Samedi 30
Il n’y a plus d’après, à St Germain des Prés ?
Il reste des boutiques, un jean et des éclairs au chocolat, puis il reste le rendez-vous du festival, aller voir un film portugais, Tabu, une histoire d’aujourd’hui puis d’hier, en noir-et-blanc quel que soit le temps passé.
Y a-t-il un après au journal de juin 2012 ?
Jeudi 28
Chaleur oppressante, dans le RER du matin c’est déjà trop, déjà trop tard, j’étouffe, dégouline, me décompose, désespère, je me demande pourquoi ce gilet dans mon sac, pourquoi ce livre si lourd, pourquoi cette revue en plus. Au fil de la journée la chaleur n’a qu’un avantage : accélérer le séchage. Pensez-vous, je n’allais pas me rendre à l’ouverture dans cette tenue.
J’approche. Ton SMS prend des airs de Cannes, le petit tapis rouge une fois là, mais j’ai loupé le photo-call pour Kylie. Mireille est là aussi, presque évidemment, joli moment pour se revoir, et puis on attend. On attend. On attend encore. Quelques visages plus ou moins célèbres au milieu de la foule dans cette salle immense et puis enfin, voilà…
Je n’avais rien lu, j’ignorais tout, que sais-je depuis ? Que sais-je de ce que Carax dévoile, démontre, expose, redéfinit, balance, renie, compose ? C’est le type de film au-delà de tout, au-delà de la définition du mot film, au-delà du simple amour du cinéma, du simple amour d’être dans une salle. Peu importe qu’on n’aime ou qu’on n’aime pas, peu importe que j’aie souffert comme on souffre d’être perdu dans le noir ou dans un mauvais rêve, peu importe quelques soupirs devant quelques moments (pénibles, etc.), Carax m’a montré qu’en 2012 on pouvait encore nous emporter ailleurs sans jungle ni espace.
… Bon, il faut bien un verre de vin et une cigarette pour s’en remettre, non ?
Mercredi 27
Dans les pages que je feuillette je m’envole. Un nouveau magazine : Destination photo, qui ose 35 pages de reportage sur la Mongolie – une splendeur – et – ô merveille – du Plossu aussi au menu, encore lui, tant mieux. Je te retrouve et l’on s’arrête dans un resto japonais approximatif : l’écran accroché au mur penche autant que nos certitudes. Mais pressons-nous donc, Jules et Jim nous attendent pour des retrouvailles. La dernière fois c’était quand ? Un ciné-club sur FR3 ? Une cassette empruntée ? Il y a si longtemps…
Mardi 26
Lire Guibert et voir, sur ce quai, un garçon qui lui ressemble. Juste après, lire ça, page 110 :
(Je ne sais pas pourquoi j’aime autant ce mot, en ce moment, fantôme. Je le fourgue partout, il m’excite, il me rappelle des photographies de fantômes que j’avais vues dans un magazine lorsque j’étais petit…)
Repenser aux souvenirs de fantômes (les miens).
Relire la page 109 (« L’angoisse de ma mère, rapportée par Suzanne, etc. »).
Lundi 25
À peine assis sur le siège, je le cherche. Je tourne mon regard vers le quai. Là, par terre, le bout de carton blanc, un peu tordu. Il m’appartient. M’appartenait : je peux bel et bien en parler au passé. J’y avais noté une de ces phrases entendues dans la foule du RER, station Bibliothèque, quelque chose comme « Tu me gardes une crêpe et tu dis à ma belle-mère que je l’appelle« . Je me demande si quelqu’un va ramasser le carton, le lire, s’en étonner, mais je suppose que tout le monde va l’ignorer. Quelle drôle d’idée d’aller ramasser ça.
Le bout de carton me servait de marque-page. J’ai perdu la page ? Non, je me souviens, je m’étais arrêté page 103. Il y avait eu aussi ces femmes parlant baignoire, danger de glissade, porte de salle de bain qu’on ne ferme pas à clefs. « Oh moi je vis seul, il peut se passer trois jours sans appeler personne. » : elles avaient peur de mourir ainsi, oubliées, sans secours, la bouche entre-ouverte, sur le carrelage crème, une main s’accrochant encore au rideau de la douche.
