C’est étrange, j’ai l’impression que tu parles de moi.
G, qui prononça cette phrase, n’est que l’une des nombreuses et étonnantes rencontres de la journée. Ainsi aux Capus, sur les quais, cours Victor Hugo, le hasard des trajets qui font croiser les visages d’autrefois ou d’hier soir. Ainsi, de Talence aux Chartrons, les discussions qui s’engagent même si l’on ne se connait pas, même si l’on a chaud et que l’on cherche au fond du sac, désespérément, un éventail.
De tout cela, ne conservons qu’un moment à raconter, puisqu’un homme, entre 35 et 40 ans, s’approche alors que je suis, du regard, les skateurs. Il fixe mon appareil photo, lui qui tient deux énormes bestioles, deux Nikon armés d’objectifs surdimensionnés, l’un d’eux tellement lourd que j’aurai du mal à le tenir, puisque voyez-vous, je le tiendrai, après qu’il m’aura dit “Tiens, tu veux essayer ?” Il est fou de technique, c’est un pro, un PRO, genre shooting de voitures de courses, de stars, lâchant un peu de name-dropping sans prétention de Ferrari à Carole Bouquet – ah non, Carole Bouquet, c’est cours Victor Hugo qu’on en a parlé. Il me parle bokeh (sans Carole), mire, piqué, parfois je ne comprends même ce qu’il me raconte surtout qu’il y a les voix autour, le bruit des skate-boards qui frottent, retombent, fraaattcch, ooooh. Il m’amuse avec son côté straight direct et cool, le voilà qui me donne quelques conseils, me montre comment régler la netteté… Après qu’il a fait plusieurs photos de moi, pour ensuite zoomer, et comparer la netteté, je finis par comprendre qu’il teste ses appareils et ses objectifs, qu’il vérifie que tout va bien, que je fais le cobaye puisqu’il cherche la meilleure ouverture, le mieux, la perfection : “Oui, je fais la mire“, dit-il, presque étonné que je n’ai rien compris. Sur son petit écran, alors, il compare mes rides au coin des yeux, stries qu’on ne peut guère manquer, ici plus douces, là tranchantes. Et l’on repartira, chacun de son côté. Mon visage entre ses mains.