Jeudi 17 avril 2025

Un dragon cracheur de nuages : c’est l’image qui vient à l’esprit en apercevant les premiers contours de l’archipel à travers le hublot. Un dragon géant, vivant, palpitant, sur l’échine très verte et très écaillée duquel on va venir se poser. Ces contours si longuement rêvés en m’aplatissant sur des atlas deviennent enfin réels.
::: Emmanuel Ruben ; L’Usage du Japon

Mon bureau est un peu comme le décrit Perec dans Penser/Classer. Pire, probablement : un foutoir. Dans mes rêves les plus fous, ainsi y pensais-je hier dans l’avion en relisant un passage de ce livre, je m’amuse à plagier l’écrivain pour un Je me souviens ou pour faire témoignage du bazar qui encombre ce coin de mon appartement, un L d’environ 1m20 par 1m50.

Perec, c’est le souvenir précis – j’avais alors 25 ans sans doute – de mon étonnement en entamant Un Homme qui dort, et en y découvrant un tutoiement. Je suis sans doute, depuis, en quête de ce même type de surprise lorsque j’ouvre un livre. Je l’étais sans doute alors déjà, sans vraiment l’avoir su ou verbalisé. Mais là n’est pas le sujet.

Sur mon bureau, me font face depuis des mois, appuyées contre le pied de mon écran d’ordinateur, en alternance, des documents ayant appartenu à mon grand-père Antonio : enveloppe avec des feuilles de paye, carte de visite – j’en possède deux, adresses à Châtillon-sous-Bagneux ou Rochefort -, ou une photo. Les photos aussi, il y en a deux. Sur l’une il est avec deux amis ou collègues, photo rongée par le temps, faisant presque disparaître l’un des visages. Sur l’autre, il est au camp d’internement de Montendre avec 16 autres hommes et un enfant. Ce soir, au hasard d’un rangement très bref, c’est une enveloppe, une autre, qui me fait face, posée contre les sus-cités objets de papier. Elle a été écrite le 11 avril 1941 par mon grand-oncle Maurice à ma grand-mère Raymonde. Il était alors dans le camp désigné VIII C : prisonnier de guerre numéro 15994.

Cette lettre, que j’ai récupérée au milieu de nombreuses autres, je crois qu’elle est là pour ne pas oublier. Que tout est possible. Même ça : être un numéro dans un camp, ailleurs.

Mardi 15 avril 2025

Décollage. Fin. Cinq petits jours à Kyoto, folie inordinaire et salvatrice ; j’ai laissé au rebut l’idée que plus jamais je ne prendrais l’avion, vois-tu, j’ai mis dans la balance la folie des hommes, la fatalité, la raison et la déraison.

Sur le petit écran du vol AY0068 qui me ramène en France via Helsinki, je regarde le Magicien d’Oz : c’était comme un moment au-delà de l’arc-en-ciel, ces jours. A côté de moi un couple silencieux, pas un mot entre eux il me semble. De tout le vol, pas un mot ?

Depuis jeudi, j’ai rempli des pages, j’ai amassé des images qu’ici je ne montre pas. J’ai regardé qui j’étais, qui je pouvais être, comment j’aimerais être demain. J’ai aussi compris que ce pays pouvait être autre chose, avec ma propre place, parce que toujours il y a la présence de celui qui m’a amené ici, permis de vivre ici. Hier, à la VK, j’étais encore celui qui a été, l’ex de l’ex. En descendant ensuite le petit chemin avec Charlotte et June, en parlant de moi, j’allais sans doute vers autre chose. Il fallait sûrement ce moment un peu gênant au milieu du béton et des visages. Alors mardi prochain, pendant les 30 minutes de consultation avec Mme M, assis sur le canapé de velours vert, j’aurais sans doute une réponse à la question de la dernière fois.

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::: Victor Fleming ; Le Magicien d’Oz, 1939

Jeudi 10 avril 2025

7 ans plus tard, et surtout 8 ans depuis le grand départ, celui des larmes, je reviens à Kyoto. Dans un carnet j’écris, j’écris, j’écris. Impossible de tout noter, le moindre détail, le moindre sourire, le moindre prénom, mais je me dis que cela pourrait donner naissance à quelque chose, ce retour au pays d’autrefois et d’ailleurs. Aurais-je l’audace d’un livre ?

Lundi 31 mars 2025

Je sais et je ne sais pas qui nous sommes, ce que nous sommes. Je sais et je ne sais pas dire. Vite je me tais devant l’indéfinissable. Indéfiniment ? Je ne sais pas si nous sommes en équilibre, si nous sommes un équilibre, si nous trouvons ce qu’il nous faut, toi avec moi, moi avec toi. Ou souvent sans l’autre dans des silences et des questions flétries par les heures que tu donnes pour répondre. Parfois les questions meurent, abandonnées.

Tu restes une question, plusieurs questions et les semaines qui se trainent derrière nous ne sont pas une réponse. Quoi que. Sur cette terrasse qui n’a plus de soleil – bientôt il fera frais – tu dis le troptrop souvent -, l’obligé, et moi je me connais. Je raconte un peu jeudi soir, vendredi soir, samedi matin et mon insupportable dimanche, presque nous avons eu le même. Nous omettons sans doute quelques détails qui n’en sont pas.

