On s’est transmis peu ou pas de récit, d’une génération à l’autre, rien que des silences et des deuils. Pas de maison de famille, peu d’assises dans le temps ; pas d’attache, non plus que d’attachement ; nous avons plusieurs fois déménagé sans rien emporter. De mon grand-père, qui ne possédait rien, je n’ai longtemps gardé qu’une photographie sans cadre, un petit format, en noir et blanc, que j’ai, moi aussi, fini par égarer dans un déménagement. Aujourd’hui il me reste sa croix de guerre 14-18 à étoile d’argent, posé sur une étagère de ma bibliothèque : dépôt du temps davantage que relique. Rarement exposé à l’air, presque jamais sorti de la boîte en fer ou mon grand-père l’avait rangée, les couleurs du ruban, vert rayé de rouge, sont restés vives, elles n’ont pas passé. Il avait toujours refusé de la porter accrochée à son gilet. Comment est-elle venue en ma possession ? Je ne m’en souviens pas. comment a-t-elle atterri sur une étagère de ma bibliothèque ? C’est un mystère.
::: Anne Maurel ; La fille du bois