Dimanche 11 janvier 2015

Nous sommes une communauté de désirs, non d’action.

Cette phrase d’Annie Ernaux, bien que sortie du contexte du livre – les supermarchés – tombe assez bien en ce jour où l’on se retrouve, discute, écrit quelques mots sincères et maladroits sur un livre de condoléances. Ce regroupement n’est qu’une petite action par rapport à ce que nous aimerions tous, désirons tous, a minima l’application simple du “Tu ne tueras point” (et surtout pas pour ça). Derrière ce désir se glissent pourtant mille-et-uns désaccords, qu’on évoque à la fin du déjeuner, qu’on se renvoie debout dans cette salle de classe…

Au onsen, on cherche ensuite la quiétude, et dans ce bain extérieur qui me convient, je souris autant des paroles entre le petit garçon et l’adulte (“C’est un onsen ? – Oui… un onsen, c’est un super sento“) que de la joie d’avoir compris ces deux phrases et demi (la troisième, qui commençait par l’idée que c’était près de sa maison, ayant été arrêtée dans sa compréhension par un flot soudain trop important de mots).

Et puis le film du soir : “Throw away your books“, de Shuji Terayama, folie babacoolo-punk de 1971 commençant par une scène magnifique. (→ Réfléchir plus tard à placer les mots désir et action)

 

Samedi 10 janvier 2015

En déposant mes articles sur le tapis, je pense avec un peu de malaise qu’elle va regarder ce que j’ai acheté. Chaque produit prend alors un sens très lourd, révèle mon mode de vie. Une bouteille de champagne, deux bouteilles de vin, du lait frais et de l’emmenthal bio, du pain de mie sans croûte, des yaourts Sveltesse, des croquettes pour chats stérilisés, de la confiture anglais au gingembre. A mon tour je suis observée, je suis objet.

Annie Ernaux ; Regarde les lumières mon amour

Devant le rideau baissé, des mots qu’on ne comprend pas ; un plan qu’éventuellement on cherche à déchiffrer ; la crainte que la fermeture soit définitive. dô iu imi desu ka ?, demandes-tu à un jeune homme passant par là… Oh, the baker is sick.

Le film du jour : L’épée Bijomaru.

Vendredi 9 janvier 2015

Place gratuite pour voir du nô parce que ça n’est pas complet = 20 minutes de musique (ok, très bien) + 20 minutes de questions-réponses (ok, j’exerce mon japonais mais comme d’hab je capte 3 mots, super) + 20 minutes de je-ne-sais-pas-trop-quoi (c’est à dire une dame qui nous fait une sorte de conférence sur la danse et vas-y, tout le monde doit gigoter en cadence, fou rire de votre serviteur resté sur sa chaise inclus) + 10 minutes d’entracte + 45 minutes de théâtre (avec heureusement fascination pour la partie jouée et chantée et pour ce gamin – de 12 ans à peine – faisant oublier la goutte au nez d’un des deux comédiens adultes dont je ne devrait pas totalement ma moquer car si je ne vais pas prochainement chez le coiffeur je vais finir par lui ressembler, sans la goutte au nez) + 5 minutes d’au revoir (oui oui sayônara).

Jeudi 8 janvier 2015

L’enfant rit en courant. Son père l’encourage, là-bas, mais le cerf-volant retombe. Sa jeunesse, j’espère, le protège encore des drames, et me fait oublier, un moment, les larmes, l’incroyable. Plus loin, d’autres voix joyeuses ; je cherche d’où elles viennent en quittant le sable humide du parc, et me retrouve sur un petit chemin de gravier, entre un cimetière et un stade de base-ball, tournant le dos à la mort et regardant la jeunesse courir encore.

Les souvenirs, comme parfois sur ces pages, reviennent. Cabu ou Wolinski, crayons de mon enfance ; Charlie, le journal lu pendant des années, dont les dessins agrémentaient encore chaque semaine mes courriels, Maurice et Patapon et leur idiotie nécessaire se frottant sur les réseaux sociaux… Bref. Ce regard personnel n’est rien à côté du drame et du symbole assassiné, et il n’est rien à côté des horreurs qui chaque jour, partout, depuis toujours et à jamais, noircissent les journaux ou étouffent sous le silence médiatique. Je suis Charlie et je suis tout le monde, ayant grandi avec un nom me rappelant chaque jour les fusillés et les dictatures, ayant grandi dans un environnement autant critique des religions et respectueux des croyants, et Kyoto, douce multitude de temples et de sanctuaires, est depuis 6 mois, je le reconnais, une terre de recueillement, loin du chaos du monde.

