Il est à peine 7 heures du matin et le téléphone sonne. C’est maman.
La vie est partie, au petit matin, elle a abandonné ma sœur Sandra, ou c’est Sandra qui l’a abandonnée, qui lui a dit Laisse-moi.
Je ne sais pas comment dire la mort alors je dis ça comme ça. Je ne veux pas la dire mais elle est là. Je ne veux pas non plus ne pas la dire.
Les heures passent, le silence entrecoupé à peine, quelques appels entrecoupés de pleurs qu’on essaie de retenir. Je ne sais pas quoi faire, où aller. Même à moi-même je ne dis rien.
Et puis je mets de la musique pour rompre le silence, après la superbe Domani E’ un altro giorno d’Ornella Vanoni et l’amoureux Portofino de Dalida, il y a cette chanson que je ne connais pas. J’hésite sur la voix. Je comprends juste qu’elle chante, ou plutôt qu’elle crie la vie. La Vita. C’est Shirley Bassey. Elle dit qu’il n’y a rien de plus beau, la vie.
Et puis je m’assieds devant l’écran, c’est déjà le début de l’après-midi, et j’écris. Un texte sort de moi, sans réfléchir, un texte pour elle, sur elle, nous. Je remonte loin, au doux mot d’enfance, peut-être pour être le plus loin possible d’aujourd’hui.
Enfin (un enfin qui n’en est pas un) je pars de la maison. J’emporte avec moi les mot de Marceline Loridan-Ivens, déportée à Birkenau à l’âge de 15 ans. Page 5, dans le train, je mettrai un petit marque-page autocollant bleu :
Joris Ivens avait raison. Il disait : “Il ne faut jamais perdre son enfance, il faut la nourrir.” Il avait raison. Il faut la garder en soi. C’est elle qui nous apporte tout. C’est elle qui nous permet d’oser, comme seuls les enfants peuvent oser. Quelle chance ils ont ! Ils m’émeuvent beaucoup plus qu’avant.
::: Marceline Loridan-Ivens ; C’était génial de vivre.
Récit écrit par David Teboul et Isabelle Wekstein-Steg