Lundi 31
Que lire ? Le choix se porte. Dans le métro l’esprit s’envole ailleurs et survole un peu, mais la beauté des phrases parfois l’emporte …
Thé, l’après-midi, dans de grandes vérandas, beaucoup de jeunes cousins jouent aux échecs dans les jardins d’hiver, ils parlent un allemand du Nord un peu hautain, distingué sans être raide, parfois entrecoupé de morceaux de français, débris perdus de l’époque de Potsdam, le château Sans-Souci, Frédéric le Grand, l’ami de Voltaire, Fritz der Grosse, ils possèdent sa statuette équestre où il est coiffé de son fameux grand tricorne assorti aux vaisselles et à des groupes de danseuse en porcelaine de Saxe. Madame l’astique elle-même, en personne, tandis que Bornhoeft, après les eaux-de-vie et le cigare, somnole, le visage sous un journal dont les manchettes annoncent les nouvelles du front de l’Ouest, un immense parapluie noir ouvert, posé à côté, pour tamiser la lumière, ça lui faisait moins de mouches.
Ingrid Caven – Jean-Jacques Schuhl
Plus tard, après les ors du feuillage du cimetière, autre époque, autre style, autre lieu clos. L’exercice de l’État n’a pas commencé, je me retourne, un pressentiment peut-être ; il me regarde fixement. On échange deux ou trois gestes et l’on quitte nos sièges respectifs pour s’embrasser amusés et se promettre de se voir cette fin de semaine. Étonnant comme ce cinéma nous offre des hasards qui conduisent vers un moment ensemble : sera-ce une expo cette fois encore ?
En quittant la salle, je ne le vois pas parmi la foule, un sms pour m’assurer qu’il n’a pas changé de numéro. Je reçois la réponse « Pas mal le film ». Oui très bien même, intelligent, quoi d’autre encore… Tant.
Dimanche 30
Il parle peu, elle parle peu, il conduit, elle attend. Pas le chauffeur, mais son mari qui est en tôle alors que le héros est en caisse, lui. Et tout le monde encaisse. Comment ça je ne suis ni clair ni drôle avec mes devosseries à trois sesterces ? Bon, le film c’était Drive, et ça change un peu, ah oui, ça, ça change des films français avec lesquels il nous bassine, ah oui ça ça change, c’est du film de mec ça au moins, ah oui ça au moins oui ça c’est sûr.
…De mec avec des goûts assez assurés tout de même, belle photo sur l’écran et joli manteau pour Johann B ; moi j’avais revêtu mes habits du dimanche, vous permettez, la basket jaune et le blouson qui rajeunit… Après le ciné j’ai pris un café, lui il a bu l’thé*, on a parlé… Des impressions, de ces gens que l’on n’ose pas suivre : de cette expo qui nous relie un peu. De sa moitié, de la mienne : de ce qui les relie beaucoup…
* Pardon, mon esprit puéril n’y avait jamais pensé…
Samedi 29
J’ai dans l’idée de partager la splendeur du dernier Ernaux, et donc de l’offrir à Vincent pour ce soir, cette petite soirée en l’honneur de son anniversaire. Le hasard fait joliment les choses, il s’étonne en ouvrant le paquet, il en avait parlé aujourd’hui, suite à un long article dans Le Monde, il voulait la lire, la découvrir. Il sourit ensuite avec l’autre paquet, ce Jean-Philippe Toussaint que, non plus, il n’avait pas lu. Suivirent de jolis moments, de grands rires, des petites folies, des discussions sanguinolentes, des cui cui et des rou rou. La soirée appeaux, c’est la soirée happy.
Vendredi 28
Il reste un peu de temps avant le film, alors Beaubourg m’accueille et sa librairie me tente. Le livre est en soldes, il est en anglais, les habitués s’en douteront, vingt-deux petits euros pour ce FACE – The new photographic portrait, agréable passage en revue plutôt exhaustif (220 pages grand format tout de même) du portrait contemporain.