Loin du chaos, alors, faire connaissance avec J&A, dont les lumières de la “room #02” éclairent depuis quelques soirs la vue vers l’est.

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Mercredi 7 janvier 2015

Je me disais, avant de partir prendre le bus, que je n’avais pas pris de photo pour illustrer ce journal du 7 janvier. Qu’importe. Il y faudrait des dessins, et encore des dessins, recouverts d’un voile noir.

Dimanche 4 janvier 2015

En ses jours fériés, il ne m’était pas venu à l’idée de jeter un oeil à la boîte aux lettres. Hasard étonnant et heureux, une jolie coïncidence décupla le plaisir de découvrir ce que contenait l’enveloppe, à savoir “Regarde les lumières mon amour“, livre d’Annie Ernaux dont nous avions parlé la veille avec T et JB, livre d’Annie Ernaux que je regrettais d’avoir laisser en France sans l’avoir lu. Du côté des regrets, au milieu des conversations avec les invités – nouveaux voisins, nouveaux résidents… – je réalisai soudain, ne pas avoir passé assez de temps avec ceux qui, justement, étaient partis et en particulier T, dont j’aurais aimé partager plus souvent les traits d’humour et le savoir exquis. Mais voici les nouveaux, résidents, voisins ou amis, avec leur humour et leur savoir exquis.

+ Le film du jour : 5 femmes autour d’Utamaro.

 

Samedi 3 janvier 2015

Les pensées plantées avec attention (et hésitation) sur le bord du chemin se retrouvèrent, au petit matin, recouverte d’une couche épaisse de neige. Par crainte de les voir écrasées par nos voisins, je m’empressai de les découvrir et de déblayer le chemin alentour. C’était sans compter sur l’homme à l’air contrit regardant ailleurs, décapitant l’une d’elle, et surtout sur les blocs de neige tombant du toi, entraînant un inattendu effet comique. Puisque nous devions partir jusqu’au lendemain matin, j’abandonnai là mes pensées (fleurs ou idées fixes)… De l’autre côté de la ville, la fonte avait déjà fait perdre à la Villa ce photogénisme éphémère que j’espérais, et muni de mon “50”, trop étroit pour les lieux, je ne pus même pas profiter de la lumière pour quelques vues intérieures. Une fois l’appareil rangé, bêtement, irrémédiablement distrait, je ne pensai même pas à un cliché pour immortaliser l’événement du jour, à savoir l’arrivée des “nouveaux”, avec qui, ô surprise, surgit Harry Potter.

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Vendredi 2 janvier 2015

A peine réveillés, nous voilà partis pour voir le quartier, la vallée, autrement, blanchis. Plus tard, sur les bords de la rivière, des signes qui contredisent mon impression de la veille. Bonhommes de neige, igloos, enfants rieurs, ponctuent le paysage que l’on regarde avec parcimonie, l’œil plutôt rivé sur la route afin d’éviter les parties glissantes. Ces quelques jours fériés rompent un peu l’image d’un Japon obsessionnellement travailleur : les boutiques sont fermées, même les supérettes qui proposaient donc des réductions alléchantes sur leurs produits frais le soir du 31. Mais au dîner, nul produit frais pour ce dernier dîner avec Q&L ; en revanche une neige qui revient, tombant drue sur la ville sous une lumière de lune ronde, pour mieux, comme Humphrey Bogart, le flocon mater*.

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* Infinitif du verbe mater [syn. regarder] à ne pas confondre avec le mater latin, pour pouvoir entrevoir une contrepèterie.

Jeudi 1er janvier 2015

Les manifestations de spectres ou de monstres n’étaient somme toute que des émanations de ces ténèbres, et les femmes qui vivaient en leur sein, entourées de je ne sais combien de rideaux-écrans, de paravents, de cloisons mobiles, n’étaient-elles pas, elles-mêmes, de la famille des spectres ? Les ténèbres les enveloppaient dans dix, dans vingt épaisseurs d’ombre, elles s’insinuaient en elles par le moindre interstice de leur vêture, par le col, par les manches, par le bas de la robe.

Tanizaki Junichiro, L’Éloge de l’ombre.

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Juxtaposées, séparées de quelques heures, les deux images ci-dessus font commencer l’année sous le plus beau des ciels puis sous la plus belle des surprises météorologiques, une neige que les Kyotoïtes, disent-ils, n’ont pas l’habitude de voir mesurée en autant de centimètres. Le soir, après ce dîner improvisé avec Yoshiko puisque ses hôtes sont bloqués par les intempéries dans un hôtel dont on ne s’étonne même pas du nom clinquant, le parc est immaculé, seul un chemin est tracé d’un coin à l’autre. Quand les enfants jouent-ils donc, si ce ne sont pas les jours de neige ?

