Janvier 2013

Jeudi 31 janvier

Un regard sur Paris, la Seine a une couleur de purée de châtaigne. À ma gauche elle lit la Bible. Elle face d’elle, quelque chose dans le visage… un air de Lou Doillon. Soudain en face de moi, elle s’assied, brusquement, elle qui vient de monter. Elle se contrefiche de Lou Doillon, de la gêne, de son sac-à-dos, elle penche la tête, ferme les yeux que je devine derrière ses cheveux. J’échange un regard et un sourire avec Lou, fatalité des transports. Je replonge dans les Tropismes de Sarraute. Plus tard elles parleront des morts et des fantômes. Plus tard encore de la Danse ou d’autres courts.

Mercredi 30 janvier

C’est à la gare de Noisy-le-Sec que j’ai refermé le livre. L’adjectif sec pouvait effectivement convenir. Dans le roman il y était question d’un livre lu par la sœur ; la mère insistait sur ce perroquet multicolore imprimé sur la couverture.

Je remontais la rue Custine, la projection de Babylon m’attendait, j’avais les doigts encore un peu gras de cette part de quiche avalée rapidement. Sur le trottoir, le bouquiniste avait sorti quelques tréteaux : des livres d’occasion. La jeune femme qui descendait la rue et qui s’arrêta devant les ouvrages en choisit un, au hasard. Sur la couverture : un perroquet multicolore. Merveilleuse coïncidence, je jetais un oeil rapidement : Cent ans de solitude de Garcia-Marquez. La lycéenne du roman d’Yves Ravey était devant moi, elle ne savait pas encore ce qu’il allait lui arriver.

Mardi 29 janvier

Et ma mère, qui s’était mise, dès le décès, à chercher du travail, s’était d’abord demandé s’il ne l’avait pas invitée pour qu’elle fasse le ménage de l’étude après dix-huit heures. Mais elle aspirait à un emploi plus stable.

Un notaire peu ordinaire ; Yves Ravey

(Le titre n’est pas bon, le livre excellent)

Ne pas oublier les shorts si courts sur les lycéennes à l’esprit rebelle et au corps étonnamment réchauffé. Je réalise le lien avec le titre du film vu le soir, Les Herbes folles, un Resnais peut-être un peu tiède. Dis Alain, tu veux pas monter le chauffage ? les lycéennes vont s’enrhumer…

Lundi 28 janvier

La foule, la foule et la chaleur, une forêt de gens, de jambes. Et de radiateurs vraisemblablement. Je te cherche, aucun visage connu, puis un seul, brouhaha, vos lèvres bougent mais que disent-elles ? Je tourne entre les gens qui ont un verre à la main et les œuvres qui n’ont pas de cartels, je n’ai pas d’information, je ne sais rien, presque rien puisque j’ai les noms des auteurs sur une double-page de biographies, je pourrais jouer au jeu de piste, deviner qui fait quoi mais non, je m’arrête simplement devant les plus belles pièces et leur sombre ou brillant mystère mais dans la petite salle sombre comment voulez-vous que je suive ? (brouhaha, paroles en anglais, pas de sous-titre, appelez-moi le commissaire).

En sortant (de la Fondation Ricard, faut-il le préciser ?), on décide de marcher un peu, c’est une bonne idée, mais prenons la rue St Honoré, on évitera la circulation rivolienne. Sur une vitrine quelques kanji, quelques plats factices, il suffit d’un demi-instant pour cesser d’hésiter. On pourrait parler ensuite de l’arrivée de Patrice C dans la gargote japonaise tandis que je me brûle la langue en lorgnant sur ton plat de ramen au boeuf, mais je ne suis pas sûr que le mot gargote convienne.

Dimanche 27 janvier

Il y a eu ce déjeuner avec J, D et C puis un autre type d’effervescence ; nous voilà alors si nombreux dans les rues de Paris, revêtus de couleurs ne se limitant pas à ce bleu et ce rose layette qu’on veut nous faire avaler au milieu d’autres clichés, d’autres discours aveugles ou sombres. Sur le bitume on manifeste le ras-le-bol de les entendre, la peine qu’on a à les écouter et surtout la fierté d’être entiers, d’être nous-mêmes, d’être heureux comme le sont ces enfants qui naissent déjà en dehors de leurs sentiers. Nous voilà unis dans la certitude que la famille est un mouvement, un ensemble indéfini et complexe qui brandit des pancartes contre les simples et les sourds. Unis, mais on n’y croise pas de visage connu avant de quitter le cortège, avant cette boisson chaude dans l’ambiance remuée du Bûcheron. Et puis deux arrondissements plus loin, les saveurs japonaises et les rires de B et J, effervescence vous dis-je…

