C’est au Palais de Tokyo que j’achète un carnet à spirale et à lignes. Je sens que j’ai besoin de cela, écrire, à nouveau, dans un carnet. Peut-être que ce sera furtif. Je sens que j’ai besoin de ne plus oublier et que l’exposition que je vais voir va être belle à en écrire des lignes.
L’exposition que je vais voir, c’est Anna-Eva Bergmann, en face, au Musée d’Art Moderne, mais j’écorche son nom quand j’en parle à Benjamin, rencontré à la boutique du Palais de Tokyo : il a le nez dans les revues et Bjork dans les oreilles.
L’exposition que je vais voir, Serge ou encore Gilles m’ont dit “Il faut y aller”, alors j’y vais.
C’est au milieu des œuvres que je commence à écrire dans le carnet, au feutre bleu à pointe fine : “Ai eu envie d’écrire pour me rappeler cette sensation d’être entré dans la toile, qui n’est pas une toile, mais du papier. N°42-1958 Forme sombre sans métal.”
J’écris sur ces femmes qui prennent tout en photo, je note aussi que pour Bergmann, l’horizon est un domaine physiquement inatteignable pour l’homme, mais dont on peut faire l’expérience. J’écris que les tableaux où la mort est présente ou évoquée sont les plus forts, avant même que j’en lise le cartel.
Et puis la voilà. Elle est parfaitement assortie à un tableau alors je lui dis : “Vous êtes parfaitement assortie au tableau, avec votre robe bleu et votre sac rouge.” Le bas du tableau aussi a la couleur de ses jambes.
C’est plus tard, tandis que j’erre dans la collection permanente du MAM, qu’Olivier W apparait. Nos regards surpris se croisent, insistent pour y croire. Que fais-tu là ? Alors on parle un peu, de Bergmann, de la solitude, de la jeune femme en robe bleue, de Perec et de mon journal qui manque de souffle et qu’il ne lit plus.