Décembre 2012

Lundi 31 décembre

Arriver de nuit à la ville que l’on rêve depuis de longues années, est un accident de voyage très simple, mais qui parait combiné pour pousser la curiosité au denier degré d’exaspération. Entrer dans la demeure de sa chimère les yeux bandés est tout ce qu’il y a de plus irritant au monde. Nous l’avions déjà éprouvé pour Grenade, où la diligence nous jeta à deux heures du matin, par des ténèbres d’un opacité désespérante.

Voyage en Italie (Venise) ; Théophile Gautier

Et puis Gene Kelly sourit ; celle qu’il aime remonte les escaliers. The End. En haut de nos marches, sortie du cinéma, on sourit moins : il pleut. Pas grand chose, juste de quoi rendre moins agréable ce qui était prévu. C’est donc à la maison qu’on débouche les bulles, tout aussi heureux. Tiens, et si on y mettait aussi un peu de ça ?

Dimanche 30 décembre

Découvrir que cet air tant entendu s’appelle Take Five. Se souvenir des dimanches matins. Marcher. Pour nous c’est une longue et agréable promenade rive gauche, le nez en l’air sur les façades inconnues, jusqu’à un chocolat à la Coupole. Pour Laurent Hasse ce sont des  rencontres sur 1500 km et un film sur le bonheur. Et pour vous, c’est quoi le bonheur ? Un Lifshitz le soir au fond du lit par exemple ?

Samedi 29 décembre

Italie pourquoi pas. Mais non. Le long couloir qui mène aux quatre lettres du magasin a quelque chose de… de quoi… de rien, c’est comme ça, je n’aime pas cet endroit. St Germain, sentiment un peu curieux de penser que je vais y trouver un vendeur plus compétent, je veux dire plus à même de répondre à la seule question qui me taraude, genre « mais pour la photo c’est pareil ? ». Il n’a pas vraiment la réponse, il me sort quelques mots et chiffres suffisants pour mon choix et je repars avec l’objet sous le bras… 23 pouces sous le bras, quelque chose entre la pieuvre, le freak et le geek. Je repars et me pose dans ce petit jardin le long du boulevard. Vingt-neuf minutes et vingt-sept secondes de JB plus tard, j’y lis un peu ce qu’on veut bien m’y raconter, l’hommage à la Vierge, tout ça tout ça… Le jardin a l’aspect que vous imaginez, c’est l’hiver, mais même la rose de Noël n’est présente que par un cartel un peu éteint.

Le soir, parmi les multiples raisons de se réjouir, des photographies de Wim Wenders. Berlin, Palerme, Onomichi… coïncidence d’y lire des noms qu’on aimerait voir, qu’on a évoqués, qu’on attend. Quoi qu’il en soit je suis touché par ce cadeau si juste.

Vendredi 28 décembre

La trace de rouge à lèvres en haut de la joue de ce jeune homme tout habillé de gris. Sait-il pourquoi je le regarde passer ?

Jeudi 27 décembre

« Faut faire attention à la date de périmation« , dit-il. La dame tique en s’asseyant près de lui, mais c’est peut-être parce qu’elle souffre du dos. Place Monge, c’est soirée Maroc – Japon. Mince, on a oublié de piquer un vase…

Mercredi 26 décembre

Dans le RER ça sent le VVF, souvenir de Seignosse que je n’explique pas vraiment, cette odeur particulière déjà rencontrée ailleurs, peut-être quelque chose entre le pin et le sable, sûrement quelque chose provenant d’un produit d’entretien. Je plonge la main dans mon sac, reprends une habitude abandonnée depuis quelques semaines : les leçons de japonais. Je ne rêve pas de le parler, j’aime cette espèce de défi, cette idée d’apprendre, ce jeu de puzzle qu’est cette langue. J’aime moins cette difficulté à retenir, ce mur que ma mémoire rencontre malgré le nombre de fois considérable où j’ai lu cette liste d’adjectifs, ce tableau de verbes.

