Mercredi 30
Il y a bien eu quelques pages pendant lesquelles j’ai ressenti un léger agacement, mais pour son deuxième roman (K.622) Christian Gailly osait tout et c’était il y a vingt-deux ans. L’agacement restait teinté d’un aveu : c’était gonflé. Me prenant au jeu, peut-être un peu jaloux (« il écrit comme il parle », ai-je pensé, ça m’a rappelé Sophie à l’époque où j’écrivais comme je parlais), j’en suis venu à sourire, et, page 38, je quitte le passé composé et éclate de rire juste avant de quitter de la rame, terminus, descente à gauche dans le sens de la marche.
Bon après, pas de surprise, la radio et toutes ces voix qui comblent ton silence : celle de Danielle Mitterrand, celles qui lisent Annie Ernaux (quelques bémols sur Ernaux tout de même, permettez pour une fois puisque habituellement je crie merveille, son livre Des années, commencé jadis au retour de la Corse dans un avion turbulé, m’avait quand même sévèrement schtroumpfé, revenons dans 300 ans on y lira un témoignage de la deuxième moitié du XXème siècle, même si certains passages, cf. les jours qui précèdent, oui oui certains passages, et puis là il y a les voix, oui oui les voix, mais tout de même c’est un peu poncifs et crème à récurer, bref je me comprends…) et Arnaud Machin et son groupe de critiques qui papotent dans mon dos tandis que je divague.
Finalement, fin de soirée, je choisis un autre film que l’un de ceux prévus et posés là. Sur les rangées où je jette un œil, le nom de Téchiné qui va de pair avec mon envie de voir un film en français, j’entends par là ma non-envie de lire le moindre sous-titre ; je crains leur fragilité et celle de ma concentration. Et puis cette photo, au dos du boîtier, cette photo, la même que celle accrochée sous mon étagère à souvenirs, les lèvres rouges de Marie-France Pisier, sur la photo elle est ailleurs, d’ailleurs n’est-elle pas ailleurs à présent. Barocco : Adjani, Depardieu, mais aussi Brialy, et donc oui, Pisier, merveille, ô merveille, baignée d’une lumière radieuse derrière sa vitrine, fille de joie saisissante, dont le reflet s’offre même triplement comme si Téchiné rêvait quelque jumelle, quelque sosie, hommage à Rita Hayworth peut-être, et puis Pisier voix parmi les voix, bref, que je me taise.
Finalement, soirée doublement finie, je regarde dans une autre liste, je vois ce « Journal Romain » et je commence cette nuit dans tes yeux et tes souvenirs.
Mardi 29
Galerie Poggi, Ice Dream, ton film, votre film, trois écrans, presque trois dimensions, on est comme englobés, on est en tout cas portés différemment dans ce paysage, dans cette action où rien n’est plus linéaire ; sur ce sol métallisé, ces coussins noirs sont-ils les veuves d’une banquise ? Banquise ici bleutée, immense, mouvement de balancier vertigineux, je regarde les images encore et encore, en fais quelques-unes pour que tu vois cela, ce là-bas, de là-bas.
Au rez-de-chaussée, tandis qu’arrivent M&C, je suis passé à cette autre pièce aux poupées de chiffons. Mais soudain, l’œil à la montre, ah ! L’heure ! Il allait être trop tard. Arrivé à la Poste du Louvre, il était trop tard, vingt heures passées. Acte manqué ?
Et puis j’ai commencé à relire ce carnet rouge, ce nihongo no notto, les chiffes (ichi, ni, san…), les couleurs (kiiroi, aka, kuroi, midori…), les verbes (shimashô, tabemas, wakari masen…), les expressions (sumimaseeeeeeeeeeen) pour onegaishimasser un minimum et kudasayer ici ou là, histoire de demander un fukuro à la caisse de chez Lawson ou des kitte à la Poste… Ca y est, voilà, je m’envole un peu, déjà, tu vois, l’avion est presque au bout de la piste ; jusqu’à présent c’étaient les mots qui s’étaient un peu envolés tu sais, mais où sont ceux que tu avais cherché à retenir ?
