Mercredi 31
En face de moi, le type avec qui je partage souvent le trajet en RER ou quelques stations de bus lit « Métro ». A la une : « Attention, il revient » et la silhouette newyorkaise de qui-vous-savez. Me vient soudain à l’esprit la chanson de Jay Jay Johanson…
So tell the girls that I am back in town, you’d better tell to beware…
Et la journée passe, un appel de Natt et quelques heures plus tard nous voilà quai Branly, à errer pour un picture trip le long de la Seine, entre les sculptures rouillées et les bâteaux. Soudain, un RER glisse, sans passagers et surtout sans lumières. « Il est éteint », dis-je en le pointant du doigt. « Il est éteint », répétè-je en n’oubliant surtout pas la liaison. Elle réagit : « Petit naviiireeeuuuhhhh ».
Mardi 30
Le jeune homme, la vingtaine entamée depuis quelque temps, prend un air rude pour tapoter sur son téléphone. Je vois son profil gauche et ce lobe sur lequel un gros caillou brille un peu. On approche de la station Bercy, il se retourne. Sur le cou : une fraise. Une fraise, oui oui une fraise, le fruit, tatoué là où aucun cheveu ne viendra jamais. Et pas la petite fraise des bois discrète, non non la bonne grosse fraise qui fait bien trois centimètre de long.
Et alors ?
Ben alors fou rire.
Lundi 29
La voix de C.B. s’extrait de la radio entre le grognement du percolateur et mes grommellements matinaux. bla bla bla France Musique bla bla bla… Ah bon ? Ah mais non. Ca va pas, ça colle pas, ce débit, ce timbre, non je sais pas mais ça cloche, non pas le matin, je veux du suave, du sucré, du réveil matin délicat ou bien à l’inverse du ferme, du rocailleux, de l’assurance, pas ça quoi… Et puis, face à son chroniqueur que je n’écoute que d’une oreille, il lâche un « elle est soprano colorature Nathalie Dessay, c’est bien ça ?« . Vous êtes bien sur France Musique.
Dimanche 28
Le hasard fait bien les choses, Fred passa, pour une pause croustillants que Bison Futé n’avait pas prévue. Vint ensuite un peu de famille au bronzage andalou ; on évoqua les singes.
Samedi 27
– Tu l’aimes bien Fred ?
– Ben oui c’est un ami.
– Méfie-toi des amis.
Elle veut alors nous raconter une histoire, ce qu’elle entend à la radio, ces gens qui racontent les leurs, d’histoires, à dormir debout et à rester éveillé, mais rapidement elle conclut avant que je m’éloigne : « Fais attention à toi, fais pas le zouave sous l’pont d’l’Alma« . On éclate de rire et elle reste assise là, frêle au milieu de ses pieds de tomates, l’air un peu ailleurs, un peu triste, peut-être à cause du chat disparu, peut-être à cause, allez savoir, de cette histoire qui lui en rappelle d’autres.
Vendredi 26
La voiture était tombée dans la mer à un moment isolé du temps et à cet instant il avait sauté du territoire où « il existait » dans celui où « il n’existait pas ». Je pensais que cela aurait été bien s’il y avait eu un moment d’hésitation flottant entre ces deux territoires.
J’avais noté ce passage dans le Moleskine. Je n’avais pourtant pas fait attention au double sens du verbe flotter.
J’avais noté ce passage dans le train je crois, je n’avais pas très chaud, couvert simplement de ce petit gilet au décolleté profond et aux manches courtes. Pas aussi courtes que courtes, mais plus courtes que longues. J’allais vers là-bas, mon autre chez moi, raconter l’autre là-bas où j’étais récemment…
Jeudi 25
C’est alors que tardivement, après l’omelette, je décidai de regarder Shadows, de Cassavetes, alors que l’envie d’écrire ici me taraudait. Les deux en même temps fut une mauvaise idée. On ne se fait pas homme de lettres sans casser des œufs.
Mercredi 24
« Les femmes qui travaillaient là avaient toutes de l’embonpoint et leurs chairs débordaient disgracieusement de leurs manchettes et de leurs bottes en caoutchouc. Leur corpulence était telle que, plongées dans une piscine, elles auraient sans doute flotté sans aucune problème. L’une d’elle brassait la blanquette avec une pelle. Une pelle en métal comme celles qu’on utilise pour les travaux de voirie. »
C’est amusant. Enfin je ne sais pas si c’est amusant, mais c’est flagrant. Dans cette nouvelle, la quatrième traduite en France (en 1998), le corps est là. Corps étranges, corps parfaits, corps abîmés, les personnages de Yôko Ogawa tournent autour des corps, qu’ils les désirent ou les détestent, qu’ils vivent avec un seul bras ou l’absence d’un bout d’annulaire… Cette conclusion que j’avais tirée après avoir lu les premiers Ogawa, c’est flagrant, la revoilà dans ce récit d’il y a vingt ans. Mais… a-t-elle vraiment renoncé aux corps ou mon esprit fait-il fausse route ? Cette idée du corps qui revient, est-ce mon inconscient qui me dit qu’il faut retourner faire du sport ?
