Jeudi 9 avril 20

Je te parle de P, de F, de l’attente – la mienne, la leur supposée. Et puis tu me parles de nous, d’un nous futur prenant une forme officielle précédée d’un accord, et je ne sais pas trop dans quelle direction rebondir : sérieusement ou en un trait d’humour. J’arrive, je crois, à mélanger les deux. Je te connais de mieux en mieux, parce que tu parles beaucoup de toi, mais peut-être aussi parce que nous sommes passés par la passion, la douceur et le déchirement, autant d’extrêmes qui font dire ce que l’on pense et ce qui nous dépasse. Je te connais et je sais ce que tu attends de la vie, ce que tu en crains, ce que tu veux vivre et construire, et j’entends – c’est du moins ce que j’ai envie d’écrire ici, parce que ça glisse de mes pensées – que parfois, quand tu me dis que je te manque, ce n’est pas à l’ami que tu parles, c’est à celui qui représente une potentialité. D’un rire je parle de nos âges, et à ton indifférence je pourrais répondre que tu as raison : ils portent les mêmes rêves.
Tu tournes autour du pot, mais tu dis que l’on peut aimer et pardonner, la preuve, ta mère t’aimera toujours, quoi qu’il arrive. Je te réponds que ce n’est pas comparable et je te parle de Marguerite Duras, de ce qu’elle disait de l’amour maternel dans cette émission de télévision ; tu ne sais pas qui est Marguerite Duras.
Je comprends enfin que les mots que tu prononces sont un moyen de te griser un peu, faute d’alcool. Dans ce quotidien enfermé, l’autre qui partage ton logement, ta nationalité et ta religion, a gardé de cette dernière les interdits qu’elle impose, les pratiques qu’elle rejette. Avec lui, tu ne peux pas être toi. Alors tu rêves. D’envols.