Dimanche 1er juin 2025

Mais tu es drôle en fait !, me dit-il alors.

Je lui confirme : hier je ne l’étais pas.

Samedi 31 mai 2025

Tu es un peu quelqu’un d’autre, flottant, joyeux comme jamais peut-être, je ne suis pas très sûr, j’oublie ou plutôt je floute le passé. Flottant, alors te rattrapant parfois à moi, autour ils imaginent autre chose entre nous peut-être. La foule est immense, surtout entre nous et la scène, la musique, les clameurs, ça danse. La journée se termine, folie joyeuse et multicolore, amicale, soleil, coups de soleil. Il y a aussi eu beaucoup de silences.

Vendredi 30 mai 2025

L’âge, c’est 51. 51 ans. Mon âge. Irréel. On nous ment ? C’est un nombre. Ce sont les années derrière, celles devant, c’est le visage dans la glace, le corps, encore lui, la peau, tout ça, c’est la peur de la solitude, d’une forme de solitude, pas celle des soirs – l’apaisement des silences ! – mais celle qui s’incruste dans les semaines sans rien, l’été. L’été est cette saison rare où l’ennui m’étouffe pendant que d’autres s’amusent dans les vagues.

Ce sont des messages, on me le souhaite joyeux, l’un est accompagné d’une photo de paysage, un lac, des vaches bien sûr.

Ce n’est rien, une journée de rien, être allongé à l’ombre dans cette chaleur comme un été.

C’est un animal qui grogne, un chevreuil, trop vite il s’enfuira.

Et puis on ouvre des portes de placard, il y a des bouteilles, je n’emploie pas le mot cadavre, il pue la mort, ce n’est pas le jour.

Jeudi 29 mai 2025

Il y a toujours ce moment, dans le train vers Saintes, où l’on franchit la Dordogne, immense. J’aime cet instant, suspendu.

Samedi 24 mai 2025

Je dis, devant les invités à ton mariage, comment est née notre amitié, comment elle s’est installée. J’ai choisi d’être léger, j’essaye d’être drôle, je dis plutôt les kebabs et les prénoms que toi tu n’oublies pas. Je ne dis pas tes confidences – ni les miennes -, la spontanéité, la simplicité, ni même les soirées parfois ennuyeuses, parfois amusantes, au milieu des drag-queens. Je dis de notre amitié que j’aurais peut-être été vexé que tu choisisses un autre témoin que moi. Ton mari dit « Oh ».

Vendredi 23 mai 2025

Soudain tu franchis la porte. Comment ne pas sourire­ ? Tu es la plus incroyable des coïncidences, presque tiré d’un mauvais scénario : personne n’y croirait. Mais comment sourire ?

Jeudi 22 mai 2025

Je grimace. Il y a quelque chose qui cloche ?, me demande la vendeuse. La transparence, je réponds.

Mercredi 21 mai 2025

Alors je m’approche de l’écrivaine : « Excusez-moi, je vais avoir un peu de toupet, mais j’aimerais vous offrir mon livre. »

Lundi 19 mai 2025

Alors, nuit qui tombe, la sente des Morutiers est remplie de chants d’oiseaux.

Dimanche 18 mai 2025

Comment t’aimer dans cette ville caractérielle, si prompte à la colère, cette ville hantée par le dieu et qui ne me laisse pas la place de t’adorer toi plutôt que lui ? Comme je voudrais être un beau vase d’Hébron, bleu translucide et plus lourd que la nuit, et toi l’artisan qui me fabrique, ton souffle et ton doigté qui me font prendre chair, tournoyer, luire, qui me distendent jusqu’à mes extrémités, m’illimitent pour devenir l’objet exact de ton désir, ta volonté faite lueur, faite moi, ta main sur mon corps qui me fait étinceler, briller en fournaise, pour fabriquer ta cocagne, ton foisonnement. Comme je voudrais être le résultat unique, pour tous les temps et toutes les nuits, de ton désir, façonné par ton souffle, tes poumons, ta salive.
::: Karim Kattan ; L’Eden à l’aube

Samedi 17 mai 2025

D’un objet à la mode, on dit qu’il fait fureur. Mais n’y a-t-il pas quelques chose de furieux, de vraiment furieux dans la mode ? Pas seulement de furieux, d’ailleurs mais aussi de bruyant, de très bruyant, de tonitruant. Ca n’a aucun respecte pour le silence, la mode : ça casse les oreilles.
Georges Perec ; Penser/classer