Kyoto, jardin d'enfants sous la neige

Mercredi 31 décembre 2014

2014, clap de fin. Une fin (évidemment ?) japonaise avec un Miss Oyu terrible et magnifique, des soba avec D&A, les préparatifs pré-minuit à Imamiya et l’ouverture de la nouvelle année et des portes à Kamigamo. Décrire en 2015 la foule qui patiente, l’orange des boiseries, le bruit des pièces de monnaie qui retombent et celui des mains qu’on frappe avant de faire le vœu, les moutons ici ou là, en bois, en paille, en terre cuite, le saké qu’on boit, avec du sel pour porter un peu plus bonheur, porter bonheur, porter bonheur, espérer, vouloir, attendre. Et prier pour qu’il ne pleuve pas.

Mardi 30 décembre 2014

Club Métro. Cette fois les visages sont joyeux, dansants, musique disco – et les souvenirs liés à Priscilla folle du désert défilent dans mon esprit – ou non identifiée. C’est un peu plus tard que le show que l’on est venu voir commence, que la folie s’emballe, que les rires éclatent, que les garçons en pull n’osent pas, que les genres s’étiolent, que les robes deviennent paillettes, que d’autres souvenirs surgissent (La Rochelle, Biarritz…) et que le cliché traditionaliste kyotoïte est balayé d’un coup de talon aiguille.

Lundi 29 décembre 2014

Dans le difficile apprentissage du japonais, je n’avais pour l’instant abordé les kanjis qu’avec prudence voire timidité voire crainte voire que sais-je encore, de mauvaises raisons sans doute. Les chiffres, le mot “viande” parce qu’il ressemble à deux cintres dans une boîte, quelques termes inévitables sur les panneaux et les adresses (montagne, rivière, nord…).
Au hasard d’une application ouverte pour passer le temps en révisant ce fichu vocabulaire qui ne veut pas s’imprégner dans mon esprit, je tentais ce lundi l’improbable : tester mes connaissances en idéogrammes. Ce petit test se transforma en jeu, l’apprentissage des caractères étant en réalité un puzzle, un jeu de piste, et ricochant d’un mot à l’autre, d’un kanji à l’autre, je découvris la richesse (et la complexité) de ce système d’écriture local, le tiroir se trouvant alors lié au verbe sortir, sans que jamais, en français, je n’aie prêté l’attention à cet air de famille (et pour cause, semble-t-il).

Samedi 27 décembre 2014

D’Omiya tu ne connaissais que ce je t’en avais brièvement dit et les façades de petits commerces rapidement aperçues en scooter. C’est chose réparée, te voilà semble-t-il tombé toi aussi sous son charme et en particulier sous celui des quincailleries, conjuguant l’attrait de leur légère désuétude et l’avantage certain qu’on y trouve tout ce dont on a besoin. Mais il fallut ensuite leur dire au revoir (aux résidents, pas aux quincailleries).

Vendredi 26 décembre 2014

Je crois que je n’étais pas retourné sur ce chemin emprunté le premier jour passé au Japon, en juillet 2011. Je crois que je me trompe en disant ça, nous en avions probablement longé une partie, même courte, un autre jour, pour aller déjeuner – prendre un café simplement ? – dans ce petit restaurant où cette fois, en ce 26 décembre 2014, il faisait une chaleur improbable. J’avais oublié le charme du chemin, l’imposante présence de l’aqueduc, les arrondis du ruisseau, nous entraînant, M et moi, vers le Ginkaku-ji. Sur le chemin de retour, tout autre, passant les grandes avenues et les vastes berges de la Kamo, l’étrange carcasse d’un bâtiment sans âge, l’horizon neigeux qui devint averse éphémère, et ces boutiques dont je lui fis partager les tentations avant de te retrouver et de rencontrer J et P pour mettre enfin un visage sur un nom, deux noms sur leur visage photographié treize jours plus tôt.

Jeudi 25 décembre 2014

Alors ce jour férié français ressembla à un dimanche en France : les puces*, un poulet rôti, une exposition**, un film blotti sous la couette***. Peut-être à un dimanche d’enfance, avec ce bain chaud avant l’heure du dîner.

