Dimanche 5 avril 2020

Alors je retrouve Perec et ce W qui avait besoin d’un temps, d’un rythme, de ça, sans rien après, être là, soi, c’est-à-dire moi, moi seul et lui, eux, là, cette histoire, ces histoires ; il fait beau. Je le reprends au début, j’embarque. Et puis soudain je lis cela :

Je ne sais pas si je n’ai rien à dire, je sais que je ne dis rien ; je ne sais pas si ce que j’aurais à dire n’est pas dit parce qu’il est l’indicible (l’indicible n’est pas tapi dans l’écriture, il est ce qui l’a bien avant déclenché) ; je sais que ce que je dis est blanc, est neutre, est signe une fois pour toutes d’un anéantissement une fois pour toutes.

Ici j’ose une ellipse, mais voilà, l’émotion, profonde, qui nait de la lecture, va jusque là :

J’écris : j’écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j’ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps ; j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture : leur souvenir est mort à l’écriture ; l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie.

Sur les réseaux sociaux, je lis tout le passage dans une vidéo d’une minute vingt-trois, c’est un plan fixe qui regarde par la fenêtre, l’horizon est mort pour laisser le spectateur écouter. Je veux le déclamer, m’en nourrir, l’entendre encore, il faut quelques prises et puis tant pis si parfois la voix part un peu. Je ne sais pas encore que quelqu’un d’autre, plus écrivain que moi, m’en parlera de ce passage, grâce à une coïncidence – il préfère cela au hasard, dit-il – de partage. Sa voix est douce, son visage aussi, et ses mots m’entrainent rue Vilin.