Mardi 23
Je ne sais pas trop pourquoi j’avais proposé que le rendez-vous fût à Gambetta. Enfin si, je sais, simplement pour faire comme la dernière fois. Mais Gambetta, quand on habite Ivry, c’est au moins trois lignes, et tant d’attente lorsqu’il est si tard. On s’était retrouvés à 19h30, l’un en avance, l’autre en retard, moi à l’heure, autour d’une table où se fit ressentir l’absence de cacahuètes ou autre matière grasse et l’absence de sens du commerce du barman. Après le Japon, le Costa-Rica, Arles et Nogent, après une bière et deux verres de blanc, soit une boisson par heure — vous noterez comme nous fûmes raisonnables — l’esprit grisé derrière les boissons mais l’esprit pratique devant le plan du métro, je pris un vélib ; après tout, ça descendrait, le temps de rattraper cette chère 7 et son rose presque printanier, un peu bonbon,pas trop layette, bref, rose rose quoi… Oui ça descend. Jusqu’au moment où ça monte, vous savez, à partir de Bercy je crois, le long de cette 6 qui me narguait, grimpée sur sa voie aérienne.
Et là j’espérais trouver une chute à ce paragraphe mais ça fait pschittt.
Lundi 22
Un insecte étrange me passe sous le nez, survole la jeune femme en blanc et zou, est happé par la fenêtre ouverte. Le violon grince, j’en grimace puis j’en ris, je suis de retour dans l’habitude avec Hervé entre les mains.
La dernière fois où nous nous sommes vus c’était sur le tarmac de l’aéroport de Rome, nous prenions le même avion.
Il m’a dit :
– Tu sais où je vais me reposer après ma mort ? Sur l’île d’Elbe.
Hervé, joli petit livre témoignage, jolies paroles, doux écrits, souvenirs touchants dessinant un peu plus le portrait que je me fais de Guibert.
Et puisque l’on parle de portrait, on pourrait ici dévoiler ceux de CK. On pourrait ou on devrait…
Dimanche 21
L’arrivée des nuages noirs aurait pu être une bonne excuse pour ne rien faire, ne pas bouger, rester et vaquer vaguement en se forçant un peu, sortir le fer, soupirer… Ce fut fait mais Natt vint et je sortis ; en terrasse on alla. En terrasse elle s’éventa, on bronza, on s’étonna d’un hurluberlu et puis vint l’heure du rendez-vous. A La Villette nous nous rendîmes ; « on est là » m’indiqua J et on en rit encore. On rigola aussi d’une histoire de triangle, de l’anecdote de l’hurluberlu, de « take the back door » et l’on claqua des doigts, on chantonna, on fit des « whouwhouwhou » quand ils s’embrassèrent : sur l’écran géant « West Side Story » faisait vibrer des centaines de Parisiens, c’était bien, qu’est-ce que c’était bien… Heureusement qu’ils étaient repartis, les nuages noirs.
Samedi 20
« En neuf mois et deux séjours, il prendra 35 000 photographies ».
Non, pas moi, mais Keizo Kitajima, l’un des trois noms à l’affiche de « Tokyo-e », exposition de Le Bal se terminant ce dimanche 21, ouf il était temps. Superbe exposition d’ailleurs, forte et évidente, partagée avec un autre regard que le mien, un autre photographe amateur qui, après quelques échanges virtuels où j’avais glissé quelques compliments sur ses photos en noir-et-blanc, m’accompagna : la photo n’est pas qu’une passion dévorant le temps et l’entourage…
Et puis on marcha un temps, jusqu’à la Galerie VU’ pour le travail de José Ramon Bas (bof) et de Juan Manuel Castro Prieto (ouuuaaahh). Au fond de mon sac il y avait toujours quelques résidus du voyage, une brosse à dents, des tickets d’une langue lointaine, des yens et des souvenirs encore chauds, mais des souvenirs légers, légers. Mes paupières l’étaient moins ; je rentrai.
Vendredi 19
« Je me suis installé à Ivry récemment« , dis-je à la jeune femme derrière le comptoir ; son sourire est moins mesquin que celui de l’agent d’assurance qui, derrière un autre comptoir, à peine plus tôt, m’avait demandé s’il y avait des volets.
Elle m’annonce le tarif et me tend les conditions d’emprunt, me propose de faire un tour. C’est par là. Aux étages aussi. Le lieu est agréable, calme, je jette un œil aux indispensables (Échenoz, etc.) histoire de me rassurer, de me sentir un peu chez moi et de feuilleter Réponses Photos qui risque donc, ainsi, de perdre un acheteur.
A propos de photos, je pense que j’ai la réponse. Les dos. Oui. Mais j’attendrai tes mots pour m’en persuader.
Jeudi 18 août
Le petit garçon est près du hublot, absorbé par l’écran devant lui, les pieds sur le fauteuil ; ses chaussettes sont rayées, douze rayures de quatre couleurs différentes. J’ai entamé sans enthousiasme la lecture de « Ticket d’entrée« , le menu a été donné et ça tombe plutôt bien : j’ai faim. Le manque d’appétit du matin est envolé, moi aussi et j’ai plus de place qu’à l’aller, une plus grande tablette qu’à l’aller, plus de confort qu’à l’aller : j’ai été surclassé (na na nère) pour une raison qui m’échappe et à côté d’un Japonais peu disert.
« Ca va c’est pas trop long 12 heures de vol ? » me demande-t-on, mais non, pourtant j’ai à peine dormi, légèrement emporté par le sommeil pendant le film « La fille à la valise » malgré la captivante beauté de Claudia Cardinale et Jacques Perrin. Point de paupière fermée par la suite, que ce soit en lisant « A geek in Japan« , qui m’a ouvert les yeux sur la culture japonaise, pendant « Fargo« , merveilleuse neigeuserie des frères Cohen ou durant « Rango » – vous noterez la rime dans les titres – amusante animation désertico-bestiolesque.
Ooooh à propos de bestioles, ce matin, en partant, y avait quoi devant la Villa ?
Des singes !
Voilà, c’est confirmé, je suis de retour de… là-bas : www.avec-un-z.fr/voyages/japon/