Lundi 28
Voilà que soudain on me demande un « état signalétique des services militaires », avouons que cette période est bien loin, révolue (révolue si on erre ?) et que l’angoisse m’étreint : l’obtiendrai-je à temps ?
Il est justement question de militaires dans le petit livre commencé il y a quelques jours, petit livre léger ; mots glissants et récit simple donc lecture parfaite pour les transports en commun que ce Zakuro de Aki Shimazaki. Récit simple bien que grave : il y est question d’une partie de l’histoire japonaise dont j’ignorais tout, à savoir la déportation de 600 000 Japonais en Sibérie après la guerre. Mais quand le nom Fukuoka passe sous mes yeux, me reviennent en mémoire les frais souvenirs de Kyūshū. Vingt jours encore et m’y revoici ; ressortons le lexique.
Et puis, toujours, le soir, une voix qui lit Ernaux. 20 h 30. 24 minutes.
Pour tester leur aptitude à vivre sans mari, elles allaient au cinéma seules l’après-midi avec un tremblement intérieur, croyant que tout le monde savaient qu’elles n’étaient pas à leur place. Elles retournaient dans le grand marché de la séduction, se découvraient de nouveau exposées aux aventures du monde dont le mariage et la maternité les avaient éloignées.
Dimanche 27
Hier soir, après votre départ définitif, je suis allée dans cette salle du rez-de-chaussée qui donne sur le parc, là où je me tiens toujours dans le mois tragique de juin, ce mois qui ouvre l’hiver.
L’homme atlantique – Marguerite Duras
24 pages pour adoucir un dimanche éternueux et moucheux ; imaginez que la pharmacie de garde n’était pas aussi loin qu’on avait voulu me le faire croire, imaginez qu’à l’approche du lundi j’ai œuvré dans ce calme propice. La pile de dvd est donc restée aux pieds du lit. Mais où avez-vous vu des pieds ?
Samedi 26
Dur d’émerger. Appel de MRG. Rendez-vous. Nausée. Coucher. Annulation. Ou plutôt report. Ce sera pour la semaine prochaine.
17 h, tout de même il faut y aller, la curiosité m’entraîne vers la séance de 18h des Rencontres Internationales, neuf courts-métrages, le premier nettement au-dessus du lot, elle s’appelle Elsa Fauconnet, un homme et une femme marchent, c’est tout simple et ça fonctionne magnifiquement.
20 h, malgré le rhume qui me prend petit à petit la tête, je reste pour la séance de clôture. Là encore, le premier court est nettement au-dessus des 80 minutes de ce Finisterrae mi-figue mi-raisin, mi-lard mi-cochon, fable assez absurde pour me plaire mais bon quoi, bof quoi… Le premier court, restons-en là, Strokkur (extrait) de Joao Salaviza, là encore c’est tout simple et ça m’emporte.
Bon, ça c’est quand même fini avec jambon et vin espagnol sur les fauteuil de velours rouge d’un endroit hypeeeeeeeeeeer select… Oh mais oui au fait, je t’ai dit qu’il y avait Gaspard Y ?
Vendredi 25
De fil en aiguille, parce que l’on avait évoqué la signification du « lol », j’en vins à cet article d’Hélène Cixous et son décorticage stupide du prénom durassien. De quoi glisser dans une soirée une référence littéraire manquant à mon bataillon et un tombereau de jeux de mots, Cixous soudain entourée de Banshees pour finir sur la banquise. Attention, terrain glissant.