Au retour la voix de C.C. est légère, fluette, cristalline, fragile, presque imperceptible dans les rumeurs du bus puis du métro. Et puis encore – il y a un coffret et on ne s’en lasse absolument pas -, Ariane Doublet, cette fois pour La Pluie et le Beau Temps, sur la culture du lin, toujours en Normandie, toujours ces gens qui regardent le ciel ou l’horizon.
Dimanche 24
Les parapluies sont colorés, mais ça n’empêche pas le sentiment rageur que… que non quoi, non non non, parce qu’il pleut, que je n’ai que deux mains, et que pfff. Ensuite il y a trop de monde. Re-pffff. Après quelques visages amis qui grognent eux aussi du temps, chez Podalydès la journée s’égaye et l’enterrement (celui de mémé) est joyeux. Adieu Berthe est d’une légèreté fort bienvenue pour un dimanche de pluie.
Samedi 23
Tiens, il parle de Valère Novarina. Toi aussi tu en avais parlé quelques heures plus tôt, je ne savais pas qui c’était. Tu en parlais avec S, Cité universitaire : dans une pièce ancienne aux grotesques discrets on écouta sa pièce moderne au superbe dégradé sonore. La voix multipliée, superposée, est comme de l’eau, et à travers la fenêtre on regarde un peu le soleil.
Voix quadruplée, film de Doublet. Jeu de mots moyen pour annoncer le soir, le film : Les Bêtes. Où l’on replonge encore dans ces portraits indispensables, dans ce quotidien du pays de Caux, caux-tidien parfois caux-casse d’une clinique vétérinaire cette fois, entre les chien-chiens à mémères et les drames agricoles de notre époque moderne.
Vendredi 22
De l’autre côté de la vitre, tu es là, tu n’es pas seul et d’autres que moi entendent ta voix, vous écoutent. « Tu parles dans le poste » : cette phrase me vient à l’esprit, une phrase à l’ancienne qu’aurait pu prononcer ma grand-mère, par exemple. Le poste, le poste, le poste, je répète ce mot, comme pour m’assurer qu’il s’utilise, comme pour en graver les différents sens, celui-ci surtout. Au sortir il fait beau et je suis enchanté de cette nouvelle expérience, cette émission en direct, l’effervescence de mon côté, les mots du tien, les gestes aussi, tes mains qui dessinent des idées, comme ça. Ça ne manque pas aux auditeurs ? Au sortir je suis ravi, Ph aussi (une bonne nouvelle) mais on file voir le Visconti, Violence et Passion. Avant le film, une autre vitre derrière laquelle nous avalons en vitesse quelques menues bricoles. Enfin, Silvana Mangano, le bleuté d’un maquillage, autour du visage quelque chose de flou, à l’étage au-dessus quelque chose de fou.
Mardi 19
L’autre soir, j’entre dans un taxi pour rentrer chez moi, et l’homme qui conduit se met à me dire, sans autre transition entre ses phrases : « J’adore les parquets en chêne. Vous n’êtes pas bricoleur ? J’adore les antiquités, et les collections d’art . Si j’avais les moyens, mais je n’ai pas les moyens voyez-vous ? Vous avez des hobbys ? » Je retranscris aussitôt des phrases sur le dos de mon carnet de chèques, ce qui m’empêche de répondre à ses questions, et la conversation tourne court.
Le Mausolée des amants, p. 49, Hervé Guibert
Je note le numéro de la page, comme si un jour je voulais revoir ce paragraphe au milieu des autres. Me voilà qui relate dans mon journal celui d’un autre, ô combien illustre, et je compare, prétentieux, puisque j’aime comparer mes habitudes (prendre des notes et des photos) à celles d’Hervé Guibert, ça me rassure quelque part.
… Sauf qu’aujourd’hui j’ai oublié mon carnet. Je ne note rien durant la visite (guidée) et fouille au fond de mon sac pour trouver non pas un dos de carnet de chèques mais quelques versos froissés et griffonner durant la conférence sur le papier-peint Art nouveau. J’ai depuis un nouvel ami sur FaceBook – le conférencier – et l’envie d’acheter le livre qu’il présentait ce soir.
