Mercredi 18 mai
Pfff… Mais pourquoi je me suis embarqué là-dedans bénévolement ?
Mardi 17 mai
Même devant les chefs d’œuvre je m’endors. Cette fois, le sommeil a été plus fort que l’Aurore (A Song of Two Humans), film muet de Murnau réalisé en 1927, meilleur film de tous les temps selon certains.
Le sommeil m’a juste fait manqué un passage, le passage de la réconciliation puisque avant de clore les paupières la belle devait finir dans l’eau glaciale. Une fois les yeux bien ouverts, le couple d’amoureux s’embarque dans un manège d’humour, de beauté, de plaisir des sens mais l’embarquement n’est pas sans risque : l’orage gronde. Virtuosité, légèreté, drame, L’Aurore m’a emporté. Moi aussi, je quitte la grande ville pour aller de l’autre côté, là, sur l’autre rive : l’orage est loin.
Lundi 16 mai
« Oh génial le piercing ! » Je viens de tourner la tête, elle a 19 ans. Elle vient d’intégrer le service pour quelques semaines et j’avais soigneusement choisi la cravate le matin même, elle n’attendait donc pas à voir sur moi ce détail plutôt commun chez elle. On parle alors de trous et de tatouages, voilà qui détend l’ambiance après les insupportables billevesées de notre voisin de table, billevesées presque closes après mon « Si j’avais su je serais allé à la salle de sport ».
Le soir, les esprit poussiéreux du déjeuner sont oubliés, mais sous le lit il y a de quoi tousser, les grains et les moutons entassés autant que les magazines et les souvenirs. Les uns finirent aspirés, les autres finiront tôt ou tard déchirés après un rapide coup d’œil sur le peu d’intérêt qu’ils contiennent, les derniers, vieilles paires de lunettes et objets familiaux, iront bientôt ailleurs.
Dimanche 15 mai
Odilon Redon, petit garçon accompagné de son père, regardait les nuages et s’émerveillait de ces formes changeantes, chimériques, bizarres, merveilleuses. On a tous regardé les nuages, n’est-ce-pas ? Mais qu’en a-t-on fait. Si peu. Les nuages d’Odilon sont devenus des bestioles étranges, des êtres rêvés, des cauchemars gravés, puis plus tard des profils aux couleurs qui n’existent pas, bleus troublants, rouges définitifs, dorés méconnaissables. De Redon je connaissais les bouquets : ils m’avaient accompagné sur cartes postales dans ma vingtaine naissante. De Redon je connais dorénavant le mystère et l’oeuvre, et il m’accompagnera encore par ce livre que tu m’as offert.
Des visages sans dorures si bleus nous avaient suivis au Grand Palais : JLM qu’on ne remerciera jamais assez (pour ce moment, ce Merci et ces Carnets japonais), S encore troublée par sa nuit et sa matinée, deux poitevins dont les initiales n’auraient que peu d’intérêt et L avec à l’esprit les révisions du bac. Au Café Marly les regards hésitent et je pense à la salle de sport, choisis une simple orange pressée mais la salive s’extirpera devant ton cheese cake.
Samedi 14 mai
Passer l’après-midi sur un stade, voilà qui ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps. Certains se souviendront de l’époque où je tenais la buvette, à l’abri des éclats de voix, du soleil ou des gouttes…
Cette fois c’était pour le travail, la ville était animée ce samedi, triplement animée, et je passai de la pelouse synthétique à la musique traditionnelle japonaise via de l’accordéon, avec légèreté, étonnement ou plaisir.
Vendredi 13 mai
La bibliothèque de la Maison des artistes est un lieu mythique que je n’ai jamais vu. On m’en a parlé, j’ai aperçu une vague photo. Un jour…
Jessica Warboys a investi ce lieu pour nous le restituer : un film et puis quoi ? Tellement peu. Comment est-il possible de n’extraire aucun mot d’une bibliothèque chargée d’histoire ? Je m’incline devant les choix, la simplicité, la rigueur peut-être, je cherche les mots, l’aspect monacal ou je ne sais quoi… mais je ne comprends pas. Du rien je ne retire moi-même rien, si ce n’est une vaste déception et – ouf – la joliesse désuète d’un petit film aux airs d’autrefois.
Jeudi 12 mai
– Tu sais, c’est très surfait les Seychelles.