Et Kurt Russell ? Ben il est à New York, il fait du planeur…

Samedi 26 jnvier

Un plateau, une colline, une rue, des Pyrénées, géographie parisienne… Au Plateau tout d’abord, c’est un peu confus, mais tant que ça creuse (dans le temps, dans l’esprit) on prend. Puis à travers la vitrine c’est le hasard d’un F qui justement ne répondait pas (au téléphone, au téléphone) mais les petites assiettes sont déjà vendues. Enfin La Colline, Tristesse Animal Noir, titre splendide et pièce tout autant, pièce dont on parlera(it) des heures et dont je vous offrirai(s) une image, une seule image, la cendre qui tombe en rideau ; elle scintille malgré tout, malgré les mots sur lesquels elle se pose.

Vendredi 25 janvier

Jeudi 24 janvier

C’était finalement le jour des miettes.

Celles des autres, qu’on ramassera dans un soupir pour éviter de marcher dessus.

Celles d’un cinéma japonais contemporain qu’on oubliera dans un autre soupir.

Mercredi 23 janvier

Dans le Forum de Beaubourg on passe assez vite, enfin vous je ne sais pas… Depuis quand êtes-vous là ? Un oeil sur ces miniatures ; j’en ne cherche pas le sens. Un oeil sur ces imprimantes 3D ; j’y trouve quelque chose de fascinant.

Au cinéma La Clef, dont je n’avais jamais poussé la porte, quelques jours de pêches en Patagonie nous entraînent à l’autre bout du monde. À la fin du générique je suis surpris et dodeline : Bill Callahan chante…

Mardi 22 janvier

L & P.

S & L.

Lundi 21 janvier

La page marquant le chapitre XIV a le coin plié. Déplié, un triangle rectangle de 3,8 sur 5 centimètres marque le coin en haut (et évidemment à droite) de la page 85. Ton nom est écrit en haut à droite de la première feuille, marquée d’un 4 en petit caractère, en bas. L’ouvrage a été achevé d’imprimer le 10 juillet 1980. La première édition chez Minuit date de 1957. La première édition date de 1939. Je lis :

Ils semblaient sourdre de partout, éclos dans la tiédeur un peu moite de l’air, ils s’écoulaient doucement comme s’ils suintaient des murs, des arbres grillagés, des bans, des trottoirs sales, des squares.

Ils s’étiraient en longues grappes sombres entre les façades mortes des maisons. De loin en lin, devant les devantures des magasins, ils formaient des noyaux plus compacts, immobiles, occasionnant quelques remous, comme de légers engorgements.

Le reste du court chapitre est du même ordre, les mots glissent au milieu du brouhaha du métro et de mes pensées, ces pensées qui m’entraînent ailleurs malgré la beauté du texte. Récemment tu m’avais demandé qu si j’avais lu Tropismes ; à la radio on parlait de Sarraute. Tu avais ajouté que c’était magnifique.

Dimanche 20 janvier

Je crois que c’est avant de partir que je suis allé voir… G.A. m’avait parlé de son travail parce que je lui avais parlé de ma recherche, de mon envie de petits livres, d’objets, petites choses simples, mais en écrivant cela je pense à d’autres choses, peut-être plus fragiles. Je pense à ces jours photographiés qui restent là, dans l’état où vous les voyez, j’imagine une sélection d’images, peut-être des mots ici ou là ; n’oublions pas les voyages. Bref : je suis allé voir le beau travail de Laurent Champoussin avant de partir. Partir où ? Aux Tuileries, blanches, tachées de vert – personne pour s’asseoir – et de silhouettes noires – les arbres, les autres, toi tu étais assorti aux accoudoirs.

Au Jeu de Paume, là-bas à l’autre bout, on glissait sans s’arrêter vraiment devant Manuel Alvarez Bravo, juste histoire de mettre des images sur le nom, d’en parler une autre fois. Pour Muntadas c’est autre chose, je m’arrête et je m’interroge, ça m’attrape, même si c’est simpliste, même si c’est un peu évident comme message, comme critique, comme dénonciation, j’apprécie certains dispositifs et puis il y a Alphaville, quelques secondes la voix d’Anna Karina, comment se plaindre ?

Plus tard, C, et l’inattendu : Pierre La Police. Voici que je feuillette et que je ris.

Samedi 19 janvier

Valérie Jouve chez Xippas, à côté ce nom que j’ai encore oublié (Harry qui ?), et chez Torri on est ébloui : un tapis de néons pour un General Idea au plafond. Quelques livres aussi, et cet éclair, qu’en dire ?