Après la conférence je te retrouve, un bar si près où un jeune moustachu s’arrête et s’exclame que justement depuis deux jours il te cherche pour les images, il y a longtemps, te souviens-tu. Quelques rues enfin, et dans ce petit restaurant japonais c’est un avant-goût de ce qui nous attend dans si peu de temps, dans les assiettes et dans les oreilles…
Lundi 18
Je chope tout ce que je lis : je lis un article sur la syphilis et aussitôt je me persuade de l’avoir, j’en reconnais les symptômes alors que je n’ai couché avec personne. Je m’accroche au dernier regard (dans le désir), du denier rencontré.
Le Mausolée des Amants, Hervé Guibert.
Un nouveau visage derrière le bureau, là, à ma droite. Un nouvel accent aussi, pour quelques semaines, et ma fâcheuse envie (mimétisme) de parler de la même manière. Quelques photos d’enfants sur scène, devant la foule éclairée de rouge ou autres, je ne reconnais pas tout de suite le dos, ombre chinoise. Un visage qui agrémente dorénavant un mur du 13ème, du métro l’apercevoir. Et puis Les Terriens, film d’Ariane Doublet. Ils attendent l’éclipse qui va rompre, brièvement, le rythme de leurs journées de paysans. Là encore un autre accent, celui que je pourrai(s) mettre sur certains mots d’Annie Ernaux par exemple, accent normand, mais chez Ernaux la terre est rare, les vaches sont loin et le blé pousse ailleurs. Ici, sous une réalisation claire et des sourires francs, les visages sont beaux, parfois un peu assombris par autre chose qu’une éclipse, plutôt par la pluie qui ne vient pas ou autre aléa d’un métier qui s’évapore.
Dimanche 17
Dans les transports les corps sont fatigués : qui se réveille à peine, qui n’attend plus que son lit. Sur la 6, le jeune rouquin avachi a laissé échappé de sa poche 6,90 euros et un briquet Zippo couleur bleu pétrole, mais quand je m’en aperçois, le signal a retenti, les portes se ferment, je ne le vois plus, il est trop tard. D’autres corps, pliés, laissent plutôt échapper un peu de peau sous le tee-shirt bientôt jeté au pied du lit. Plus tard ils iront voter, mais sont-ils seulement majeurs ?
Neuf heures plus tard, le corps est fatigué : la femme âgée, dans son fauteuil, fait face au soleil, rare ces temps-ci. Elle est de l’autre côté de la vitre, je ne profite pas du soleil, j’ai un peu froid : la fatigue ? Les images de Nora Martirosyan sont une pause splendide dans la torpeur de ce deuxième tour, une pause délicate, riche, colorée, vivante. Cette scène avec les agneaux, l’homme perdu dans le couloir d’un hôpital, de jeunes gens rieurs qui secouent un mûrier. Je pense que c’est un mûrier, comme celui qu’il y avait dans la cour de l’école primaire ; était-ce donc comestible ?
NB. Et puis cette femme âgée, moins âgée bien sûr, très bien mise, son 31 à peu de choses près et qui dit hargneuse « Y a quelque chose qui a foiré. »
Samedi 16
Future mariée, casque de cycliste recouvert de tulle et décoré de fleurs en plastique. De loin j’ai cru à du papier crépon. J’ai cru à un peu de fabrication artisanale et à la possibilité que la pluie tache de couleurs vives le tulle blanc. J’ai cru à un peu de poésie en quelque sorte, comme celle que Laurent Grasso distille vaguement, un peu, parfois, au détour d’un improbable jardin italien où les statues étrusques viendraient jusqu’à hanter vos nuits.
