Mercredi 30
Voilà. 38.
Et donc tu as fêté ça ?
Oui : coca saucisson avant une projection sur le land art.
C’est tout ?
Non. RER A. Jeune femme (25 ans ?) qui regarde par la vitre d’un air doux avant d’ouvrir son cartable usé duquel dépasse le bouchon bleu d’une bouteille d’eau minérale ; le genre enseignant. La fille, pas la bouteille. Le cartable aussi. Son gilet bleu à coudières vient probablement de chez Zadig & Voltaire. Elle a un quelque chose de Natalie Wood. Je vois quelques mots écrits au Tipp-Ex sur le cuir intérieur du cartable mais je ne parviens à lire que « pourquoi » avant qu’elle le referme. Pourquoi. C’est le mot.
Mardi 29
…
Lundi 28
Il a dit quelque chose que j’aurais dû noter. J’ai dit « Il faudrait la noter celle-là » après que l’on a ri. En effet, je l’ai oubliée.
Samedi 26, dimanche 27
Nous descendons à Gare de l’est. La surprise que tu me prépares se précise : Strasbourg ? Metz ? Reims ? Nancy ? Sur l’affichage des départs, le prochain train est direct pour Nancy. La surprise devient excitation, joie, ravissement de retrouver la cité lorraine sous ce ciel bleu…
Pendant deux jours nous profitons des merveilles Art nouveau (visite de la Villa Majorelle et du musée de l’École de Nancy), du calme des parcs, de tes souvenirs, des folies étudiantes pour les 24h de Stan, de quelques assiettes bien remplies, de notre curiosité pour les quartiers au-delà des berges, du charme de la chambre d’hôtel… Pendant deux jours je n’écris rien, et prends quelques* photos souvenirs sans trop y faire attention, juste comme ça, je crois que je m’en fiche… j’ai le sentiment étrange que tu m’as offert des cadeaux merveilleux durant ces deux jours : la légèreté et l’insouciance.
(Et une paire de chaussures de rêve, soyons terre à terre aussi…)
* un « quelques » très relatifs
Jeudi 24
Je l’ai transporté à l’hôpital de La Roche-sur-Yon. Ça faisait loin.
Tandis que je poursuis la lecture de ce Nuage Rouge de Christian Gailly commencé le matin, elle parle du fait divers, c’était évident : « C’est des circonstances un peu particulières, je ne peux pas t’en parler« . Elle est au téléphone, nous sommes dans le bus, sa fille est très bavarde, elle en parle aussi vaguement, ou bien ce ne sont que des coïncidences, que vais-je donc imaginer ? Il fait si chaud, j’ai laissé ma veste sur le porte-manteau : le matin même je ne m’attendais pas à une telle chaleur. En voyant le jeune homme en short pourtant je n’avais pas été surpris, je n’y avais pas vu un lien. Était-il sportif ou météorologiquement prévoyant ? Son short était gris, avec quelques motifs disséminés, son polo était rose bonbon et sa blondeur sur la peau bronzée frisait l’indécence.
Après le bus, le métro, une brunette un peu absente à côté de mère aux cheveux blancs, elle lit Anna Galvada, l’Échappée belle. Je n’ai jamais lu Anna Galvada, sinon j’aurais pu comparer l’écriture de l’une avec les vêtements de l’autre, leur légèreté peut-être, leur transparence, leur fadeur, mais je ne sais pas.
À Beaubourg enfin Anri Sala, c’était beau Anri Sala, j’aurais sûrement aimé que ce soit plus court mais c’était beau. Lassant ? Peut-être quelque chose comme ça, peut-être à cause de cette musique, à l’orgue de Barbarie, pourtant bien sûr ça m’a fait sourire, cet air à l’orgue de Barbarie ; au début ça m’a fait sourire. Et puis au fond, les ombres passaient.
Mercredi 23
Terrasse, deux boissons gazeuses puisque l’on est un peu en avance. Elle passe devant nous, évidemment elle y va elle aussi. Mais elle ne se dirige pas dans le bon sens. Tu l’interpelles, on la salue mais de l’enfant dans ses bras on ne voit que le crâne. Quelques mots de plus et deux indications géographiques et elle repart dans le bon sens. À tout de suite.
Tout de suite après, intérieur rococo, mais ce n’est pas un appartement, c’est un lieu d’exposition, et dans quelques instants va se produire un évènement, quelque chose comme de la danse, des mouvements, des bruits. Je n’avais jamais pensé qu’il puisse rester une trace des tout premiers enregistrements réalisés. Quand était-ce ? J’ai oublié. 1860 ? Oui c’est bien ça, je n’avais pas oublié. Je n’ai pas pu oublier la surprise en entendant l’année. Disons que c’était cela, ce moment : surprenant.
Mardi 22
À ta demande, je relis les mots avant de les relier. Tes mots. Ceux que tu m’avais adressés durant ces jours, ces semaines, ces mois, tes mots qui racontaient, décrivaient, s’interrogeaient, voulaient, espéraient, craignaient, attendaient, réfléchissaient… Tes autres mots sont à nous, n’attendez rien.