Le film du soir, toujours du coffret Lifshitz, c’est La Traversée, belle aventure sur laquelle je ne trouve pas les mots (est-ce cette odeur de bûche ou cette musique jazzy qui me détourne ou me dérange ?).

Mardi 25 décembre

Je fais glisser, au feutre japonais, le prénoms sur les cartons, puis j’ajoute deux ou trois étoiles rouges. Un, puis deux, huit prénoms pour un plan de table, table aux couleurs du moment, vert houx, rouge baie, mais la couleur vive provient aussi de ces petites pommes qui étonnent tout le monde. Les échanges de cadeaux feront éclater quelques rires, le menu quelques exclamations. L’après-midi s’allonge, se termine assis dans des fauteuils assortis ; a-t-on déjà vu des fauteuils verts au cinéma ? Le Donzelli convient parfaitement pour une séance familiale en ce jour de Noël, mais tout le monde n’est pas d’accord. Plus tard, plus seuls, on extrait du coffret Lifshitz que tu m’as offert hier ce Wild Wide moins farfelu, moins sage, et sans conteste plus beau, plus simple… plus parfait en ce jour de Noël ?

Lundi 24 décembre

Quelle heure est-il ? Nous sommes seuls et je danse un mambo aux pas approximatifs. Yma Sumac vocalise, auparavant il y avait eu ce Divine Comedy de 1996 et ce Rufus Wainwright si peu écouté. Je porte peut-être ce cadeau clair et doux que tu m’as offert au moment du premier verre, peut-être, parce qu’il fait si chaud.

Dimanche 23 décembre

Le soleil enfin, presque top tard puisque hier… mais qu’importe.

Après-midi. Le train nous embarque, à travers la vitre je réalise que le fleuve, vu hier pourtant, a largement dépassé ses limites convenues. Les arbres nus y sont plongés, s’y reflètent, passent. Dommage, il est trop tard pour la moindre image triste ou belle, celles des arbres hier sous la bruine si nous étions allés plus loin, image un peu facile mais probablement efficace.

Samedi 22 décembre

Les rues de Saintes sous une pluie très légère, une bruine qui va et vient, ce parapluie à quoi bon… Je connais la ville par cœur (presque par cœur tu vois, puisque j’hésiterai sur le chemin qui mène à la pâtisserie), c’est le petit jeu des comparaisons – avant c’était comme-ci, avant c’était déjà comme ça – et sur les trottoirs humides on en fait encore plus vite le tour. Dans certaines boutiques, sous-sols ou étages, les visages sont toujours les mêmes depuis mes plus lointains souvenirs. On s’exclame éventuellement en confirmant que oui, je suis bien le fils de, que ça se voit (avec un geste de la main tournant autour du visage). Un café du Costa-Rica là où, il n’y a pas si longtemps, un antiquaire m’offrait d’autres rêves.  Dans Le Monde posé sur la table je lis que « chez les Romains ou en Allemagne, à une époque, avec le culte des Jeux olympiques, on encourageait le sport au détriment de l’éducation pour contrôler le peuple et le détourner d’une connaissance profonde des choses« . Je souris. Tu es plongé dans les premières pages du Yoshimura trouvé à cet étage où ce visage est toujours le même depuis…

Vendredi 21 décembre

Jeudi 20 décembre

Bosser. Marcher. Chercher. Regarder. Toujours un peu les mêmes alentours, mais je ne m’y aventure pas trop : le temps est incertain. Parler de la météo justement. T’attendre. À la lumière du plafonnier, tandis que j’imagine plus nettement la fin, je lis encore L’Incognito, ce Guibert qui ne m’enthousiasme guère : j’y vois trop de misanthropie, une pointe de condescendance, quelque chose comme le temps, incertain…

Mercredi 19 décembre

Être curieusement éveillé  si tôt alors que nul ne m’attend, si ce n’est un peu plus tard quelques vendeurs nippo-noëlisés, un épicier italien, Gloria Lasso, adios tristeza (hasta domingo Paris), deux contrôleurs, deux parents. Plonger, dans le train, dans ces Images malgré tout de Georges Didi-Huberman. Sans rien en dire de plus ici. Juste imaginer, imaginer l’inimaginable.

