“Savez-vous pourquoi rien n’avance ?” te demande l’étudiante. Elle ne boit rien, pourtant c’est un bar ; j’ai chuchoté au serveur un nom à bulles. Au Champo on file ensuite : Chris Marker est à l’affiche pour “Lettre de Sibérie“, soixante-deux minutes d’un documentaire qui – évidemment – n’en est pas tout à fait un.
Samedi 26 – dimanche 27 octobre 2013
Vendredi 25 octobre
Les petites, rieuses, sont sur le canapé ; je ne les y attendais pas. Arrivent ensuite une autre génération, qui ne reconnait pas tout, qui ne voit pas tout, mais qui, soudain, reprend en main le cours des choses. Les voici toutes trois devant la webcam, gardant un souvenir de ce canapé peut-être pas assez éclairé.
Jeudi 24 octobre
Mercredi 23 octobre
Il fait (encore) (presque) nuit quand je pars (travailler), (vague) impression d’une nuit inachevée. J’entame un (petit) carnet (gris), pourtant ce n’est pas le début d’un mois, d’un an, d’une période, ce n’est qu’un retour après une parenthèse de quinze jours. Mais la parenthèse va rester entrouverte.
Lundi 21, mardi 22 octobre
Me voici durant deux jours, à l’EHESS, au séminaire organisé par Le Bal : “La persistance des images“. Deux jours merveilleux, entre le sentiment de continuer la route entamée au printemps, après ce virage dont je disais en juillet que c’était le début de quelque chose. Le quelque chose continue de se dessiner, et les références citées durant deux jours (Barthes, Mauss, Foucault…) rejoignent les noms que l’on partage parfois toi et moi (Henrot, Des Pallières, Judd…).
Le thème s’avère être beaucoup plus vaste que ce que j’imaginais, et voici que Tanguy Viel croise un psychanalyste, qu’un critique d’art se met à philosopher, que les images en mouvement de l’Amérique d’hier se confrontent aux photographies enfouies du Sahara occidental. Douze interventions, autant de sujets dans le sujet et des dizaines de pages noircies en espérant ne rien oublier et en supposant pouvoir, ensuite, relire et retenir. Comprendre aussi, peut-être. Ces persistances des images ont une autre particularité, celle de m’ouvrir les yeux et l’esprit sur mes deux projets en cours, cette exposition qui viendra en janvier et ce livre qui peut-être, un jour, aboutira. Ces deux objets offrent aux mots et aux images la possibilité de se croiser et de persister, ils interrogent les souvenirs, le souhait de ne pas (trop) oublier, les visages enfouis, que sais-je encore… Bref. En relisant mes notes j’ai comme une envie de retranscrire ici, dans ce journal qui offre aux images un peu de persistance, quelques phrases, tronquées, incomplètes, mal notées, décontextualisées, comme celle-ci, prononcée au tout début des deux jours : “Ce que nous réclamons de l’art, c’est de fixer ce qui est flottant.” Mais voici que j’abandonne l’idée et qu’il m’en vient une autre, rédiger un long et précis compte-rendu, faire partager ces heures. Mais le temps file, saurez-vous patienter ?
Et le mardi, c’est charcuterie !
Du 10 au 20 octobre : Japon
Mercredi 9 octobre
Mardi 8 octobre
J’ai hâte et en même temps je n’y crois presque pas… Japon, nous revoilà !
Lundi 7 octobre
Et puis rentrer tard. De toute façon tu ne m’attends pas, tu es ailleurs. Mais pas autant que dans votre film.
Dimanche 6 octobre
C’est la sortie de la messe, la petite fille a les souliers vernis dans la fromagerie. Je chantonne encore Till there was you ; je me demande si ce n’était pas ma chanson préférée des Beatles quand j’avais 18 ans, je pense que non, qu’importe. Et puis on croise S et sa petite fille recroquevillée dans son sommeil, on a encore en bouche, non pas un air, mais le goût fin du comté 24 mois ; la petite n’en a que 2.