Vendredi 15
Des rencontres, coïncidence, comme celle-ci, Y au téléphone, presque devant l’entrée du théâtre où je t’attends un peu, parce que nous allons au théâtre, une fois n’est pas coutume, je discute un peu avec Y et on s’éloigne, lui les courses, moi pour t’attendre, on se recroise, un sourire de plus, l’autre jour sur FB on s’était promis de se revoir, il faudra se revoir, les trottoirs improvisés ne reçoivent que quelques phrases un peu convenues sur le temps qu’il fait et les vacances qu’on regrette déjà. Le théâtre est fin de siècle, fin du 19ème siècle, réunion idéalisée entre les plumes de l’époque pour évoquer Oscar Wilde et ses tourments de l’époque. Du salon old-style on passe rapidement à un bar du quartier et enfin à un resto aux parfums épicés (rhum-gingembre, etc.) où nous attend J. À l’autre table, Patric Chiha, quand il te salue puis nous serre la main je ne sais pas qui il est, tu nous l’apprends et je vous raconte peut-être un peu fébrile combien ce film reste ancré – j’allais écrire encré, et pourquoi pas en craie – dans mon esprit. Peut-être est-ce celui (en dehors de ceux que j’ai vu plusieurs fois, voyez-vous desquels je parle) qui est le plus là, encore là, les pas de Béatrice Dalle dans la forêt, ce monologue sur la terrasse, ce ralenti dans la boîte de nuit. Peut-être est-ce donc celui que j’ai le plus peur de revoir ? D’autres sujets, B et cette amie qui ne font que passer, l’addition et les clés que J nous laisse puisque c’est soir de fête. Fête en-dessous de chez nous, fête chez M.D. aussi mais notre arrivée tardive semble décalée, qui sommes-nous ? que faisons-nous là ? pourquoi maintenant ? qui sont tous ceux qui dansent ? Tiens M.O. danse un peu, je ne l’imaginais pas aimer danser dans les fêtes où les buffets sont calés dans les recoins des salons. Par la porte quelques dessins d’enfants. On part ? Déjà.
NB. Sur le carnet j’ai écrit Batman. Pourquoi ?
Jeudi 14
Il a une cravate à rayures noir et blanc, la même que moi je crois. Chemise bleu ciel, costume anthracite, chaussures « de ville », ce genre de modèle avec… mmmm comment expliqué, des motifs à trous… oui voilà c’est ça. La tête est coiffée d’une casquette de sport, bleue et caramel. Américain ? Forcément Américain, non ? J’essaie d’entendre un éventuel accent quand il parle à cette jeune femme qui mange une viennoiserie en lisant The New Yorker ; elle a un sac constitué de différents tissus japonais, il lui demande s’il doit descendre ou quelque chose du genre, en lui montrant le plan du métro. Je me demande l’âge qu’il peut avoir, aussi bien 25 avec un air de vieux que 45 avec l’air beaucoup plus jeune, j’exagère sûrement un peu, mais à peine. Éternel adolescent… qui descend donc, porte d’Ivry, déjà. Dommage : je suis sûr qu’il y avait encore des choses à décrire, une lecture sorti d’un sac, une improbable manie, d’étonnantes manières.
Mercredi 13
De rouille et d’os, Jacques Audiard. 19h. UGC Danton. Il faudrait que je me force, que je cherche quoi dire, qu’écrire, c’est toujours un peu pareil avec ce genre de film, je ne sais pas quoi faire ressortir de ces objets trop parfaits. J’aurais pu faire des longues phrases qui s’étirent doucement comme un ralenti dans l’eau de mer, j’aurais pu parler des corps à l’imparfait, décortiquer, décrire les animaux noir et blanc comme peut l’être le film, noir, blanc, sombre, lumineux, dur et simple, comme les personnages, durs et doux, cogneurs et caressants. J’aurais dû écrire car quelque chose me dit que je vais l’oublier, ce film.
Lundi 11
Il y aurait sur cette page une photographie d’un ciel de fin de journée, une éclaircie passagère (pléonasme) où l’orée des nuages serait baignée d’orange et d’or. L’un de nous a d’ailleurs pris une photographie en remarquant la lumière qui me tournait le dos ; je ne voulais pas paraître impoli, me retourner, sortir l’appareil, il n’y pas eu de photo.
Il y aurait sur cette page une photographie de chantier, baigné de cette même belle lumière, derrière moi également, de l’autre côté du grillage, les tas de pavés offrant un lien avec le film, toujours pas de photo.
Il pourrait y avoir ici une moquerie, une exaspération, une interrogation sur ce qui a précédé le film, une litanie de pourquoi sur ce moment dansé, moment complètement idiot que quelques références cinématographiques sur l’écran ne rattrapèrent pas. Trop long ! Coupez !
Le film, le vrai, celui pour lequel nous étions venus, je n’ai pas su en parler après. Sur le carnet, le lendemain, à l’encre orange, je note qu’il m’a rappelé mon enfance : la cabane, les cris, l’invention d’un monde qui s’arrête au coin d’une rue.
