Jeudi 24 décembre 2020

Il y a, sur la table basse où l’on a préparé l’apéritif, trois objets empilés : une boîte de chocolats, surmontée d’une chemise bleue à élastiques, sur laquelle est posée une bouteille de jus de yuzu emballée dans une page de magazine de photographie sur laquelle l’image est belle. La chemise bleue contient une cinquantaine de feuilles, imprimées recto-verso. Sur la première, il y a mon nom et un titre : “Ce lieu de l’absence de nous.

Enfin, en ce 24 décembre 2020, je dévoile à mes parents, et bien sûr d’abord à mon père, le livre que j’écris sur mon grand-père, Antonio, que je n’ai pas connu, réfugié espagnol en 1939 lors de la Retirada, naturalisé Français en 1949 et mort en 1965 d’un accident du travail sur le pont du Garigliano. Ce récit n’est pas qu’une histoire, c’est mon histoire et celle de ma famille. Ici, dans cette centaine de pages, je vais au-delà des faits, je creuse ce que questionne dans ma vie la présence de ce grand-père. Je sais que ce que j’ai reçu de chacun de mes grands-parents – que l’on pourrait regrouper dans une valeur fondamentale : le respect – a été essentiel dans l’homme que je suis aujourd’hui. Mais la vie d’Antonio m’emporte ailleurs, sur des terrains guerriers et héroïques, dans des bateaux et des camps de détention, dans des photos longtemps inconnues et, puisque nous avons un courrier de 1940 qui précise qu’il est accepté comme réfugié au Mexique, m’emporte de l’autre côté de l’Atlantique. Et s’il était parti ?

Alors, voilà, pour Noël, j’ai offert à mes parents et à mes sœurs quelque chose d’un cadeau : ce qui nous rassemble. S’il était parti, nous ne serions pas là, nous ne serions pas nous.