Samedi 5 octobre
Tes mots et ceux de M. Scènes, actions, sens, impression, passion, dépassion, dépassement. J’aime ce que je lis, ce que j’imagine, ce qu’on pourra entendre, voir. Mais je ne dois pas me laisser emporter, je dois rester concentré, guetter les fautes, les anicroches et autres coquilles circonflexes. Puis, d’une galerie à une autre, de la boutique de Nicolas qu’on ne verra plus (la boutique) au bar au bout du Perche, on Nuit blanchit à peine, juste pour un peu de poésie sans rime.
Vendredi 4 octobre
Alors, enfin, je me relis.
Jeudi 3 octobre
Certaines œuvres de Leopoldo Novoa sont sous verre. On tend la main pour pouvoir les toucher, savoir si c’est du papier, du béton, quoi… Mais on ne touche pas non plus les autres, celles accrochées sans protection, sans crainte. C’est un peu frustrant, l’art, non ?
Mercredi 2 octobre
Ça a 17 ans et c’est hilare dans le métro clairsemé — il faut dire qu’à cette heure… Suis resté tard, puisque tu n’es pas là. Mais quelques tâches m’attendent, une affiche pour la Septième de Beethoven par exemple. D’autres s’imposent, l’écriture d’un billet et les premières bases d’un article sur le Lincrusta. Le Lincruquoi ?
Il est donc tard, comme dopé par quelques médications faites pour contrer, lorsqu’à haute voix — une voix haute mais prise, voilée, presque dramatique dirais-je avec un sourire —, j’entreprends la lecture de quelques pages : un passage splendide, cet amour pour Gilberte, cet amour qui n’ose pas se dire, pas dire son nom et celui, différent, plus fort peut-être, amour admiration, amour fascination, pour le père.
Mardi 1er octobre 2013
12h22 : nous sommes légèrement en retard, parce M lui-même l’a été, et l’on ne voulait pas partir comme ça, trop vite fait. À la MaBA, Giulia nous parle du travail de l’artiste, mais finalement on pourrait transposer les mots à beaucoup d’autres œuvres, d’autres artistes : la place du spectateur, le travail du spectateur même (qui me rappelle la question du travail du consommateur abordée par M.A. Dujarier et d’autres, mais bref…), le spectateur qui, face à la pièce, au tableau, à l’installation, doit questionner, se questionner soi-même, trouver un sens, un lien, une appropriation. Dans la dernière salle, le cintre est devenu oiseau, décolleté, symbole d’un ordre machiste : la sémiologie aussi est un sport de combat.
Ce n’est peut-être pas anodin que mon rhume (appelons ça un rhume) m’ait poussé en fin de journée à la maison plutôt qu’à la projection du film sur Ralf König. Peut-être que mon corps refuse de garder contact avec cette ancienne vie. Mais sûrement que c’est un tort, parce que le travail du dessinateur a toujours été politique, parce qu’on m’a demandé d’écrire sur lui, parce que justement je n’ai pas encore décidé clairement de fermer le site qu’autrefois j’animais.
Lundi 30 septembre 2013
Il faudrait que je révise mon petit Art nouveau illustré, car quand V me demanda de parler, là, sur ce boulevard de la République tellement typique, je bafouillai. Toi tu étais parti au Moulin, et le soir même je me dis qu’il était peut-être temps d’illustrer à nouveau, de mes propres mots, ce style 1900.
Dimanche 29 septembre 2013
JLM l’heureux venu, au musée tous ces nus, pas beaucoup de velu, de beaux cous, des voeux lus, que veux-tu, qu’y voit-on ; déception ?
Dimanche 22 septembre 2013
Après que le poulet du dimanche a présenté une nouvelle tête féminine et que l’Art nouveau a déplié quelques pages, voici que la chevelure blonde de Dorothy Malone flotte dans les airs et caresse les espoirs de Rock Hudson et la joue de Robert Stack dans le Tarnished Angels de Douglas Sirk.
Samedi 28 septembre 2013
Avec “Swandown” on parcourut un bout d’Angleterre à pédalo, chez Gibert on retrouva Marcel Proust d’occasion, la galerie Loevenbruck exp(l)osait Alain Declercq et “Chronique d’un été” nous plongea en 1960. La jeune femme entra, noir et blanc impeccable, tu me demandas ce qu’on voyait. Les Halles, majestueuses.
