Septembre 2011

Vendredi 30

Soudain je déteste un peu Paris. Le trop beau temps à Paris, au bout de quelques jours, ça pue. Aujourd’hui, ça pue l’échappement et je ne sais quels gaz, tandis qu’un léger mal de tête piquant, mesquin et typique insiste. Entre Négatif+ et la rue Beaubourg où ma coiffeuse m’attend à 19h30, je prends le temps de marcher mais ça pue, j’ai chaud, j’ai soif, je n’ai pas de monnaie, je pense au Japon qu’on voit sur mon livre de photos enfin récupéré, parce que là-bas j’aurais déjà glissé 120 yens dans un distributeur posé en plein soleil pour acheter un rafraîchissement, mais de toute façon je n’ai pas de monnaie.

Et puis j’ai un peu d’avance, donc un peu de temps pour de la monnaie, une bouteille à 80 centimes et une boîte de gâteaux salés à 1 euro sur les marches d’un escalier. « J’ai le temps de fumer une cigarette ? » me demande S, parce que vous comprenez ma coiffeuse elle a un prénom et ainsi on a le temps de feuilleter ensemble le livre de photos. Ce n’est qu’après la coupe et pendant le shampooing qu’elle m’annonce son prochain départ. Pour où ? On ne sait pas, on se reverra avant, les cheveux ça pousse n’est-ce-pas. « Je ne donne pas mon numéro à tout le monde », me glisse-t-elle à l’oreille le temps d’une dernière retouche. Tranquillement et plus léger je peux retrouver la maison et le livre évoqué hier que, sans vergogne ni pensée pour les problèmes de sécheresse, je commence égoïstement dans un bain chaud.

« Le fantastique des romantiques nous parait très puéril. Leurs personnages ne sont pas assez humains (…). Le diable n’est pas terrifiant sur la lande de Siboro, au milieu des sorcières, mais il peut l’être en apparaissant dans un petit cabaret de la zone, dont le patron, par exemple, fait des réparations de bicyclettes. »
Pierre Mac Orlan, « Le Fantastique » in Le Fantastique Social, op. cit., p. 63

Jeudi 29

JLM avait « oublié » PMO sur le bureau en insistant sur les guillemets ; il a de drôles de façon de faire des cadeaux, JLM, ils les laissent sur les tables sans rien dire. En rentrant du bureau, après avoir signalé un fou et leur chemin à deux Italiens se sentant un peu perdus au propre et au figuré, ce livre sur les Écrits sur le photographie de Pierre Mac Orlan était toujours sur le bureau. Les guillemets avaient fondu au soleil et un paquet marqué de ton nom en majuscules était là lui aussi. Tu avais ton nouveau cadeau mais je n’avais pas le mien, les soucis de transports ayant laissé le livre de photos à la boutique. Alors à la place des guillemets et des gens de là-bas, je retrouvais les virgules épicées du Thaï Royal et les points d’exclamation de Nath.

Mercredi 28

Il y a des jours qui ressemblent à des nuits, parce que l’on passe du cauchemar au rêve.

Le cauchemar, je l’ai lu dans la matinée dans Hiroshima, fleurs d’été, recueil de trois textes de Takimi Hara, quittant vite le premier texte à l’eau de rose pour me faner à la lecture du deuxième qui décrivait tout l’horreur des heures suivant la bombe. Quelques pages ont suffi, j’ai remisé le bouquet.

Le rêve, j’ai envie d’en dire plus, de ces 50 minutes qui ne disent rien. Sous l’absence de paroles, voire de mouvement ou quasiment, je pourrais décrire le flot de plénitude qui passe, tous ces plans qui sont autant d’images solaires, cette femme qui n’est peut-être pas là et soudain la musique me donne envie de revoir Blade Runner. À la sortie, nous n’avons pas les mots, comme K.O. ; O.D. et la fille aux lèvres rouges fument la même cigarette silencieusement, il en allume une deuxième et s’étonne peu après de ce geste machinal. Avec C et cette jeune fille dont je suis pas sûr d’avoir bien retenu le prénom on évoque plp, et je salue Romain Kronenberg sans penser à lui dire le bien que je viens de penser de son Down down down down et puis voilà, la traversée de Paris m’attend. Dans le métro, le profil ressemble à celui de Claude Cahun, et je le fixe pour m’en assurer, mais le regard de son reflet flou semble aller dans ma direction.