* OK, OK, on n’allait pas aux puces en France
** de lunettes… oui oui…
*** Miwa : à la recherche du Lézard Noir

Mercredi 24 décembre 2014

Il m’est arrivé le soir, en regardant par la fenêtre d’un train, d’apercevoir à l’ombre des shôji d’une maison de paysan, une ampoule qui brillait solitaire sous un de ces minces abats-jours désuets, et de trouver cela d’un goût exquis.

Tanizaki Junichiro ; L’Éloge de l’ombre

Et puis évidemment la bûche, exclamations. Et puis évidemment offrir, recevoir, porter enfin.

Lundi 22 décembre 2014

Et voici qu’enfin, après avoir cherché encore et encore (et après avoir regardé avec envie les chaussures jaunes du corner Issey Miyake de Takashimaya mais là n’est pas le sujet), je trouvai un rayon de pulls à cols roulés en laine unis. Tandis que la vendeuse s’occupait d’une cliente, je jetai un oeil à la traduction d’hésitation, et lorsque libre elle se tourna vers moi, je pus justifier du temps passé à les déplier et les replier maladroitement. C’est lorsque je demandai si l’échange était possible parce que c’était un cadeau (notez un peu comme mon vocabulaire s’étoffe) que ça se compliqua, puisque, comme tout Japonais qui se respecte,elle allongea sa réponse puis la répétition de sa réponse lorsque je lui dis que je n’avais pas compris. Essayer le pull et comparer nos carrures fut alors finalement plus simple (malgré le crime de lèse-majesté que je commis en posant un pied chaussé sur la moquette de la cabine d’essayage).

Dimanche 22 décembre 2014

Et l’on continue les ciné-club-cake avec Les Musiciens de Gion de Mizoguchi, dont le titre reste en français une énigme totale. Incompréhensibles aussi certains passages, nous dit K, riant en imitant l’accent local.

Vendredi 19 décembre 2014

It looks like a peacock“, me dit D en descendant de son vélo, le sapin arnaché sur le porte-bagages, défiant les lois de la gravitation. Quelques minutes plus tard, “I look like a ninja“, me dit D en descendant de son vélo, du bambou dépassant de son sac à dos. Et le voilà sciant et cordant, avec toute la patience qu’il faut pour faire tenir l’arbre (venu tout droit de la montagne) sans autre artifice que du bambou et de la corde.

Et puis le soir, puisque au Japon, les occasions sont nombreuses de se réunir, on cherche à oublier les mauvais moments de l’année en mangeant (de la raie grillée, ce soir, par exemple, au milieu d’autres mets chauds) et buvant (du saké, du saké, et encore du saké, multipliant les petites quantités dans les petits verres). Mais quels mauvais moments de l’année pouvions-nous vouloir oublier ? A part les au-revoir, certes.

Jeudi 18 décembre 2014

Se lever avec la joie d’un enfant et regarder la neige. Tenter plus tard d’aller photographier les montagnes le temps d’une éclaircie, mais par définition ça n’a pas duré bien longtemps. Par bourrasque les flocons se collent à l’objectif, sur moi, humide puisque mal équipé – il faudra y songer. Mais la joie d’enfant est aussi là, au bout de la rue de la crèche, face aux montagnes blanchies.

Alors au dîner on évoquera la neige – brièvement, c’est presque fondu -, cette boutique – brièvement, attendons Noël -, Guimard – moins brièvement et avec le défi d’en parler en japonais un verre à la main. Qu’importe le flocon pourvu qu’on ait l’ivresse.

Mercredi 17 décembre 2014

C’est à partir de là je crois que j’ai “su” avoir été kidnappée par les soi-disant “médecins” de l’hôpital. Des heures durant, paraît-il je leur disais comment ils pouvaient avoir une rançon, en téléphonant à qui, en demandant une somme pas très élevée mais qui devait correspondre à ce que je valais sur le marché du crime.

Marguerite Duras ; La Vie matérielle

Prendre en photo toutes ces pages que j’aimerais relire, échanger cette Vie matérielle contre un Éloge de l’ombre et un énième livre d’apprentissage de cette langue, que petit à petit, patiemment (soupirs), j’apprivoise.

Mardi 16 décembre 2014

Ame ga futte mo, kimashita. J’ai préparé ma phrase, disant que je suis venu même s’il pleuvait. Mais malgré cela, j’ai regardé la pendule tourner, le travail à faire, la pluie tomber encore et suis parti plus tard, gardant en mémoire la formule pour une autre occasion météorologique, cherchant ce qui pourrait être offert quelques jours plus tard, regardant encore une fois ce pantalon, te retrouvant enfin pour un bain. Trop chaud peut-être, n’est-ce-pas ?