Mardi 9 mars 2021

Tu me rappelles celui que j’ai été. En tant que tu choisis, à ton âge, ce que sera demain. En tant que tu m’évoques ce que j’ai choisi, moi. J’arrive à trouver les mots, à les écrire, pour amener à la conclusion que tu devrais penser à tes choix. Bien sûr ensuite je blague, ajoute un smiley clown, un autre qui rit aux larmes, oh pourtant que les larmes ne sont pas toutes de joie.

Je ne cesse de penser ce que tu m’as dit un jour – tu déjeunais alors ici -, sur les silences. Nous n’en avons jamais reparlé parce que, depuis, nous ne nous sommes pas revus. Je suis donc à la fois celui qui pense que tu dois t’en méfier, de ces silences, celui qui pense qu’il y en aura toujours, et celui qui voudrait savoir si j’aurais pu les combler alors que pertinemment je sais que non. Non, parce que je n’ai pas ma place, non parce que profondément tu n’as pas ce qu’il me faut pour nous aimer dans nos silences et donc les combler quand c’est joli. 

Tu me rappelles celui que je n’ai pas été. Tu me rappelles ce que je n’ai pas eu parce que tu es inatteignable.

Plus tôt j’avais parlé à O. C’était un peu flottant. Il y avait comme une liberté qui n’osait pas se frayer un chemin dans cette conversation téléphonique non pas totalement inédite – nous avions discuté il y a trois ans, pour le travail, et dès lors je m’étais dit que j’aurais aimé combler ses silences, à supposer qu’il eut été possible de trouver l’audace de faire concurrence à sa voix magnifique. Pas totalement inédite mais nouvelle, car depuis nous n’avions échangé que par messageries diverses et variées. J’avais notamment eu la fierté de collaborer à son projet “Faire l’amour“, anonymement mais joliment : il m’avait suffi d’écrire.

J’avais dit à O ce que je t’ai dit à propos des projets japonais. Mais avec toi, tout s’est éclairé. J’ai compris que ce que je m’imposais, c’était de brasser, encore et encore, le passé. De faire du nouveau avec de l’ancien, et quel ancien ! Cet ancien né de choix que j’avais faits et dans lesquels on parlerait d’amour, ou peut-être pas assez.

Et puis, croyant avoir fini, arrive cette phrase : La mémoire reste infernale de ce qui n’arrive pas.” Elle arrive par la mort d’un homme, tabassé. Il pourrait être toi, moi, lui, nous. La phrase belle et terrible, dans laquelle au premier regard je ne lis pas la mort mais l’in-amour, ce pourrait être la nôtre, même si tu n’as pas ce qu’il faut, même si tu rejoins le garçon aux yeux noirs, mais ce soir c’est celle pour un homme mort. Et moi je suis vivant. Vivant de vibrer. Vivant de lutter. Joliment vivant.