Mardi 27

« Cet été j’ai vu des pieds pas plats, ça m’a scotchée ».

…C’est une phrase pas comme les autres au milieu d’une journée de travail, une journée qui finit tard mais le hasard d’un planning fait bien les choses. À l’arrêt du bus, je suis au téléphone, elle s’approche et elle l’est aussi, au téléphone ; on se salue de la main. On clôt nos conversations successivement et l’on se retrouve à parler évidemment de nos boulots respectifs, le reste ne s’immisce quasiment pas dans la conversation tellement ce sujet nous permet d’être positifs. Le doigt de sa soeur, coupé, aux urgences, ne revient même pas sur le tapis avant notre au revoir, et j’ignorerai tout de la gravité de l’incident, des causes et des conséquences sur sa vie professionnelle à elle, sa soeur. Et son cousin au fait ? Tant pis… trop tard.

Lundi 26

La Métamorphose est finie, la bête est morte, et même les travaux ne la réveilleront pas. Ils défoncent la façade au marteau piqueur, vous imaginez ? Poussière, bruit, tremblement, l’ambiance n’est pas optimale pour travailler, et le bruit circule donc dans les services qu’il ne fait pas bon être chez nous : encore une rumeur qu’on… cloporte ?

Dimanche 25

Dans le parc, à ma gauche, le garçon blond est allongé en short, torse nu, des écouteurs sur les oreilles, c’est encore l’été, tout le monde le dit, je n’invente rien. Je lis Des histoires vraies de Sophie Calle, joli livre dont un autre exemplaire partira au sud comme une évidence même si l’évidence date d’hier, de ce moment où le livre m’est apparu dans les rayonnages, en souvenir de ce moment partagé dans la friche du Palais. Ce dimanche méritait un moment d’apaisement au milieu de questions joaillères… il n’y avait donc qu’un pas pour dire que le livre était un bijou.

Samedi 24

Après un oeil et quelques arrosoirs sur la terrasse, JLM et moi partons au milieu du beau temps retrouver Claude Cahun, qui quittera bientôt l’affiche, et sa compagne, absente du titre de l’exposition mais tellement importante, tellement indispensable, Marcel* Moore. L’une et l’autre, l’une avec l’autre, de leur vrai nom Lucie Schwob et Suzanne Malherbe, nous accompagnent pendant cette fin de matinée, par leurs photos, leurs écrits, les lettres qu’elles ont reçues**, leurs pensées et leurs actes, actes de bravoure durant la guerre sur l’île de Jersey qui n’était pas plus tranquille qu’ailleurs et où résonnait donc des bruits de bottes.

C’est ensuite la voix de W qui résonne au coin de la rue des Petits Champs, W qui nous rejoint à cette petite table de bistro pour un café — notre salade est finie — avant de nous emmener chez J P Hévin pour quelques délices chocolatés. Toujours au milieu du beau temps, on repartira.

* non je n’ai pas fait de faute.

** Je citerai cet extrait d’une lettre de Desnos :

Je travaille comme un forçat, je dors comme un loir, je bois comme un trou, je mange comme un porc et je vous souhaite tout de même sauf le travail.

Vendredi 23

JLM m’a devancé, il m’attend devant le 106 de la rue Lafayette, les clichés sont prêts, encore des tirages, d’autres essais, d’autres bonheurs déballés sur la table d’un bistro à côté, place Franz Liszt et je m’émerveille de certains résultats. Je m’émerveille aussi plus tard d’un autre résultat, celui de Gus Van Sant avec son dernier film, ce Restless, qu’on était parti voir sans rien savoir, ne dites rien, chut, allons-y. Les minutes passent, les mots, les idées, les adjectifs me viennent à l’esprit, j’ai envie de sortir mon carnet de mon sac, discrètement, dans la pénombre d’écrire ces mots, ces idées, ces adjectifs : vaporeux, velours, plume.

En écrivant ces lignes il me vient une phrase à l’esprit :
Restless est un film qui donnerait envie de mourir à 18 ans.

C’est horrible. La phrase est collée, là, dans ma tête, je ne peux pas m’en défaire. Tant pis. Je l’écris malgré toute l’horreur qu’elle cache et dévoile. Demain, au petit matin, ou plus tard encore, en la relisant, je l’effacerai.

