Quelques années plus tôt, un soir chez moi, une voix intérieure m’avait traversé et dit : Tu mourras jeune, tu dois écrire.
J’avais accueilli cette voix avec tranquillité, elle était inaudible et sans mot mais distincte, et j’avais pensé : C’est sans doute cela un ange.
Pourquoi ne pas admettre que les anges existent ? Non des créatures surnaturelles mais es émanations tranchantes d’une réalité en train d’advenir et qui nous échappe encore. Voix de ce qui ne vient peut-être pas à la conscience que comme une urgence, cri fendant le mur de l’inconnu. Pas besoin d’ailes ni de plumes, de trompettes ni de tremblement du sol, seulement des mots muets, légers d’un sens écrasant. Je n’avais pas posé de question. N’y a-t-il pas de l’impudeur à interroger l’évidence ? J’avais parlé seulement dans le vide, rien n’avait répondu ; le silence résonnait au battant d’une certitude : ce qui aurait pu m’effrayer me soulageait comme seule peut soulager vraiment la vérité – même si on ne la désire pas. C’était un avertissement et un ordre, et aussi, du moins l’avais-je entendu ainsi, une promesse : être écrivain, c’était bien plus qu’écrire mais sauver ce qui vous appartient de plus intime et donc on découvre qu’il n’est pas à soi.
::: Patrick Autréaux ; Se survivre
Il y a des jours où le récit pourrait s’allonger facilement, comme cet extrait ci-avant, puisque il y a tant à dire.
Puisque c’est Noël mais qu’il n’y a rien à fêter, rien à fêter depuis quatre semaines et un jour. Alors nous célébrerions, puisque ce verbe est là pour cela, le fait d’être ensemble, d’être famille, avec notamment un nouveau visage, le nouveau petit ami de ma nièce, gouailleur comme on aime toujours en avoir à table, malgré cette audace qu’il a de me me vouvoyer – je doute que cela durera. Mon père est dans les mots, l’absence, le vin du nom de Guitres, la bûche qu’il aimait tant, il est dans ce qu’on ne dit pas, cette lutte qu’on a ensemble contre l’adversité de la mort, cette lutte qui nous pousse à nous réunir malgré tout, malgré le fait de ne pas vouloir ça, nous épuisant à pousser la mort du coude pour lui dire qu’on fait encore famille, nous épuisant à nous dire qu’il est encore là, autrement, mais là, nous épuisant à inventer d’autre formes de présences pour continuer d’avancer. Le deuil de mon père n’est pas à proprement parler douloureux, il est, je le répète, sournois, ou peut-être comme une présence juste à côté de vous, qui passerait son temps à vous pousser pour dire, eh, je suis là, mais autrement.
Puisque après que nous nous étions retrouvés seuls tous les deux, maman – j’oscillerai sans cesse entre “maman” et “ma mère” – et moi, des objets sont arrivés dans la conversation. Et puis nous sommes montés. On les a regardés. J’en ai découverts. On a parfois eu du mal à ouvrir ces vieilles boîtes de tabac à pipe dans lesquelles gigotaient de vieux francs oubliés.
Puisque après plusieurs clics j’ai supprimé le compte Facebook de mon père. J’ai supprimé cette fenêtre, petite, certes, qu’il avait sur un autre monde, qu’on dit virtuel mais qui est bien réel, qui donne du liant. Et j’ai supprimé mon père, oui c’est cela, c’est l’impression que j’ai eue, de l’effacer, lui, à nouveau, les yeux humides, la gorge serrée, laissant échapper quelque onomatopée aux sens multiples (quelque part entre le dégoût et l’expression de l’improbable) et à l’orthographe incertaine – pffoouuhhff, peut-être -, là, devant l’ordinateur blanc et ma mère derrière moi, au milieu des milliers de livres et de disques, au milieu de son monde, réel, bien réel celui-là.