Novembre 2012

Vendredi 30 novembre

L’image avance lentement. Cela m’amuse, je me dis que c’est typique du Festival, qu’il y a tout le temps des mouvements lents de caméra. C’est faux, mais c’est une idée, comme ça, peut-être parce que l’un des films qui m’a le plus marqué était ainsi. Ce n’était qu’un extrait d’ailleurs, c’était l’ouverture, c’était quand ? Il y a deux ans ou trois ? C’était quoi ? Où, ça je sais, à Châtelet. Bref, la contemplation se retrouve brusquée par un nuage de fumée rose, une fois, puis deux, trois, trop, c’est dommage, le début était splendide, ce pont par exemple, et puis les bâtiments vides ensuite, vides et abandonnés, comme il y a presque deux ans…

Jeudi 29 novembre

Voici qu’on leur donne la parole, qu’on les écoute, qu’on revient vers eux, ces vieux-là, trop vieux maintenant vous croyez ? mais trop vieux pour quoi ? Pour avoir oublié ce désir ? pour ne plus en avoir ? pour ne plus sourire du coin des lèvres ou avoir les yeux qui brillent, tandis qu’on regarde les images de leurs anciens amours, de leurs autrefois caressés et qu’on écoute ? De leur désir présent on ne dit presque rien, on devine encore quelques mains. Parfois, souvent même, dans leurs paroles c’est une émotion rare qui se dégage, qui va au-delà de ce qu’ils racontent, au-delà de cette homosexualité qui est leur particularité commune, on touche au plus profond de l’humain, ce peut être la rage, ce peut être la candeur ou l’évidence, l’évidence oui c’est cela, que c’est beau l’évidence, c’est simple, ça vous épargne les questionnements. Eux, elles, ils ont combattu quand on cachait les mots, les faits. Pas la peine de remonter si loin d’ailleurs, mais qu’importe. Les Invisibles ne voulaient pas forcément l’être, certains criaient, manifestaient, se battaient. Les Invisibles l’étaient parfois malgré eux, déni, lutte intérieure, terreur. Aujourd’hui ils le sont peut-être redevenus, parce qu’avec les rides et les cheveux c’est comme si on s’imaginait que… que non… que l’amour ce n’est pas pour eux. Quelle drôle d’idée, l’amour c’est encore là, regardez-les.

Mercredi 28 novembre

Et ce n’est qu’une semaine plus tard que je découvrirais qu’il était inutile de rester là, que j’aurais pu t’accompagner, voir ce film dont tu m’as dit du bien.

Mardi 27 novembre

Alors on pourrait dire qu’il y avait peu de monde dans la salle pour écouter parler d’addictions, que dans le bus ça sentait la pizza, que le livre « Penser le design web » n’était pas forcément si vieux que ça, qu’il fallait juste faire le tri, séparer le bon pixel de l’ivraie, et puis on parlerait du film « The Brown Bunny« , vu d’un oeil ou de deux, révisant tout en visant.

Lundi 26 novembre

Rien ?

Dimanche 25 novembre

Dans le bois de Vincennes, derrière les petits chemins que l’on prend, où les coureurs habitués ignorent tout, les tentes sont plantées. Le mot bidonville intervient, on se demande si c’est mieux, si c’est pire, on se retrouve à comparer l’incomparable, l’insupportable, l’inadmissible, le faire avec qui nous entourent. Le mot solidarité s’effritent sous les feuilles mortes, et l’on rentre, sans rien faire, sinon avec.

Samedi 24 novembre

Sur la voiture, des nœuds colorés, brillant sous le soleil qui subsiste en cette après-midi, un soleil qui plus tard sera d’un rouge vif et improbable, à peine visible sous un trait sans nuage. Sur la voiture, trois enfants amusés, contents de cette occasion d’être là, les vingt ans de L, cet espace sans nuages. Autrefois – certains disent que dix-neuf ans ont passé – ils ou elles étaient déjà là, célébrant déjà la plus belle définition du mot famille, celle qui n’a pas de modèle, ni vraiment de définition.