Jeudi 22

Ce n’allait pas forcément être une bonne idée de lui rendre service, je le saurais vraiment deux jours plus tard, mais optimiste (naïf ?) j’avais dit OK. Alors on s’est retrouvés aux Combustibles. On a pris une assiette de charcuterie et le temps de parler un peu, D était là aussi ; qui s’assemble se suit. En repartant on a remarqué les tenues vestimentaires des clients du lieu, on avait l’air un peu à côté, à côté de la plaque ou du look, allez savoir… Moi je venais de récupérer un sac « Espace créateur » cartonné noir, lettres rose fuchsia, ça allait bien avec ma veste et mon foulard, trop bien, peut-être trop bien… Eh ! Regardez ! Moi aussi je suis piercé !

Mercredi 21

Ce n’est pas au café La Place que l’on s’est assis avec M pour raconter un peu tout ça, tout ça mais surtout Ivry, c’est à ce café un peu plus loin sur l’avenue, un peu son QG apparemment et une anisette pour moi. M aussi comme Métamorphose, fini Echenoz bonjour Kafka.

Mardi 20

J’ai retrouvé JLM au Bûcheron, serveuse souriante et raviolis aux épinards sauce noix – gorgonzola. Il était tard puisque l’heure de dîner, j’avais essayé d’écrire le temps du transport, j’avais essayé d’écrire de l’autre côté du carnet alors que sur la page du jour j’avais déjà griffonné quelques mots entendus le matin…

J’ai lavé mes cheveux hier soir. T’as vu ils sont… mystiques.

…j’avais essayé d’écrire tandis que devant moi une femme s’était déchaussée en disant au téléphone « Je suis à St Mandé » et c’était vrai, bref j’avais essayé d’écrire quelques mots sur tes images, je les avais tant regardées que je les avais bien à l’esprit, mais moi, tu sais je ne sais pas raconter des histoires, je regarde et je vois, je répète, recopie, décris, m’éloigne tellement peu et si rarement des faits, alors je m’étais limité à me rappeler la couleur – verte – et m’étonner de ces deux coussins et leur symbolique éventuelle.

Après le Bûcheron on a marché un peu, comme ça, pourquoi pas, il faisait doux, j’avais envie de profiter de Paris malgré ma fatigue ; il était tard puisque l’heure du dîner était largement passée, on avait partagé deux profiteroles. C’est devant le bâtiment de Zaha Hadid que j’ai sorti mon appareil photo, il le fallait, la construction était plus belle à mes yeux qu’en plein jour.

Lundi 19

Mais tout ne va quand même pas si mal sur tous les fronts. Un samedi, plus souriante à son sujet, la presse sportive annonce : nouvelle épreuve, demain, pour Émile. Mais il ne s’agit que de son mariage avec Dana prévu pour le jour suivant. Et par un beau dimanche d’automne, dans son bel uniforme tout neuf de capitaine, il épouse en effet la fille du colonel, future championne olympique du javelot. C’est donc sous une double haie de ces armes que le cortège nuptial, provoquant d’énormes rassemblements, embouteille longuement les rues de Prague. Prague où, à part ça, tout le monde crève de peur.

Depuis vendredi j’ai troqué Bataille pour Echenoz, Ma mère pour Courir. Et je ne m’en porte pas plus mal.

Dimanche 18

Devant la bouche d’Ineto Sata, la main tient une cigarette. La fumée dense masque une partie du visage. L’image est superbe, je reste un long moment devant.

Autour du visage de François Mitterrand, le noir domine. Rideaux ou veste, les zones sombres offrent au spectateur le reflet du visage de Burroughs ou d’un cycliste au visage boueux qui vient de souffrir d’un Paris-Roubaix. Le tout est amusant, j’esquisse un croquis pour me le rappeler.
Cette visite à la MEP commence donc par cela, les beaux portraits de Xavier Lambours ; d’ailleurs petit à petit les portraits des autres sont des évidences, des modèles, des envies, et je sais que cela viendra pour moi. Mais à la MEP il n’y a pas que Lambours, il y a aussi les images colorées au propre ou au figuré de de l’air, bouffée d’air frais avant la suite. La suite c’est la triste face de notre planète sous l’oeil humaniste de J.E. Atwood (aveugles, victimes de bombes antipersonnel, malade du SIDA à l’époque où on les ignorait, femmes en prison) et des photographes de guerre. De la MEP je ressors donc, heu… comment dire… touché ?

