Sur un sommet au-dessus des nuages vivait jadis un homme qui avait été le jardinier de l’empereur du Japon. Peu de gens connaissaient son existence avant la guerre, mais je savais qu’il avait quitté sa patrie aux confins du Soleil levant pour s’installer dans la région montagneuse du centre de la Malaisie. J’avais dix-sept ans quand ma sœur me parla de lui pour la première fois. Une décennie devait encore s’écouler avant que je me rende dans les montagnes pour le voir.
Il ne me présenta pas d’excuses pour ce que ses compatriotes nous avaient fait, à ma sœur et à moi. Ni lors de notre première rencontre, par un matin pluvieux, ni plus tard. Quels mots auraient pu apaiser ma souffrance, me rendre ma sœur ? Aucun. Et il en avait conscience, contrairement à la plupart des gens.
::: Tan Twan Eng ; Le Jardin des brumes du soir
J’ouvre le livre, enfin. Sur le si petit mot que tu as écrit sur la première page – tu m’avais dit que ne tu ne savais pas trop quoi mettre -, tu as signé de ton initiale. Je ne sais pas si cela est une manière de dire que tu me lis.
A ma droite, de l’autre côté du couloir du train, des Japonais. Leur niveau de langage – passant du neutre au familier, selon qui parle -, puis le fait que l’anglais débarque dans l’une de leur conversation, me laisse à penser que le plus près de moi, bricolant des tableaux excel après avoir dégusté une pâtisserie de chez S et portant un bermuda beige laissant apparaître une peau caramel brillant un peu sous l’éclairage dans une photogénie presque excessive, serait plutôt Chinois. J’hésite alors à ouvrir ce livre de japonais qui me fera réviser pour la énième fois les kanjis vus, oubliés, revus, oubliés encore, mais j’ose, tant pis et comme on peut s’en douter, tout le monde s’en fiche royalement. Impérialement ?