc sûrement chez elle -, cette femme en doudoune orange sur la terrasse – ça pourrait tellement être elle -, cette autre femme blottie dans un manteau vert qui rince ses bottes dans une flaque – tiens, regarde, elle monte le petit chemin qui longe les Roches. On s’amuse encore de cette possibilité fantomatique, on se souvient encore de cette femme en col roulé.

De retour au bercail, on retrouve un noir et blanc bressonien, Au hasard Balthazar. La vie d’un âne, ça peut donc faire un film vénéré.