Mardi 18 décembre

Le PDF met un peu de temps à s’ouvrir. Et puis il faut cliquer pour faire apparaître le bas du document. Des secondes qui semblent interminables… Il est 12h32. Un cri de joie intérieur, MS est au téléphone, je fonce au bureau de MF : « Je suis accepté ! ». Elle me répond par un grand sourire, ravie pour moi. Voilà. C’est le grand saut vers… vers quoi ? vers un printemps de 4 mois, 4 mois de travail autrement : apprendre, s’ouvrir, analyser, réfléchir, comprendre, retenir, argumenter… et devenir.

Devenir, c’est aussi un des verbes en filigrane du film « Pièce Montée« . Se marier, vaste question en ce moment : pourquoi se marier ? Comme ça… Pourquoi pas… Parce que. En même temps qu’un regard (amusé ? moqueur ou tendre ?) au salon du mariage, voici trois bouts de lecture et surtout un très court moment où la famille commente une phrase d’Annie Ernaux. Je regrette que le film n’aille pas plus creuser de ce côté-là, une sorte d’analyse de texte, un parallèle, des croisements. Alors c’est en famille qu’on nous raconte des petites histoires, ces grands moments de rien du tout. Finalement le film aurait pu s’appeler « Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel » mais c’était déjà pris…

NB. Avoir aussi couru pour une deux photos, revoir la superbe exposition de Corinne Mercadier et évoquer Venise en janvier.

Lundi 17 décembre

C’est dans le tramway cette fois qu’une femme tricote. Loisir de saison ? Soudain la voix d’Édith Scob qui annonce la première station de ce premier trajet : « Alexandra David-Néel« . C’est presque un choc, c’est en tout cas une surprise. Est-ce vraiment la sienne ? Un jingle étrange et presque désagréable, une autre voix, puis à chaque station deux voix autour d’une petite musique… Non, ne me dites pas que c’est Jeanne Moreau qui annonce la Porte Dorée !? Bref, voilà un des sujets du soir autour du lapin, et à propos de lapin j’ai gagné douze minutes grâce au T3a…

Dimanche 16 décembre

Le même aller-retour qu’hier. Je regarde un peu plus par la fenêtre du train. Un squelette industriel disparait trop vite du champ, mais j’ai le temps de voir la silhouette étêtée de ce qui pourrait être le fantôme d’une photographie des Becher. Vous imaginez bien que je rêve de descendre du train pour une image. Ensuite ce sont d’autres résidus de l’industrie d’autrefois qui apparaissent ; et la chicorée, tu en bois toi ?

Cette deuxième journée nous entraîne d’abord vers Roubaix et sa Piscine, avec un grand P. Galerie de portraits, statues réalistes, scènes de vie locales, au-delà de la beauté de lieu, on tombe sous le charme de ses œuvres. Quelques noms connus ne valent presque rien au milieu de ces noms qui ont tant produit, tant montré, tant vécu.

À peine plus loin, nous passons à Tourcoing. Au Fresnoy, Georges Didi-Hubermann nous parle de fantômes, mais pas de ceux auxquels vous pensez. Ils ne sont ni transparents ni recouverts d’un draps. Ils sont les images qui ont envahi un univers, très peu le mien, un peu le tien, surtout le sien. Il faut rester un peu, insister, regarder, pour s’imprégner de ces images fixes ou en mouvement que je n’avais pas forcément reliées d’un sens commun, d’une représentation commune – la lamentation -, pas consciemment en tout cas. Au milieu de tout cela, l’assurance qu’il faudra voir un jour ce cuirassé Potemkine ou ces Pasolini… Pasolini qui, le temps de quelques phrases sur la beauté et la richesse, m’emporte. Puis le visage de Marylin. C’est La Rabbia. Comment ai-je pu manquer tout cela ?