Dimanche 10
22h51. Nation. Püp ! Je viens de le prendre en photo, le bruit vient de sa direction, ce pourrait être le bruit d’un silencieux posé au bout du canon, ce canon fièrement pointé sur l’affiche. Il vient (peu) discrètement d’ouvrir une bouteille et en effet il la porte à sa bouche avant de la poser sur le rebord de l’autre bouche, celle de l’escalier, qu’importe qu’on n’appelle pas cela vraiment ainsi, vous m’avez compris. Les couleurs sont jaune, bleu, ça brille un peu, le mot MONOPOLE est inscrit sur l’étiquette. Fête-t-il le premier tour ainsi, seul, alcoolisme urbain des dimanches d’élection. Moi j’y ai déjà eu droit, au champagne, pour le hasard d’un anniversaire ; on m’avait dit d’approcher alors que je venais seulement pour dire que ça y était, c’était bon, c’était fait, que demain ce serait mieux mais que là… Là, voyez-vous, je voulais rentrer chez moi, ce chez moi quitté vers 6h18, oui oui du matin. La démocratie vit grâce à ceux qui se lèvent tôt.
Samedi 9
Voilà qu’enfin elle apparait, fatiguée dit-elle, fatiguée évidemment d’avoir essayer d’appeler sur ce fichu téléphone posé là-bas, si loin, trop loin ; on ne l’entendait pas sonner. J était déjà là, avait offert une bou-J, un verre de Cèdre Rive Gauche, respirez donc un peu, c’est à peine gorgé du souvenir délicat de la cire d’abeille.
Le soir ce sont d’autres parfums qui évoquent des contrées ensoleillées aux sonorités italiennes, mais il faut déjà partir, fatigué dis-je, fatigué d’imaginer le réveil du lendemain.
Vendredi 8
Bon si on regardait plutôt la fin de Tout sur ma mère ?
Jeudi 7
Sur la Route. C’est le titre du film. Du livre aussi. Kerouac, vous savez, 1957, la fumette, les amis, le rouleau, vroum vroum, monument littéraire, révolution stylistique, j’ai jamais lu le bouquin mais bon voilà un peu l’image que j’en avais. Bon ben voilà. Et vous ça va sinon ?
Hein ? Le film ? Mouais, bof, pfff, ah pis alors, rho non quoi, enfin bon voilà, oui bon bien sûr, mais non quoi ça commence à bien faire.
Mercredi 6
Elle me fait penser à la femme de mon ancien dentiste, le docteur M, celui de mon enfance que je n’ai pas vu si souvent. Je suppose que c’était plutôt le week-end que j’allais chez le dentiste. Elle a un peu l’allure de la femme de mon (très) ancien dentiste, un port de tête, quelque chose de chic et vulgaire, un très beau visage trop lisse ou trop maquillé, des cheveux longs, raides et foncés, une bouche un peu comme ça, des ballerines vernies noires et un total look bleu, sauf le sac, LV bien sûr.
Le soir d’autres cheveux bruns et longs, une autre beauté : Polly Maggoo. Qui êtes-vous, Polly Maggoo ?, film de William Klein, 1966, formidable, oui formidable, laissez-moi me remettre de mon enthousiasme et je vous parlerai de cette folie, de cette audace, de ce truc auquel on n’a plus droit dans les salles de cinéma, ce montage surtout, ce rythme que je compare immédiatement, avec mes petites références, à Alphaville de Godard et à Le Départ de Skolimovski ah oui je me souviens aussi du début de Muriel ou Le Temps d’un retour de Resnais, ce moment, là, vers le début… Bref… 1966… Elle avait quel âge en 1966 la femme de mon ancien dentiste ?
Mardi 5
Nous avons la même cravate. Coïncidence. On s’en amuse ; d’autres le remarqueront. On n’est pas là pour se pencher sur les motifs de toute façon, enfin si, mais pas ces motifs-ci, par ceux d’un tissu écossais au rouge majoritaire. Regardons un peu ce que l’on nous propose ce soir, on y verra bien les motifs des films : les raisons, les intentions, les prétextes.
Les pré-textes ?
Lundi 4
C’est la dernière ligne droite. Avec moi les poids d’objets inutiles, utopie des jours chargés, idiotie des sacs surchargés. La bibliothèque l’est aussi, surchargée, encombrée de livres, de cartons et d’une odeur étrange. Mais le passage y est bref, le temps d’un regard circulaire et d’un soupir : il faut aller gare d’Austerlitz, L arrive.