Et puis au cinéma, devant moi…
– Le gars bizarre : Bonjour, je voudrais une place pour le film, là, heu, l’affiche, avec les deux là, le truc sur le nez*
– Le MK2-boy : The ballad of Genesis and Lady Jaye
– The bad jay….. ??!!?
– zeu ba lade of jé né zisse and lé di djé
– ah ouais c’est sur Génésis ?
– Oui probablement.
Je ris mais pas trop fort, m’approche ensuite, demande « la même chose, probablement », le MK2 boy me sourit, répond de manière complice en haussant les épaules ; le gars bizarre semble être un habitué.
Du film je ressors hésitant, l’histoire est belle, étonnante, incomparable, le film peut-être un peu moins beau, je te dirai le lendemain que la réalisatrice ne fait pas vraiment d’effort, elle se repose sur cette histoire, et après tout… pourquoi pas. Et pourquoi le lendemain ? Parce que le soir même, la nouba de l’étage inférieur me fait fuir… et tester un nouveau canapé deux stations plus loin. Et puisque que tu m’appelles je chuchote, presque endormi.
* Je vous ai résumé cette phrase, ma mémoire n’a pas retenu les borborygmes…
Mercredi 26
Assis au premier rang de la salle de projection, séparés par trois fauteuils, ils nous offrent leur profil, se tournent un peu plus pour un trois-quart face selon l’emplacement du spectateur. De ma place, Thierry de Peretti me tourne plutôt le dos, évidemment je n’ai pas retenu le nom de celle qui lui fait plutôt face et l’interroge, à qui il répond, à qui il explique ce Sleepwalkers qu’il dit foutraque, impur, etc. C’est un fait, il y a des moments de pur régal (le début par exemple) comme d’autres où la parole corsico-corse me gêne, peut-être parce que ces discours manquent de sérénité. Et la sérénité, c’est ce que le fou traque.
Mardi 25
Où l’on parlerait de littérature.
Parce que j’atteins la fin de Les oubliés de Christian Gailly, un titre qui me parle mais auquel je n’avais pas vraiment prêté attention : bientôt la Toussaint, il faudrait que je retourne dans les cimetières… Bref, le livre… Le style haché en permanence y est un peu pesant, il offre un rythme en désaccord avec le récit, ce joli récit qui a des similitudes (artistes oubliés, accident de voiture, relation amoureuse…) avec Un soir au club, du même auteur, souvenez-vous ; des similitudes avec Échenoz aussi, peu sur l’écriture malgré quelques pirouettes désinvoltes mais sur le récit, encore le récit, Les Grandes Blondes bien sûr, souvenez-vous…
Parce que la radio est un media merveilleux, quand vous rentrez le soir, et qu’en appuyant sur le bouton quelques voix comble le silence d’une solitude – huit jours déjà, huit jours seulement. Annie Ernaux sur France Quelque Chose, Annie Ernaux, sa vie, son oeuvre, ses souvenirs, cette voix qui raconte, là, ce soir, la collation chez sa grand-mère, je souris évidemment, je repense à la mienne, je la revois m’appelant pour cette (même) collation, (est-ce là notre point commune, Annie ?), ine goulée, accent saintongeais de rigueur. À la radio, les accents sont normands, la chroniqueuse est allée là-bas, sur les lieux de l’enfance, le moment est joli, tellement joli, bruit de rues, voix, évocations, nostalgie, on se rappelle le goût du pain, le goût des choses.
Lundi 24
J’ai senti ce vent… passer dans mes cheveux, et j’ai commencé à pleurer. C’était la première fois depuis 3 ans et demi que je sentais le vent dans mes cheveux.
Cette pile de films m’étaient inconnue, pourtant elle ne se cachait pas, mais disons qu’en quelque sorte elle ne payait pas de mine, posée là, presque par terre, sur ce rez-de-chaussée d’étagère squatté par « mes » films depuis juin ; s’y cachait ce film dont on m’avait tant parlé… ou plutôt si brièvement, quelques superlatifs, aucune description, une exclamation ou deux me donnant envie quand je parlais de mon amour pour Valérie Mréjen et qu’on me demandait « Tu as vu Pork and Milk ? ».