Et puis, sans s’y attendre, les retrouver.

Samedi 15 décembre

Elle s’assied brusquement, comme si enfin elle s’asseyait –  j’appuie sur l’adverbe « enfin » -, épuisée par cette journée à Lille. L’indice ce sont ces trois grands sacs, pleins de cadeaux, encombrants ; tu lui proposes de les monter. De son sac à motifs léopard elle sort un livre de Catherine Pancol, un livre de poche. Le rouge de ses ongles est orangé, et toi assez vite tu t’endors. On revient nous aussi de Lille, Lille animée, illuminée, lumineuse, chaleureuse.

Nous avions commencé dès le matin par le musée des Beaux-Arts de Valenciennes, grand-écart stylistique et temporel entre Jérôme Bosch et Marie-Thérèse Vacossin (un des noms de l’expo temporaire sur l’art construit, un courant de l’abstraction géométrique… Je crois qu’il y a dans l’abstraction géométrique quelque chose de radical qui me plait beaucoup mais on en débattra plus tard).

À Lille, ensuite, encore les Beaux Arts, cette femme qui tricote devant un triptyque, allitération et jolie scène, la laine assortie aux murs, et à côté il y a Rubens, plus tard Rodin, Redon, au milieu d’autres noms, parfois inconnus, j’oublie de noter qui a peint cette toile ou cette autre, j’accroche dans mes clichés quelques visages crispés ou doux, une posture, le contraste d’un corps à la pâle complétion dans une ambiance noir corbeau. Et puis les fables du paysage flamand et se rêver seul devant la tour de Babel. Un peu d’air, quelques boutiques, chez Meerts évidemment, je dis évidemment comme si je connaissais, je te suis, tu me guides et on intègre par un heureux hasard le rassemblement pour le mariage pour tous (OUI !). Je ne connais cette ville que par un court week-end d’il y a exactement 10 ans et 1 mois, je n’en ai gardé que le souvenir d’un bar et du Rocky horror picture show sur un petit écran de téléviseur, je n’en ai gardé que quelques phrases d’un autre genre qu’aujourd’hui. Au Tri Postal c’est un autre type d’horrors : par endroits ça dégouline, reste à savoir s’il y a un quelconque deuxième, troisième ou xième degré. Reste à faire le tri, donc, et même devant les films d’Apichatpong je suis un peu ailleurs, la tête pleine de tout.

Vendredi 14 décembre

Finalement, tout le monde s’accordait à dire que c’était trop long derrière, mais que sinon c’est pas mal, voire bien. Je me dis tout de même que cette version « plaqué tant bien que mal en arrière » n’est peut-être pas la meilleure solution. Le jury capillaire, venu de Montréal, d’Agen et d’une cantine scolaire du 5ème arrondissement (avec brandade au menu du jour), s’était réuni rue Keller, au 36, dans LA boutique de LA rue que même Télérama adorera quelques jours plus tard. Mais J avait à peine eu le temps de rougir qu’il me fallait partir, Valenciennes m’attendait.

Jeudi 13 décembre

De notre Académie espagnole, je ne connaissais personne, j’étais arrivé le premier, j’avais fait deux scènes au secrétaire général, et j’étais reparti le soir même sur mon île, je pris froid sur le bateau, une sale guigne d’automne.

L’Incognito ; Hervé Guibert

Ce livre acheté il y a quelques mois, je crois que je l’ai même emporté au Japon, traîne enfin dans mon sac. Je ne suis pas sûr que tout cela m’intéresse, mais j’aime l’idée de lire un journal de plus, de décortiquer un peu la manière que l’on a de raconter sa vie, des mois, un épisode, un moment.