Dimanche 3
Un tour inutile pour voir cinq cyclistes (du cynclisme ?) parce que mon travail a parfois le visage triste d’un dimanche matin gris où personne ne souhaite pédaler, et je vous rejoins. « C’est toi qu’André Labarthe attend ? » me dit-elle. Non, ce n’est pas moi… Mais je serais extrêmement flatté d’être attendu par André Labarthe. On s’en amuse. Durant la journée les témoignages se succèdent, je note peu de chose (« C’est assez surprenant de voir que tout ne part pas des idées » qui est peut-être la phrase qui résume tout) et lorsque tu parles de brouillard le hasard pose quelques nuages sur l’écran et les montagnes.
Ces heures se terminent par quelques sourires sur des photos – pourtant dehors il fait toujours gris – et par ces mots : « La lumière a pris ma place« . Cela ferait un beau titre de film, je le note plus tard pour ne pas l’oublier, surtout ne pas l’oublier. Dans le film du soir, l’adolescent de dix-sept ans note lui aussi sur des carnets, mais ce sont des impressions, des manques, des douleurs. Un jour il écrira un livre, cela s’appellera Todo sobre mi madre.
Samedi 2
La 8.6 est posée là où ils posent souvent des détritus, là où je tourne souvent la tête pour regarder de l’autre côté de la vitre, dans l’autre rame. De mon côté il y a quelque chose comme un vieux mouchoir. Oui, un vieux mouchoir. Dégoût, abstraction. Le petit garçon vient de s’asseoir avec son père (gel effet mouillé), il joue avec la canette vide et un petit objet. Une toupie ? J’entame Dit-il, de Christian Gailly, son premier roman, alors que je terminai un peu plus tôt Nuage Rouge, au soleil, un café dans une petite tasse rayée, vous avez dit Buren ? Après il y a eu Ravel, c’était magnifique, mais bref, là je suis dans le métro et le petit garçon parle très fort. Essayer de lire. Son papa n’est pas vraiment là, il lui répond vaguement puisque il a le nez dans son portable, échangeant des SMS avec sa maîtresse pendant ce week-end, un week-end sur deux… Le papa dit que c’est à Place d’Italie qu’il descendront.
À place d’Italie le papa a les yeux rivés sur le petit écran. Je ne dis rien. J’aurais pu. Mais non. Je le regarde. Les portes se referment lorsqu’il réalise qu’il faut descendre. Trop tard. Il descendra aux Gobelins et marchera un peu, peut-être un peu plus attentif à son fils, qui de toute façon parle trop. Moi je continue bien sûr, je vais retrouver J, qui m’attendra juste un instant à côté du Calder. On s’assied là où on ne s’est jamais assis, ni lui ni moi, on parle de ceci et de cela, de cadeaux et c’est alors il sort le sien, pour moi. Gêne et joie. Il a su que cela me ferait plaisir, ce livre dont j’ignorais totalement l’existence. Je me dis que c’est aussi à ça qu’on reconnait les amis, cette manière de bien vous connaître… mais ce n’est pas le genre de choses que je dis ici normalement. Je vous ai parlé du ciel bleu ? des tenues légères ? de cette foule qui passe devant nous ? du rendez-vous qui s’achève parce que le soir il y en a un autre ? Sur la terrasse, F viendra s’asseoir là où il ne s’est jamais assis, puisque il n’est jamais venu.
Vendredi 1er juin
Juste envie de quelque chose qui ressemble au calme, avec ce qu’un trajet en transports en commun suppose de relatif pour ce qui est du calme. Il faut dire qu’il est tard, vois-tu, 0h26.
Il descend en même temps que moi à Maison Blanche. Sur le quai il va falloir patienter, comme souvent l’affichage est improbable : on nous prédit 46 minutes d’attente. J’en suppose 6… Au moment où les portes se referment, un autre descend brusquement. C’est là que le calme ne devient plus qu’une notion abstraite, c’est là que commence le sketch. Ils ne se sont pas vus depuis on ne sait pas quand, mais le premier est surexcité en retrouvant l’autre, il hurle de joie, gesticule, fait des aller-retours, un vrai one man show. Ses phrases sont vaguement compréhensibles et l’on attrape quelques mots (neveu, soeur, à chaque fois, pense à toi…). Je cesse donc ma lecture, pourtant la fin approche. Le métro aussi : 6 minutes, je supposais juste.