Il feuillette mon passeport. Je le vois hésitant devant tous ces tampons japonais. Il y fait des allers retours, presque en serait-il fébrile. Il finit par me demander si j’habite ici. Je lui réponds que non. Autrefois oui. La conjugaison au passé lui fournit l’explication. Alors dans son costume un peu rigide d’employé de l’immigration, il sourit. Mais une heure plus tard, à travers la vitre du train, c’est le présent qui s’impose et la réalité qui m’explose au visage. C’est bien sûr encore mon pays. J’attrape au vol tout ce que le paysage a à me donner, tout ce qui me manquait, les couleurs, les mots, les formes, les horizons inconnus de l’est de Tokyo.
Dans l’avion, écoutant Dominique A, j’avais noté ce bout de phrase : « Pas un jour l’amour ne t’a pas relancé. » J’y voyais des mots à reprendre, j’y cherchais un autre sens à donner que celui porté en évidence, l’amour d’être ailleurs et une idée se cachant dans cette peur de revenir ici, peur redevenue, au fil des mois, un manque. Par un raccourci, je me retrouve donc à rappeler que mes géographies sont des histoires d’amour, les destinations sont des carnets où l’autre, un autre, n’est jamais absent. Seule Modène a échappé, je crois, à cette généralité. Au risque de troubler mes propos et mes pensées, me voilà me demandant si mes amours ne sont pas des voyages en elles-mêmes. Quoi qu’il en soit, ma géographie japonaise est aujourd’hui une absence et elle est ainsi ma présence, seul, à appréhender, pour la première fois.
Ainsi me voilà seul, j’insiste, je répète, seul, à Tokyo, durant vingt-quatre heures à peine avant que les prénoms des amis ne s’inscrivent dans des retrouvailles et des moments. Le soir, je ne sais quoi faire de cette mégapole, quoi faire de moi-même. J’ai l’esprit libéré de ce pour quoi je suis là, à savoir l’accrochage de 15 photographies sur un mur blanc, blanc comme un rêve, un rêve que tu m’as offert, mais ce n’est pas de Tokyo dont j’ai envie : j’attends ma ville. J’ai besoin de la rivière de Kyoto et des oiseaux. J’ai besoin de repères, je n’ai pas envie de m’égarer, alors c’est sur Omotesando que je les trouve, comme si l’avenue lumineuse, dans sa facile photogénie, dans ses trottoirs déjà empruntés, avait quelque chose de rassurant pour le petit papillon venu virevolter contre ses vitres. Mais tout de même un sourire m’égare.