J’ai vu Pork and Milk. Exclamations.
Dimanche 23
T’attendre et se parler, même là-bas tu as quelques habitudes parisiennes, comme aujourd’hui avec ton moment partagé avec JCF. Te parler et partir, aller voir du côté du passage Bourgoin mais ne pas voir grand chose car le tournage est de l’autre côté, de l’autre côté du mur. N est un peu plus grand que moi, il a pris la meilleure place, pas grave, le temps qu’A m’éblouisse et je repars, il fait beau, je me laisse aller, imaginez-vous que je rejoins l’hôtel de Ville à pied, avec une hésitation rue Champollion, mais je m’imagine plutôt chez moi pour un film. Chez moi l’hésitation d’un boîtier à l’autre finit par ce Voyage en Italie de Rosselini, c’était plutôt bien vu après le tournage d’A, mais si vous croyez que c’est pour cela que mon choix s’est porté dessus. Non. C’est juste que le film ne fait même pas 90 minutes. Mais tant de belles minutes. Ingrid au musée, Ingrid à Pompéï, Ingrid au volant, Ingrid sur la terrasse ensoleillée, Ingrid, Ingrid, ne pleure pas.
Samedi 22
Il entre brusquement dans la galerie sans dire bonjour, se précipite sur une photo à droite de l’entrée, grommelle un truc que j’ai oublié, se retourne, dit bonjour et puis « C’est une actrice, elle, non ? ». Agathe Gaillard confirme. Je n’ai pas encore vu la photo, je suis allé dans l’autre sens ; c’est Ana Mouglalis au milieu d’autres filles, le photographe est Luc Choquer, la série s’appelle « Les Parisiens« , la série me parle, les touches de rouge se détachent, je me rappelle ce que j’ai écrit l’autre fois sur ce lieu, mais aujourd’hui je n’achète aucune carte postale.
J’ai profité du beau temps pour prendre mon temps, errer dans le centre, des boutiques sans envie, un café en terrasse, marcher jusqu’à Austerlitz, un RER jusqu’à la station suivante, un fauteuil au deuxième rang d’une salle presque pleine pour Metropolis, copie neuve et complétée, ça tombait bien puisque je n’avais jamais vu ce film. Et c’est là que je devrais trouvé quelque chose de concis à écrire pour évoquer cette merveille….
Vendredi 21
Dans la pizzeria ça jacte en italien, la mamma est mammesque et la calzone parfaite. Entre nous ça cause Kyoto et Cotonou, photo et peinture, projets d’expo et projets d’expo, Blois et Nogent. J’attends encore un peu avant d’avouer à Oli que j’ai vu la plus petite toile, ma curiosité et mon amour pour certaines de ses œuvres n’ayant pas fait bon ménage avec son (trop tardif) « surtout tu regardes pas, hein ?« … La toile en question me plait énormément, voilà, c’est dit, le cadrage évidemment, la touche colorée évidemment, la massivité des traits évidemment. Vivement février…
Jeudi 20
Une plume, duvet blanc échappé d’un vêtement, s’envole, éclairée par l’écran. La jeune femme assise au premier rang s’en va ; on l’avait déjà sentie fébrile un peu plus tôt, enfilant son manteau, hésitant probablement à partir en espérant un mieux ou autre chose. La jeune femme a tort, du moins ne sommes-nous pas du même avis, tandis que s’affiche une vaste étendue de campagne. Elle a tort parce que le film n’a pas encore tout donné, il faut attendre, c’est évident, ça se sent, mais pourquoi cherché-je à la convaincre ? Elle est partie, c’est donc à vous que j’ai envie de donner envie d’aller voir ce Hors Satan de Bruno Dumont, rien que pour les plans si les histoires bizarres près de la Mer du Nord vous rebutent, vous savez les plans, ce truc qui vous fiche des gifles parfois au cinéma, mais peut-être qu’il m’en faut peu, ce plan large par exemple qui offre trois histoires en même temps, trois points de vue, je ne sais pas, ça m’a scotché, je ne sais pas, ça a peut-être été fait mille fois par d’autres, sans que je l’aie remarqué, je ne sais pas, en revenant je t’en parle vaguement pour ne pas en dévoiler trop et je te parle d’Ordet de Dreyer mais en parler c’est trop en dire.