Jeudi 24
Hein ? Ben non. Rien. Enfin presque, des tris de photos, rien de captivant… Ah si, j’oubliais, Annie Ernaux, encore elle, lue, lecture sur France Culture. 20h30. 24 minutes. Les années :
Sur cette photo en noir et blanc, une grand fille aux cheveux foncés, mi-longs et raides, visage plein, les yeux clignant à cause du soleil, se tient de biais, légèrement déhanchée de manière à faire saillir la courbe de ses cuisses serrées dans une jupe droite descendant à mi-jambes tout en les amincissant. En dehors des pommettes et de la forme des seins, plus développés, rien ne rappelle la fille d’il y a deux ans, avec ses lunettes. Elle pose dans une cour ouverte sur la rue, devant une remise basse, à la porte rafistolée comme on en voit à la campagne et dans les faubourgs des villes.
Mercredi 23
Je ne sais pas s’il était prévu qu’on parlât future expo ou simplement photo, mais on n’en parlât pas. De quoi donc discuta-t-on au milieu des murs blancs, bottines déchaussées pour être plus à l’aise ?
Mardi 22
Voilà, évidemment c’était prévu, ces visages pas vus depuis tant de temps, je me doutais qu’on ne pourrait qu’à peine… rapidement on s’embrasse, parfois quelques phrases, il fallait venir plus tôt pour une conversation, peut-être à un meilleur moment, on s’en attristera, même si c’est toujours un plaisir de les voir, de vous voir, des années après tant d’heures partagées. Parmi les mots quelques avis, quelques questions, sur les images ou sur le texte, que j’ose à peine revoir, que j’ose à peine relire.
Voilà, évidemment c’est jusqu’au 7 décembre…
Lundi 21
Le RER semble filer à plus vive allure qu’habituellement, comme s’il savait ma crainte d’arriver en retard. La séance est à 20 h, et un joli hasard m’a plus que motivé pour aller voir ce « My Dubaï Life« , puisque c’est un joli hasard que ton actuel voisin de Villa y ait participé et surtout l’ait annoncé sur un réseau social pas tout à fait quelconque. Précédé d’un court étonnant devant lequel malheureusement j’ai levé les sourcils et d’un court magnifique devant lequel malheureusement j’ai piqué du nez, le long-métrage de Christian Barani est passionnant, riche, multiforme et tellement cohérent, mais surtout humain parce qu’au milieu de l’extravagance, de la démesure et des grues, il y a l’homme, les hommes, superbes portraits figés ou paroles plus ou moins fatalistes, hommes venus d’ailleurs pour faire surgir de terre, souriant malgré tout, cet enfer moderne.
Dimanche 20
« Mais c’est ma soeur, j’peux pas lui dire moi, t’vois« . Elle mange les syllabes d’une manière aussi outrancière que son volume sonore, son débit et le bleu de ses paupières, bleu turquoise sur sa peau noire. Bonnet à grosses côtes et pompon, petite robe d’été qui ferait frissonner certains garçons et certaines frileuses, elle expose ses soucis de vie commune sur la banquette en skaï marron et parasite ma lecture de ces lignes de magazine au sujet du dernier livre de Georges Dibi-Huberman, auteur dont le nom se cache à la maison sur la deuxième rangée de livres et dont les ouvrages sont restés à leur place pour l’instant. Brève coupure réseau, la voilà qui se tait, peu après se lève, s’éloigne, reprend la conversation. Je poursuis le trajet pour une station supplémentaire, pour voir un Bonsaï vanté par ce même magazine. Dans la petite salle, je m’assieds à côté de cette petite femme dans ce grand manteau noir, petite femme silencieuse avant le début du film, de laquelle s’extrairont ensuite à intervalles réguliers d’étranges bruits de respiration… Est-ce cela qui m’a fait penser que le film manquait de souffle ?
Samedi 19
« Ouais je m’habille plus en ghetto, là« . Effectivement, il est habillé en jean, pantalon comme chemise, et la chaussure arbore une couronne de laurier. La façon de parler ne trompe quand même pas, il va falloir apprendre à placer votre voix, jeune homme. La fille qui l’accompagne continue l’investigation vestimentaire tandis que je préfère quitter l’insupportable ambiance du magasin Z…, où les vêtements sont autant ignorés par les clients que la poussière l’est par l’équipe de ménage.
