Mardi 16 septembre 2025

J’avais été fait prisonnier par la Milice fasciste le 13 décembre 1943. J’avais vingt-quatre ans, peu de jugement, aucune expérience et une propension marquée, encouragée par le régime de ségrégation que m’avaient imposé quatre ans de lois raciales, à vivre dans un monde quasiment irréel, peuplé d’honnêtes figures cartésiennes, d’amitiés masculines sincères et d’amitiés féminines inconsistantes. Je cultivais à part moi un sentiment de révolte abstrait et modéré.
::: Primo Levi ; Si c’est un homme

Il est l’heure où je me demande ce que je vais faire de l’heure qu’il reste. Je regarde les étagères. Je cherche de quoi lire. La table de nuit est pourtant pleine, embarrassée de choix ou d’abandons. J’ai en bouche le goût de la confiture de clémentines, celle de l’hiver dernier, jolies étiquettes. Je survole quelques lignes de plusieurs récits ou romans, je comprends qu’il me faut quelque chose d’autre qu’un énième récit sur soi chez Verdier ou Gallimard, qu’il me faut de la puissance ou de l’abandon, un monument ou un gifle. Il me revient aussi à l’esprit que je dois / pourrais écrire. Que ce pourrait être une source de joie, si tard. Que les soirs seuls, entamés par le travail, ont aussi une fenêtre ouverte sur la possibilité de l’écriture. Le carnet à spirales aussi attend des mots : les mots de dimanche que je n’ai pas écrit dans le train tandis qu’à ma gauche un inconnu dormait bouche ouverte. Pourquoi ? Il ne faudrait pas l’oublier, ce dimanche, pas l’oublier entièrement car c’est déjà un peu trop tard.