Dimanche 16 mars 2025

Alors, les doutes d’hier font naître dans mon esprit d’autres images, un autre récit. Au matin j’écris à Frédéric : « Je pense que je vais en monter un autre avec quelque chose de moins intime. Avec d’autres photos. Pouvant être projeté sans voix par exemple. »

Il est alors tard quand ce sont d’autres images qui s’imposent sur l’écran : Soudain l’été dernier. J’aimerais te dire ce que ce film est pour moi. Demain peut-être, si tu me réponds. Avec une poignée d’autres, il a ouvert mon chemin vers le cinéma, j’avais peut-être dix-huit ans, peut-être vingt, peut-être plus, et dans le salon, chez mes parents, la nuit tombée et tout le monde endormi, je découvrais Une Femme sous influence, Un Tramway nommé désir ou encore, donc, Soudain l’été dernier. Depuis, je ne l’avais jamais revu. Il était un phare, une référence ni très nette ni très floue. Je ne sais plus exactement ce qui m’a marqué dans ce film, si ce n’est ce « quelque chose », qu’ont les grands films et qu’alors j’ignorais. J’avais peur de le revoir. Depuis des jours, j’hésitais. J’avais peur de voir quelque chose s’effondrer. Quelque chose de ma jeunesse peut-être. Ou bien la faire ressurgir ? Confusion.

Ce soir, en le regardant, je suis resté ébahi devant les quasi vingt minutes où le Dr Cukrowicz se rend chez Violetta. Happé. Happé par des fractions de secondes qui s’étirent et me font oublier le sommeil.

Samedi 15 mars 2025

Sur la timeline, des ronds noirs trouent les images, se glissent sur les corps, masquent les visages : une autre manière pour moi de montrer sans montrer. Parfois des des prénoms, des mots. J’essaie. Je cherche. J’aime creuser ainsi. J’y passe des heures, je pourrais y passer des jours. C’est une construction, une méditation, autour le monde s’efface. J’ajoute des fractions de secondes, d’autres encore et cela devient un objet. Gêné, pourtant, par ce que cela devient.

Mardi 11 mars 2025

Alors tu es quelque part sur l’écran, quelque part dans ce petit garçon, sans comparaison cependant. Je ne sais pas ton enfance, pas cette partie de ton enfance. Elle n’était pas là entre nous, je ne sais pas où elle était en toi. Je sais juste quelques images de toi. Peut-être voulais-tu l’oublier comme on veut tous oublier ces recoins de nous ; ce sont des étendues parfois.

::: John Wax ; En tongs au pied de l’Himalaya ; 2024

Jeudi 6 mars 2025

Elle dit que pour écrire son nom elle a préféré le R au L. C’est plus joli. Lisa s’appelle donc Risa, et le R est roulé.

Mardi 4 mars 2025

La terrasse du P’tit Pierre devient une habitude. On s’y retrouve pour regarder les gens, une faune qui deale, traverse devant le tram, va et vient, cache des paquets derrière le banc. Parfois tu ris aux éclats.

Vendredi 21 février 2025

C’est alors inédit, ces heures presque silence qui nous emmènent au-delà des carrosses redevenus citrouilles.

Jeudi 20 février 2025

Can love be measured by the hours in a day, demande soudain la chanson, les paroles sautant à mon esprit divaguant. Le tramway m’emmène chez toi. C’est inattendu, nous avions dit demain. Je crois comprendre, une fois la porte franchie, l’alcool servie, tes premiers mots, qu’il te fallait ma présence. Mais comment la perçois-tu ? Comment suis-je ce soir devant toi, sinon peut-être trop effacé devant celui que tu es ce soir, celui que tu es parfois et c’est toujours la nuit ? Le perçois-tu, mon recul, assis sur ce tabouret ? Qui sommes-nous ? Où ? Que mesurent les heures passées ensemble ?

Mercredi 19 février 2025

Alors j’expulse notre histoire en mots, 6min23, le temps d’une chanson qui commence par un A, comme nous. Nouvelle idée, nouvelle expérience peut-être, sur scène peut-être, folie.