Montpellier. Déjeuner, place Canourgue, je lis Perec, c’est page 49. Le livre, de poche, me suit facilement, il loge dans le sac acheté à Kyoto. Je porte cette superbe chemisette colorée made in Portugal, achetée chez Edgar, par-dessus un débardeur jaune, vintage, acheté probablement en 2021 chez Killiwatch. Si j’étais totalement perequien, je noterais quelque part mes achats ? Je porte aussi mon bermuda bleu cobalt que j’aime tant, des chaussures jaunes. Mode bruyante. Perec me regarde mais à la page suivante il écrit :

Il devrait s’agir de plaisir : plaisir du corps, plaisir du jeu, plaisir de s’habiller, de s’habiller pareil ou de s’habiller autrement, plaisir parfois de se déguiser, plaisir de découvrir, d’imaginer, plaisir de retrouver quelque chose, plaisir de changer.

J’attends mes crevettes chumichurri, j’ai visité le musée Fabre, dédale un peu épuisant – jusqu’à l’oasis du dernier étage -, où j’ai retrouvé les émotions de l’automne 2022 : Soulages bien sûr, mais aussi le portrait de jeune homme peint à la fin du 15e siècle, le portrait présumé de Marguerite Carrière, peint par Eugène Carrière, la rousseur éclatante de Bruyas ou l’érotisme troublant du corps d’Abel, mort, tué par Cain et peint par Fabre en 1790. Ou bien, au bout d’un couloir, un Manet : Œillets et clématite dans un case de cristal, peint en 1882 et acheté en carte postale en 1992, par moi-même, pour agrémenter ma chambre d’étudiant. Mon œil commençait à s’ouvrir alors, je dessinais un peu, parfois j’y pense encore.
C’est Marie qui m’a conseillé la place Canourge.
Par moments je pense à toi.

Et puis je vais au salon du livre, Marie dédicace, j’erre un peu, j’aperçois Angot qui attend le lecteur, je m’approche d’un espace où une rencontre vient de commencer avec Hajar Azell et Karim Kattan. Je ne les connais ni l’une ni l’autre. C’est son visage à lui qui m’attire, puis sa voix, puis ce qu’ils disent, la femme est belle aussi, ils sont assez solaires tous les deux, d’ailleurs il fait si beau, et je reste, m’assieds, écoute. 55 minutes plus tard, je me dis que ça vaut peut-être le coup d’aller voir Angot puisque je voulais lui acheter son livre alors j’y vais, je lui dis que ça tombe bien puisque je voulais lui acheter son livre dont un ami m’a dit du bien et elle sourit aussi quand je lui dis que j’ai déjà lu plusieurs de ses livres, j’évoque la Bourse du commerce, je regarde la tristesse qu’elle dégage. Et puis je paye le livre dédicacé de sa main, il y a aussi celui de Karim Kattan à côté de la caisse, j’hésite, j’en aperçois trois phrases, je l’achète aussi, et le voilà, l’auteur, alors je fais la queue en lisant trois autres paragraphes et je suis presque ému aux larmes — il suffit peut-être qu’un livre commence par « Comment t’aimer… » pour que je sois ému ? — Et quand le voilà devant moi, avant qu’il me demande mon prénom, je lui dis ça, que je viens de lire vite fait quelques phrases et que j’ai trouvé cela splendide. Je ne lui dis pas qu’il est beau.

Et les heures passent, amitié. Enfin la plage, du vent. Du vent mais le plaisir de voir la mer, trop rare.

Mardi 13 mai 2025

Montpellier reste accrochée aux années Fabien, 2001 – 2004, une toute autre vie, moi mais pas moi. Je commençais à peine à être celui qui fait des photos — j’avais acheté mon Pentax en juillet 2003 —, je commençais à peine à être celui qui écrit — j’avais entamé la version quotidienne de ce journal le 15 avril 2002. Nous étions allés, un jour, pas plus, depuis Nîmes, l’été 2003 peut-être, visiter Montpellier. Nîmes c’était sa ville, ses parents vivaient à Marguerittes.

Montpellier, je lui ai donnée une autre place à l’automne 2022. J’ai découvert le charme de la ville, j’ai aimé.

M’y revoici pour le travail. Il fait beau. En allant vers le Corum depuis mon hôtel — lit ferme, ciel bleu au-delà du Velux®, fer à repasser disponible à l’accueil, petit-déjeuner inclus —, je suis bien, je sens que ça va être bien, je me dis que j’ai vraiment bien fait d’apporter un bermuda. Je ne sais pas encore qu’en revanche, l’emplacement que j’ai choisi pour le stand, ça ne va pas être bien. Mais je retrouve Isabelle, Kim, Paul, comme il y a deux ans, je l’aime bien Paul, je vois qu’il m’aime bien aussi. C’est bien, je sens que ça va être bien. Et puis on va boire une bière. C’est vraiment bien. On dîne ensemble ?

