D’un objet à la mode, on dit qu’il fait fureur. Mais n’y a-t-il pas quelques chose de furieux, de vraiment furieux dans la mode ? Pas seulement de furieux, d’ailleurs mais aussi de bruyant, de très bruyant, de tonitruant. Ca n’a aucun respecte pour le silence, la mode : ça casse les oreilles.
Georges Perec ; Penser/classer
Montpellier. Déjeuner, place Canourgue, je lis Perec, c’est page 49. Le livre, de poche, me suit facilement, il loge dans le sac acheté à Kyoto. Je porte cette superbe chemisette colorée made in Portugal, achetée chez Edgar, par-dessus un débardeur jaune, vintage, acheté probablement en 2021 chez Killiwatch. Si j’étais totalement perequien, je noterais quelque part mes achats ? Je porte aussi mon bermuda bleu cobalt que j’aime tant, des chaussures jaunes. Mode bruyante. Perec me regarde mais à la page suivante il écrit :
Il devrait s’agir de plaisir : plaisir du corps, plaisir du jeu, plaisir de s’habiller, de s’habiller pareil ou de s’habiller autrement, plaisir parfois de se déguiser, plaisir de découvrir, d’imaginer, plaisir de retrouver quelque chose, plaisir de changer.
J’attends mes crevettes chumichurri, j’ai visité le musée Fabre, dédale un peu épuisant – jusqu’à l’oasis du dernier étage -, où j’ai retrouvé les émotions de l’automne 2022 : Soulages bien sûr, mais aussi le portrait de jeune homme peint à la fin du 15e siècle, le portrait présumé de Marguerite Carrière, peint par Eugène Carrière, la rousseur éclatante de Bruyas ou l’érotisme troublant du corps d’Abel, mort, tué par Cain et peint par Fabre en 1790. Ou bien, au bout d’un couloir, un Manet : Œillets et clématite dans un case de cristal, peint en 1882 et acheté en carte postale en 1992, par moi-même, pour agrémenter ma chambre d’étudiant. Mon œil commençait à s’ouvrir alors, je dessinais un peu, parfois j’y pense encore.
C’est Marie qui m’a conseillé la place Canourge.
Par moments je pense à toi.
Et puis je vais au salon du livre, Marie dédicace, j’erre un peu, j’aperçois Angot qui attend le lecteur, je m’approche d’un espace où une rencontre vient de commencer avec Hajar Azell et Karim Kattan. Je ne les connais ni l’une ni l’autre. C’est son visage à lui qui m’attire, puis sa voix, puis ce qu’ils disent, la femme est belle aussi, ils sont assez solaires tous les deux, d’ailleurs il fait si beau, et je reste, m’assieds, écoute. 55 minutes plus tard, je me dis que ça vaut peut-être le coup d’aller voir Angot puisque je voulais lui acheter son livre alors j’y vais, je lui dis que ça tombe bien puisque je voulais lui acheter son livre dont un ami m’a dit du bien et elle sourit aussi quand je lui dis que j’ai déjà lu plusieurs de ses livres, j’évoque la Bourse du commerce, je regarde la tristesse qu’elle dégage. Et puis je paye le livre dédicacé de sa main, il y a aussi celui de Karim Kattan à côté de la caisse, j’hésite, j’en aperçois trois phrases, je l’achète aussi, et le voilà, l’auteur, alors je fais la queue en lisant trois autres paragraphes et je suis presque ému aux larmes — il suffit peut-être qu’un livre commence par « Comment t’aimer… » pour que je sois ému ? — Et quand le voilà devant moi, avant qu’il me demande mon prénom, je lui dis ça, que je viens de lire vite fait quelques phrases et que j’ai trouvé cela splendide. Je ne lui dis pas qu’il est beau.
Et les heures passent, amitié. Enfin la plage, du vent. Du vent mais le plaisir de voir la mer, trop rare.