Mercredi 4 octobre 2017

Un banc. Le village des artisans n’est pas ouvert, il n’est qu’un jardin ombragé, mais je n’y suis de toute façon que par hasard, celui des chemins empruntés. Une vieille dame vient me parler. Elle est la troisième à m’adresser la parole aujourd’hui, dont ce vieil homme qui, comme elle, marchait avec une béquille, comme elle, était édenté et qui m’avait demandé pourquoi je prenais ça en photo là-bas. Ça, c’était une vieille bagnole ; il était trop loin, il n’en sait rien, je lui parle du paysage. Je sais que ça les dérange un peu, alors je prends mes distances. J’ai bien compris que de toute façon la population locale serait absente des images. Certains y voient encore le vol de leur âme, m’avait prévenu Ricardo en souriant. Je m’interroge aussi, sur les trottoirs, sur cette certaine absence de sourires bienveillants. La timidité dont parlait Alvaro ?
De la diction éventée et zozotante de la vieille dame, j’attrape des bribes qui me permettent de hocher la tête ou de répondre deux ou trois oui, de compléter de quelques mots, de lui dire que oui j’aime marcher, de donner l’heure avec mon zozotage de péninsule ibérique. Vous êtes Castillan ?, me demande-t-elle. Et puis elle demande si elle peut s’asseoir, pas le temps d’acquiescer qu’elle me dit qu’elle ne mord pas, en souriant. Tu m’étonnes…

Un banc. Le chemin m’a ramené au cimetière plutôt qu’emmené vers la plage. Je n’avais pas terminé avec ce lieu. J’y puise une partie de ce dont j’ai besoin, les marques d’un temps passé. J’y puise sans aucun doute le calme nécessaire et les couleurs bénéfiques à l’écriture, des couleurs pastels à qui je donne des noms. Je grappille ici comme ailleurs, plus qu’ailleurs peut-être, ce qu’il me faut pour donner corps au texte. Je n’attendais rien, il faut donc attendre. Regarder, s’étonner, oublier le reste, absorber ce qu’il y a autour, se concentrer sur les mots. Le prof d’écriture disait : “se mettre en l’état d’écriture “. Parfois c’est en marchant que ça advient, c’est très étrange parce qu’on n’est pas là pour ça, mais j’ai compris qu’il faut se saisir du carnet, arrêter la marche, noter l’idée, sinon elle s’envole. Comme l’oiseau-mouche, suivi dans les allées solennelles, virevoltant de son battement d’aile si rapide.
Tout comme au Japon je me réjouissais d’une faune étrange et étrangère, j’ouvre grand les yeux devant ces merveilles de la nature, en attendant celles qui, samedi, par un tour dans l’Altiplano, transformeront les lamas en réalité cracheuse. Et soudain je souris, de cette musique joyeuse qu’écoute le cantonnier dans le cimetière, de ce chapeau à larges bords, de cette simplicité qui m’entoure et me pénètre.