Et puis il y a Nogent, un hot dog sur un banc d’abord et puis Nogent, de là-bas on retiendra la scène cocasse du parapluie qui protège la caméra. Et puis il y a A chez qui j’avais oublié foulard et gilet deux jours plus tôt. Et puis cet homme de soixante-dix ans peut-être, costume gris, gilet aux discrets motifs moutarde, cravate assortie, et chaussures aérées avec logo du Club Med. Et puis cette inscription sur un boubou : » La sainte cas impossible et désespérés ». Les pays sont d’impossibles ensembles avais-je lu le matin à la MEP ; je confirme. Et les vies aussi.

Samedi 17

Nous étions juste partis au hasard. Arrivés devant Beaubourg… Tiens pourquoi pas, mais oui bien sûr, l’expo ! Paris Bombay Delhi nous tendait les bras, nombreux chez certains divinités cela dit en passant… Une expo agréable, intelligente, claire, colorée (et assortie au pull de JLM*), avec de très belles pièces… je n’en demande pas plus. Des clichés peut-être un peu, non ?

Et puis un tour dans l’expo permanente du musée, joli moment où Rothko, Pollock ou De Staël se suivent et m’émeuvent.

La prochaine fois je vous parlerai des tuyaux d’aspirateur du BHV et du saucisson lyonnais des Halles 1900.

* Ah ben oui JLM est arrivé.

Vendredi 16

Soudain j’entends qu’on crie mon prénom, je pense que c’est un hasard mais je me retourne quand même. C’est un hasard, mais pas celui d’un prénom, celui de voir le visage de F par la baie, le visage de C passé par la porte… Je suis là pour quelques clichés, je les fais, et puis je reviens, je découvre pourquoi elles sont là, parce que là c’est chez A ; M est là aussi. On m’attend à Montreuil mais je reste un peu, forcément, plaisir de se revoir et de raconter.

À Montreuil j’arrive forcément en retard, d’autant qu’un hasard n’arrivant jamais seul, L était là, à la sortie du RER, jolie occasion de s’embrasser, de s’inquiéter de leur emploi du temps le long d’un chemin en commun, de se dire à bientôt, quand tu seras de retour sur notre territoire.

À Montreuil j’arrive enfin, on m’attend pour déboucher les bouteilles, et je n’imaginais pas – et je ne suis pas le seul – qu’on m’attendait pour découvrir l’existence de ces deux chaises, là, bien sages dans leur coin, bien sages malgré leur histoire.

De Montreuil je repars aussi trop tard, le métro vient de partir quand j’atteins les marches de Bérault… Alors je roule.

Jeudi 15

Hasards. J dans le RER où l’on pourrait à nouveau évoquer notre soirée pizza – Les Prédateurs, puis, au Crédac où j’imaginais bien voir un ou deux visages connus : je vois évidemment H qui simplement m’embrasse, moins évidemment B qui m’interroge « alors le Japon ? », encore plus étonnamment J qui tombe plutôt bien et enfin quelle surprise L qui me confirme qu’elle est à dorénavant à Paris. À chacune je précise qu’on m’attend, et en effet F&F sont là à côté d’un avion à réaction en tôle. Les pièces et installations n’ont pas beaucoup de chance, on a autant envie de voir ce qu’il y a autour, le lieu, la vue déjà bien sombre par les fenêtres… Mais le film de blanc vêtu sauve la mise et balaie le peu d’émotion que me procure tout ça.

Allez, et puis c’est pas tout ça, si on allait dîner ? Au Libanais on atterrit – champ lexical bien chois pour rappeler l’avion évoqué ? – pour un vin coriace, une assiette bien garnie et pour quelques frites en bout de table. « Viens, goûte mes frites » chantait-on il y a 15 ans. Quinze ans ? On n’y croit pas mais il y a de la mayonnaise donc tout va bien.

Mercredi 14

Elle vaque et vient, passe d’un ami à l’autre pour les déjeuners, demain ce sera P, aujourd’hui c’est moi, c’est bien, c’est si bien de se voir vraiment, pas autour d’une grande tablée, pas sur une terrasse où l’on rit à côté, non rien que nous pour un tête à tête où l’on parle presque uniquement de l’essentiel – argent, amour, travail, famille, amis, choix de la pizza.