Lundi 17 février 2025

Je suis seul. C’est l’heure du déjeuner, je suis allé tôt au restaurant universitaire. Je suis installé sur les tables hautes, près des baies, derrière moi les étudiants passent. Un œil dans mes emails personnels. Depuis plusieurs jours, j’attends la réponse, je vois l’intitulé du message, fébrile je clique, lecture diagonale, je vois « Delighted ». La joie m’envahit. Presque les larmes. J’appelle maman. Le Japon, maman, le Japon !

Et puis, travail, collègues. Je leur dis mes réveils, mes journées, l’épuisement, ça ronge parfois. Aujourd’hui par exemple. Ils sont là, ils m’écoutent, ce n’est pas toujours très cohérent, ce n’est pas toujours très facile d’écouter son corps de se rappeler. Ils sont à la fois mes collègues et ceux qui cherchent à m’aider, depuis un an bientôt, un an ! Mais depuis combien d’années je vis ainsi, les yeux presque paresseux, les paupières qui se ferment au cinéma, les matins embourbés sous les draps, les nuits suantes. Je raconte parfois que lycéen, je me recouchais avant d’aller au lycée, en courant bien sûr ; souvent j’étais en retard, on ne me disait rien, privilège.

Vendredi 14 février 2025

Le 14 février n’est pas une fête. Aujourd’hui, c’est encore autre chose. C’est une expérience, une folie qui fera dire aux amis : « Quoi ? Toi ? » Et me voilà, à 14h qui pousse la porte du studio 102.

Quelques heures plus tard, perdant maladroit à un jeu télévisé, je pars boire un verre avec Jocelyne, la femme qui m’a battue, et sa meilleure amie. Et nous rirons, rirons jusqu’à la nuit, jusqu’à 2 heures du matin et alors je m’éloigne du bar où nous avons dansé, dansé, grisé.

Lundi 10 février 2025

Entre Cork et Kinsale, il y a le bourg de Belgooly, en amont d’un bras de mer glacé. Des hameaux poitrinaires s’y disputent la boue, la terre et les racines, les poignées d’herbes sales. L’un d’entre eux, situé en retrait de la route de Carrigaline, à l’est, est le hameau de Sugàan. C’est là que Finbarr Peary vint au monde, gras et splendide, d’une mère à demi morte et d’un père faible et brutal.
::: Maylis de Kérangal ; Ni fleurs ni couronnes

Dimanche 9 février 2025

Je regarde les lignes entassées de mon CV, je les complète, et ce sont 3 pages qui n’ont pas l’audace de l’exhaustivité mais qui ont envie de dire autre chose que ce que fais, pour regarder au loin. Je regarde les silences aussi, encore, ma question sans réponse.

Samedi 8 février 2025

Il est tard sans l’être, c’est l’heure des apéritifs à peine entamés entre amis, l’heure où les amoureux n’ont pas encore choisi l’entrée à partager ni le reste, l’heure où certains regrettent déjà ce rendez-vous avec une inconnue, c’est samedi, on aurait pu regarder encore un peu les heures, trainer un peu l’un avec l’autre, s’agripper à un film. Mais non. Sans doute alors tu nous défusionnes, tu me donnes du temps pour moi, tu me pousses vers moi-même, quand bien même être quelques heures de plus ensemble, c’est je crois être encore avec soi-même. Plus tôt on avait partagé notre goût des couleurs.

Vendredi 7 février 2025

Emmanuel — un autre Emmanuel que celui qu’on a souvent connu ici — est rare. Il arrive, tard, souriant de ses élucubrations. J’avais oublié qu’il m’avait emprunté deux livres — il est si rare, quand était-ce ? Il y a 13 mois ? —, il m’avait écrit cela dans la semaine, qu’il devait me les rapporter, il me les tend, nous en parlons un peu, il reste dans mon frigo une boisson pétillante sans alcool, ça lui va. Le mien, mon livre, il ne sait plus où il l’a mis, il dit qu’il est écorné car marqué des phrases et des passages qu’il a aimés, il est quelque part au milieu de tous les autres. Il voulait que j’y ajoute une phrase de ma main. Tant pis. Une autre fois. Bientôt.

Je ne lui parle pas du livre d’Eva Baltazar, que pourtant depuis que je l’ai entamé, j’annote. Des petits marques pages autocollants viennent sauver des phrases magistrales de l’oubli, verts, bleus, orange.