Vendredi 27 septembre 2013
Pas autant fébrile que je l’imaginais, plutôt calme même, dirais-je, j’ouvre l’enveloppe, parcours les notes, ne sais pas vraiment sur quel nombre ou quelle ligne m’arrêter. En bas c’est… assez conséquent. Consécration ? Qu’on s’écarte, faut que je téléphone ! Quelles conséquences ? Le soir on se retrouve, tous, presque tous, lieu inédit. Quand c’est vous que je retrouve, toi et M, elle dit que je n’ai jamais été aussi souriant. Ah ?
Jeudi 26 septembre 2013
On n’est pas là pour comparer. Mais il y a toujours quelqu’un qui se détache. Au moins une personne. Deux ou trois peut-être. Ne serait-ce parce qu’on a les mêmes (tranche d’âge, milieu artistique, etc.). Avec P, sans rien dire on s’est un peu tourné autour je crois au début. Peut-être qu’elle me contredira. Est-ce que cela elle le lira ? Bref, ce jeudi on a dîné chez P, elle nous avait invités, elle avait soigneusement sélectionnés les autres convives, je n’avais pas trouvé de caviste en repartant du chien qui fume où J avait tenu absolument à prendre une petite assiette de fromages – après l’expo il lui fallait bien ça ? Finalement j’ai peu parlé au dîner, je crois : les bulles du début, l’envie d’écouter. Et puis on ne parle pas la bouche pleine, n’est-ce pas ?
Mardi 24 septembre 2013
Et puis il a suffi d’un compte linkedIn trouvé par le hasard relatif des réseaux sociaux et d’un mail dans lequel je demandais si ça allait mieux depuis le dernier (novembre). À la terrasse d’un café au métro Jussieu on s’est amusé de nos relations communes, de nos emplois communiquant et soudain du Japon. Dans ses yeux, le onsen de Kurama sous la neige. Dans les miens, l’imaginé : Onomitchi sous la lumière d’automne. Du Japon j’avais justement parlé peu avant, pour cette exposition qui verra le jour en 2014. Sur le grand mur j’imagine déjà quelque chose de nouveau, des mots – les miens. Mais les mots les meilleurs en ce 24 septembre furent ceux en provenance du Celsa. Noir sur blanc. Diplômé.
Mercredi 25 septembre 2013
(En dire plus, pourquoi pas, parler de la diction, parler de la voix, parler du montage, du film entier, tout entier, de la poésie, des mots que je manque parce que pfiuttt je pense à autre chose, de l’horreur ressentie en réalisant que pfiuttt j’ai pensé à autre chose, comparer avec le deuxième film, préférer les objets moins scénarisés, malgré le cimetière et Mireille Perrier, Mireille ailleurs peut-être, persévérer et donc écrire ça : “Édith Scob, évidemment”)
Lundi 23 septembre 2013
Sous les conseils du poulet du dimanche, Michael Kohlhass. Avec deux haches.
Samedi 21 septembre 2013
Il faut vraiment supporter ça ? Toi tu quittes la salle tandis qu’ils s’engueulent comme deux crétins buttés ; moi je reste malgré l’insupportable, déçu par ce qu’a fait la réalisatrice de ses images du 6 mai, exaspéré par un peu tout, mais donc surtout déçu par cette plongée dans les foules politisées, pro-Sarkozy ou entassées rue de Solferino. Il ne me restera de La Bataille de Solferino que cette image, cet entassement, cette foule qui, à l’annonce du résultat, devient une vague, une exaltation, une exultation.
Je te retrouve à la terrasse, en compagnie amicale : hasard. Ils me demandent si j’ai aimé et puis on passe à autre chose, ce moment du matin pour le prix des jardins fleuris par exemple, cette ambiance loin de ce café Beaubourg ou même d’une foule rue de Solferino. Et puis on passe ailleurs, notre cantine, ce Bûcheron. Mezzelune.
Vendredi 20 septembre 2013
… Par exemple, est-ce que tu t’es jamais demandé si papa c’était une usine ou un paysage ? Et maman, c’est un paysage ou une usine ?
