Mardi 13 septembre 2022

Tram. Elle est comme une poupée de plastique, avachie, et se redresse à l’arrêt stade Chaban-Delmas. Sac à main avec en motif un drapeau américain en strass, poitrine surdimensionnée, visage surmaquillé, jupe bleu marine, tee shirt à l’inscription “i.love skate girls“, rouge à lèvres rose bonbon, le reste je sais pas, elle rejoint tous ceux, dans leur beauté ou leurs excès, que je n’ose trop regarder.

Je m’arrête à sa plastique, que je suppose savamment construite, pour imaginer que l’atelier de lecture à voix haute où je me rends ne l’intéresse pas vraiment. J’espère me tromper, victime serais-je alors d’un a priori.

Me voilà alors au dit atelier. J’ai choisi comme texte les premiers paragraphes du deuxième chapitre du Démon de la colline aux loups. Le style du livre en question est un grand huit : des ruptures, quasiment aucune virgule, une syntaxe bousculée : je me suis mis au défi. Et c’est ainsi que, la prof prenant une phrase de mon texte en exemple, je passe en premier. Je me lance, je me balance comme toujours quand je parle en public, je tremblotte un peu et j’aime ça malgré tout, je suis venu pour ça : lire devant d’autres. Je lis comme j’aime lire ce texte : une voix plate, des accélérations, des ralentissements. Bien sûr ce n’est pas parfait. C’était mieux chez moi. Comme je suis le premier, je suis le cobaye qui donne à la prof – mais appelons Sophie puisque c’est son prénom – l’occasion de donner des règles, des guides. J’aime. Je parle trop vite elle le dit – aller dans la lenteur – et je le sais mais j’aime ça, qu’elle corrige, qu’elle le dise, je suis là pour ça, être poussé. Elle bouscule. Elle pointe du doigt une construction de phrase. Elle dit qu’il faut avoir des images de ce qu’on lit même si ça ne s’entend pas. J’aime ça surtout.

Puis il y a les autres. J’écoute, je note, je jubile d’être là à faire ce truc nouveau, j’aime ce mot truc ici il ressemble à comment elle parle, Sophie, parfois. Dans mon petit carnet je note aussi “être humble face au texte”.

Et surtout il y a A qui, sous les conseils de Sophie, fait silence, longuement et nous regarde. Il y a un espace dans le texte, plusieurs sauts de ligne. Il y a ainsi une puissance qui s’impose dans la phrase qui précède. Magnifique.