Janvier 2012

Mardi 31

On s’est déjà vus ? Oui, on s’est déjà vus, l’autre jour d’abord mais surtout avant-hier, ce regard appuyé c’était moi. Ah oui, c’était moi. Bien sûr, ça lui revient. Enchanté en tout cas.

Lundi 30

J’aurais pu raconter comment j’ai failli abandonner mon sac dans le RER, moi sur le quai, lui de l’autre côté des portes. Cela pourrait faire une scène efficace dans un recoin de film, parce que c’est très visuel, l’élan pour monter dans la rame le bras droit en premier et les portes qui se referment, le visage terrifié du mec qui se retrouve le bras le bras coincé, les visages des gens qui se portent sur lui, le geste presque placide du grand type qui tire sur la porte, le mec qui rougit dit merci et désolé dans la même foulée en se demandant 10 secondes plus tard si le signal a retenti, ce qu’il aurait fait si…

Bref. Une matinée plus tard je te retrouve. Sushi tournant rue Richelieu, appartements Napoléon III au Louvre, La Folie Almeyer dont je ressors dubitatif voire agacé et enfin l’étage électro-ménager du BHV parce que la culture c’est bien mais les plastiques mats et les métaux chromés sur les percolateurs c’est quand même autre chose.

Dimanche 29

« Et du coup les gens ils posent pas. »

Sur la photographie, une femme porte des paquets dans une rue de New York. Non, elle ne pose pas. Je souris, note la phrase entendue, sourirai à d’autres reprises, noterai à d’autres reprises, mais pas des paroles volées, non, plutôt des légendes et des impressions, beaucoup de légendes pour pointer les photos dont je veux absolument me souvenir, des notes mal écrites faute de stabilité, faute de tranquillité, je ne suis pas seul vous savez, il y a du monde pour voir le travail (magistral) de Diane Arbus ; même dans le parc, ensuite, il y a du monde, ça se promène malgré le froid, il y a même quelqu’un déguisé en renard bleu, ça court aussi, tiens d’ailleurs c’est… mais le temps d’un regard appuyé il est déjà parti, on attendra mardi pour sourire de ce hasard.

Et puis tu reviens, je souris encore mais pas pour la même raison évidemment et puis ce sont les rues de Los Angeles qui finissent la journée, Jack Nicholson croise la route de Faye Dunaway dans ce Chinatown dont l’affiche hanta longtemps mes références néo-Art nouveau.

Samedi 28

Hi-ro-shi-ma. Elle prononce lentement le nom en découpant les syllabes, c’est un peu à l’image du rythme de ce samedi. J’ai déjà vu Hiroshima mon amour. Le lendemain, j’avais dit « C’est beau mais c’est chiant« . Été 1996. Peut-être. Je confonds peut-être, mais je ne crois pas, je confonds peut-être avec un autre film durassien mais lequel si c’est le cas ? J’ai l’impression que c’était l’été de mes 22 ans, l’été qui se termina par une session de rattrapage de licence un mercredi après-midi de septembre, un été à remplir un beau cahier à la couverture verte de formules de chimie organique ; je revois la glycine sous laquelle j’avais fait ce commentaire à ma sœur, mais peut-être étais-je assis sur le rebord du trottoir. Mais que faisait-elle là ? Peut-être n’était-ce pas le lendemain. Je n’avais alors jamais lu Duras. Parce que j’ai commencé à la lire en 1999, au printemps. Peut-être.

Vendredi 27

Il est tard, on me propose, j’accepte qu’on me dépose, propose autre chose en échange, un petit rien, un apéro mais ça se prolonge par un dîner, on improvise comme on peut et puis voilà, au moment de partir, quelques regards sur des photos, deux, je suis enfant, on reconnait mon front et je m’en étonne, je ne dis pas que c’est la main de ma grand-mère et on me dit que cette autre photo est belle, ma peau claire sur les teintes bleues de l’océan, l’air un peu hésitant des premiers pas.