Jeudi 6 février 2025

Alors je m’envoie un email, en guide de pense-bête. Je le nomme « Jeudi » et dans le corps du texte j’écris : « Monologue de la femme allemande ». En face de moi il y a une femme au visage dur, cheveux sombres probablement teints, la cinquantaine probablement dépassée, visage tellement dur que je me demande si elle a déjà aimé, été aimée, si elle a déjà fait l’amour, et pendant ce temps la jeune femme continue de parler – un vocal – dans son téléphone. J’enrage ne pas comprendre.

Mardi 4 février 2025

Tous les jours, avant de sortir du lit, mon premier geste était d’ouvrir la grande fenêtre et d’avaler le souffle du matin. Je m’enveloppais dans ma couette et restais allongée quelques minutes. Barcelone, au point du jour, a quelque chose de sacrilège. Elle se jette sur la masse de lumière encore pâle qui naît des profondeurs marines et s’en empare avec son forceps lucratif. C’est le temps des réveille-matin et des stimulants, des ruées, des claquements de portes et des tracas. Un énorme engrenage crache et se met en marche, le langage en huile les rouages, un langage sans émotion et grossier qui pervertit le sens originel du langage. Je me dégourdissais en prenant conscience de cette profanation. Puis j’allais à la douche et me lavais le corps, mettais des vêtements propres, mangeais des aliments transformés. Quand je sortais dans la rue, avant de m’enterrer dans le métro, je regardais un instant côté montagne et j’en imaginais de plus hautes, plus vides, plus grandes. Je devenais l’animal captif qui lève le museau et demeure pensif parce qu’il a reniflé les doigts d’un enfant et qu’il a ravalé sa faim.
::: Eva Baltasar ; Mammouth

Alors il me demande si je veux être son témoin. Ainsi, par cette demande, je suis témoin de ce que nous sommes. Oh, ce n’est pas nouveau, ce n’est pas une surprise, il y a eu tant de preuve d’amitiés, c’est comme ce qu’on dit sur l’amour et des preuves d’amour. D’ailleurs je l’évoquais il y a une semaine, ce que nous sommes, et où nous pourrions aller, vers quelles preuves.

Nous sommes une histoire d’amitié née de la soi-disant virtualité des réseaux sociaux. Il avait suffi qu’il aime mes images pour, ensuite, depuis, aimer ma présence. Je crois – je sais – que notre amitié souffre d’une seule chose, la langue, ce français qui le freine et cet anglais qui ne va jamais assez loin pour moi, jamais là où le partage pourrait puiser d’autres sources. Parfois, avant de dire, je m’épuise déjà, alors je me tais.

Lundi 3 février 2025

Le livre est sur la table de chevet depuis quelques jours. J’ai très envie de le lire sans savoir pourquoi, ce sera pour demain. Je ne sais plus exactement pourquoi je l’ai acheté, sinon le début qui m’avait intrigué sans vraiment me plaire et puis Hélène m’avait laissé entendre qu’il y avait un passage… dérangeant je crois… à part… Enfin elle sait en partie que ce que j’aime. C’est souvent comme ça avec les livres, ça ne s’explique pas. Parfois je suis déçu.

Dimanche 2 février 2025

Je veux regarder longtemps leurs visage. Leurs sourires en coin, leurs clins d’œil. Celui-là avec la langue tirée, cet autre les yeux fermés. Leurs grimaces sont pleines de soleil.
::: Thomas Vinau ; Je veux regarder longtemps leurs visages

Samedi 1er février 2025

Il a été un impossible, c’était il y a deux ans peut-être, le même genre de foule, le même genre d’ambiance, un autre endroit, les regards avaient insisté, comme jamais je crois. Lorsqu’il s’était apprêté à quitter la soirée,  mes mots n’avaient pas hésité mais le couperet avait été net : marié. Malgré les regards, les sourires, les prénoms échangés : marié. Marié et inaccessible, me plongeant en une fraction de secondes dans une déception rarement ressentie, précipice. Depuis, parfois, on se croise, dans ce même genre d’événements, des drag shows, des gens qui dansent. Parfois il n’est pas seul, encore plus marié, encore moins accessible. Il est une de mes rares rancunes.

Il est là, ce soir encore, dans la foule qui sourit. Nous nous saluons lorsqu’il passe devant moi, un sourire, plus tard une question, une réponse :  Oui, toujours.