Mercredi 19
Du travail pour les uns et les autres, pour moi aussi, et il est bien tard quand je passe à autre chose : la chambre est froide, il est minuit, je glisse pourtant le film dans le portable qui chauffera localement la couette. La voix de Mireille Perrier me berce, les mots prononcés par elle et les autres acteurs m’emportent, superbes dialogues pour un si beau J’entends plus la guitare dont je ne découvrirai l’intégralité que quelques jours plus tard — elle me berce, vous dis-je.
– Pourquoi tu ferais pas un tableau de moi ?
– Trop réelle.
– Moi ? Mais comment est-ce qu’on peut être trop réel ? On est réel ou pas, c’est tout.
Mardi 18
Il l’embrasse sur les deux joues en descendant du métro, pourtant elle le regardait langoureusement. J’imagine que le couple est illégitime pourtant elle lui avait caressé la joue sans s’inquiéter des autres autour. Elle reste alors seule avec sa valise, moins lourde que la tienne mais peut-être tout autant chargée de tristesse. Tu repars là-bas, rendez-vous dans exactement deux mois, malgré tout je souris un peu :
Abashiri est une ville où il y a statistiquement beaucoup plus de chances de se faire couper les cheveux que de se rendre au restaurant. J’y ai compté treize coiffeurs durant le (petit) tour à pied du (petit) centre-ville quasi-désert. (…) Treize salons de coiffures, oui, mais tous fermés — et un seul restaurant, mais ouvert, quoique désert — près du petit port qui ouvre sur le gris bleu de la mer d’Okhotsk avec tout au loin, invisible, la Sibérie. Une vieille dame exceptionnellement peu souriante — car certains clichés correspondent à une indéniable réalité : oui, on sourit beaucoup au Japon — nous y servit un grand bol de soupe aux saveurs marine.
Christian Garcin – Carnet japonais
Lundi 17
Nous avions rendez-vous avec T pour un thé au bar du Luté’, c’était assez simple puisque c’était au bout de la rue de Babylone où nous avions déjeuné dans une ambiance d’île de Ré avant d’aller à la Pagode, salle de cinéma depuis 1931 qu’on pourrait qualifier de mythique, mais jusqu’à ce jour j’avais ignoré le mythe de ce bâtiment asiatisant de 1895. Nous étions allés y voir un film muet, ça tombait plutôt bien, The Artist, mais c’était plutôt pas bien.
Nous n’étions pas encore assis dans les fauteuils Art déco que T nous dit « je crois que c’est M. A. qui vient de rentrer ». C’était une jolie coïncidence, qui serait suivie d’un sentiment plus fort que la simple petite surprise, puis par l’envie de dévaliser les rayons de La Grande Épicerie. Il s’agissait de se faire plaisir : demain tu partirais, les plus perspicaces comprendront que c’est la raison pour laquelle je ne travaillais pas. Mais reste donc encore un peu, par exemple là, sous la couette, devant Les hommes préfèrent les blondes.
Dimanche 16
À l’horizon on voit du rose, comme les couchers de soleil qui annoncent de beaux lendemains. Le ciel me pousse de Jourdain à Austerlitz, Jourdain où j’ai glissé (mon bulletin dans l’urne), Austerlitz où j’ai glissé (ma main sur la tienne). On se parle de nos dernières heures le temps du trajet ; à Montreuil le code a changé. Tout change, tout se dégrade diraient les plus pessimistes. Tout se dégrade, même les couleurs au plafond, et les voix, les voix oui aussi, et vous n’imaginez pas comme c’est beau, les dégradés de voix.