Jeudi 26

Rita Gorr m’avait accompagné la veille et l’annonce de sa mort m’avait entraîné vers quelques vidéos en ligne. Mais en ce matin frais, voici son sosie dans le RER C, avec un sac à dos Ikea Family tandis que j’ouvre un autre livre. J’ai décidé, sans grand enthousiasme, de retrouver les histoires particulières de Yoko Ogawa plutôt que les écritures pointues des romans de chez Minuit m’accompagnant régulièrement en ce moment. Le livre se nomme Les tendres plaintes, finalement c’est un peu ça, je me plains tendrement…

Dona au début, ayant du mal à se poser, allait et venait sous la table, mais bientôt je ne sais pourquoi, paraissant aimer l’endroit à mes pieds, il s’est assis, a posé la tête sur mes cous-de-pied. Ses gros globes oculaires manifestement atteints et qui semblaient à moitié lui sortir de la tête étaient néanmoins d’une belle couleur, comme si l’on avait mélangé un peu de peinture bleu clair à du yoghourt.

Et puis le soir cet appel. Au milieu ce « Tu ne dis plus rien« . Que dire ?

Mercredi 25

Bon on met des tirets ou pas ?

Mardi 24

Le lien. Ai-je inconsciemment choisi ce livre de Laurent Mauvignier parce que tu pars ? Pas si loin. Pas si longtemps. Quelques jours à Berlin. J’aurais aimé venir, dû venir. Plus facile à dire qu’à faire…

La pluie est fine, mesquine ce soir. Une bruine, dirait-on. J’ai déjà oublié l’odeur qui m’a frappé dans le couloir de chez Fabienne, je n’avais probablement pas 10 ans, nous rendions une visite à l’hôpital : l’odeur était de nouveau là ce soir, tant d’année après. Dans le bus 96, deux japonaises derrière moi, je tends l’oreille ; je retrouve des sensations que je n’aime pas vraiment dans les bus en hiver, cette humidité. Mais les images troublées par la vitre embuée offrent des flous qu’on ne choisit pas.

Lundi 23

On se retrouve à Beaubourg. Tu es déjà là, appuyé sur la rambarde ; que lis-tu ? C’est le dernier jour pour l’expo Munch ; à une autre époque (pas si lointaine) je me serais rué sur cette exposition … On s’est donné rendez-vous à 20h30, sans réfléchir que… que ce serait trop tard. C’était trop tard. Une demi-heure de ceci, une demi-heure de cela ; « Vous pouvez quand même tenter… » a-t-il dit nonchalamment. C’était presque trop tard, peut-être pas finalement, mais on s’est regardés et l’on est reparti. Tu avais fait une quiche de toute façon.

On a trouvé de quoi rattraper le coup, de quoi donner à cette soirée un autre air, un air bien plus fou avec l’incroyable « Touche pas à la femme blanche » de Marco Ferreri. Folie, ô folie, quand un Reggiani presque nu, un Mastroianni aux cheveux longs, un Ugo Tognazzi en indien, un Michel Piccoli en Bufallo Bill ou une Catherine Deneuve en jeune ingénue pinçant les lèvres comme jamais se retrouvent dans le trou des Halles pour une reconstitution ultra-parodique et anachronique de la bataille de Little Big Horn…

Dimanche 22

Tu vois, j’ai choisi un modèle pour garçons sages ou quadragénaires centristes ; un modèle pour lequel je n’ai aucune cravate assortie, c’est un peu le problème. Tu dois te demander si c’était bien utile cette nouvelle chemise, mais tu t’amuseras plus tard d’un « Regarde-la bien, tu ne la verras jamais aussi bien repassée. » On s’échappe de Beaubourg, besoin d’air après la longue exposition « Danser sa vie« , parce que c’est vaste la danse, dans ce cas c’est long comme un siècle, que dis-je un siècle, même la Loïe Fuller est de la partie… De quoi faire un billet long comme un siécle, mais passons à la suite, au moment suivant, le verre de vin au comptoir, dans ce lieu exigu et chaleureux.