Le Goethe Institut c’était loin, la salle 6 du MK2 c’était plein, alors je suis rentré, de toute façon c’était mieux, je pouvais libérer de leur paquet les trois jizo que Fabien avait apporté de là-bas, de toi à moi, et agrémenter ce samedi parisien de leur sourire bienveillant.
Vendredi 18
Quelques photos en noir et blanc qu’il faudra revenir voir, et bien d’autres encore, bien d’autres ailleurs, quand la foule se sera retirée.
Et puis ton nom. Six films. L’ouverture des Rencontres. Six objets bien différents les uns des autres qui génèrent chez moi un enthousiasme certain. Au sortir du cocktail que j’ai vite quitté, partagé avec Cl. – pendant lequel on n’évoqua même pas les petits bols – je tombe sur un visage qui me semble familier. On se regarde, on se sourit, je suis persuadé qu’il fait parti de ton cercle relationnel, qu’on s’est vus récemment, on s’embrasse même machinalement, tellement c’est évident tout ça. Mais immédiatement les souvenirs s’éclaircissent, c’était une autre époque, des amis communs, il cite un prénom, je cite un couple, les années ont pourtant passé, au moins trois.
Jeudi 17
Au départ c’est calme et souriant, ils ont commencé sans moi, la première bouteille est ouverte, la porte le reste par moment un peu trop. On avait rendez-vous au Trumilou et son nom improbable, une forêt en Auvergne ou quelque chose comme ça… Et puis le Parisien arrive pour dîner, nous-mêmes nous rejoignons la salle. Petit à petit le brouhaha s’installe, je grimace, n’entends rien, comment répondre ? De toute façon on ne parle pas la bouche pleine. Bon en définitive on n’aura vu ni la BBC ni la révolution ; mais ce sentiment en repartant que la machine associative repart sérieusement, concrètement et amicalement (n’est-ce-pas ?) est bien agréable.
Sur le chemin justement, G me parle, nous ne sommes plus que tous les deux, nous dirigeant vers la même station, mais pas le même sens. La fille en manteau rouge et aux cheveux longs est peu éclairée sous les réverbères mais sous la lumière jaune son allure est évidente, un pied à terre, un peu en déséquilibre, le haut du corps dirigé vers ce garçon, à bicyclette également, avec qui elle discute ; le piéton est rouge. J’aurais été seul je me serais arrêté. Dommage. L’image restera à tout jamais dans mon esprit et un peu ici.
Mercredi 16
Tard. Re-tard. Cette fois-ci pour une sombre d’histoire de transports. Mais qu’importe, puisque le soir c’est l’inverse, je quitte mes fonctions à une heure où d’autres se sont déjà assoupis, à une heure où tu es peut-être déjà réveillé. Sur six feuilles à petits carreaux j’ai noté questions et réponses, griffonnant ici ou là quelques silhouettes pour illustrer les propos urbanistiques. Lorsque que j’arrive chez nous, Cl. a lui aussi griffonné quelque chose, mais les silhouettes sont un tas de débris ; les jolis petits bols à thé ont subi un choc, irréversible pour l’un. Pour les deux autres, même peu, c’est un peu trop. Mais après tout, ça fait une bonne excuse pour en racheter là-bas… (Je vous laisse ajouter le smiley)
Mardi 15
La bête extraite hier soir, tard, fait encore parler d’elle, peut-être pas assez tôt ; à quelle heure vais-je arriver au bureau ? Elle m’entraîne vers une salle d’attente aseptisée, aux coloris vanille, citron et abricot, pour extraire tout résidu de bestiole. Sur le petit écran qui dérange ma lecture, petit écran accroché bien haut, Marie-Ange N. vante sur une chaîne privée les bienfaits d’un soutien-gorge extraordinaire et d’autres produits inutiles, me rassurant néanmoins sur la carrière de cette sympathique présentatrice qui offrit à la télévision publique ses heures les plus fildeféristes, offrant aux esprits tordus comme le mien des circonvolutions pyramidales. Mironton ou Barjabule ?