Cinémathèque. Godard. Numéro Deux.
Parfois, tu m’emmènes au cinéma : tu me prends par la main et tu m’entraînes sur les chemins escarpés du septième art, là où il faut prendre le risque d’aller pour voir un autre horizon, une autre Histoire, celle que je n’ai pas vue dans les encyclopédies, là où tu sais sûrement que ma curiosité et ma faim seront satisfaites malgré le heurt, le tunnel, les limites incroyables de ces espaces qu’ils ont dynamités, les questions. Godard, pour moi – mais je n’étais pas dupe, je me rappelais Film, Socialisme – c’était surtout trois films avec Anna Karina. Vous voyez quoi… Godard c’était fou, drôle, à part, peut-être génial. Avec Numéro deux, Godard c’est devenu des questions, du je-ne-sais-pas, la quête d’un sens, des peut-être et puis tu me demandes si après/grâce à la sémio je peux tirer quelque chose de ça, oui sûrement, mais non, je n’y arrive pas, juste que c’est un film mais que c’est autre chose, un combat, une baffe, une volonté. “Encore film politique alors ?“, dit-elle.
(Et avant il y avait eu un entretien avec Claude-Jean Philippe sorti des tiroirs, un truc improbable là aussi, bref…)
Jeudi 19 septembre 2013
Dans les mains, masquant éventuellement la couverture d’une carte postale, parce que sur la couverture est écrit “Comment manipuler l’opinion en démocratie“, un livre écrit en 1928, Propaganda d’Edward Bernays, neveu de Freud et père fondateur des relations publiques (que l’on écrit dorénavant relations publics mais ça ne change pas grand chose) : une autre plongée dans la comm, pour continuer à aller de l’intuitif à autre chose, à supposer que j’aie jamais cru en mes intuitions. Mais sur le chemin du retour, je reprends Marcel. Swann a un peu abandonné Odette pour retrouver les mondanités, et me voilà entraîné dans quelques pages d’une majesté sans égal, entre beauté des phrases et fines railleries. Autour ils peuvent bien grouiller, papoter ou m’annoncer les stations, le rythme syllabique m’entraîne d’un monocle à l’autre. Je ne referme l’ouvrage que pour faire connaissance avec Marie L ; elle accompagne Cécile puis on s’accompagne tous au Crédac, une fois n’est pas coutume. Nul monocle ne nous attend, juste quelques mondanités sans railleries.
Mercredi 18 septembre 2013
Surnom Saucisse, elle parle de l’entretien du lendemain, suite logique de nos quatre mois en commun où l’on fit connaissance ; je commande une deuxième blanche, l’heure a défilé sans m’alerter, c’est quand tu m’appelleras que le temps signalera sa présence.
Mardi 17 septembre 2013
“C’est moi, c’est moi Lola” : devant moi, dans la petite fenêtre, Romain Duris imite Anouk Aymée. Tu me demandes ce que c’est, je réponds 17 fois Cécile Cassard, tu réponds “Tiens et si on regardait ça ce soir ?”, je réponds oui. C’est justement comme une réponse à la page 284 annotée ce matin… une sorte de douceur surabondante et de densité mystérieuse.
Lundi 16 septembre 2013
À la radio, on parle de ce parti dont je n’ai même pas envie de parler. C’est pourtant l’heure du café, une heure où je navigue un peu entre sommeil, réflexions météorologiques, hésitations pour une éventuelle cravate, regards intempestifs sur les différentes sources donnant l’heure. Il me vient alors à l’esprit ce texte survolé au printemps, et lu avec attention récemment.
“En combinant ces mesures, on peut conclure qu’une minorité convaincue de sa domination future et, par suite, disposée à s’exprimer, verra son opinion devenir dominante, si elle est confrontée à une majorité doutant que ses vues prévalent encore dans le futur, et donc moins disposée à les défendre en public. L’opinion de cette minorité devient une opinion qu’on ne peut désormais contredire sans courir le risque de quelque sanction. Elle passe ainsi du statut de simple opinion d’une faction à celui d’opinion publique.“
Élisabeth Noëlle-Neumann – LA SPIRALE DU SILENCE (1989)