Vendredi 18 janvier

Première image. Il parle du lieu, de la position, du choix, de la perspective, il fait référence à Capa, Ristelhueber, Anthony Hernandez parce qu’un homme court penché, parce que la guerre a laissé un trou dans la route, parce que le poteau est au milieu. Deux photos plus tard, je suis surpris pas les ombres que je n’avais pas vues malgré les longues secondes devant l’image. Mais ensuite ? Trop d’anecdotes, je crois que j’attends autre chose, quelque chose qui ne viendra pas ; il ne faut rien attendre, écouter simplement, accepter ce que le photographe a à nous dire. Par exemple il dit que les gens de dos, sur la photo, ça permet au spectateur de se projeter. Je souris. La neige a commencé à tomber, je vois les minutes qui passent, je ne pose pas toutes les questions qui me viennent à l’esprit, juste une remarque sur cette image fascinante dont je t’avais parlée, cette impression d’immensité, de distance, ces pierres qui semblent ne devoir jamais atteindre leur but.

Je quitte ce moment avant les autres, je presse un peu le pas, je m’arrête pour profiter du moment, ces flocons qui transforme le paysage urbain. Dans le RER celui-là qui tremble, les mains bleutées qu’il regarde, les doigts qu’il fait bouger lentement, le froid ou pas ? Paris, métro Couronnes, trottoir blanchi… S & P. Est-ce épais ? Oui, quelques bons centimètres de neige. Et puis ce ciel orange.

Jeudi 17 janvier

Le fond de l’air est frais, et encore un peu rouge.

Mercredi 16 janvier

Nous nous voyons tous les jours, D. et moi. Nous parlons de Rabier. Je lui raconte ce qu’il dit. J’ai beaucoup de mal à lui décrire son imbecillité essentielle. Celle-ci l’enveloppe tout entier, sans marge d’accès. Tout relève d’elle chez Rabier, les sentiments, l’imagination et le pire de l’optimisme.

Monsieur X., dit ici Pierre Rabier, Marguerite Duras

Et tandis qu’au matin, un jeune blond avachi devait virer son pied du fauteuil sur lequel j’allais m’asseoir en grommelant quelque chose à son encontre, quelque chose qui l’indifférait, tout comme m’indiffère soudain la concordance des temps, voici qu’au soir j’abandonnai à son triste sort la femme en bonnet et bottines rouges qui m’avait accompagné jusqu’au RER mais qui venait de passer sous le portillon sans avoir vu, le croirez-vous ?, la horde de contrôleurs qui patientaient avec leur veste vert bouteille et leur air satisfait. Les freins du train se faisaient entendre en gare, il me fallait filer puisque il était bien tard. Elle et moi revenions du même endroit, mais je crois que nous n’avons pas parlé des photographies de Matthias Bruggmann sur le chemin glissant. Tant d’autres choses à se dire.

Mardi 15 janvier

On revint au musée sur l’histoire de l’industrie locale, locale mais étendue, étendue dans le temps jusqu’à ce que la haute cheminée de Kodak s’effondre. Je te retrouvai ensuite chez J, le tarama était à l’oursin, au fond du vase on voyait le visage ; mais ce n’était qu’une impression, une belle impression de biscuit sur papier, une belle collection d’objets insolites, délicats, de ceux qu’on poserait rêveur ici ou là, non plutôt là.

Lundi 14 janvier

Face à la cheminée, le téléphone, il est à côté de moi. A droite, la porte du salon et le couloir. Au fond du couloir, la porte d’entrée. Il pourrait revenir directement, il sonnerait à la porte d’entrée : « Qui est là. – C’est moi. »

La Douleur, Marguerite Duras

On me demande « Alors ? » et je parle du calme, des soirs, etc. Je suis encore un peu là-bas, ça se voit il parait. Dans le placard le paquet est improbable (scotch camouflage, guirlande de timbres), l’intérieur rouge et… marron. Ah oui marron.

Dimanche 13 janvier

On laisse tomber le Plateau, notez la majuscule. On reste ici, par exemple pour retourner à Venise, écrire deux jours qui flotte encore sur la lagune. Il faudrait peut-être en dire plus et sûrement le dire mieux. Mais ce sera pour plus tard. Sur le petit écran, Road One, deuxième partie, un voyage si beau, simple en apparence, des rencontres et même des pélicans.

Et puis.

Et puis tout ceux-là. Après avoir marché en vain, brandissant leur petit slogan au-dessus de leur petit esprit, ils ont allumé leur téléviseur en espérant que leur voisin les verrait dans le poste. Ils ont alors vaguement découvert que la France est plus ou moins en guerre. Mais il s’en foutent, c’est l’Afrique.