– Ah ? Je ne sais pas surfer, je vais changer de destination.
{Hot dogme is not dead ?}
A la sortie du film, tu n’as pas encore parlé mais je sais déjà que tu ne seras pas d’accord avec moi, moi qui ai trouvé le film délicat, doux, clair, plutôt juste même si j’aurais évidemment préféré un heurt final, une impossibilité prise de plein fouet ou cette possibilité que tu évoques bien sûr, mais je n’y ai pas pensé, c’est vrai que ç’aurait été beau que tout se passe comme si de rien n’était, oui rien, pas de crise, pas de mère qui tire l’enfant par la main, juste une rentrée des classes comme une autre.
Tomboy reste à mes yeux un joli moment, un jour d’été ensoleillé, un jour d’enfance et d’amitiés, un jour que je n’ai pas vécu, ce n’est pas moi toutes ces histoires : quand j’allais à la pêche, près du bac, il n’y avait pas de petite fille ressemblant à un petite garçon.
Mercredi 11 mai
Je commence à regarder d’un autre œil les livres qui s’alignent, les vêtements qui s’entassent, les revues qui s’accumulent, les années qui s’empilent. Sur le portable fatigué, j’efface la musique stockée et les photos d’avril déjà ailleurs : le clic droit sur les livres, les vêtements, des revues, les années, ça ne fait rien, ça enlève à la rigueur quelques grains de poussière.
Mardi 10 mai
Du raisin. C’est la première idée qu’il me vient à l’esprit. Un grain. Puis un autre. Ils épousent la nef du Grand Palais de leur matière synthétique, de leur couleur aubergine. L’installation m’étonne, mais ça n’a pas l’élégance du Monumenta de 2008. L’installation m’étonne mais la file d’attente pour entrer dans la bête me décourage, je reviendrai.
Lundi 9 mai
Alela. J’en rêvais. La voix avait envahi les travaux l’an passé, au milieu des bâches je chantai(s). Merveilleux hasard, c’était le 9 mai.
À La Cigale elle chanta ce soir, était-ce une fable ? La voix bien sûr, extraordinaire, poignante, mais son country band un peu bruyant je l’aurais volontiers remisé au placard, au milieu des santiags. Au milieu, heureusement, un moment de grâce, elle seule à la guitare pour deux titres. Soupirs.
Dimanche 8 mai
Vous êtes sortis, vous ?
Fabien oui. Catherine oui. Susanna et Laurent, oui. Ils sont sortis, ils sont venus, ils sont tous là, même ceux du sud… de la Corse. Ah mais j’oubliais, l’alcool ça fait perdre la mémoire : j’ai oublié de parler de la dégustation de vin de 11h30. Hips.
Samedi 7 mai
On devrait tant dire sur les grands yeux des femmes qui regardent le spectateur. Sur les lumières et les couleurs aussi, le fauvisme qui n’en est pas vraiment un, cette écuyère qui s’est échappée de Dieppe, le doigt sur la joue, les tissus, les verts, oui les verts sur les visages, les visages verts, verts d’eau ou d’autre chose, je m’y suis plongé. Les premières années de Van Dongen sont sûrement les plus belles, celles avant la sagesse de ces longs portraits, on est assez d’accord là-dessus ensuite, même si vraisemblablement tu l’idolâtres moins que moi, mais on passe à autre chose pendant cette longue promenade, un kilomètre, puis deux, au moins quatre de quais.
RER C, bibliothèque… une glace ? Un rafraîchissement avant la fraîcheur d’une salle climatisée. Sur l’écran « La ballade de l’impossible« , pour vaguement capter trois mots de japonais et s’embarquer dans une jolie histoire, douce et amère comme une mousse au chocolat.
Vendredi 6 mai
« C’est qui René Flesh ? » Je me trompe sur le prénom, il s’appelle Henri (voudrait bien réussir sa vie ?).
Il était sur scène, icône rock sèche accompagnant Miss Carlotti et Jean-Pierre Petit pour leur « Rock’n’roll lies », conférock pas rance sur les critiques.
À la sortie des artistes on a fait comme les groupies, sourires et accolades, tiens une garçonne, tiens… oui, moi. J’étais revenu dans les parages, j’étais revenu sans dérapages, sans parader.