Samedi 10 mai 2025

Alors ce plaisir étrange et immense d’être sur scène, micro en main, lecture, 3min22, un rien de temps, mais tout. Le public s’est dispersé, il reste quelques regards, à la fin quelques acclamations.

Il y a quelque part sur scène le petit garçon timide que j’étais, et qui dit « Vous voyez ? » Cela fait bien longtemps qu’il n’est plus là, mais parfois il se montre, embarrassant. C’est peut-être de lui que j’aurais pu parler sur le sofa de velours vert, mais je n’y vais plus.

Je crois que je n’en ai plus besoin. Il y a des moments comme celui-ci qui dépassent les douleurs et les chats dans la gorge. Ce que je crée ne ferme aucune blessure : ça les recouvre.

Il y a aussi, sur les murs, quelques images, les miennes mais pas seulement les miennes : l’amitié et le joli talent de Fred ont donné naissance à autre chose. Que j’aime énormément.

Mardi 6 mai 2025

Il y a cette chanson, je ne sais pas exactement ce qu’elle veut dire, sinon qu’elle raconte une histoire qui se termine ou qui lutte, être avalé par la mer, être aveuglé par la beauté. Elle est arrivée dans le train de dimanche soir, au hasard. Depuis elle tourne, je la chante autant que possible, jusqu’à l’écœurement, comme d’autres refrains avant elle. Il faudrait sans doute réunir ça, un jour, ces chansons dont on n’a su se détacher sans passer par l’étouffement, comme certaines histoires presque obligées. Obligé. C’est ce que tu ressentais, c’est que tu as dit un jour. Ça me fait penser à nous en écrivant ce texte le 7 mai au soir, mais en chantant le 6 mai, la nuit tombée, dans mon lit, tu n’étais pas là. Ni dans mon lit, ni dans mon esprit. Parfois, je nous imagine à tue-tête ensemble, moi empêtré devant ta voix exquise, moi loin de ça. Obligé un jour tu as dit, pourtant on existe encore peut-être quelque part. J’ai envie de l’écrire sans doute parce que je suis détaché. Ni en attente, ni ailleurs.

Sur les 3min22 de montage vidéo sur lesquelles je travaille depuis des semaines tu n’es pas là. Je n’ai jamais fait d’image de toi. Tu es peut-être pourtant le seul à qui j’ai dit que je le trouvais beau. D’autres ont eu d’autres compliments, il suffisait d’un regard. Celui là, beau, je ne crois pas. Je l’ai pensé, pas dit. On ne dit pas toujours ce que l’on pense. On tait parfois ce que l’on pense. On euphémise aussi, ou on photographie encore et encore, pas jusqu’à l’écœurement. Plutôt jusqu’au bord du désir.

Dimanche 4 mai 2025

C’est l’envie d’être chez moi qui s’empare de moi. Je suis chez Christian, je suis là où j’ai vécu, je suis venu pour le déjeuner, j’ai apporté des petits gâteaux de chez Takumi comme la dernière fois parce que c’est pratique, c’est métro Pyramides et c’est là qu’il faut passer de la 14 à la 7. Trois parfums pour deux, il faut les couper, les couleurs sont belles, les assiettes aussi. Chez Christian, l’espace a beaucoup changé, ça s’est épuré, c’est très beau et le Japon est partout, presque trop, où est la faille, où est la trace d’un séisme ? A travers les baies vitrées, tandis que nous déjeunons, je vois le soleil qui frappe le bâtiment d’en face, j’hésite un court instant à sortir mon appareil photo, mais non, rien. Nous parlons du Japon et de bien d’autres choses, la famille, quelques amis, l’amour n’existe pas. Je comprends après le dessert – vert, jaune, noir – que j’ai eu ma dose parisienne, que je veux être chez moi, que Paris n’est plus chez moi, je dis encore parfois que oui Paris pourrait être ma ville, mais comment ? Et puis je repars, j’ai oublié de faire des photos du quartier, la lumière de mai pourtant, dommage ; haussement d’épaule.