Mardi 13

Il fait un geste qui veut dire fermé, les deux mains vaguement croisées. Le frigo est vide, mes forces presque autant, je me rabats sur ce vendeur de kebab, la fontaine à frites, ça fait rêver n’est-ce-pas ? Attablée à l’extérieur, la femme me le conseille — « il est meilleur que l’autre en face » — je lui réponds quelques mots pleins de confiance, nous sourions, le vendeur n’a pas besoin d’articuler je devine les « salade tomate oignon sauce blanche » qu’il marmonne sous les décibels de l’écran de télé, y a du foot là-bas, et je repars en saluant la femme, en me disant « encore des frites… », et en souriant à l’idée de regarder Mon voisin Totoro une fois les doigts dégraissés.

Lundi 12

C’est la rentrée depuis une semaine et Sylvain et sa décadence sont de retour dans le RER. Mais bref… plus tard, sur l’écran du Reflet Médicis, Jean-Pierre Léaud fait son Jean-Pierre Léaud, espiègle, adorable, merveilleux dans ce « Le départ » de Skolimowski, film de 1965, film vibrant et filant comme une silhouette Porsche, film pour lequel j’ai parfois eu du mal à suivre le rythme, vous savez, je ne vous fais pas un dessin, je ne sais pas dessiner les yeux fermés.

Dimanche 11

Une journée pas comme les autres puisque ton anniversaire se fait à distance. Le jour passe, ce fichu dossier à compléter surtout, l’apéro ensuite avec miss F, et puis le statut facebook de L.M. et je me dis alors que tiens, oui, je vais écouter Mozart en repassant. Il est pourtant déjà minuit, ce n’est plus l’heure pour les taches, qu’elles soient ménagères ou pas. Alors la 39ème pendant quelques morceaux de tissu, mais au deuxième mouvement je passé à la 40ème. Rugissant, je me brûle. Tiens, passons au requiem : lacrimosa.

Samedi 10

« – Allo ?

– Oui ?
– Ouh la la Arnaud je suis en retard ça va pas du tout j’ai merdé et puis je suis pas maquillée et j’ai la même robe qu’hier soir !
– Ah d’accord t’as dormi chez qui ? »
A peine plus tard ,elle n’est pas tant en retard que ça, la voilà au bout de la rue, élégante, à peine froissée, aussi rayonnante et malicieuse qu’Audrey Hepburn dans ces délicieuses Vacances romaines que nous nous apprêtons à voir en ce début d’après-midi ensoleillé.

A peine sortis, nous remédions à l’absence de maquillage au milieu des mascaras avant de nous poser dans ce bar, notre bar, notre carrefour, là où passent les gaz d’échappement, le touriste standard, les Marie-Christine B et la foule locale embarrassée de sacs cartonnés aux teintes céladon ou vieux roses, lettrages dorés, etc.

Et quand vient le soir, pour qu’un ciel flamboie… heu non c’est pas ça. Et quand vient le soir c’est encore festif…

Vendredi 9

« – Il a une tête à s’appeler Brice.
– Et si c’est c’est pas Brice ?
– Mathieu. »

La fille est sûre d’elle, je me marre en attendant le métro après cette invitation, cette pendaison, cette fête comme comme toutes les fêtes où les lieux deviennent exigus à mesure que l’on s’y mêle, où les regards s’aiguisent sous les lumières variables et les paroles se grisent d’un nouveau lieu ; là nous sommes sous les toits, alors dans les paroles on allusionne la chaleur d’une saison avant d’affectionner celle figurée du lieu ; là nous sommes chez un Corse alors on s’enthousiasme pour le saucisson et l’on s’interroge sur le vin. Et puis voilà que je dégaine mon appareil photo, je joue avec le hasard, les lumières, la chance, avec mon œil aussi, avec ces sourires qui acceptent… Photos floues ou pas, belles ou pas, je me régale de ces instants, ces souvenirs, ces ponts entre moi et ces autres dont j’ignorais tout jusqu’alors. La photo est, dans ces moments, un merveilleux partage glissé entre deux instantanés égoïstes.