Jeudi 5 mai
Le soleil, profitons. À la Cinémathèque, je suis donc en avance pour le film, les tours ne sont même pas encore teintées d’ocre. Un peu de repos sur un banc malgré cette fille qui parle trop fort, cette envie de les photographier eux là-bas avec cette poussière qui se soulève sous leurs coups, leurs pieds et leur ballon. Je ferme les yeux, crains de m’endormir malgré l’épuisement ; je les ouvre tandis qu’au loin tu passes. On va voir Kubrick ? Oui, allons-y, je ne nous imaginais pas tant en avance. On a vu Kubrick, enfin l’expo, on a vu et je n’ai rien à en dire, rien à en tirer, ce doit être la fatigue découplée par ce sac à traîner. On a vu le film enfin, ça c’était prévu, « Les équilibristes » de Nico Papatakis, avec Piccoli qu’était là. Anouk Aymée aussi, joli moment, que ce petit hommage à quatre voix, cette lettre lue, ma découverte par leurs témoignages de cet homme dont j’ignorais tout : l’oeuvre comme l’existence, le décès en décembre, etc.
Le film ? Inspiré de Jean Genêt, film vérité sur des amours impossibles ou film impossible sur des amours vraies. Il faudrait peut-être que je parle de ce personnage (presque) secondaire, la mère du jeune homme, cette allemande paumée, mais il est tard, je suis épuisé. Elle aussi.
Mercredi 4 mai
« Excusez-moi monsieur, vous auriez un mouchoir ?« . Je n’ai pas de mouchoir. Elle non plus. Elle vient de se prendre en photo au milieu de sa conversation hachée avec ses deux copines, hachée par la musique qu’elles ont dans les oreilles. Sur l’autoportrait elle dû trouver ses lèvres trop rouge. Faute d’un mouchoir, elle appose à plusieurs reprises ses lèvres sur une feuille de papier tirée de son sac. Difficile de rester concentré l’être humain est définitivement plus complexe et fascinant que les nombres japonais…
Plus tard, autre wagon, tu m’appelles : « Allo ? oui je suis devant la salle n°1. – Devant la salle quoi ? Pourquoi ? on avait un truc de prévu ? ». Ah oui, j’ai oublié Jean Vigo… Ah non, la valise à rapporter, l’aller-retour, la chaleur, ne m’attends pas…
Nous nous sommes retrouvés après, pour ce petit resto souvenir de ma première venue à Paris. Première je crois, un doute peut-être.
Mardi 3 mai 2011
Je n’ai plus pour lecture et obsession que le japonais : retenir, apprendre, comprendre, retenir, retenir, noter, retenir, chercher les moyens mnémotechniques pour retenir, ce kaeru un peu comme en allemand, ce « Kyôto-e iki-masu » de plus en plus vrai…
Lundi 2 mai 2011
La petit fille suce un os, ses collants roses salis par l’absence de chaussures. Posé à l’arrière de la poussette, l’effigie moustachue : KFC. Sa mère a l’œil rivé sur le plan du métro, si petit. Pourquoi si petit ? Moi je la regarde et je rêvasse de là-bas ou de moins loin, Barcelone par exemple, Barcelone me revoici, Barcelone pour mes 37 bougies.
Au bout du trajet retrouver X et Hobo aboyant, puis G, main devant le visage quand il est question de faire un portrait. X s’inquiète, s’embarrasse d’un choix, cherche dans mes mots ce qui fera peser la balance d’un côté plutôt que d’un autre. À propos de balance, c’est un peu gras ce confit ?
Dimanche 1er mai
Dur de retenir les mots, les expressions ; je les note sur ce calepin rouge que tu m’as offert. Là, sur la terrasse en travaux et au soleil, deux tasses à café et ce livre que je vais ensuite ouvrir, La chambre claire, de Roland Barthes :
Quoi qu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible : ce n’est pas elle qu’on voit.
Livre difficile, l’esprit un peu dans le japonais ou ailleurs alors que le soleil se cache derrière l’immeuble et dans les parfums d’aubergine. Livre difficile mais belle vision du portrait par l’auteur.
Et puis c’est dimanche, mais c’est le 1er mai, on l’a juste oublié. Devant les portes chômées du musée d’Orsay on emprunte un autre chemin, d’autres idées, idées de secours vers le 16ème arrondissement, vers Guimard que tu ne connais que peu, vers Mallet-Stevens aussi tandis que Corbu est au fond de l’allée close.