À Beaubourg ça n’a rien à voir, ce sont des idées, une affiche années 30 qui se profile. Et puis je presse un peu le pas, car me revient à l’esprit cette séance de 22 h au Reflet Medicis, ce train qui sifflera trois fois.

Mercredi 12 décembre

C’est le plaisir de cette saison, dès que le RER a quitté Vincennes, ce léger givre dehors, blancheur, jolie lumière. Et puis elle pose son livre, Thérèse Desqueyroux ; elle éternue.

C’est le plaisir de cette soirée, les amis sur scène, et ce léger froid dehors dès que j’ai quitté la salle. Bastille, lumières colorées, attractions vides, les forains patientent.

Sur le quai de Sully-Morland, la scène est triste, puisque la saison froide n’est pas celle du plaisir pour tout le monde. Deux hommes parlent, l’un d’eux a une allure qui frappe, trop peu de vêtements, une tignasse et une barbe blanche à la Gandalf.

– Et vous avez quel âge ?

– 60 ans, répond l’homme à l’air perdu.

La moue dubitative sur le visage de l’homme qui questionne.

– 60 ans ?

– Oui, je suis né en 1925.

Il tremble, l’autre s’inquiète, on échange des regards. Dans le métro l’échange se poursuit :

– Vous savez où vous allez ?

– Ah oui, je vais retrouver… Je connais Paris, je suis allé à l’école rue Madame.

Il a le regard triste qu’ont parfois les hommes très vieux.

Mardi 11 décembre

Sur l’écran mouais, c’est pas mal, mais ça se cherche, ça traînasse, ça chichite un peu du côté du cadre avec des plans pris du plafond, la tête à l’envers, et puis des plans orteils, des plans-plans cucul, des plans galères… C’est le film Hors les murs, un film de plus pour distiller petit à petit, une certaine idée du mot normalité, quoi qu’on raconte.

Lundi 10 décembre

Le jeune couple d’amoureux ne se parle même pas. Elle a posé sa main sur sa cuisse mais il l’ignore, il regarde ailleurs, il me regarde, je les regarde. Elle est triste, elle ne dit rien non plus. La musique approximative qui sort de cet accordéon ne change rien, sinon ma concentration pour lire. Il y a quelque chose qui décline en eux, en lui, ce jeune homme, c’est un peu à l’image de la Culture, puisque on en parle aujourd’hui, mais lui, c’est bien plus de 4% de son énergie amoureuse qu’il semble avoir perdu.

Dimanche 9 décembre

Au début de l’été, Serge July m’a demandé si j’envisageais dans les choses possibles d’écrire pour Libération une chronique régulière.

(…)

J’ai hésité à passer à ce stade de la publication de ces textes en livre, c’était difficile de résister à l’attrait de leur perte, de ne pas les laisser là où ils étaient édités, sur du papier d’un jour, éparpillés dans des numéros de journaux voués à être jetés. Et puis j’ai décidé que non, que de les laisser dans cet état de textes introuvables aurait accusé davantage encore – mais alors avec une ostentation douteuse – le caractère même de L’été 80, à savoir, m’a-t-il semblé, celui d’un égarement dans le réel. Je me suis dis que ça suffisait comme ça avec mes films en loques, dispersés, dans contrat, perdus, que ce n’était pas la peine de faire carrière de négligence à ce point-là.

L’Été 80préface ; Marguerite Duras.

Et la tourte au lapin, hein ? elle était comment la tourte au lapin ?

Samedi 8 décembre

Aspirateur = sapin.

Valise = guirlande.

Danse = étonnement.

Danse = patchwork.

Danse = douleur.

Danse = soupirs.

Cocktail = fille(s).

Vendredi 7 décembre

L’homme monte, ligne 9 : « (…) qu’il y a un chien sur les voies… J’ai une information très parcellaire, ils ne précisent pas si c’est un labrador vivant ou un chihuahua m… oui voilà c’est ça ».