Samedi 15
Avant de partir je cherche un autre genre de lecture : la troisième nouvelle du recueil ne me tente guère, malgré tout le bien que je pourrais dire des deux premières. Je retrouve dans l’étagère un Christian Garcin , Carnet Japonais, laissé par JLM alors que j’étais plongé dans je ne sais quel ouvrage. Dès les premières pages je suis séduit par le ton sérieusement souriant de ces chroniques, mais il est déjà temps de descendre du RER, me voici à Austerlitz, à pied je rejoins la rue Keller pour quelques airs lyriques joliment et joyeusement interprétés sur le trottoir ; c’est fête dans le quartier. Je repars avec le plaisir d’être venu, olives et pot à la pistache, pour à peine plus tard retrouver Nathalie et l’accompagner au salon de la revue (le magazine, pas le spectacle avec des filles nues) et dîner au Bûcheron, le Bûcheron encore, encore et toujours, on y revient toujours pour la carte et le service, le vin et l’image qu’il nous rappelle, Cassandre, mais oui Cassandre…
Vendredi 14
Le vendredi commence par la vision d’un citronnier dans le RER, dans un pot et le RER dirais-je même, alors qu’à ma droite équations et intégrales me rappellent des souvenirs bien lointains et m’évoquent un langage incompréhensible. Il se termine face à un demi-ring, scène choisie pour cette représentation de « Zouc par Zouc » où l’on le lassa malheureusement de la corde à sauter. Il faudra lire le texte en d’autres lieux pour être touchés ?
Jeudi 13
Lognes. Tests pour intégrer la préparation au concours d’attaché. 1014 candidats rêvant d’un 10/20. Moi et 1013 autres alignés pendant 3* heures dans 5 ou 6 salles. Devant ma petite table j’ai le sentiment d’être plongé des années en arrière, dans trois heures le coin sera plié, en attendant je dois lire et relire, écrire, analyser, réfléchir, comprendre, savoir, me concentrer, me concentrer, arrêter de penser que je dois me concentrer, merde, me concentrer, évidemment c’est plus facile d’écrire son journal que d’expliquer la notion de territoire vécu, surtout quand l’horrible adverbe « adéquatement » vient brusquer ma concentration, grrrr se concentrer, se concentrer… zeeeeen…
* Ou plutôt 2 et demi parce qu’au bout de 2 et demi la troisième partie et ses questions pour un champion sont apparues… Pan, dans la tête à Jean**…
** Avec cette ambiance de partiels me reviennent à l’esprit les phrases fétiches de deuxième année de fac***.
*** Au secours.
Mercredi 12
On avait vu Fanny un court moment, le temps d’un verre ou deux, puisque les verres à vin sont petits, et bien vite elle avait été remplacée par Catherine K, inquiète des températures pour cause de courte longueur de jupe ; était-ce une robe ? Vinrent ensuite M&C, puis Fabien, on parla des primaires, pour certains ce n’était pas un sujet secondaire, moins que le secteur tertiaire à l’ère du quaternaire ?
Hum… pardon…
Mardi 11
Le Méliès, c’était autrefois, une autre vie ; ma première adresse francilienne était à deux pas, des prénoms entiers s’alignaient sur ce journal, les phrases s’y suivaient sans intérêt, les films sur grand écran allaient de Spiderman à Catherine Breillat, ah oui, jusqu’à Breillat, clap de fin sur Amira et Rocco, mais bref… ce soir c’était Naomi sur l’écran, Naomi Kawase que tu avais retrouvée pour une masterclass, on peut dire que vos agendas s’étaient joliment croisés. Je te rejoins devant la salle 2, Pascale sera là aussi et les prénoms entiers reviennent. Salle 2 donc, Hi Wa Katabuki puis Memory of the Wind. Le premier, troisième film d’une trilogie hommage à sa grand-mère me laisse indifférent et m’offre un peu de repos, le temps par exemple d’un plan sur quelques tomates. Le second, humaniste et généreux, où les inconnus se succèdent et les petits présents passent de mains en mains, une idée simple pour un moment superbe, couvert dans sa première moitié d’une voix qui… qui quoi déjà ?
