Dimanche 12 janvier 2025

Vous êtes là, dans ce dimanche au ciel bleu qui pique, vous êtes l’un et l’autre des mots qui disent ce qu’il faut dire, ou essayer de dire. Toi tu écris le mot violence même si c’est impossible à exprimer tellement c’était indicible, et j’en crève de t’avoir ainsi anéanti — quel verbe employer ? —, de nous avoir ainsi réduits à une conversation qu’on a tous les deux oubliée. Et tu dis que de nous deux je pourrais écrire un livre. Probablement, je réponds. Toi, cet autre qui est maintenant ici et dans les jours qui passent, as-tu lu le mien ? Est-il toujours sur ta table basse à attendre que tu oses m’en parler, que j’ose te demander ? Ce n’est pas dans les livres que l’on sait être ensemble, de toute façon. Mais l’autre jour, je t’ai dit de le lire, mon livre, et que tu comprendrais combien nous pouvions tout oser, combien ce pouvait être simple.

Et puis il y a ce garçon, jeune, quelque chose de beau sans être ravageur, simple, les cheveux noirs, si noirs, la barbe tout autant, nous ferons des photos, bientôt, mais d’abord nous parlons, je raconte mes idées, une série de portrait, une autre, les prénoms qu’on se donne et j’ai envie de cela, capturer son visage. Elle avait disparu, cette envie : je vais mieux, bien mieux.

Aussi il y a les Jean-Luc, le hasard, les kilomètres. Aussi ta voix finalement, malgré tout ou parce que tout.

Et voilà, nous sommes le soir, je finis le livre de Sophie Poirier, ce livre que j’aurais tant aimé écrire, il y a ce passage sur son père, c’est beau. L’envie, aussi, de ça.

Mardi 7 janvier 2025

Comme un voleur, tu dis. Mais un voleur de quoi ? Dans la pomme un peu plus tard mordue, il y a un ver au cœur, un ver mort qui a laissé son chemin  et ses détritus morts aussi sur lesquels je grimace vaguement.

Lundi 6 janvier 2025

Ton corps est là, sur l’écran, sur les images, en elles. Qu’en faire ? Je suis à ce moment de moi où il m’est impossible de les regarder sans être troublé par l’éloignement, la disparition. L’expression “moment de moi” vient comme ça, enfin non pas juste comme ça, elle vient parce que depuis deux semaines je les ignorais, ces images, là, moi qui t’ai tant regardé, tant montré, et tout le monde encore peut te voir, et moi encore et encore je peux te voir, te regarder mais je n’y arrive pas. Et puis, qu’est-ce que tu dirais ? C’était plus simple de faire des mots, des phrases de nous, ça ne reste pas de la même manière, ça n’a pas l’odeur des yeux fermés, le toucher, le même intime, ça n’a pas l’odeur du manque ni le souvenir caressé de tes paysages. Ça ne désire pas, les mots, pas les miens en tout cas, mes textes ne sont pas à cet endroit, ils n’étaient pas à cet endroit de nous. Ce soir ces images sont revenues parce que j’ai repris le chemin de tout ça, ce travail photo/graphique que je creuse et qui intéresse Kévin et dont il veut parler, mais ce sont sur d’autres corps que le tien que j’ai travaillé, des corps d’autrefois, avant nous, loin, loin et bruts, loin de ce que nous étions surtout, des corps rien, rien que des corps.

Au travail bien sûr on me demande comment c’était, les vacances, parfois je mens, je dis que je me suis reposé parce que depuis mercredi, c’était reposant, il y avait les petits losanges, ça aide mais je ne sais même plus si je sais pleurer. Presque je vis à distance cet impossible silence que nous sommes devenus.

Vendredi 3 janvier 2025

Sur l’écran, les 120 pages du texte “Ce lieu de l’absence”, qui s’est longtemps appelé “Ce que je sais d’Antonio Rodriguez Cuervo”. Comme tous les 6 mois, quand les vacances ont épuisé le rien ou qu’elles approchent de la fin, j’y reviens, je le triture un peu, je m’y épuise, entre contentement, envie de mettre le mot fin, besoin de relever ce défi, sentiment que ça pourrait être mieux.

Il y a quelques jours, pourtant, je disais à maman que je n’avais plus envie de travailler sur ce texte. Je ne sais pas si c’est un effet des cachets en forme de losange, ce plaisir retrouvé, ce truc en moi qui fait dire que ça vaut peut-être le coup.

Mercredi 1er janvier 2025

C’est la fin du jour, ils attendent sur le pont Chaban-Delmas ce moment où le soleil disparaîtra et où le ciel éclatera en un feu dessinant les toits de la ville en silhouettes noires d’encre. Il y a aussi tout là-bas le pointillé bleu de la roue et les lignes rouges du cirque Grüss installés au Quinconces. Parfois c’est une femme seule mais souvent ils sont deux, sans doute s’aiment-ils, je les regarde comme ils espèrent s’aimer encore. Un peu plus tôt Olivier – l’un des nombreux Olivier de mon répertoire – me racontait sa nouvelle vie, faites de désirs inédits, d’audaces qu’il bafouille. Jamais nous n’avions abordé cela, ce qui fait corps et soupirs, légèreté. Un peu plus tôt tu m’as dit qu’on avait encore des choses à découvrir ; tu avais ce sourire des jours qui ne savent pas, les yeux endormis d’une nuit qui n’en était pas une.

