Nos chemins s’étaient croisés professionnellement et artistiquement, et le voici à Kyoto, jeune retraité dont l’horizon est dégagé. Il nous attend devant le musée, accompagné, occasion de découvrir l’exposition sur le zen ou de revoir le sanjusangendo, puis d’aller déjeuner, là-bas, après que le chauffeur de taxi (au féminin et moins de 60 ans, double rareté) avait fait part de son soulagement que je parlasse un peu japonais, après aussi qu’elle avait roté, et donc oui, déjeuné là-bas, histoire de d’être encore étonné — cessera-t-on un jour de l’être ? — par la nourriture locale, qui transforme les aubergines en merveilles.
Plus tard. Il n’a pas d’âge. Pas d’âge clairement défini : tout corps plongé dans l’eau subit une poussée vers le haut dont le volume n’indique rien sur l’individu. Il entame la conversation en japonais en me demandant si je voyage. Bien sûr, étant donnée ma réponse, il me demande si je suis ici pour le travail. Je dis que oui, que je suis photographe : vous voyez, je mens (un peu), pour changer (un peu) de la réponse (si souvent) fournie, la vraie, lorsque je dis parle de mon パートナー (prononcer “pātonā”). Alors il rebondit sur la photo : quel genre ? avec quoi ? lui aussi il en fait mais avec son smartphone… Il me demande alors pourquoi Nikon. Comme je bute contre les mots, il poursuit en anglais, lentement mais précisément, et déchausse ses lunettes parfois, comme si la myopie l’aidait à communiquer. Il pense que les Allemands préfèrent Leica et les Américains Pentax. Il est étudiant en sciences politiques, en relation internationale je crois, je ne suis pas certain d’avoir compris ; comme quoi son anglais n’est pas si précis, ou sûrement est-ce le mien.