Lundi 14
J’avais gardé sous le coude le magazine littéraire, avec des majuscules puisque titre, permettez que je les omette (sans casser des oeufs ?). En Une, Marguerite Duras ; je l’avais gardé pour les trajets en train, forcément le train. C’est pourtant ce matin que j’en ai vraiment entamé la lecture, la vie de l’auteur m’emportant plus loin qu’un RER.
J’avais gardé autre chose depuis le week-end mais je l’ignorais. Le soir, machinalement, peut-être gêné par une sensation étrange, je me passais la main dans le dos, là où la peau est presque inaccessible. Sur moi, planté vigoureusement, un parasite, horreur multi-pattes qui nous ferait avoir la nature en horreur. Je vous rassure, la bête est morte rapidement, sans souffrir.
Dimanche 13
Presque surpris que l’esprit ne soit pas embué en ce lendemain de fête. Les petites filles reviennent, malice et crayons de couleurs, et les moments passent sans que, bêtement, l’invitation soit évoquée – qui l’ignorait, qui l’a oublié, qui veut d’abord profiter différemment de ce moment amical et puis…
Alors ensuite on va au parc, là, en face, mais en face c’est de l’autre côté de la rivière, c’est au bout d’un long détour fait de ruelles et de recoins. Le soleil est radieux, mon optimisme tout autant, alors plus tard il est temps de rentrer, parce que le train, et parce que cette chemise, finalement c’était trop léger.
Sur le chemin ferré du retour, en proie à un certain ennui, une certaine fatigue, je m’emploie à préparer un autre cadeau, fait de 180 souvenirs, 180 photos. Plus ou moins.
Samedi 12
Revoir Jean-Louis, papoter cinéma-musique et s’amuser d’un François and the Atlas Mountain sursautant…
Revoir Philippe, papoter ans qui passent et se promettre plus de temps…
Revoir Karelle et Régis, papoter évidemment et trouver le chemin facilement…
Et puis…
D’abord cette autre famille, plutôt la tienne, un peu la mienne, contente de me voir semble-t-il, mais c’est plus que semblable puisque on me le dit, c’est bien que je sois là, un peu parce que tu n’es pas là, mais de toute façon quelle drôle d’idée, comment aurais-je pu être absent ? Puis certains sourires qui éclatent quand je me présente. Certains regards qui brillent en me parlant de toi. Celui de C, en particulier ; les souvenirs sont lointains, c’était une autre ville, une autre époque, ses cheveux n’étaient pas aussi clairs. Elle me parle de ce manteau rouge au milieu de la brume : « il fallait que le manteau soit rouge ». Et puis on me demande « et toi ? », alors c’est toujours un peu la même réponse, évidemment en ce moment je parle d’autres choses, je glisse sur la photo, ça change, c’est bien, mais de toute façon au bout d’un moment on arrête de parler, on chante, on danse, on se marre et donc on s’amuse, manifestement. Ah ben tiens, justement, dans la cuisine on manifeste. Et l’occurrence, on manie fête.
Vendred’11
Sûrement un peu trop de vent, les chrysanthèmes sont parfois renversés, dans le cimetière où j’erre vaguement, un peu gêné par le voisin qui taille sa haie, là-bas au bout ; a priori il m’ignore, mais j’ai le sentiment implacable qu’il me regarde, s’interroge, me surveille. J’ose tout de même quelques photos, imprécises, ce n’est qu’après que je trouve ce qu’il faut faire comme cadrage pour ce projet, car jusqu’à présent les clichés que j’entasse manquent de rigueur et d’émotion, ça ne va pas, ça ne va pas.