Vendredi 23 novembre

Ah…

… Ils m’attendent.

(Cri de joie intériorisé)

Jeudi 22 novembre

Ceux qui savaient nager se noyaient aussi. Ils retardaient seulement leur mort.

Tu dors probablement déjà. Je te regarde et pourtant tu n’es pas là. Je regarde ton regard, celui sur les marins qu’on évoquaient dimanche, les vagues, les naufrages, les femmes parfois en noir et les plans fixes sur leur visage, ces plans fixes auxquels on n’échappe pas dans ton œuvre. Ni dans ton œuvre ni dans notre vie. Tu les regardes avec amour, ces femmes, tu sembles y chercher la vérité, celle de leur douleur, quelque chose qu’elles ne diront peut-être jamais, quelque chose qu’elles ne savent peut-être pas mais que d’autres ont raconté lors du naufrage. La plus émouvante a le visage penché. Pleure-t-elle ?

Mercredi 21 novembre

Mardi 20 novembre

Les cartes de géographie Vidal-Lablache éveillaient le désir des voyages lointains, mais entretenaient surtout leur illusion, au sein même de nos paysages pauvres.

… Je revois L’Amour existe de Pialat, et la triste phrase ci-dessus est un étrange contrepoint à celle de François Mitterrand citée quelques jours plus tôt. Les dix-neuf minutes du film sont féroces, belles, belles comme un combat qu’on saurait vain, comme une colère. Pialat montre du doigt cette banlieue des années 1950, celle qu’il a connue bombardée, celle que voilà terne – je vous passe la phrase sur les guinguettes -, malade, pauvre, malaimée, où les objets précieux sont cachés dans les buffets de salles à manger où l’on ne mange pas.

Douze heures plus tôt (car il est déjà bien tard), j’ai mis d’autres regards dans les photographies de Corinne Mercadier exposées à la MaBA. La visite était guidée, très bien guidée, avec plaisir et clarté, d’une voix ferme joliment froissée d’un trait d’espagnol.

Et puis il y avait eu le formica coloré d’un bar bruyant où la conversation fait oublier le bruit.

Lundi 19 novembre

J’en ai suivi des yeux l’étendue. Une étendue de pierres tombales absolument inimaginable. Dans un coin au nord de la vallée se dressait isolée une construction au toit de chaume qui ressemblait à un temple.

Akira Yoshimura – Le Convoi de l’eau

Parce qu’il avait suffi qu’hier vous parliez de cet auteur, de ce livre.

Dimanche 18 novembre.

Ce sont des noms à la plume. L’écriture est minuscule, précise mais souvent illisible. Ici on devine, là on s’interroge. Plus loin tout est clair : le caractère est plus gros. Je guette quelques détails de ma région d’origine, puisque ce sont ici des ports, des côtes, des mers que l’on voit, des océans traversés il y a des siècles, 520  ans par exemple. Les cartes nous montrent l’inconnu, l’inimaginable (ou parfois l’imaginé), il ne manque plus qu’une odeur de houle puisque même le craquement des navires vous accueille. L’exposition L’âge d’or des cartes marines – quand l’Europe découvrait le monde, à la BNF, est une invitation au voyage dans l’ailleurs et dans le temps, dans la beauté courageuse, intrépide, téméraire de ces vies au long cours.

À la sortie, la librairie, lieu exigu au milieu d’un grand espace presque vide, la littérature me tend les bras, mais c’est dans ceux de l’image que je plonge, dans ceux de l’image photographique influencée par les images cinématographiques. « L’Image d’après », splendide catalogue d’une ancienne exposition de la cinémathèque, me fait penser à ce souvenir que j’avais eu soudain en parlant de ma série de photos « Vous suivre ». Car en effet, le 27 février 2007, j’écrivais :

« Pas de printemps pour Marnie » commence par un plan magnifique : un sac à main, une valise, une brune qui marche en nous tournant le dos sur un quai de gare, une perspective.

Et quoi d’autre ? J. The New Yorker. Un film (Augustine). D. P & C.

