Alors il parle de l’absence de ma sœur, partout dans la vie qui continue. Il dit ce qu’on dit dans ces cas-là : ce qu’on garde ou gardera, ce qu’on jette ou jettera, et l’immensité indécidable parce que c’est trop tôt, ou parce que ce sera toujours trop tôt. Il dit qu’il est un solitaire, comme elle l’était. Je ne dis rien à cela, j’entends combien il essaie de recouvrir sa solitude par une insoutenable fatalité, par des petits arrangements avec la mort. Bien sûr je pense à ce passage du film Le Clair de terre, de Guy Gilles, cité le 11 octobre 2021, lorsque le personnage joué par Annie Girardot raconte, dans un phrasé émouvant, ce qu’il est advenu après que son mari était mort :
Après sa mort il y a eu un moment terrible. J’ai pensé que je n’aimais plus rien, que je ne pourrais plus rien jamais aimer vraiment. Les livres me tombaient des mains ; la musique me donnait envie de mourir. La peinture… c’est revenu tout à coup. J’en ai eu envie très fort, comme ça, c’est comme avoir faim, aussi fort. Il y a eu l’exposition Bonnard alors je n’ai pas hésité. J’ai pris le train et je suis arrivée un soir, il pleuvait. Je me suis retrouvée dans Paris comme une étrangère, j’ai cherché un hôtel, comme dans les villes où on arrive pour la première fois. Le matin je me suis levée très tôt et à 9 heures j’ai traversé les Tuileries. Les bassins étaient gelés, il y avait quelques enfants qui jouaient. C’était gai.
Et puis j’ai vu les Bonnard. C’était une vraie joie. Il y avait un tableau : Méditerranée. Tout bleu. Tout blanc. Impossible à raconter. Et qui donnait envie de sourire. Quand je suis sortie, ça allait mieux, vraiment mieux. Et puis, je n’avais pas de remords, vis-à-vis de Jean. Parce que tu sais, d’abord, on voudrait ne plus jamais cesser de souffrir. Ça semble une trahison de ne plus souffrir : c’est presque oublier. Mais là c’était une vraie joie, sans remords. Je suis repartie le soir-même.
Ça semble une trahison de ne plus souffrir : c’est presque oublier.