Peut-on parler de soi en évitant d’évoquer la fragilité de ce qui nous relie au monde ? Je suis en ce 27 mars, et depuis environ un mois, une statistique, un risque non nul d’accident vasculaire cérébral confirmé ce matin par un IRM, risque qui tend déjà vers zéro. Je suis simplement un pourcentage non nul de ce qui nous rend mortels, autant dire que je n’ai rien d’original là-dedans. Statistiquement, à 44 ans, c’est juste un peu tôt. Mais on est préparé à tout cela, on sait les partis trop tôt, on vit avec la mort accidentelle d’un grand-père, la crise cardiaque d’untel, la leucémie de la sœur d’un ancien amoureux, Y. Au-delà, on citera la disparition d’un écrivain qui avait encore tant à dire, les victimes d’un attentat, la litanie des coups de faux.
Y est toujours aussi beau : face aux drames il nous reste la beauté du monde. Lorsque je le vois, sur son lieu de travail, ou – une statistique de plus, puisque tant d’autres visages ne sont jamais réapparus – dans le hasard des rues de Paris, et que de sa voix suave il me parle, je repense au délice des trois petits mois que nous avons partagés, délice fragile accompagné par nos doutes et sa douleur. Il me revient alors le souvenir de ce matin de janvier 2001, immortalisé par une photographie sur laquelle il me tire la langue. Ou était-ce à la vie, qu’il la tirait ?