Mardi 31 décembre 2024

Pleurer le matin, pleurer le soir, entre les deux rien de cela, regarder maintenant, regarder devant, regarder demain, relever les manches et les défis, vivre en ce jour des instants que je dis inédits, faits de petits plaisirs et de sourires idiots ou immenses, d’achats basiques, d’un petit vase danois, d’une note de poissonnier salée, des sequins de vingt heures trente, d’un “Je te serre fort” qui finit notre année.

Je traverse minuit seul, moment voulu et nécessaire pour être bien avec moi-même et avec vous deux, sans vous deux. J’aime vivre ainsi ces moments de la vie où l’on regarde la pendule en se disant “Voilà”, apaisé, sans regards, pas même le mien dans un miroir. J’aime quelque part les rendre, ces moments, ces virages du temps, à la banalité de ce qu’il sont, une fraction de seconde. Je préfère vivre pleinement d’autres heures imprévues que donner à ces rendez-vous obligatoires une présence malvenue. M’amuser, ce soir, aurait été malvenu, impossible. J’attends demain matin, j’attends mon renouveau. Alors je me ressers un verre, Pessac-Léognan, 2012. Dans la douceur de la nuit, quelques messages, je souris.

::: Emmanuel Courcol ; En fanfare, 2024

Lundi 30 décembre 2024

– Et n’oublie pas, continue à écrire si tu veux. Ne te bride pas.
– Oui. Mais je dois arrêter de ressasser aussi.
–  Car tu crois qu’elles font quoi Marguerite et Annie ? Elles ressassent. Tout le temps.
– Et toi tu me fais rire, comme toujours.

::: Djiby Kebe ; L’avance, 2024

Dimanche 29 décembre 2024

Tu ne sais pas ce qu’il faut croire dans mes mots et nos souvenirs. Sache pourtant que tu as tant été là, et que tu l’es encore. J’ai été surpris, je n’ai pas cru, j’ai voulu croire, j’ai vu les évidences et l’impossible, j’ai attendu, essayé, espéré, désiré, voulu, hésité, refusé de partir, eu peur, échoué, et tous les verbes du monde ne sauront exprimer ma confusion devant ta douce jeunesse, les années qui nous séparaient, mon visage refusé sur nos selfies souriants, ces rares moments ensemble, ta force, tes yeux, ton rire et le mien, cette inégalable complicité, nos solitudes, mon besoin d’être là pour toi, ces faiblesses en moi que personne n’a regardées comme toi et tout ce que j’oublie. Traversé par des mois inédits, j’ai finalement été un monstre qui cherche peut-être un chemin qui n’existe nulle part, qui ne sait pas dire, qui dit au mauvais moment, au mauvais endroit, de la mauvaise manière, sautant dans le vide avec la peur derrière et l’inconnu devant, croyant en un saut se sauver du tumulte. Je pleure encore parfois.

A partir d’aujourd’hui, ici, je ferai silence de nous. Je n’attendrai pas le 31 décembre pour regarder derrière, pour rappeler que mon année a commencé avec toi, à Marseille, dans une chambre d’hôtel aux draps blancs. Toujours les draps sont blancs dans les chambres d’hôtel. Combien en avons-nous froissés ? Toujours c’était des lits jumeaux, c’est ainsi qu’on dormait, à notre manière d’être ensemble mais pas ensemble. Toujours on les rapprochait. C’est dans une chambre d’hôtel qu’on s’est connus, à Lyon, en mai 2023. On s’attendait un peu, depuis des mois, on connaît la date précise. Toi et moi on la connaît, on se la rappelait. Si je l’oubliais j’en avais la trace. J’oublie. Trop. Tout. Même ce qui est important. Même ce que je veux garder en moi.

Mon année se termine sans toi, nulle part, aucun drap froissé, pas même les tiens roses. Nos corps séparés à cause de moi. Ce soir, après qu’on a échangé, après que tu as dit ta douleur de m’écrire et le besoin de faire signe, ce besoin qu’on partage pour dire qu’on pense à l’autre, j’ai dicté un texte, il y avait des mots que je ne t’ai jamais dits. Il y avait la mort, aussi.

Vendredi 27 décembre 2024

Sans doute faudrait-il regarder ailleurs pour ne pas enfoncer ce journal dans le tumulte des jours, dans le croisement de vos présences, puisqu’ici à qui dois-je aujourd’hui m’adresser ? Vos visages s’imposent ; le tien est toujours sur mon écran, noir et blanc nostalgique des heures possibles, il ne me regarde pas ; le tien sourit en franchissant la porte. Je suis dans un piège, ce journal est un piège tout comme il peut être une lumière, une caresse. J’imagine que tu le lis et que tu attends, que tu ne veux pas savoir les sourires et j’ai hésité à les taire. Ce journal est une vérité qui s’impose et un mensonge, il omet, traître, il veut faire poésie les oscillations colorées de mes pensées qui passent du gris au rose puis au gris. Comment recouvres-tu le bruit de la rue ? Je cherche un synonyme au mot silence mais le dictionnaire ne m’offre rien que des douceurs.