Et puis une invective en anglais, l’homme grand et roux s’emporte après la femme qui vocifère seule dans la rame ; son charabia m’avait pourtant amusé, faute de tout comprendre… Puis sur l’écran c’est encore un homme et une femme. La rivière sans retour les emporte, sous-titrés en anglais, après tout pourquoi pas, faute de mieux…

Samedi 21

Il n’y a pas de raison de penser que l’artiste conceptuel est là pour ennuyer le spectateur. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est elle, là, derrière le bar…

À côté de moi, Judith prend quelques notes, de ce qu’elle voit et entend je suppose, je n’ai pas l’audace ou le toupet de pencher la tête ; moi je n’écris que cette phrase, vite, car je n’ai pas envie de manquer trop de bribes de cette expérience, de cette liste de moments à la Prévert, happenings, poésie, tonic, mouvements, fumée, lumière noire, images, imaginaire, mots, description, solo, duo, légèreté, profondeur, mais je manque quelques bribes pour capter quelques images, c’est plus fort que moi bien sûr, le moment est photogénique bien sûr : la moquette et la fumée, les noirs et les blancs… Au milieu de tout cela, ce tout en construction, imparfait mais agréable, agréablement bancal, je retiendrai surtout deux moments. Les mouvements de Noé Soulier d’abord. Les souvenirs d’Oliver Beer ensuite. Oliver Beer a gardé le lino, celui de sa grand-mère, marqué par les traces d’une vie, les passages et les absences de passage. Frappé par l’évidence, j’emporte l’image avec moi, enroulée, comme si j’emportais ainsi un peu de mes propres souvenirs.

Vendredi 20

Puis l’homme a conclu : « On dirait tes parents. »

Éclat de rire page 44. Merci Dominique Noguez (et Fred).

Jeudi 19

La pièce est terminée. Un vrai plaisir. Divine, au théâtre de l’Athénée. Vous connaissez le théâtre de l’Athénée ? Moi non. Enfin maintenant si. Élégante façade néo-rocaille de 1896…

La pièce est terminée, on attend l’acteur-danseur au bar pour le féliciter, mais nous ne sommes pas les seuls. On entend le retour scène. Les voix qui jouent Les bonnes sont fortes, alors on attend en silence. Presque en silence : sous les pampilles les chuchotements sont quasiment imperceptibles, décidément je trouve tout beau en ce moment parce que je trouve ça beau, ces gens que je vois parler sans les entendre, ça me fait penser à L’année dernière à Marienbad.

Ensuite le monsieur joua de l’accordéon dans le métro, et c’était pas Marienbad…

Mercredi 18

Quelquefois votre seul regard me fait peur. Quelquefois jamais je ne t’ai encore vu.

Quelquefois jamais je ne t’ai encore vu. Quelquefois jamais je ne t’ai encore vu. Je relis la phrase, la lis encore, plusieurs fois, la répète, essaie de la retenir, mais dans le doute j’attrape mon téléphone, cherche la fonction bloc-note. Dans le métro, debout, c’est plus simple ainsi. Alors que la veille j’avais buté sur les mots, là je m’arrête sur ceux-ci, je les aime, j’aime cette phrase, passionnément, je ne sais pas pourquoi et nous sommes le matin.

Nous sommes vers midi quand on me signale un bug, ça ne va pas, ça ne marche pas. Alors je vérifie, j’ouvre les fichiers. Ca ne va pas, non ça ne va pas, sur l’écran soudain, la vue d’ensemble me frappe. Quelques corrections mais… Oh et puis…

Nous sommes le soir, un taxi nous ramène, le genre de taxi sur lequel on regrette d’être tombé, parce qu’on sent que ça va pas être fun, qu’il va y avoir comme une chape de plomb sur la carlingue, en résumé qu’il a une tête de… bref… Sa tête c’est rien : y a la radio. Des types (quatre ?) parlent (chacun au bout de son téléphone ?) de foot. Le volume est assez fort, enfin trop fort quoi, c’est même pas le foot le problème (quoi que…) il a dû le monter quand il nous a entendu parler de… mais de quoi parlait-on ? De notre journée probablement, du film assurément, l’un des deux vus ce soir ; sur le premier, on passe, joker, next, on le laisse à d’autres. Le deuxième, 63 regards, de Christophe Pellet, c’était beau, délicat, les mots glissaient, livre ouvert sur ces femmes qui parlent, parlent ou pensent, mais sont-ce leurs mots ou ceux des autres ? Les femmes marchent, évoquent Moritz, on sait donc un prénom et une ville (Berlin), dans laquelle elles glissent un peu, elles aussi, on les suit, je trouve que c’est beau évidemment, et parfois plus que ça, comme par exemple quand elle s’arrête, l’imperméable anthracite dans un coin de l’écran, sa blondeur, ailleurs le parc.

