On se retrouve en cercle, je suis un peu en retard alors que j’étais en avance ; nous sommes trois hommes, neuf femmes. Nous sommes là pour lire, à voix haute, dès la rentrée, ensemble. L’idée m’enthousiasme, vraiment. Lorsque vient le moment de parler un peu de nous au groupe et surtout à celle qui animera l’atelier, je dis que moi, oui, je lis parfois à voix haute dans mon lit, seul le soir. Je dis que parfois je t’envoie des extraits. Je dis d’abord “à des amis” et puis je rectifie, je dis : “à un ami, étudiant en lettres”.
Une fois rentré, au moment de dîner, je t’envoie un message. J’aime te parler ainsi. Ce n’est peut-être pas assez souvent. Je te demande si tu es bien arrivé, là-bas, loin. Je te dis que j’ai parlé de toi. Je ne dis pas que tu me manques, enfin si, mais pas comme ça, à la fin du message, parce qu’en te parlant, ça monte, comme ça, le manque de toi. Je me dis que si j’avais vingt ans de moins, je prendrais un avion et je viendrai te voir. Je serais un peu fou.
Je réécoute ensuite l’extrait de Riboulet que je t’ai envoyé le 22 mai. Deux minutes et dix-sept secondes. J’aime ces moments où je laisse assez de silence, où je me pose aux virgules. Et puis je lis à haute voix, dans la cuisine, comme la femme qui était à ma droite et qui a dit “Moi je lis dans ma cuisine”, cet extrait que tu m’avais envoyé de La Mort en été, de Mishima et qui commence par cela : “Elle perdit l’habitude de se souvenir”.
Nous avons toi et moi ce même amour des phrases. Elle en est un exemple. Les phrases, c’est parfois comme des cadeaux. C’est évidemment pour cela que je suis un peu fou – de toi ou de nous -, pour cette manière qu’à la littérature – qui te dévore tant, tellement plus qu’elle ne me dévore moi, qui te fait tant briller aussi – de nous faire être ensemble, le peu qu’on l’a été et le peu qu’on l’est encore. Il ne s’agit pas uniquement de tes yeux malicieux, il s’agit, oui, des phrases, que d’autres ont écrites, et qu’on pourrait croire écrites pour nous.