Jeudi 8

Méfiant, bien vu, je ne sais pas pourquoi je suis souvent en retard quand je vais chez L, le boulot qui déborde, l’optimisme qui s’emballe, les transports qui s’emmêlent… Méfiant, L avait réservé pour 21 h dans ce resto thaï devenu notre cantine, en tout cas notre inévitable lieu de mise au point sur nos vies, nos envies, nos vacances… J’ai pris du canard au basilic, fichtrement épicé, ça m’a rappelé des souvenirs de là-bas, ce resto coréen à Osaka, mais Osaka c’était pire, bien pire…

Mercredi 7

Son visage a subi des brûlures il y a quelques années. Elle en masque une partie sous de larges lunettes de soleil et une casquette tout aussi sombre. Il est tard pour un départ de Nogent, 20h45, j’étais au vernissage de la MaBA, une très bonne raison pour un tel horaire avec un verre de rouge et un gros bout de fromage en bout de course. Sur les murs, le très intéressant travail du graphiste Frédéric Teschner, mais aussi au sol, en piles, généreusement, offrant au visiteur une part de l’exposition de manière amusante, jolie, intelligente… 21h51, je relève les yeux, la femme au visage entre parenthèses a été remplacée par une bourgeasse qui ne sait pas tenir ses sacs : son vernis à ongle n’est pas sec. Le passage d’une femme à l’autre est terrible, grand écart, car miss Vernis n’est qu’apparence, elle prend des poses idiotes, des moues idiotes, et me fait écrire dans mon carnet des phrases presque idiotes.


Mardi 6

Un jour comme un autre, avec un nouveau livre entre les mains, les hésitations sur les concours, la crainte de ne pas voir le film car aucun bus n’arrive, l’écoute de Gloria Lasso – Preeeends ma maaaiiiiin car je suiiis étrangère iciiiiii, perduuue dans le payyys bleeuuuu, étrangèèère au paradiiiiis – buzz l’éclair collé sur une valise ou cet homme emmitouflé dans une parka et une écharpe tandis que j’ai retrouvé le plaisir du foulard, oublié la veille.

Le nouveau livre c’est Ma mère, de Georges Bataille.

Elle sourit d’un sourire fielleux, d’un sourire démenti. Elle tirait des deux mains le col de sa robe et l’écartait. Nulle indécence ne se mêlait à ce geste où seule s’exprimait la détresse.
– Pierre, reprit-elle, toi seul as pour ta mère un respect qu’elle ne mérite pas. Ces hommes qu’un jour tu trouvas au salon, ces gommeux, que penses-tu qu’ils étaient ?

Et le film, ah le film, c’est Les Moissons du ciel, de Terrence Mallick, souvenons-nous de lui, qui m’ennuya à en mourir avec son Tree of Life, mais qui me plut tant avec sa Balade Sauvage. Les Moissons du ciel, je pourrais en parler des heures si j’étais du genre à m’étaler et si je n’avais pas dormi en pointillés durant la première demi-heure, horreur que ce sommeil qui est plus fort que tout dans ces salles sombres. Les Moissons du ciel je n’en parlerai pas, je vous dirai juste : « voyez-le ». Voyez ça, cette lumière, ça alors cette lumière, mais cette lumière, cette lumière ! Et puis Richard Gere, ça alors Richard Gere. Et puis les gros plans, les plans larges, les plans comme ci, les plans comme ça, et puis cette fille, elle, personnage secondaire et narrateur, étrangement présent et absent, touchant surtout. Et puis une scène, rien qu’une scène, les crickets, le feu, les trois secondes où les silhouettes  se détachent, hommage à quoi, à qui, à l’Angélus de Millet ou à Magritte ? Bref.

Lundi 5

En général, je ne lis rien sur les films que je vais voir. Ce soir je n’avais rien lu non plus, sauf les noms de Banderas et Paredes. Ah si peut-être, quand j’y repense, trois lignes. Mais j’avais oublié les trois lignes…

Dès le début, La piel que habito, c’est du Almodovar, le gros plan, le mouvement de caméra, j’ai l’impression d’avoir vu ça à chaque début de film mais je m’en fais peut-être, des films, hein, comme si je me rappelais de ça, ce genre de détail, le début, enfin vraiment, je divague… Bref, ensuite et bien ensuite c’est encore du Almodovar, c’est propre, c’est coloré, ça roule beaucoup les r et un peu les mécaniques. Mais cette fois c’est mieux, cette fois ça me plait vraiment grâce à un scénario vraiment prenant. Mais… chut, je n’en dis pas plus.