Et pourtant Moritz ça m’évoquera toujours le nom d’un prof de math de ma sœur.

Mardi 17

C’est évidemment un doux sentiment de bonheur qui débarque quand je vois le colis posé sur mon bureau, le colis enfin, le colis allé et venu entre ici ou là. Le paquet ouvert, la joie décuple – oh les verres rouges ! -, puis retombe ; sous le papier à bulles se dessine la déception des bris de verre. Mais il reste assez de rescapés pour que mon plaisir reprenne forme, et l’ouvrage qui accompagne le tout (Les trente-six photos que je croyais avoir prises à Séville, de Dominique Noguez) est à la fois une jolie coïncidence avec ma lecture du moment et un probable moment de plaisir. Évidemment je me rue sur le téléphone pour un grand merci, un peu comme je me ruerai sur les lasagnes le soir venu…

Me ruant moins sur le « je » que tu me conseilles le soir même, je finis par convenir que, oui, ce je, c’est bien aussi, voire aussi bien, voire mieux.

Lundi 16

Et puis une fois, vous êtes resté longtemps sans écrire. Un mois peut-être, je ne sais plus pour ce temps-là ce qu’il avait duré.

Yann André Steiner – Marguerite Duras

Entre ces autres passagers trop proches de moi, je regarde cette brillante lumière d’hiver entre deux immeubles assez tristes, elle efface l’amertume de la position debout qui empêche la lecture que j’avais espéré. J’ignore que le soir aura un goût de financier, d’abord un goût de soupe miso qui fera grimacer L, sourire en face, un peu moqueur.

Dimanche 15

Et voilà que déjà, les goûts de là-bas te manquent. Dans les rayons du supermarché asiatique, entre nos habitudes, on peine à retrouver les produits japonais ; il suffisait de monter, pourtant nous avions hésité. Au retour, la table du petit-déjeuner est intacte, les belles au bois dormants sont encore assoupies, pourtant l’heure est bien avancée.

Le déjeuner se clôt coloré. De tels brillants, c’est indécent, surtout sur une galette ; on dirait la couronne d’un roi, la couronne de la fille d’un roi, est-ce toi Marguerite ?

Et l’après-midi passe, photographique pour moi, un peu martelé pour toi, juste un peu, juste un meuble, puisque il n’est pas utile de frapper ces encornets dont le nettoyage m’a sorti du clavier. Alors regarde, c’est simple, tu mets ton doigt et hop…

Et le dîner arrive, déjà, enfin se revoir ici, comme avant. Ta parenthèse de là-bas est refermée, tu en racontes certains contours, mais il reste tant de points de suspension à combler qu’il faudra d’autres moments.

Samedi 14

Sorti du lit, des l, des i, Lili, Alice puis Wil’, (joli) clichés, Austerlitz, Auterlilitz ? Un livre, quel poids, pourquoi pour quoi faire, pour entendre derrière moi, dans la file, un « Franz » crié mais retenu. « Franz !« , elle l’appelle, je tourne la tête à gauche, tiens c’est lui, ne me dites pas qu’il… ah si.

