Samedi 20 août 2022

Au début, les premières secondes, je touche
toujours mon cœur pour vérifier qu’il bat.
Car j’ai le sentiment de mourir.
J’ajuste mon masque, me tenant à la proue.
Je fais des battements de jambes.
Le vent souffle fort.
Il parle.
Je l’écoute parler.
Au loin, les champs de pastèques,
le toit de la vieille école et des fleurs de safran.
L’eau est froide malgré le soleil,
et le courant chaque jour plus fort.
Bientôt, tout cela disparaîtra.
Crois-tu que les caméras du monde entier se déplaceront pour en rendre compte ?
Crois-tu que ce sera suffisamment télégénique pour eux, Sarah ?
Qu’importe.
::: Antoine Wauters ; Mahmoud ou la montée des eaux*

Au matin tu m’envoies un texte, en souvenir de lui. Il y a, dans ces quelques phrases, ce qu’est l’amitié, c’est-à-dire de quoi ça nait, l’amitié, ce mot qui vous collait peu aux habitudes quand nous étions enfants, alors que pour moi il est de tant de chemins empruntés.

Tu m’envoies le texte pour savoir s’il y a une faute ou autre chose qui me choquerait, mais c’est au-delà de cela, au-delà du trait d’union qui manque dans son prénom. Tu m’envoies ce qui nous unit, une émotion, nos partages, tes questions, nos rires, tes larmes ou celles que je retiens, mes silences trop souvent quand les jours sont ensemble et que j’ai quelque part épuisé tous mes mots.

Je pleure en lisant ton texte, simple et beau. Il y a dans tes phrases le manque, douloureux. Il y a ce signe que les absences vous creusent et que les larmes ne sont que la partie visible de tout ce qu’on ne dit pas.

Roberto Rossellini ; Jeanne au bûcher, 1954

Vendredi 29 avril 2022

Alors, dans cette histoire de solitude, sur les plus belles images, elle est absente.

La Fille aux Allumettes / Aki Kaurismäki / 1990

Dimanche 10 avril 2022

Le 24 mars, il animait la rencontre sur Mishima ; il est aujourd’hui attablé à un stand du salon du livre. J’avais surtout parlé avec l’invité, le 24 mars, que j’avais qualifié de philosophe sur l’affiche mais qui se considérait plutôt, c’est-à-dire avec certitude, professeur de philosophie.
Sur le stand, devant lui, le livre “Paysages avec tombes”. En haut de la couverture, son nom : Patrick Rödel. En-dessous, celui du photographe : Victor Cornec. Je n’avais pas acheté ce livre le jour où j’avais vu l’exposition : il était cher, en couverture rigide. J’avais alors un peu lu le texte, je l’avais trouvé magnifique. L’exposition m’avait plu, le travail m’avait touché. J’étais avec E, je crois. J’en avais parlé à mes parents : cela traitait des tombes des protestants. J’aurais aimé offrir ce livre à mon père.

Je lui dis tout cela, à lui, derrière le stand. Nous sommes heureux de cette coïncidence, heureuse elle aussi. Le livre en version couverture souple ne coûte que 20 euros. Encore plus heureux me voici. Page 5, il écrit : “Pour Arnaud et la chance des rencontres.

Et puis il y aura d’autres histoires. Il y aura une lecture par Sandrine Bonnaire, un film superbe. Ç’aura été un dimanche riche, amical. On aura ri, il faisait beau.

Flee ; Jonas Poher Rasmussen ; 2022

Vendredi 8 avril 2022

P m’avait envoyé un SMS avant la séance : il était derrière moi, je m’étais retourné. Entre nous, on m’avait alors souri, cheveux blonds, jeune, accompagné d’une jeune femme brune aux cheveux bouclés. On m’avait souri encore après le film et puis… on avait disparu, le temps que je parle avec P. Peut-être n’avais-je pas tout à fait souri, surpris.
En sortant du cinéma, je raconte à P les déboires avec la société pour laquelle il travaille. Il m’offre la même réponse que les autres. Ça lui parait normal. Réponse d’employé modèle qui m’énerve. On va pourtant boire un verre puisque c’est convenu, on parle d’autre chose, de cette passion commune, de son voyage ailleurs, de S avec qui il m’apprend avoir discuté autrefois, du film bien sûr : des paysages et pas grand chose de plus.

Jeudi 24 mars 2022

Un condamné à mort s’est échappé, ou Le vent souffle où il veut
Réalisé par Robert Bresson
France, 1956

Mercredi 2 février 2022

Je suis un imposteur.
Adolescent, j’étais un garçon éthéré qui ne savait que faire de sa propre vie. Adulte accompli, je ne le sais toujours pas. Je suis un dandy falot. Je m’en suis contenté longtemps. Jusqu’à ce mois de novembre qui vient de s’achever.
Chacun de nous porte au plus profond de soi une part cachée de vie, un petit secret misérable, une lâcheté, une traîtrise qu’il dépense une énergie et une imagination folles à étouffer, une pépite noire qui empoisonne son existence et risque de ruiner une carrière, une honora­bilité et une position sociale durement acquises au moyen de toutes sortes d’artifices.
Jusqu’à présent, je l’ignorais.
::: Richard Collasse ; La Trace

Le film à peine fini, comme à plusieurs reprises je l’avais déjà exprimé, parfois en appuyant sur trois touches du clavier pour garder trace de l’image – alors malheureusement fixe – et en glisser une ci-dessous, me voilà qui dis “Que c’est beau.” C’était Cris et Chuchotements, de Bergman, réalisateur à côté duquel je suis passé depuis 47 ans, par manque d’opportunité plus que par manque de curiosité : on ne peut pas crier au génie maintes fois à mon oreille sans que cela m’interpelle, n’est-ce-pas ?

Cris et chuchotements, Ingmar Bergman
Cris et chuchotements, Ingmar Bergman

Lundi 31 janvier 2022

Alors pour retrouver le cinéma abandonné depuis le 16 janvier, je choisis Juste la fin du monde. Et assez vite ça crie, puis ça gueule, et ça crie, et ça gueule. Au milieu, il fait silence, c’est beau, oui, assez beau. Mais enfin, autour ça gueule beaucoup, beaucoup trop. Et encore. Et encore.

Juste la fin du monde, Xavier Dolan
Juste la fin du monde, Xavier Dolan