Lundi 21
Mais qui a renversé du Ricard dans le poulet ?
Dimanche 20
Certains livres qu’on qualifiera d’artistiques (monographies, catalogues d’exposition….) ont pris récemment une place prépondérante voire stratégique dans la géographie de notre environnement domestique, prenant la place des recettes et autres voyages. D’autres, égarés, ont rejoint leurs confrères et l’espace thématique (photo, architecture, graphisme…) qui leur était déjà dédié dans le couloir. Voici donc que je picorai en ce dimanche un Photo Poche sur Duane Michals, dont j’écorchai le nom – ou plutôt la prononciation du nom. Le petit livre noir était posé sur l’étagère en attendant d’être rangé, c’est à dire posé en attendant d’être lu puis rangé. C’est donc le travail noir-et-blanc (et mi-figue mi-raisin) de Duane Michals qui m’accompagna sur le trajet aller pour un dîner en terrasse mais on n’en parla absolument pas : l’Ouganda, c’était autrement plus exotique. Cela dit, le livre n’est toujours pas rangé.
Cette pause dominicale et fleurie est sponsorisée par le blog Un jardin à la campagne.
Samedi 19
Rue St Lambert on dîna, chacun ayant apporté de quoi. C’est sous la pluie que j’avais transporté les clafoutis, bravant la rude averse pour un complément, un panettone que les puristes renieraient puisque nul Noël à l’horizon, un panettone de la rue Mouffetard : c’est sur le chemin. Pas vraiment le chemin vers la rue St Lambert, d’abord le chemin vers la rue St Martin. Vers Beaubourg où Anri Sala nous attendait, mais les averses ont eu raison du projet. Alors c’est (presque) rue St Lambert qu’on se retrouva.
Vendredi 18
Ces textes sur les nuages ne cessent de glisser dans ma tête cette chansonnette de Françoise Hardy qui commence par « Comme s’en vont les nuages ». Sur le gris bleu de la mer, ils s’en vont. Elle continue en disant que leur amour est à l’orage, puis mer rime avec envers. La chanson s’appelle Le Rendez-vous d’automne, c’est un peu le temps qui règne en ce moment, d’ailleurs sur le quai de la gare la jeune femme porte un imperméable. Rouge. Comme les yeux dans la chanson, peut-être. À propos de chanson, on parla de Manset lors du dîner, un autre genre ce Manset, on n’est pas dans la bluette sixties là… On parla de Manset et P fredonna quelques airs dont celui qui parle de voyage. Ca rime avec nuages.
Mercredi 16
Voilà. Nous repartirons. Nous y retournons. L’envie était trop forte. De toute façon la Sicile c’est mieux à la mi-saison. Allons allons, ne dites pas le contraire. C’est irréfragable. Irréfragable : c’était l’adjectif du jour, lu dans le Païni sans en connaître le sens. Finalement ça tombait très bien. C’est irréfutable. Kyôto, nous revoici.
Mardi 15
La légende cachée avec la main, vous devineriez la saison, l’heure et le vent. Je n’exagère rien. J’ai vu. À la fin tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses, ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de saint noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs, me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium.
Ces mots écrits en 1859, commentaires sur des études au pastel d’Eugène Boudin, sont extraits du livre L’attrait des nuages de Dominique Païni, un ouvrage au thème délicieux : les nuages dans le cinéma. À présent, je les regarderai plus attentivement, peut-être même, comme Païni, m’échapperai-je de la fiction pour regarder les ciels qui surplombe le récit… Mais voici que dans le RER je m’échappe de ma lecture pour (évidemment) regarder quelques voyageurs. Celui-ci, par exemple, quatre lettres tatouées, une sur chaque doigt, un AMEN en caractères gothiques plus ou moins assortis à l’allure générale : vêtements noirs mais pantalon bleu nuit et bonnet rayé, et une barbe, imposant et rousse.
Le soir on parle encore des nuages, de ceux qui nous menacent en rejoignant la gare de Blanc-Mesnil, alors que peu avant le noir était sur scène, quoi qu’un peu de jaune… et le gris clair des souvenirs, ceux des chansons acidulées de mon enfance comme ce tube d’Elli Medeiros.
Lundi 14
J’ouvre ce petit livre à la couverture grise acheté à Byblos, les Cahiers de Beyrouth de Jean-François Pirson. J’ai aussi glissé dans mon sac le Beyrouth Centre-ville, de Raymond Depardon. Le premier raconte quelques histoires, des moments, des séances de travail entre 2006 et 2009, montre un peu, suffisamment en tout cas, il en faut peu pour prendre visuellement la mesure d’une ville frappée. Le deuxième montre beaucoup, parle peu, il montre quelques petits bonheurs d’autrefois dans un noir et blanc assez doux, il montre surtout la guerre, des couleurs chaudes ou un noir-et-blanc contrasté parce que les sols sont aussi frappés par le soleil et les ombres et puis il raconte un peu quelques anecdotes ; en faut-il beaucoup pour prendre la mesure de la peur ?
