Océan de lumière droit devant. Je m’élance pour plonger dedans, et, au-dessus, le roi, le grand soleil : avec lui, le ciel est plus n’est plus bleu. Je fais exprès de ne pas entendre maman derrière moi qui appelle – elle est bien assez grande pour me rattraper. Je n’ai qu’un petit peu de temps pour plonger dans l’océan doré ; je cours dans la montée pour arriver avant elle, je peine un peu, c’est si bon l’air sur mes bras, les arbres disent bonjour, je suis l’un d’eux.
::: Marion Richez ; L’Odeur du Minotaure*
Elle est étudiante en sociologie et elle avait passé une annonce sur Facebook. J’avais tout de suite répondu présent, j’avais envie de cela, de réfléchir à son sujet, de laisser une trace dans un mémoire de licence et d’apporter ma pierre à l’édifice. La voilà. Pas de café, juste un verre d’eau. J’attends que mon café passe tandis qu’elle résume le sujet de son mémoire. Je pose la carafe sur la table, dans son coin. Je me mets à l’autre bout. Elle ouvre son bloc-notes, déclenche l’enregistreur. On y va. Elle me dit que les prénoms seront changés et me demande lequel je choisis à la place. Antoine. Elle est venue pour que nous parlions d’homosexualité et de toute cette nébuleuse qu’on met sous la bannière LGBTQIA+. Enfin c’est moi qui dois et qui vais en parler, de mon parcours, de ce qui nous réunit et nous sépare, des étapes par lesquelles je suis passé, des cases dans lesquelles on se met, des queer, du mot gay, de la radicalité des mouvements, du drapeau, des trans, des pansexuels, des polyamoureux, des combats et de ma façon de faire combat, des silences, de mon absence d’engagement dans le tissu associatif, de comment je vois cela dans vingt ans, de sa génération fluide, de l’écriture inclusive, des ongles vernis des garçons, du danger, du genre, des souvenirs d’enfance, d’une photographie, de la violence potentielle d’une minorité haineuse, de la terrasse du bar où j’aime aller et qui est le signe de la porosité nécessaire entre “notre” monde et l’extérieur, des cultures gays, des icônes, de qui fait notre identité, des jupes pour garçons et que sais-je encore.
Je parle durant presque deux heures trente. Je ne dis rien sur le Japon (zut, comparaison intéressante avec la France, période de ma vie intéressante pour comprendre ce qui fait faire “groupe”) ni sur mon sac-à-main (zut, comparaison intéressante avec le Japon, anecdote intéressante pour comprendre qu’on ne fait pas “groupe”). Je parle mal de l’amitié.
Je regrette quelques phrases.
J’aurais dû dire Pierre-Antoine.
* Livre magnifique