Je regarde, encore et encore, les images, pour finaliser le projet d’exposition qui approche : ce sera en mars prochain. Je comprends que j’ai produit, lorsque j’ai vécu là-bas, énormément de photos extrêmement mauvaises. Mais alors vraiment, vraiment beaucoup. Que j’ai gardées et que je regarde, aujourd’hui, plutôt horrifié. Je suis alors face à la fragilité de ma photographie, qui, me dis-je, doit plus au coup de bol qu’à un vrai talent, mais si j’dis ça, je casse mon image, ce s’rait dommage, ce s’rait dommage, alors je réfléchis un peu et je me rappelle que le piège du Japon en y arrivant en 2014, c’était ce sentiment que je ne savais pas quoi en faire : c’était devenu un espace quotidien dont l’anodin était censé être derrière l’objectif, mais c’était encore une grande inconnue, j’étais perdu et je crois que mon regard s’y heurtait. Soudain, je n’étais plus face à la surprise de l’été 2011 qui donna quelques images fortes, et pas encore dans cette espèce de quête ascétique du printemps 2017 qui donna à nouveau quelque chose, quelque chose que j’aime énormément et qui atteindra une force de sécheresse visuelle sur quelques images, m’offrant pour mars un lien évident avec les haïkus : rien de pesant, rien de solennel, rien de convenu, comme il est écrit dans la préface de l’anthologie du poème court japonais.
Je ne t’en dis rien, de tout cela, tandis que nous déjeunons. Je n’y pense pas. Peut-être que cela m’épuiserait, dans ta langue. Et puis soudain, tu te rappelles ce que tu as oublié de me raconter : tu as enfin dit à ta mère qui tu étais et pourquoi tu l’appelais peu pour ne pas devoir mentir. Enfin tu es devenu toi, au bout du téléphone. Devant moi, en le racontant, peut-être l’es-tu aussi, encore plus, toi. Tu me souris comme peut-être tu n’as jamais souri. Pourtant il y a d’autres histoires, un peu moins souriantes, ou d’un sourire grinçant : il y a vous, lui et toi, et toutes ces griffures. Je te regarde. Tu es beau. Tu portes un pull coloré, quelque chose entre le vert et le bleu, éclatant, se mariant subtilement avec ta peau. Je ne pense pas à te photographier. Comment est-ce possible ? Je te parle pourtant du portrait de Julia. Je te parle pourtant de mon aisance grandissante devant les visages. Le tien se dérobe-t-il ? Non, c’est ainsi si souvent.