Et puis l’on se rejoint, je te raconte vaguement leurs histoires d’imprimante, leur triste inconvénient de vivre sur deux étages, et puis l’on se dit que la brasserie… Alors au Montparnasse 1900 on s’installe, la verrière offre ses couleurs et les assiettes leur goût ; on s’étonne d’un rognon rosé et il serait triste de clore ainsi le soir. Sur les Champs elles nous entraînent et l’on s’en amuse, pourtant les lumières des fêtes sont déjà éteintes, parfois elles n’offrent plus à voir qu’une morte carcasse. Pour être éblouis, on entre donc ici ou là, devant les phares l’inconnu pose, puis sous les lumières violentes d’une enseigne parfumée le vieil homme exagère. Pas de grand roue alors ?

Vendredi 13

Après les bâillements dans la rame, je cherche une respiration. Alors je prends mon temps, de toute façon je suis en avance. Dans le Paris du matin, je marche un peu, de Châtelet aux Halles, les rues sont presque vides, comme elles l’étaient chaque matin d’autrefois. Autrefois ? Ce n’est pourtant pas si loin ; mais ça y ressemble.

Le soir, à la recherche d’un livre sur lequel j’hésite, je me penche finalement sur le rayon dvd de ces mêmes Halles et j’emporte avec moi Marylin et Faye.

Jeudi 12

Je ne m’attendais pas à rire, surpris, en rentrant de déjeuner. Je ne m’attendais pas à ces deux photos, reçues à 12h26. Sur une, une enseigne. Sur l’autre, des cartons sur un chariot, un grand sac bleu facilement reconnaissable tranchant avec le gris du bitume d’un parking. Une question accompagne l’une des deux images : « Ah quelle heure tu rentres ?« .

À une heure (malheureusement) (presque) habituelle je rentre. 160 ans après l’invention de l’ascenseur pneumatique, nous gravissons quatre étages d’escaliers avec ces cartons qu’on devinait immenses et lourds sur les photographies. Mais le plaisir de voir mes beaux livres rangés est au bout de l’effort.

Tandis qu’au bout de la journée, de la journée puis du dîner, du dîner en compagnie, on touche à la poésie, la poésie culinaire. Des fragments d’arc-en-ciel s’écrasent sous la langue : c’est ainsi qu’on rêve encore aujourd’hui, 160 ans après l’invention de l’ascenseur pneumatique.

Mercredi 11

Évidemment je me souviens de ce café mais j’avais oublié son nom… L’avais-je jamais su ? On s’y retrouve, je suis là un peu avant toi, me glisse derrière la table, lit vaguement quelques phrases, non finalement non, une photo ou deux, tu souris et commande : « la même chose…c’est quoi ? »

Sur un plan on cherche et sur l’écran on s’attache à cette Délicatesse ; oui, pour une fois, quelque chose comme ça, vous voyez, léger, simple, sans amertume ni aigreur, quelque chose loin de cet énergumène parlant fort, couvrant nos bruits de fourchette — parce qu’il fallait bien dîner après le film —, pourtant je n’y prête pas tant attention que ça, juste un peu : son avis sur les Japonais, et – ouf – c’est si beau les Pouilles… Il s’éclipse quand l’addition arrive mais n’a pas le temps de franchir la porte des toilettes qu’on apporte notre bref avis à son camarade de table : « péremptoire votre ami… non non mais… oui oui au moins… ».

Dans le métro, joli hasard, les sourires des filles et d’autres avis sur un autre film.

Mardi 10

« Tu y vas avec qui ? »

Et sur la réponse je dessine un sourire.

Lundi 9

La petit fille ressemble à Amy W, bonnet à pompons (notez le pluriel) en prime. « Mind the gap » lui dit sa mère, répétant le conseil anglophone de la voix synthétique. Je descends une station plus loin, 44 photos trop petites dans le sac, récupérées presque à l’instant, remonte la rue Custine ; tu es au bout. Du pâté parce qu’il fait faim, on traverse parce qu’il est l’heure et on salue (A, M, M…) avant de confirmer que Laurent Lacotte a toujours cette manière de jouer délicate, distinguée, portée par cette discrète diction et quelques mouvements de la main. Oui mais voilà, c’est pas tout ça, mais j’ai toujours pas vu les photos… on y va ?