Au retour, un arrêt sous le saule, saulitude, d’autres pour des autoportraits sobres ou loufoques, un dernier chez la voisine. Elle me dit être en colère, je ne crois pas qu’elle plaisante, une histoire de photo, partagée, diffusée ; mon souvenir est vague – où l’avais-je donc mise ? sur ce journal ?? – mais je sais de laquelle il s’agit.
– Et pourquoi cette photo ?
– Parce qu’elle est belle.
– Ah ben si elle est belle il faut me la donner.
Mercredi 9
Je me dis qu’enfin je vais poursuivre la lecture, mais je me dis plutôt que je vais la reprendre. Ingrid Caven, beauté littéraire, curieusement, n’accroche pas mon esprit. Au bout de cinq mots je divague, au bout de cinq phrases je relis, au bout de quarante pages j’ai l’horrible sensation d’avoir manqué des pages, peut-être des merveilles. Le tgv parti, rien n’y fait, d’ailleurs je m’endors bien vite, la tête bringuebalant dans ce wagon multicolore. Au bout du parcours un sourire : l’odeur franche et madeleinedeproustienne m’enveloppe. Morue, tu ris, tu salues, etc.
Mardi 8
Nogent. Maison d’art Bernard Anthonioz. Nouvelle exposition. C’est la fin de l’année, alors la photographie s’installe là pour plusieurs semaines, pour mon plus grand plaisir, d’autant qu’encore une fois, l’exposition — Jamais le même fleuve — est vraiment belle — un beau titre aussi d’ailleurs — avec croisements et correspondances entre les collections présentées. Sur les cartels beaucoup de noms que j’ignorais, mais aussi des noms que j’adore (Plossu, Batho, d’Agata…) et définitivement plein de belles surprises (Castro Prieto, Onodera…). Autour de moi, ça commente « Moi j’ai plus des Plossu« , « Là c’est des géraniums« , « ça c’est un peu bricolé« , mais je n’attends ni le buffet ni des croisements dans les conversations, pour éviter les géraniums de Plossu bricolés.
Et puis quelques fleurs, quelques paquets. Partir demain.
Lundi 7
Les minutes défilent et l’horaire du film approche. Courir, donc, rue du Renard et rue Beaubourg. Courir pour Curling. Curling, curiosité. Sortir content, très content. Courez-y, vous aussi, parce que voilà, je l’ai écrit et je te l’ai écrit : « un film aussi ambigu qu’un flocon, entre froideur et fragilité… Et que c’est joli, un flocon ». Je t’ai écrit, aussi, plus ou moins, qu’évidemment c’est un peu là mon besoin de trouver la formule, de comprimer les phrases, mais pour ce film sous la neige, c’est parfait, c’est ça ce film, quelque chose de léger et profond, trouble, étrange et pourtant bien réel. Les éléments improbables du récit sont là, sans justification, tout comme les gestes fous et impensables du père, fragile, prêt à s’écrouler comme une quille. Et le curling dans tout ça, me direz-vous ?
Plus tard, puisque le ciné était tôt, Laure Adler me berce, même si les paroles échangées avec cette philalysto – psychanolosophe me semble plus magiques que compréhensibles… Floconneux en quelque sorte. Et puis la voix de Duras, forcément la voix.
Dimanche 6
Je n’ai pas rêvé ? Il m’a dit « sans vouloir vous offenser » ? Il voulait pourtant simplement encaisser ma consommation. Mais il voulait l’encaisser tout de suite.
J’avais erré dans le quartier à la recherche d’un cadeau, la rue des Francs Bourgeois un dimanche c’est un endroit qui peut vous sauver la mise, quand vous cherchez un accessoire : foulard, broche… Je t’avais dit « non, pas un livre de photos », pour elle c’était une idée trop évidente, trop clinquante, trop clin d’œil. Mais la vitrine du centre culturel suisse m’en a fait un – un clin d’oeil – je suis entré, j’ai survolé, hésité devant Corbu, et puis – paf ! – l’évidence. Un livre de photos, mais surtout un objet, superbe « Come Again » de Robert Frank, dont les collages me rappelèrent ces albums, les vôtres.