Dimanche 4

Oui ? Non ? J’y vais ? J’y vais pas ? J’y vais. Mais plus tard.

Plus tard. J’y vais ? J’y vais pas ? Il pleut. J’y vais plus tard ?

Plus tard. Je n’y suis pas allé, nulle part. Les CV, ceux des autres ; les photos, les miennes ; les minutes d’un dimanche, ça vous remplit une journée commencée tard. Et puis voilà Jacques Demy pour « Une chambre en ville« , jolie surprise (belle Darrieux !) qui pour autant est loin de me griser autant que d’autres (films / spectateurs). Et puis Dominique Verna, qui quitte son crétin de mari et s’en va se montrer nue sous son manteau de fourrure. Moralité : pomme, raie.
(Blague nantaise, faisant suite à une remarque de Denis O dans laquelle il citait le passage Pommeray)

Et puis, comme si ça ne suffisait pas, je glisse dans le lecteur une autre galette, arrivée par la poste, ouverte machinalement. Puisque c’est ouvert…

Premières images, tiens, on dirait les arrêts de tramways de Hiroshima. Le titre est un indice supplémentaire avant la certitude, je retrouve alors les sons, les lumières… l’envie.

Samedi 3

Évidemment il y a la chaleur, la chaleur d’un samedi d’été, la chaleur sous laquelle je pars, mais tardivement, récupérer quelques tirages : ces dos qu’il faudra que je montre à d’autres,  « Pigalle » qui prend tout son sens en 30 x 45, mais je ne le verrai que plus tard, chez N où je le sortirai de l’immense enveloppe, chez N où nous sommes invités, moi et d’autres, mais en attendant il y a la chaleur, la chaleur dans le bus, horreur, étouffement, il faut descendre, changer de parcours, se rafraîchir sur la 7 bis.

Voix off d’Arnaud Rodriguez :
Ç’aurait été une rue dans la ville.
Elle aurait traversé les quartiers aux immeubles.
(Temps.)
Et puis un bus serait arrivé.

Il serait passé lentement à travers le paysage urbain.
Il y a un ciel bleu, d’été.
Une brume de pollution aussi, très légère, partout répandue sur les bitumes, sur le bitume.

… Bon voilà, j’ai commencé à lire Le Camion, de Marguerite Duras.

Vendredi 2

Je n’avais pas sorti la carte bleutée pour la faire glisser sur le côté droit des distributeurs de tickets depuis de longues semaines. Elle avait elle-même pris quelques vacances dans un tiroir, et voilà que ce vendredi elle reprenait du service. En la sortant, justement, elle entraîna un ticket aux caractères japonais, ne me demandez pas ce que c’était. Mais avant de la présenter au contrôle, je cherchai de quoi résister au sommeil et à la fringale. Soda et brownie, j’étais paré pour La guerre est déclarée dont je te parlerai par mail un peu plus tard… Extraits :

Au début, effet « La reine des pommes » j’ai eu un peu peur, couleurs délavées et puis les acteurs… Mais vraiment, de cette histoire si triste  elle fait un truc incroyable, il y a presque des moments de grâce dans le montage, dans les évocations, elle insuffle un rythme très intelligent… quand elle annonce la maladie à sa famille c’est très court, très découpé, (avec l’hiver de Vivaldi par-dessus, faut oser tout de même, et bien elle le fait)…

Enfin bon tu le sais, je n’ai pas tout à fait écrit ça, mais le lectorat aura sa version, sans les mots gorge et déchirant ni l’accent circonflexe. En fait, ce qui est bête, c’est que j’aurais dû prendre un peu de recul pour t’écrire, voilà, te parler aussi de cette belle histoire d’amoureux et de désamoureux, ces deux amants jamais désunis.


Jeudi 1er

Les visages se suivent, en voici un nouveau à ma droite, un peu en arrière, il me voit et je dois me tourner un peu pour le regarder. On fait connaissance et les présentations, il prend ses marques et déjà quelques photos…

Les visages reviennent aussi, celui de B, pas vu depuis 6 mois… Six mois déjà, six mois seulement, envahis de trop d’incidents et de tristes nouvelles alors que les miennes sentent encore le sushi et la lave d’Aso, que faire, que dire, où aller dîner ? À la Tourelle, presque évidemment, c’est tout près, c’est tout simple.