Samedi 17 novembre

Finalement j’avais terminé, j’allais partir à La Poste parce qu’être Parisien a de fichus avantages, et puis voilà qu’il est venu. Sa mère se plaignait du bruit de ceux qui squattent les terrasses ; vraiment c’était pas bien que la mairie ait enlevé les trucs là-bas ; non mais si je voulais faire des travaux je paierais pas cher ; non mais vraiment il fallait que je sente ce qu’il y avait dans son sac… ben oui de la menthe ; il avait des petits bacs chez lui ; malheureusement il lui manquait du persil frisé ; le soir en rentrant il fumait parce qu’après quinze heures de boulot pffff ;  je voulais pas son numéro au cas où, pour des travaux ? Scène improbable et drôle qu’il m’a bien sûr fallu imiter, recomposer, le soir au dîner. C’était avant la quiche aux légumes je pense ; j’avais alors posté la chose, j’avais enfin l’esprit tranquille.

Il y avait eu aussi cette photo que je n’avais pas prise, pas osé. L’homme dans le PMU, tête en arrière au milieu des murs verts, regardant un écran que je ne voyais pas dans ce lieu éclairé de néons et dont la lumière m’émerveille à chaque fois. Les clichés osés, pris en marchant, flous mais laids, ont été effacés.

Vendredi 16 novembre

Et le voici qui arriva.

Des berlingots, donc, on mangea.

Jeudi 15 novembre

Bon, OK, mais ces deux films de Vecchiali, tu es sûr que c’était vraiment utile ?

Mercredi 14 novembre

Les murs sont éphémères et blancs, le pass était jaune vif, la foule plutôt habillée de manière sombre et dans la salle qu’on ne connait pas, tout là-haut, le plafond gris. Sur les murs les images sont multiples, couleur ou pas, contemporaines ou pas, et ce moment à Paris Photo nous offre une immense satisfaction, entre surprises et splendeurs, même si, vous savez bien, au bout d’un moment c’est trop, une sorte d’écœurement, d’épuisement. Alors on part à pied, à Alma on grignote et s’attriste des déchets générés par une simple petite faim, et puis enfin le Palais pour la deuxième conférence de Pascal Rousseau. L’abstraction se loge cette fois dans la danse, et c’est Loïe Fuller qui s’y colle, avec brio, encore, et l’on retrouve Chéret, le miroir aux alouettes, Koloman Moser, l’hypnose, Picabia, l’hystérie, l’étagement des corps, les fantômes, la danseuse Lina qui était modèle pour Mucha, le corps astral et les psychicones. Hein ? Non non j’vous promets, j’ai arrêté l’alcool.

Mardi 13 novembre

F.M. — Le monde immense de l’Amérique latine est aussi passionnant. Vous le connaissez un peu ?

M.D. — Je n’y suis jamais allée. Il me semblait que ça faisait partie d’un acquis que j’avais eu à l’école. Que ce n’était pas la peine. Que, du fait aussi de mon enfance en Indochine, je pouvais ne pas aller voir de ce côté-là de la terre.

F.M. — Puisque vous parlez de l’enfance, moi, j’avais l’impression de connaître le monde, par les cartes sur les atlas, les planisphères, quelquefois les mappemondes. Et, selon la couleur choisie par l’éditeur, je fixais mes sympathies et mes antipathies. Il y avait un certain vieux rose, je me souviens, qui marquait l’Inde, et un autre, profond, pour Bornéo. Et l’Égypte, ocre-jaune. J’ai toujours rêvé d’aller dans ces pays. J’y suis allé et j’ai reçu en pleine figure l’éblouissement premier. Pour quelques bistres douteux, des pays sont morts dans mon esprit.  Avec ce bagage-là, pas facile d’entrer dans la réalité ! J’y suis entré pourtant, j’ai voyagé, corrigé mes préjugés exagérément subjectifs. Mais les simples cartes coloriées de mon enfance ont quand même déterminé ma connaissance du monde.

