Hervelino : le mot m’est rentré dans la gorge.
Ce fut vite ma façon d’appeler Hervé, avec ma manie d’italianiser (si c’est italianiser) les prénoms de mes proches quand je ne les slavisais pas (Marcovitch, Valentinovitch, et j’étais parfois Mateo ou Matéovitch pour Hervé). La plupart du temps, on se voyait tous les deux seuls : après sa mort, je n’avais personne avec qui parler de lui en utilisant ce diminutif. Ce n’est pas comme quand on disait « mon amour » ou « mon chéri » à un être adoré désormais disparu : les mots restent, prêts pour d’autres, ou à éviter. Hervelino n’existe plus qui disait une part de notre lien.
::: Mathieu Lindon ; Hervelino
Tram, retour du travail, station Stade Chaban-Delmas. A travers la vitre, je devine un homme dans le recoin du distributeur de tickets. Je dis quelque chose à voix haute pour exprimer ce que je comprends : il pisse. Il porte un short et dans une fraction de seconde il se retourne et se secoue vigoureusement la nouille — j’ai longuement hésité sur le substantif à utiliser avant de choisir “nouille” puis d’ouvrir mon dictionnaire des synonymes et j’hésite donc à employer “cornemuse”, “lézard” ou “marsouin”— par-dessous le short. Le mot “essoreuse” me vient à l’esprit.
La dame près de la vitre croise mon regard, le sien est un mélange de dégoût et de consternation. J’éclate de rire. Vous avez vu la même chose ?