Samedi 3 mai 2025

Alors, je puise dans Paris ce qui fait joie : le hasard d’une découverte sur les murs d’une galerie parisienne, puis d’une autre, une pensée qui vagabonde ici, une inspiration qui nait là, l’envie de faire ça, moi aussi, des murs blancs et mon nom dessus, dessiner, peindre, créer créer créer. Parfois je reste pantois, l’émotion s’appelle ennui, mais toujours j’en tire quelque chose, comme le souvenir de couleurs acidulées. Et puis revoici Sophie Calle.

Vendredi 2 mai 2025

Déjeuner chez Irasshai. Terrasse calme jusqu’à ce qu’un olibrius allume sa musique à 5 mètres de moi. A 12h18 j’écris à Richard : « Je me réconcilie avec Paris ». Sur la photo : mon plat japonais et les murs extérieurs de la Bourse du Commerce.

Et donc entrée de la Bourse du Commerce, scan de ma carte d’abonné par un jeune homme aux cheveux bouclés, petit bip en mode vrombissement qui dit non, et sur son écran c’est écrit OUT en rouge. Je souris, explique avec un léger poil de condescendance — sur une échelle de 1 à 10, on dira 1,3 — que mon abonnement a été pris le 4 mai 2024 et que par conséquent je ne suis pas totalement Out. Dans ces moments, mon attitude, ma voix et ma façon de parler me font penser à mon père. Le jeune homme aux cheveux bouclés me croit : « Ce n’est pas moi qui vais vous empêcher de passer » dit-il. Je serais prêt à parier qu’il a, dans la seconde, regretté cette phrase.

Bref. M’y revoilà. Comme je suis venu récemment — mais qu’il y avait trop de monde —, je ne suis pas empêtré dans l’effet de surprise et je peux, je le sens, vraiment profiter des œuvres, prendre le temps de regarder les dialogues entre les pièces et je suis vraiment, mais vraiment frappé de la perfection de l’installation. Mais s’il me fallait garder un seul moment, ce serait l’émotion devant une toile de Myriam Cahn. Presque je pleurerais.

Jeudi 1er mai 2025

Seul, face au ciel de Saint-Ouen, Paris est à deux pas, pour ne pas dire que Paris est sous mes pieds et m’y voilà depuis hier. Seul sauf la venue de Stan pour faire quelques images. Non pas des photos. Des vidéos. J’ouvre de nouvelles portes, folie joyeuse. Alors la journée se déroule, montage, montage, sans ce que je viens de tourner, ça reste sous mon coude et sur la carte de l’appareil photo. Une échéance approche, folie réelle, une scène, un autre nom que celui avec lequel je suis né, nom-expérience, nom-audace, nom-sonorité, prénom Z. Mais seul, fenêtres fermées — attention aux chats — je finis par étouffer, alors métro, s’agacer sous terre pour arriver à sortir à Châtelet-Les Halles, quais de Seine, la foule et moi au milieu, il fait beau, tout est beau, je retrouve ma ville, je n’ai pas vraiment envie de voir des amis car j’ai peur de devoir parler, raconter la vie, le travail, celui qui n’existe pas. J’ai envie d’une terrasse de bar, celle du Café Beaubourg est parasité par un Bob Dylan braillard à 15 mètres, j’en choisis une autre mais mauvaise pioche trop de monde, trop de bruit, juste derrière moi une jeune femme insupportable, trop de décibels, trop de tout, il a suffi d’une panne d’électricité là où elle vit, Barcelone, pour qu’elle découvre que sans électricité on ne peut rien faire et je n’arrive pas à trouver rafraichissante sa naïveté de crécelle. Paris déjà m’épuise ?

Lundi 28 avril 2025

Les années ont passé, c’était quand ? 2020 ou 2021 ? Il avait été l’un des premiers à relire Présence à l’époque où cela s’appelait Présence de l’amour à l’intérieur, à l’époque où il y avait des photographies au milieu des mots, à l’époque sûrement où j’aimais encore A. Nous sommes attablés, terrasse de l’Utopia, il était passé devant moi jeudi, même terrasse, je l’avais interpelé, justement je parlais de Présence avec Eric. Lui aussi s’appelle Eric. Je les avais présentés, on avait souri. On s’était dit « Voyons-nous ! » J’avais toujours son numéro. Dans mon répertoire il s’appelait « Eric Derrière la gare ». J’ai oublié son nom.

Dimanche 27 avril 2025

Nous sommes devenus des dimanches éloignés, mais le rituel reste le même. Le marché, les olives, la terrasse de la Mère Michel, un apéritif, un plat, le soleil, aller chez toi. Rien d’autre. Rien de moins, rien de plus. Satisfaction ? Je ne te dis pas que tu ne m’as pas manqué. Est-ce que tu aimerais l’entendre ?

