Dimanche 6 mars 2022

Nous – nous et eux – sommes là pour rendre hommage à mon père, à titre posthume. Elle, la présidente de la fédération française, dit des mots, nous sommes émus, très émus. Nous sommes là pour dire à quel point mon père a donné de son temps et de son énergie. Ma mère dit qu’elle ne peut rien dire, je tends le bras, prends le micro, ma gorge s’est desserrée, parler devant des gens est une habitude, je n’ai ni appréhension ni doute, je parle, je raconte un peu, je rappelle qu’au départ, la généalogie, c’était ma mère et moi : il avait suffi de quelques actes dans un tiroir. J’ai aussi besoin de parler de lui. J’oublie de dire comment je l’ai découvert autrement, oui un peu autrement, après sa mort, par les messages que nous avons reçus. Parfois je mets le micro devant maman, bien sûr elle veut parler, comment se taire ?

Je me retrouve à parler de ce que cela voulait peut-être dire, pour lui, la généalogie, quand on est un fils d’exilés dont les aïeux ont disparu avec les registres, je parle de territoire aussi, ça me vient comme ça, je leur dis que ça me viens comme ça, soudain, cette idée du territoire. Je me dis qu’il aurait été terriblement ému d’être là, et d’entendre tout ça. Parfois, il pleurait ; il suffisait qu’on évoque son père. Il aurait été ému, qu’ainsi j’évoque le mien.

Parfois je regarde des photos de papa. J’essaye de comprendre qui il était, c’est-à-dire, maintenant qu’il n’est plus là, ce que ça fait, d’avoir un père, ce que ça signifiait sa présence à lui et ma présence à moi. On y pense pas, avant ça, il est là, quoi, il vous parle, vous emmène en voiture à la gare, vous parle de l’association, vous demande un peu si ça va le boulot, dit “T’as vu quoi de beau ?” quand vous êtes allé à Paris ou ailleurs et alors vous ne savez pas trop quoi répondre, alors vous êtes là aussi, autant que vous pouvez, vous l’appelez pour son anniversaire, vous lui envoyez une carte postale du pays basque en signe d’amour filial, vous avez peur que ce soit la dernière même si vous avez envie de le prendre par le bras et de lui dire “Viens, on y va” et puis vous pleurez en écrivant un vendredi soir de mars. Il était là, sans que j’ai totalement conscience de ce que ça voulait dire en moi, comme si il avait manqué, un matin sur France Culture, une chronique philosophique expliquant l’évidence d’être un fils, juste ça, pour faire tilt.