Dimanche 9
Sur l’interphone moderne je cherche un nom ; ne s’y affichent que des codes. Je l’appelle. « Je descends vous ouvrir ! ».
Il descend surtout nous parler de la façade, des derniers éléments restaurés, du pas de porte qui a laissé ses traces, de la signature de Bigot, là, en bas, des paillassons trapézoïdaux du rez-de-chaussée, des vitraux qui se brisent, des hauteurs d’appartement, des briques de verre, de tous ces petits détails qui font la magie du Castel B. À l’intérieur, nous partageons l’intimité de ces pièces (chambre, salon, etc.) et de ses pièces (lustre, verres, etc.), jolis souvenirs, jolis détails encore une fois entre triangles modernistes et moulures néo-gothiques*. « Vous ne faites pas de photo ? », me demande-t-elle. Non, pas de photo, je rechigne sur la lumière un peu triste, je doute de réussir à capter quelque chose et j’ai surtout envie de garder ce moment comme ça, allez comprendre…
Pas de photo non plus, plus tard, plus loin, tandis que l’archer glisse sur les sept cordes de la viole. Le visage sculpté regarde un peu ailleurs, les oreilles invitées écoutent vraiment, un œil sur le lustre qu’on verrait bien chez soi.
* ou néo-quelque chose…
Samedi 8
Puisque Munch était assailli, nous avions opté pour un autre art, contemporain et accessible gratuitement, et d’une galerie à l’autre nous allions. Soudain, les voilà qui franchissent un seuil pour retrouver le trottoir, et nous nous exclamons, nous qui passons dans la rue, surpris et heureux de les voir dans ce joli hasard, le lendemain de notre dîner commun. Dans un bar alors nous allons, qui un blanc, qui un chocolat, parler de ce qu’on a vu et de ce qu’on ira voir, de ce qu’on a aimé et de ce qu’on oubliera, à supposer qu’on n’oublie pas ce qu’on aime*.
Plus tard, après quelques Gailly achetés, fauteuils rouges pour Un été brûlant de Philippe Garrel, qui nous aura laissé plutôt froids, en dehors de la dernière scène superbe dialogue pré-mortem.
Arts plastiques, littérature, cinéma… il fallait finir en musique, non ? Oui, et finir avec un deuxième joli hasard, Barbara C. sur France M.
* Revenez quand j’aurais fouillé dans mes souvenirs et mon sac, je citerai quelques noms.
Jeudi 6
Bien sûr à la MEP nous nous rendîmes, moi abonné, toi une dîme. Là-bas, heureusement Klein + Rome, et ça m’inspire… on va à là-bas en 2012 ? Deux choux, un tour aux Mots à la Bouche où Gailly rejoint König au fond du sac, puis l’espace 315 pour Cyprien Gaillard et ses jolies ruines de polaroïds, mais ce n’est pas tout, puisque l’on va là-bas on y trouve quelques gâteaux et on y retrouve Karen. Au retour de ce joli périple, ligne 7, une annonce me sort de ma torpeur et je pose mon regard sur elle, assise en face de toi. Trop bronzée, coiffure caniche aux couleurs improbables, faux Vuitton et jean à paillettes, elle n’aime visiblement pas cette cinquantaine qui la caractérise dorénavant ni ce trentenaire qui la regarde.