La neige qui n’a pas cessé de tomber depuis trois jours, bloque les routes. Je n’ai pu me rendre à R… où j’ai coutume depuis quinze ans de célébrer le culte deux fois par mois. Ce matin trente fidèles seulement se sont rassemblés dans la chapelle de La Brévine.
::: André Gide ; La Symphonie pastorale

Samedi 29 mars 2025

Ils sont quatre, attablés, ils parlent de bêtise et d’intelligence et on les écoute : Flaubert, Musil, Zweig, etc. Écouter, moi j’essaye, je note pour rester concentré, une lutte habituelle. Et puis bien sûr cela se termine, je salue, je pars, j’achète – c’est inattendu – des tasses couleur bleu cobalt, j’aime cette couleur, c’est presque la nuit, bleu sommeil.

Vendredi 28 mars 2025

Alors, je lis les 3 lignes que j’ai écrites, et tous, ils rient.

::: Patrice Chéreau ; Ceux qui m’aiment prendront le train, 1998

Je suis un malade mental. Il m’est difficile de dire depuis combien de temps, vingt ans, peut-être trente, certainement huit, depuis qu’un diagnostic a été posé.
::: Nicolas Demorand ; Intérieur nuit

Jeudi 27 mars 2025

Il est tard, 22h33, à peine rentré chez moi. Le travail m’a emmené du côté de l’IA, d’une conférence menée tambour battant, d’un buffet aux rares convives. Ce sera quoi, demain, la santé avec l’IA ?

Et ce sera quoi, demain, mon travail ? C’est une question, j’ai 50 ans, je veux faire quoi quand je s’rai grand ? C’est ainsi que de 14h à 15h30, j’ai parlé de moi. On verra. Demain est une incertitude. Aujourd’hui tout autant. Décider est parfois une impossibilité, une montagne à franchir.

Bref, il est 22h33 et je me dis que je regarderais volontiers un film. J’allume lacinetek et le bonheur m’envahit. Le sommeil, bientôt, aussi.

::: Kenji Mizoguchi ; La rue de la honte, 1956

 

Mardi 25 mars 2025

Alors, au bout de quelques minutes, je me réconcilie avec mes pensées vagabondes.

Dimanche 16 mars 2025

Alors, les doutes d’hier font naître dans mon esprit d’autres images, un autre récit. Au matin j’écris à Frédéric : « Je pense que je vais en monter un autre avec quelque chose de moins intime. Avec d’autres photos. Pouvant être projeté sans voix par exemple. »

Il est alors tard quand ce sont d’autres images qui s’imposent sur l’écran : Soudain l’été dernier. J’aimerais te dire ce que ce film est pour moi. Demain peut-être, si tu me réponds. Avec une poignée d’autres, il a ouvert mon chemin vers le cinéma, j’avais peut-être dix-huit ans, peut-être vingt, peut-être plus, et dans le salon, chez mes parents, la nuit tombée et tout le monde endormi, je découvrais Une Femme sous influence, Un Tramway nommé désir ou encore, donc, Soudain l’été dernier. Depuis, je ne l’avais jamais revu. Il était un phare, une référence ni très nette ni très floue. Je ne sais plus exactement ce qui m’a marqué dans ce film, si ce n’est ce « quelque chose », qu’ont les grands films et qu’alors j’ignorais. J’avais peur de le revoir. Depuis des jours, j’hésitais. J’avais peur de voir quelque chose s’effondrer. Quelque chose de ma jeunesse peut-être. Ou bien la faire ressurgir ? Confusion.

Ce soir, en le regardant, je suis resté ébahi devant les quasi vingt minutes où le Dr Cukrowicz se rend chez Violetta. Happé. Happé par des fractions de secondes qui s’étirent et me font oublier le sommeil.

Samedi 15 mars 2025

Sur la timeline, des ronds noirs trouent les images, se glissent sur les corps, masquent les visages : une autre manière pour moi de montrer sans montrer. Parfois des des prénoms, des mots. J’essaie. Je cherche. J’aime creuser ainsi. J’y passe des heures, je pourrais y passer des jours. C’est une construction, une méditation, autour le monde s’efface. J’ajoute des fractions de secondes, d’autres encore et cela devient un objet. Gêné, pourtant, par ce que cela devient.

Jeudi 13 mars 2025

Tu ne savais pas quand commencerait la vie. Petit, tu étais un élève brillant. Tu rapportais de bonnes notes à la maison et l’on te disait que ce serait utile pour plus tard. La vie commencerait donc plus tard.
::: Eric Chacour ; Ce que je sais de toi

Mardi 11 mars 2025

Alors tu es quelque part sur l’écran, quelque part dans ce petit garçon, sans comparaison cependant. Je ne sais pas ton enfance, pas cette partie de ton enfance. Elle n’était pas là entre nous, je ne sais pas où elle était en toi. Je sais juste quelques images de toi. Peut-être voulais-tu l’oublier comme on veut tous oublier ces recoins de nous ; ce sont des étendues parfois.

::: John Wax ; En tongs au pied de l’Himalaya ; 2024

Jeudi 6 mars 2025

Elle dit que pour écrire son nom elle a préféré le R au L. C’est plus joli. Lisa s’appelle donc Risa, et le R est roulé.

Mardi 4 mars 2025

La terrasse du P’tit Pierre devient une habitude. On s’y retrouve pour regarder les gens, une faune qui deale, traverse devant le tram, va et vient, cache des paquets derrière le banc. Parfois tu ris aux éclats.