À l’arrière plan ces monts qu’on connait tant, surtout toi, mais je les ai tant fixés du regard. Devant, diagonale cinématographique, Kentaro tire un charriot. Devant moi le couple s’enlace ; ils ont froid. Plus tard, bien sûr les brumes s’élèvent. Bien sûr. Lentement. Lentement. Elles prennent leur temps comme tu prends le tien, comme tu montres le leur, comme tu nous l’offre à voir, je cherche le mot qui décrirait cela, j’ai l’impression que tu inventes un verbe, on aurait à l’idée quelque chose qui s’écoule simplement, un rythme contre lequel on ne lutterait pas, une évidence qui s’égrène.

Jeudi 6 décembre

Il y aurait ici par exemple un passage de Naufrages, en italique, qui proviendrait de la page 13, avant que j’abdique, avant que j’aie envie d’autre chose.

Puis j’évoquerais Pialat et ce Passe ton bac d’abord. La jeunesse de Lens, 1979. La jeunesse, la même qu’ailleurs, plus ou moins la même disons (l’accent en plus, la thune en moins, on ne dit pas thune à l’époque je crois, on dit quoi ?), les clopes, les bars, les couples d’amoureux (ou pas), la gouaille, l’insouciance, le foot, les franges, les boîtes. À l’époque j’ai cinq ans, et à part quelques tribunes de terrains de foot, à part peut-être une frange…

Mercredi 5 décembre

Il est midi passé. En vain, quelques pages de Naufrages, de Yoshimura. Je suis le dernier des 4 et j’attends, sur cette chaise, dans ce petit couloir. Je ne sais pas vraiment à quoi je dois penser, si je dois penser. Je réalise en écrivant ces lignes que d’autres auraient vu un signe dans le titre du livre, qu’ils l’auraient reposé. Je n’ai pas vraiment peur, pas vraiment faim, je ne suis ni inquiet ni vraiment sûr de moi, j’avais oublié combien je pouvais être fataliste.

Il est vingt heures passées. J’ai dû m’assoupir un peu ; cette nouvelle installation pour les conférences de Pascal Rousseau est vraisemblablement trop douillette, confortable. Et puis vous me connaissez, à cette heure-ci, il suffit que… Pour me tenir éveillé je note quelques mots sur le petit carnet : « Louis Favre » et « La peinture est mortelle car elle est corporelle« .

Mardi 4 décembre

Elle lit La Vie matérielle de Duras, édition P.O.L. Je relis ma vie professionnelle ; je ne pense pas que ça pourrait faire un roman.

Lundi 3 décembre

Pffff…

Dimanche 2 décembre

Je crois que je ne suis pas très concentré sur les paroles des autres. J’ai l’esprit ailleurs, sur celles que moi je devrai prononcer dans quelques jours, que je répète pendant que les autres parlent, de toute façon je fais quelques photos, comment voulez-vous que j’écoute ? Il faut être très attentif pour capter l’essence de ce qui se dit, beaucoup moins quand rien ne se dit. Le film silencieux d’Alain Fleischer tombe donc à pic. Le Règlement m’entraîne pendant quarante minutes dans un autre monde, celui d’un homme dont les actes sont, comment dire, farfelus, étonnants, inhabituels, amusants… et légaux. Ouf. C’est là, la morale de l’histoire, la liberté existe – et je ne parle pas de celle du film (de 1969, et l’on se demandera une fois de plus où est passé la liberté cinématographique d’antan).

Samedi 1er décembre

Il n’y a plus de gilet ; je me contente d’un pull. Il n’y a pas le livre que je cherche ; je me satisfait pleinement d’un autre. Il n’y a que l’embarras du choix ; je me penche sur la Typographie. Il n’y a toujours pas de rendez-vous chez le coiffeur ; je me dis qu’après tout, ça peut continuer à pousser.