Mercredi 5
Puisque tu es là je reste, avec toi, mais pas forcément ici, donc nous partons, pas si loin, tu veux retrouver Paris, tu me dis que tu veux lire le journal en buvant un café dans un bistro, plaisir français. Le temps ne presse pas, ni le temps ni les gens, et c’est à midi trente qu’on prend ce café et nos aises, sur une table à la Mouff, avec le visage toujours assez figé de la femme derrière le comptoir. Libé, Le Monde, Le 13 du mois, et caetera. Puis l’on marche, après ce moment parisien on cherche une influence asiatique, à savoir un rice-cooker, cet objet qui était autrefois posé quasi quotidiennement sur le coin de la table en formica jaune, mais c’était autrefois, autre lieu.
Autre temps, autres mœurs, 1899, une maison close qui donne son nom au film, l’Appolonide, 24, rue Richelieu. Riches, lieu, la rue me temps une perche, je vous laisse le jeu de mots, ici ce sont d’autres jeux, de mains et de vilains, des jeux qui finissent parfois mal, en rire affreux, oxymore. Au delà des jeux, le film est beau et délicat, huis presque clos au décor affriolant, jolie galerie de personnages, plaisir, plaisir, qu’il est bon de se laisser aller dans de tels divans.
Mardi 4
Enfin !
Lundi 3
Si l’absurdité est un manque d’habitude, alors c’était presque absurde d’être là, un jour de travail, serviette et maillot sous le soleil, un jour d’octobre entre midi et treize heures. Mais ce n’était rien à côté de ce qui éclaira l’écran le soir même. J’avais rejoint J et N pour une fée, La Fée, le film, film à effets, effectivement, fée fans fapeau pointu ni baguette, film qui s’effafera peut-être de nos efprits malgré les quelques rires surgis ici ou là.
Dimanche 2
Il sort un yaourt d’un vague sac en plastique, ôte l’opercule et le jette par terre. Quand il descend du train deux stations plus tard, le pot a rejoint le sol, je regarde ce porc descendre l’escalier avec un sentiment d’impuissance et d’exaspération.
Il est tard, les blabla du magazine ne m’intéressent pas, les mots dans les livres n’attrapent pas mon regard, je sors mon carnet, puis le plan de Paris, me demande quel trajet prendre pour gagner quelques minutes un dimanche à une heure si tardive mais il y a peu d’espoir. Station Bibliothèque, les espoirs sont envolés, il faut attendre encore, je me demande pourquoi on limite les bancs, les chaises, les banquettes, les appuie-tête, les repose-cuisses et les supports à fesses en m’asseyant à même le sol. Je reprends le livre mais dans mon champ de vision le garçon bouge trop, et un peu plus loin sa mère parle trop fort. J’aimerais être chez moi, au calme, me poser un peu et puis quoi… trouver une chute au paragraphe.
Samedi 1er
Finalement c’est à deux pas Aubervilliers, deux stations depuis Gare du Nord, et Gare du Nord c’était plutôt pratique, une simple petite promenade depuis chez F. Avec F on avait parlé photos, les miennes, ces dos, ces cadrages, ces profondeurs de champ, et puis ces correspondances dans ce livre que j’avais montré satisfait et enclin à en faire un encore mieux.
Avant chez F il y avait eu la F, pour te trouver quelques cadeaux, ce joli coffret et ces deux livres évidemment, Murakami : comment passer outre ? Après chez F, sur le chemin, le Café Moustache me tire un sourire, leur extrait quelques regards : j’ai le look local, non ?
A Aubervilliers on a parlé de tout de rien, du boulot évidemment, le mien, puisque les deux garçons en sont partis mais les filles n’ont pas forcément envie qu’on en parle, nous non plus d’ailleurs alors on passe vite à autre chose, tout et rien.
Au retour, un des derniers métros me ramène, je lis vaguement le Faste des morts, de Kenzaburô Oé. Le groupe de jeunes vient s’asseoir, me demande ce que je lis, « et ça parle de quoi ? » alors plus tard quand l’un d’eux me parle, un autre lui glisse « Attention il va te couper en morceaux » mais je les ignore presque entièrement, je mime sans difficultés quelques signes de fatigue avant de fermer le livre et les yeux. Aubervilliers c’est à deux pas, mais pour retourner à Ivry il reste de fichues enjambées.