Lundi 12 novembre

L’homme est assis devant un parterre de gens. Derrière lui sont accrochées sept photographies qu’il a prises, leurs teintes sont d’automne, de soir d’été, jaunes, rouges, oranges. Il a tremblé avant de s’asseoir, puis a assommé la foule pour que tout le monde se taise, mais ça n’a pas complètement marché : « it comes from downstairs », quelqu’un a dit. Parce qu’en face de lui, oh oui, ils sont silencieux, enfin ! il est là, ça fait une heure qu’ils l’attendent, Lou. Moi aussi ça fait une heure que je l’attends le vieux Lou. Il y a vingt ans je découvrais le Velvet Underground, alors une heure de plus…

Et comme je n’écrirais pas ici ce qu’il a lu puis dit, permettez-moi de reporter quelques phrases lues le matin-même dans ce petit ouvrage que j’avais tristement abandonné il y a quelques semaines, au bout d’un chapitre, quelques phrases qui ne sont peut-être pas les plus belles des échanges entre Marguerite Duras et François Mitterrand, mais vous allez comprendre :

M.D. — Que c’est beau, la Charente, Saintes, c’est une ville secrète, une des plus belles de la France. Et Aulnay-de-Saintonge, une des plus belles églises.

F.M. — Vous connaissez Aulnay ? Ah ! Elle vaut les temples grecs. L’église d’Aulnay, c’est un des chefs d’œuvre du monde.

Du 9 au 11 novembre

Attention, le porc sonnera à 14h25.

Jeudi 8 novembre

Le Cercle est autour de la table rectangulaire, ça papote lignes courbes et savonnettes. Bientôt il y aura des articles, déjà j’ai un nouveau livre, superbe cadeau avec la délicieuse touche d’humour de l’auteur.

Mercredi 7 novembre

Je cherche d’abord à te retrouver. Je traverse donc les salles rapidement, je jette un oeil ici, un autre là, ce que je vois est magnifique, nébuleux, étrange, j’aime. Je pense immédiatement aux travaux de Jean-Michel Fauquet à cause de cette frontière invisible entre le réel et l’irréel, entre le noir et blanc et la couleur, entre le possible et l’impossible. Je serre une main puis deux, une troisième à chignon, tu es là, Corinne Mercadier est devant toi, elle vous explique sa méthode mais j’arrive trop tard, tu me résumes mais je suis un peu ailleurs, je pense à ce que je viens de voir. Puis quelques pas vers cette image que je regarde intrigué depuis des jours, des semaines, celle du carton. Elle explique encore, heureuse et souriante, et la magie est encore là, intacte, dans cet objet qui flotte.

Mardi 6 novembre

Finalement : rien.

Lundi 5 novembre

Dans une main, le sac, toujours, assez lourd, plus que d’habitude : un parapluie de plus car on prévoit de la grêle, un miroir car cela peut servir, un livre pour réviser quelques notions. Dans l’autre main, parfois sur l’épaule le long du trajet, un sac de sport contenant trois pièces de sous-vêtements – pardon, cinq, puisque deux paires – et deux dossiers retraçant une part de mon passé et dont dépend mon avenir. On peut y trouver des diplômes et des relevés de notes, dont celui auquel j’ai fait allusion hier soir, tu sais, ces 15,25 obtenus au brevet des collèges, en 1989, juste avant le bicentenaire, tandis que Juliette faisait du ski nautique sur la Seine pour Carax et que tu m’as demandé ce que je faisais, alors, à la mi-juillet. Que faisais-je ?

Bref, revenons à aujourd’hui et allons à l’Atelier 40 où Nicolas Emmanuel expose, carrés et pochoirs, sombres ou vifs. Tu t’interroges et il te répond, l’art prend du sens derrière les formes et les couleurs, comment ne pas aimer ?

Dimanche 4 novembre

« Oh oui, je suis venue… deux ou trois fois« . Sa mémoire qui flanche, comme dans la chanson ; en face un sourire complice, un peu gêné. Et puis le soir Carax : Les Amants font briller le Pont Neuf.

Samedi 3 novembre

Vendredi 2 novembre

De toute façon, je ne sais pas cracher.