Vendredi 25 avril 2025

A nouveau, au milieu de la nuit, un réveil étrange, cotonneux, 38°C, ça s’appelle de la fièvre mais ça reste raisonnable. Au matin je préviens encore, chez moi je reste.

Jeudi 24 avril 2025

Alors, ses yeux bleus dans les miens, il dit qu’il n’attend rien d’autre que d’être seul, seul sauf durant les parenthèses pendant lesquels des inconnus re rencontrent et se connaissent à peine. Il nous laisse là où nous sommes, sans laisser le temps de se poser la question d’un peut-être, c’est-à-dire plutôt qu’il nous installe dans quelque chose qui se précisera peut-être sous le nom d’amitié dans des semaines, des mois. « Et toi ?« , me demande-t-il.

Mardi 22 avril 2025

Se réveiller. Et puis dormir encore. Dormir. Dormir. Annuler les rendez-vous. Descendre lentement à la pharmacie. Dormir encore. S’éveiller parfois pour voir les heures qui tournent. Avoir peur du temps perdu.

Samedi 19 avril 2025

Tram. Femme au débardeur rouge, pull gris autour des hanches, sac Lidl duquel dépassent deux gros emballage d’œufs de Pâques, cheveux longs auburn, elle sourit, me regarde à peine comme si elle n’osait pas me regarder, je la scrute pour ne pas l’oublier, elle croit peut-être que je la désire. Mais on sourire à peine esquissé provient peut-être de ses pensées, regardez comment elle remet ses cheveux sur son oreille, je crois peut-être qu’elle me désire. J’avais oublié que c’était Pâques, lundi pourtant férié.

Vendredi 18 avril 2025

Alors il me regarde, surpris : « Oh ben qu’est-ce-que tu fais là ? » C’est lui que je suis venu voir, Yellow Party, il ne sait pas / plus que j’habite à Bordeaux. Quelques phrases avant qu’il tourne le regard, qu’il voie Gilles à côté de moi. Double surprise : « Oh ben qu’est-ce-que tu fais là ? »

Jeudi 17 avril 2025

Un dragon cracheur de nuages : c’est l’image qui vient à l’esprit en apercevant les premiers contours de l’archipel à travers le hublot. Un dragon géant, vivant, palpitant, sur l’échine très verte et très écaillée duquel on va venir se poser. Ces contours si longuement rêvés en m’aplatissant sur des atlas deviennent enfin réels.
::: Emmanuel Ruben ; L’Usage du Japon

Mon bureau est un peu comme le décrit Perec dans Penser/Classer. Pire, probablement : un foutoir. Dans mes rêves les plus fous, ainsi y pensais-je hier dans l’avion en relisant un passage de ce livre, je m’amuse à plagier l’écrivain pour un Je me souviens ou pour faire témoignage du bazar qui encombre ce coin de mon appartement, un L d’environ 1m20 par 1m50.

Perec, c’est le souvenir précis – j’avais alors 25 ans sans doute – de mon étonnement en entamant Un Homme qui dort, et en y découvrant un tutoiement. Je suis sans doute, depuis, en quête de ce même type de surprise lorsque j’ouvre un livre. Je l’étais sans doute alors déjà, sans vraiment l’avoir su ou verbalisé. Mais là n’est pas le sujet.

Sur mon bureau, me font face depuis des mois, appuyées contre le pied de mon écran d’ordinateur, en alternance, des documents ayant appartenu à mon grand-père Antonio : enveloppe avec des feuilles de paye, carte de visite – j’en possède deux, adresses à Châtillon-sous-Bagneux ou Rochefort -, ou une photo. Les photos aussi, il y en a deux. Sur l’une il est avec deux amis ou collègues, photo rongée par le temps, faisant presque disparaître l’un des visages. Sur l’autre, il est au camp d’internement de Montendre avec 16 autres hommes et un enfant. Ce soir, au hasard d’un rangement très bref, c’est une enveloppe, une autre, qui me fait face, posée contre les sus-cités objets de papier. Elle a été écrite le 11 avril 1941 par mon grand-oncle Maurice à ma grand-mère Raymonde. Il était alors dans le camp désigné VIII C : prisonnier de guerre numéro 15994.

Cette lettre, que j’ai récupérée au milieu de nombreuses autres, je crois qu’elle est là pour ne pas oublier. Que tout est possible. Même ça : être un numéro dans un camp, ailleurs.