Alors faudrait-il regarder le rythme des jours, le déjeuner avec Jean-Luc, le café avec Julian et Manu, cet album de Bang Gang que j’avais oublié, ce morceau d’émission de radio où Nicolas Mathieu parle de la langue de Céline alors je pose Voyage au bout de la nuit sur la table de chevet, réticent. Ainsi quand vient l’heure de l’ouvrir, je comprends que c’est impossible. Je ne peux pas. Mon corps ne peux pas. Le style, je le trouverai chez d’autres.

::: Andrea Arnold ; Wasp, 2003

Jeudi 26 décembre 2024

Comment nous guérir de ça ? Je cherche les mots qui me libèreraient, parce que je n’ai pas les armes aujourd’hui pour te sauver toi, de ça, de moi, alors j’essaye au moins de me sauver moi, de nous, de moi, de ça, ici. Mais je suis lourd, tout est lourd, trop lourd à porter, j’ai ce poids dans la tête, expiation, page blanche. Écrire m’a parfois aidé ; je cherchais, dans le beau que j’essayais de faire naître, l’étouffement de l’horreur, j’y parvenais un peu, suffisamment. Mais aujourd’hui, j’ai en creux ces silences, comment pouvons-nous ainsi être silences ? J’ai ta douleur en moi ; comment la dire ?

Dimanche 22 décembre 2024

Alors dans des mots que j’aurais aimé ne jamais prononcer, je nous fracasse. Je détruis demain de mes incertitudes et de mon abandon, des mains d’un autre peut-être.

Mercredi 11 décembre 2024

Tram. Les mots dans le livre d’Annie Ernaux me ramènent ailleurs, à janvier, à mon absence dans une chambre d’hôpital avant la sienne immense. Alors je pleure ; peut-être qu’on me regarde.

Samedi 23 novembre 2024

::: Roberto Rosselini ; Rome Ville ouverte, 1946

Malgré l’épuisement, malgré la nuit prolongée devant le film du matin grignotant Rosselini sans vergogne, malgré la journée déjà bien entamée, folie légère, nous partons. Là-bas il y a les oiseaux. Même nous verrons la mer dans la nuit ; avant on croyait entendre les vagues mais ce n’était que le vent.

::: Eric Rohmer ; Les Nuits de la pleine lune ; 1984

Jeudi 21 novembre 2024

Il est de ceux qui sont passés. Nous parlons, moi ici, lui là-bas, Niagara. Nos mots reviennent encore sur ce qui n’a pas existé, n’existe pas. Je ne sais plus trop pourquoi.

Mercredi 20 novembre 2024

Il a les yeux et le nom d’un conquistador, le manteau noir, les cheveux tout autant, la barbe tout autant, courte. La chemise blanche est impeccable, boutonnée au col. Avec Clément on parle de lui, il me regarde, je ne sais pas s’il faut l’aborder. Son travail, ici exposé, m’a pourtant plu, beaucoup, et donc avec Clément on parle de lui en buvant un peu de vin blanc et en grignotant ce qu’on nous tend en souriant, tout est très souriant d’ailleurs, quelques femmes ont eu, on le constate, quelques traits adoucis et plus tôt aussi avec Benjamin on parlait de ça, je veux dire on parlait des œuvres du conquistador, je les aime, je disais qu’elles donnaient envie de les faire. Il ressemble à Pierre Niney. Mais c’est Benjamin que je suis venu voir, Benjamin et son travail, léger et organique, des animaux qui n’existent pas, des fleurs qui n’existent pas, des minéraux qui n’existent pas. Tout cela, quelque part, n’existait pas non plus avant qu’on pousse la porte, monde inédit.

Lundi 11 novembre 2024

Cher toi,

Pas de mots, pas de photographies. Les semaines sont sèches, je ne suis pas là. Je me suis absenté de mes/ces habitudes – écrire mon journal et prendre des photos – pour m’alléger, me sauver sans doute. Je suis dans une espèce de folie ordinaire, je travaille chaque jour, le weekend dernier ce fut pareil. Jeudi je serai libéré. J’espère.

Aujourd’hui je suis allé me promener, le même parcours, le long de la Garonne, demi-tour avant les hangars, retour par la rue Notre-Dame et ses ombres. Je voulais éviter le soleil dans les yeux, trop bas, qui régnait sur les quais, réconfortant mais éblouissant.

Je ne suis pas à l’abri, je ne suis pas encore assez loin du précipice. Avant-hier, en allant écouter mes camarades lire à haute voix, lire sans moi, j’ai senti que c’était encore trop. Quand bien même je n’écoutais pas vraiment, tu sais je n’écoute jamais vraiment. D’ailleurs, lundi dernier, la neuropsychologue m’a fait part de son bilan, rien de surprenant. Je t’en parlerai de vive voix. … Appelons-nous ! Au fait, le 2 janvier, où seras-tu ?