Dimanche 13
La photographie est un endroit presque banal, un de ces lieux sans histoires, anodins, qu’on pourrait voir chez Tourneboeuf ou Depardon, ou d’autres noms encore, mais j’ai la référence qui s’évapore facilement. Elle est encadrée de bois clair ; c’est un cadeau d’anniversaire. C’est donc un anniversaire, une surprise pour lui, et l’image encadrée en est une pour moi. Son auteur dit qu’elle fait partie d’une série, une série qui contient 49 autres images. Je suis curieux d’en savoir plus, mais curieusement je n’en demande pas plus. Curieusement ? Non pas tant que ça, c’est plutôt bête, de fil en aiguille on passa à autre chose, à des coqs, à des ânes, au cheval de Don Quichotte…
Samedi 12
Le Liban, encore, son histoire, encore, hasard du calendrier, mais au théâtre cette fois, ici, juste à côté, Incendies.
Lundi 7
Ils ont venu ils sont tous lààààà, elleuh va mouriiiiir laaaaaaaa mamaaaaaaaahhaaaaaahaaahaaaaaaaaa. Enfin non ils ne sont pas tous là, et personne ne va mourir, au contraire c’est une naissance, celle d’un petit catalogue de 18 par 24 cm (et combien de grammes ?), occasion d’un petit moment festif où évidemment on ne parle pas que du catalogue, pas que de l’exposition qui approche, on parle du sujet, LE sujet, celui d’hier, avec une amusante (logique, rassurante) unanimité. Et en plus il fait beau. Vous voyez : le changement…
Dimanche 6
Et voici qu’on s’envole vers d’autres horizons, d’autres idéaux, d’autres façons, pleins d’espoirs, avec quelques graines de fatalité dans nos poings serrés. Regarde-les, eux, autour de nous, sur cette place multicolore, sous leurs pieds il y a soudain des ailes, dans leurs yeux des sourires, dans leurs mains les nôtres.
Samedi 5
Profiter du temps, prendre son temps, regarder le temps, détester le temps qu’il fait en sortant d’un film insupportable dont je ne citerai pas le nom – il restera dans le carnet. Le film est encore plus insupportable parce que décevant : j’aurais aimé l’aimer, l’aimer plus ou l’aimer simplement, aimer autre chose d’autre que l’idée de départ et cet acteur, avoir autre chose que les pieds humides et le cœur sec.
Jeudi 3
Maison d’art, expo Tamar Guimaraes. J’avais forcément oublié ce que j’avais lu et copié-collé. Passée la surprise sur le sujet : celle des cimaises, puis ce visage sur l’écran où ce qui passe me fait penser à Erwin Olaf. Des teintes, des pauses, des visages, des rigueurs, des postures ; mais Erwin Olaf a-t-il déjà évoqué Watteau ?
Puisque je suis là, je t’attends, discute, et achète ce catalogue feuilleté et souhaité l’année passée, ce catalogue de « Jamais le même fleuve », collection de collections de photographies. Sous la photo de Bernard Faucon, une faute de frappe ; je compatis.
Plus tard, assis dans la 7, collé contre la vitre, je continue d’écrire. Je lève les yeux. Il est là. Il est encore là, comme quelques minutes plus tôt sur la ligne 5, à la même place, dans la même position, le même regard figé, perdu, ailleurs, presque hagard. L’espace d’un instant, je me demande si j’ai changé de ligne de métro, si j’ai pensé à descendre, si j’ai marché dans les couloirs. Le choc de le voir là, comme si rien n’avait changé (puisque rien n’a changé dans son regard et ses mains croisées), m’a fait oublier cette correspondance, je réfléchis, je regarde autour, mais oui, j’ai bien changé de ligne, la tension retombe. Ah, il bouge, jette un oeil à sa droite vers ce type grand, noir, très beau, très chic, un gros casque sur les oreilles ; c’est notre seul point commun, ce type de casque. Mais le fil du mien est trop long. Porte d’Italie le bel homme chic descend, l’autre est déjà replongé dans ses pensées. Lesquelles ? À quoi pense-t-il ? En fermant les yeux, à quoi pense-t-il d’autre ?
Plus tard, Perec pour son film sur Ellis Island, exactement ce que j’aime : un sujet, une vision, des mots.
Mercredi 2
Tu es au B pour voir B puis le débat. Le savais-je ? l’avais-je oublié ? Le catalogue est là, je ferme les yeux, allume la radio sur ces deux voix qui en cherchent d’autres pour le second tour, mais j’éteins plus rapidement que prévu, j’éteins tout de suite en réalité, j’éteins parce que j’ai vu leur tête pendant deux heures, j’éteins parce que je n’ai pas envie de ça.