Dimanche 8

Rien, plus ou moins, continuer à choisir, faire de ce dimanche un dimanche d’hiver où l’on hésite à sortir. La tête par la fenêtre pour s’étonner de ce feu allumé pour se débarrasser de quelques menus branchages et puis c’est tout ; ou rien.

Samedi 7

L’article dans le magazine et je me dis « Voilà, je ne peux plus reculer ». Le choix de photos qui continue et les tâches ménagères : un samedi en quelque sorte. 19h15 je pars t’attendre et te retrouver. Dans quelques rues au nord de la gare nous marchons, je connais peu ce quartier, un peu, vaguement, je me rappelle le petit resto japonais où tu avais insisté pour attendre ; nous y avions dîné. Quelle était l’occasion ? Ton anniversaire ou le sien ?

Celui qui nous accueille est méditerranéen, il y a même Henri Ch., mais aucun rapport entre les deux, du moins je crois. Mais tu es sûr que c’est lui ?

Nous marchons encore, jusqu’à l’Escurial, cette salle de cinéma où tu as bien plus de souvenirs que moi, et pour cause, comment en avoir sans y être venu ? Au menu, Le Havre, Kaurismaki, là encore une première. Ah bon ? Tu t’étonnes. Sur l’écran moins de surprise, cela ressemble à ce que j’attendais : des couleurs, un ton.

Vendredi 6

Tu as probablement emporté les romans. Cela m’étonne mais c’est que je suppose, à tort. Le magazine posé sur la table ne me faisait pas envie ; je l’avais feuilleté la veille, cela suffirait. Devant la bibliothèque, donc, hésitant.

Sur la banquette en imitation cuir, bleue et confortable, j’ouvre ce roman vaguement entamé quelques minutes plus tôt pour m’aider à choisir. Deux pages déjà et puis :

On crie un nom d’une sonorité insolite, troublante, faite d’une voyelle pleurée et prolongée d’un a de l’Orient et de son tremblement entre les parois vitreuses de consonnes méconnaissables, d’un t par exemple ou d’un l.

La voix qui crie est si claire et si haute que les gens s’arrêtent de parler et attendent comme une explication qui ne vient pas.

Peu après le cri, par cette porte que la femme regarde, celle des étages de l’hôtel, un jeune étranger vient d’entrer dans le hall. Un jeune étranger aux yeux bleus cheveux noirs.

Les yeux bleus cheveux noirs, Marguerite Duras

Le soir, nul cri, nul hôtel des Roches noires, et c’est sur un parquet que l’on danse.

Jeudi 5

La jeune femme dans ce bus 114 lit La délicatesse, je souris, pas uniquement parce que son sac a une couleur improbable, une espèce de saumon ou plutôt truite fumée, de celle qu’on achète en face, le dimanche matin, chez Leader P, avant de faire la queue. Je souris en voyant ce livre, tu sais pourquoi. À peine le temps de regarder les bottines fourrées couleur crème que la lectrice a chaussées le matin que je poursuis la lecture du Gailly, cette écriture un peu hachée, étouffée, peut-être un peu malade, comme le personnage qui nous emmène enfin sur la côte.

Mercredi 4

Le colis est reparti, moi aussi, du bureau de poste principal, penaud et peiné, à peine énervé ; mais comment vouliez-vous que je récupère ce colis dans les temps ? Et puis dans les rames pas un seul Japonais, c’est flagrant, je m’imagine, souriant, laissant échapper un « sumimasen », je souris certes mais autour de moi les visages sont plutôt graves, cette femme-là par exemple, alors je passe à la légèreté, j’ouvre un Gailly, Dernier amour, roman glissé plus tôt dans mon nouveau sac où il reste quelques traces, un ticket de caisse du 25 décembre, le plan de transports de Tokyo, ou le ticket du kiyomizu qui fera office donc de marque-pages.

Dernier amour le matin, premiers amis le soir : Fred et Johann, duo inédit et invité pour un joli petit dîner un peu raccourci, fleur et frangipane, démesure et mathématiques…

Mardi 3

Nous voici de retour. Après ça : http://www.arnaud-rodriguez.net/voyages/japon-hiver/

Et puis le sommeil gagne.