Et puis donc le bar, payer et puis écrire, là, au chaud, dans ce type d’ambiance que j’aime et que pourtant je fréquente peu ; allez comprendre. Devant moi, l’un des serveurs s’assied à une table pleine de salières et poivriers. Je ne vois pas toute la scène, je ne le vois pas remplir les récipients avec un cône en papier, trop étroit, je profite des commentaires du client, habitué, boulanger dira-ton plus tard… Plus tard, après qu’un gros pot plein de poivre se sera renversé, après que le serveur aura récupéré ce mélange grisâtre sur le plateau, l’embrouille commence, scène de film, brève de comptoir parsemée d’invectives et d’exclamations. Qu’on aurait pu recopier ici. Mais non.
Samedi 5
On passerait par exemple la matinée au chaud parce qu’au lit, bercé probablement par les bruits de la rue, de l’autre côté de la fenêtre. Et puis on sauterait du lit, presque horrifié par l’horaire parce que tout de même… Tout de même il faut relever les manches, un peu de ceci, un peu de cela, pour ceux-ci et pour ceux-là, les taches associatives défilent devant l’écran avant qu’enfin, officiellement, je dévoile ceci…
galerieminiature.wordpress.com
En dix fois plus grand que n’importe qui ma joie s’étale ; ça y est, c’est concret, c’est là, c’est écrit.
Mais à 17h j’ai rendez-vous, les voisins de F voient passer l’ancien et le nouveau. Dis donc le nouveau, tu veux des cours pour apprendre à faire des petits cartons ?
Vendredi 4
Rien ? Peut-être bien…
Jeudi 3
Sur FB, les vieilles vidéos sont parfois posées là en guise de symbole, les chansons un peu fanées en disant plus que les longs discours. Plusieurs versions de cette chanson bleue de Nicoletta, sur l’une d’elle mon commentaire, une réponse, de fil en aiguille on peut lire « j’y serai à moins 10″. Au Luxy, Fanny me rejoint donc pour voir Les Géants, on en ressort ravis d’avoir partagé ce moment avec ce trio, plein de fougue et d’humour, de mouvements et de pauses, de pauses, ah oui les pauses, Marthe Keller, ah oui, plus qu’une pause : un soupir.
Mardi 1er
19h47, la fille en face de moi écoute un Still loving you trop fort, j’entends un grésillement nasillard, chantonne intérieurement pour atteindre l’indice, le titre ; je me demande si elle a vraiment le look pour écouter ça, l’âge aussi, parfois je me pose de drôles de questions. Le métro m’emporte vers un dîner avec Bruno&Vincent, mais depuis le matin il y avait aussi eu Loïc dans son rayon, Laurent pour un café, quelques membres circulaires et guimardiens pour un déjeuner, Nathalie pour un coup de main prochain…
Au coin du BHV je patiente un peu, vite agacé par les grognements aux sonorités germanophones d’un arsouille de trottoir, mais le rendez-vous est ici alors j’attends. On dîne là, presque en face, on résume les sept mois qui viennent de passer, quelques sourires sur le petit écran de Bruno, d’autres sur nos visages mais quelques grimaces de sa part puisque il ne peut pas fumer derrière cette vitre à travers laquelle on voit chacun des têtes connues.
Après les avoir quittés, ma batterie est vide, moi aussi je crois, un peu saoul ; dehors c’est humide, brumeux, ambiance veloutée sur les quais que j’atteins avant le métro Pont Marie. J’aurais sûrement dû attendre d’autres passants, ne pas me contenter de celui-ci ou de ces deux-là, trouver d’autres ambiances, parce que tout ça c’est bâclé ; mais vous avez vu l’heure ?