Samedi 12 janvier

Elle se souvenait qu’il y avait un parapluie en fourrure. On ne s’est pas vraiment demandé si c’était vrai ou faux. C’était vrai. Dans ce Robinson Crusoé de Luis Buñuel, l’homme seul sur la plage tient un parapluie de fourrure, qu’on qualifiera de parasol, d’ombrelle plutôt, en tout cas il ne pleut pas.

En revanche chez certains il y a quelques nuages, alors on invite P.

Mardi 8 – Vendredi 11 janvier 2013

Venise…

Lundi 7 janvier 2013

Foxfire, etc. (Excusez-moi, je dois aller faire ma valise. et ça rime avec Venise)

Dimanche 6 janvier 2013

Et la reine embrassa le crapaud en plastique…

Samedi 5 janvier 2013

À la MEP c’est toujours un peu pareil, toujours un peu de tout, de quoi faire plaisir à tout le monde, ne pas faire trop de vague sur des cimaises qui se veulent un regard généraliste sur la photo. On s’embourbe dans des vignettes décoratives, on part dans une petite ville américaine pour un joli regard, et surtout on s’embarque dans cinquante ans de photographies françaises, il y a de très belles choses, les incontournables, mais on lit soudain cela pour accompagner la photographie des années 90 :

Pourtant, chacun sent qu’une page se tourne, qu’un âge d’or de la photographie est en train de se clore. L’intrusion de la technologie numérique remet en question les fondements du reportage, modifie la perception de la photographie traditionnelle et pose la question de sa pérennité.

On tique. On décortique le mot « intrusion ». On déplore. Est-ce une manière maladroite d’exprimer une simple nostalgie ou est-ce purement passéiste ? Est-ce écrit sur un autre mur que la photographie numérique ouvre encore plus le champ de cette pratique, surtout avec les progrès technologiques en cours ? Nous explique-t-on ensuite en quoi les fondements du reportage ont été remis en question ? Bref, allons donc prendre l’air…

Le soir, l’air pris, et les transports aussi, on parlera (par exemple) de la brioche.

Vendredi 4 janvier 2013

L’addition nous fut apportée, écrite sur le fond d’une assiette. Elle montait assez haut, mais nous avions fait un dîner délicat et curieux, et en qualité d’étranger nous devions payer un tiers de plus qu’un naturel du pays – pour les fais de traduction – ; il n’y avait rien à dire, aussi ne fîmes-nous pas la moindre observation et le pêcheur nous reconduisit jusqu’au traguet où nos gondoles nous attendaient.

Voyage en Italie (Venise) ; Théophile Gautier

Je n’ai pas en bouche le goût du café, et pourtant la tasse est vide. Je l’ai belle est bien lavée, mais comment l’ai-je vidée ? C’est encore le matin, je suis ailleurs, somnambule, fatigué, que sais-je… Le nous de Théophile Gautier n’est ni un singulier ni un pluriel, ou un singulier ET un pluriel. Et moi, que vais-je raconter sur Venise ? Et comment ? Avec un nous, évidemment. En attendant Venise on s’embarque le soir au Japon avec les saveurs de chez Miki : œufs de poisson, gingembre, yuzu… J’ai aux pieds cette nouvelle paire de chaussures mais qu’en dire ici ?

Jeudi 3 janvier 2013

On choisit le bar en face du petit train illuminé pour parler d’Hector. L’un a toujours des découvertes à raconter, il connait le lieu, me dit que « Là, c’est rien » à propos du serveur que je regarde surpris, à croire que j’ai encore des a priori sur les bars un peu désuets.

Mercredi 2 janvier 2013

J’ai beau dormir, je ne dors pas. L’air du saxophoniste à sourdine est agréable et j’ouvre donc un oeil, plutôt vers la gauche où j’aperçois la une du Canard Enchaîné entre les mains d’un autre voyageur. Je ris. Et rirai aussi un peu devant Les Habitants, fable absurde où la sauce (hollandaise) prend plutôt bien.

Mardi 1er janvier 2013

Il faudra trouver un cahier neuf pour ce nouveau janvier, pour l’instant c’est à décembre que les mots restent collés. Les premiers mots de l’an y sont sous forme de liste, peut-être pour se donner le sentiment de ne rien oublier :

– Trouver un nouveau cahier

– Film (dvd) : Le fond de l’air est rouge. Un peu confus, autant que la situation de l’époque ?

– J –> clés

– Bûche chez S et L

Sachant que les photos serviront aussi de pense-bête, je n’ajoute pas cette promenade au Jardin tropical, jamais visité malgré sa proximité – voire sa fusion – avec Nogent. Le lieu n’est pas oublié : des panneaux flambant neufs nous informe clairement de son histoire. Mais l’aspect délabré de certains éléments offre un visage plutôt triste de cet ailleurs longtemps abandonné et de cet autrefois qu’on ne doit pas oublier.