Vendredi 4 novembre 2022
C’est infini. Toujours j’y reviens, aux images d’autrefois. Toujours il faut les regarder, voir comment elles évoluent, ce qu’elles disent encore aujourd’hui. Jusque tard, je creuse, je puise, soudain ici les corps se dévoilent, ce sont des paysages, celui de S était comme des dunes devant le mur mauve.
Jeudi 3 novembre 2022
Il y a dans tes paroles le goût du sang, né d’une piqûre sous la peau.
Mercredi 2 novembre 2022
Mardi 1er novembre 2022
Les noms des films du jour pourraient être là où nous sommes, pays imaginaire d’abord, puisque malgré les apparences il se pourrait que nous ne soyons nulle part, c’est-à-dire même pas au début de ce qu’on pourrait attendre, du moins de ce que moi j’attends. Est-ce que j’attends quelque chose, impatient ? Est-ce que j’attends de voir, curieux ?
Puis près, close, puisque j’y vois l’adjectif anglais sans y chercher quel féminin pourrait être fermé, comme une fleur. Près, oui, ainsi, l’un de l’autre. Mais comment osé-je, dans tout le drame que narrent ces films, drame du réel, drame d’une fiction, ramener cela à moi ? La perche tendue par les mots est un piège ; ma solitude, mon écriture la saisissent.
Lundi 31 octobre 2022
Dimanche 30 octobre 2022
Samedi 29 octobre 2022
Alors tu comprends, peut-être que tu l’espères, qu’ici je parlerai de toi.
Vendredi 28 octobre 2022
Soudain tu m’appelles. C’est l’heure du déjeuner, j’hésite à répondre, mais je réponds, je m’apprête à te dire que non, je ne suis pas chez moi. Mais finalement tu as juste besoin que je sois là où il faut, sans souci de la localisation : me voilà donc là pour toi, où je peux être, ami, confident, traducteur aussi puisque l’inconnu et l’inquiétude – si ce n’est une peur farouche – sont là et que cette langue française dans laquelle tu arrives parfois à vivre n’est plus utile, étouffée sous la situation. Je cherche à te rassurer, avec cette langue anglaise dans laquelle il faut vivre avec toi, ou sans toi puisque c’était un rêve, cette langue qui parfois m’épuise, faute de mots, faute de souplesse. Je te rassure mais te pousse ; tu iras.
Jeudi 27 novembre 2022
Mercredi 26 octobre 2022
Mardi 25 octobre 2022
Il y a des visages graves, beaucoup, comment pourrait-il en être autrement, des dizaines, beaucoup d’hommes je crois, d’anciens collègues de J peut-être et puis tout de même quelques sourires de retrouvailles ici ou là, malgré tout. Il y a des vêtements sombres surtout. Je porte des baskets hautes blanches, un jean, certes foncé, mais un jean tout de même, style décontracté contrebalancé par un gilet noir par-dessus un pull aux couleurs d’automne, un foulard ; je n’avais pas prévu d’être là en préparant ma valise.
Mes souvenirs de J se sont évaporés, sauf sa bonne humeur. Il était de ces cousins qui croisent nos vies de temps en temps – son fils que ma mère a gardé, le foot il me semble. La dernière que fois que je l’avais vu, c’était devant chez lui, je crois, il y a quoi, quinze ans peut-être.
Nous sommes debout, au milieu de ce qu’autrefois on appelait la partie moderne du cimetière. J’étais alors enfant, adolescent. Les morts sont nombreux aujourd’hui à y reposer. Onze mois après les obsèques de mon père, j’observe tout cela avec un autre regard, je peux même m’étonner d’être là, debout, il fait un peu froid, on craint un peu la pluie. Il y a des discours et des chansons bien sûr. C’est quoi, les chansons, là, à ce moment, ça dit quoi d’un homme que je ne connaissais presque pas, juste à la surface des souvenirs d’enfance ? Ça dit quoi de sa mort, une chanson forcément triste, un poème ; ça dit quoi de sa vie, une vieille chanson qui restera dans un coin de la tête tout le reste de la journée ?
Lundi 24 octobre 2022
Le jeudi était le jour des pieds. La mère ne pouvait pas se pencher. Mo faisait les soins avant le coucher. Il usait de linges blancs et souples, l’un pour essuyer les pieds, l’autre dont il ceignait sa taille. Il ne voulait pas mouiller son pantalon ou le salir.
::: Marie-Hélène Lafon ; Mo
Dimanche 23 octobre 2022
Plus loin, la mer a surgi d’entre les arbres courbés par le vent. J’ai ralenti l’allure devant une pancarte indiquant la première plage venue : l’icône d’un parasol suivi d’un cornet de glace. Sans réfléchir en vérité, j’ai pris d’office la sortie d’autoroute pour gagner la voie de raccordement, une zone de travaux, ou supposée telle, car plus rien n’était indiqué, cette fois. Ni panneau routier, ni balise de chantier, seulement un avertissement : Attention, sortie de camions. En italien. Mais je ne parle pas l’italien, ou si peu. De là, bifurquant vers la droite, nous avons roulé sur un chemin de terre battue, bordé par une végétation luxuriante. Sans que cela inquiète Luisa, qui, cependant, m’a demandé ce qu’on faisait sur cette piste.
::: Yves Ravey; Taormine
Il y en a par dizaines, partout, comme un paysage inédit dans ces bois tant arpentés, tant et tant de couleurs, ça va du blanc au brun sombre, les jaunes c’est toute la palette, les rouges les plus vifs sont tachetés de blanc. Je cherche ceux, facilement reconnaissables, qui sont comestibles. La lumière est belle, mais presque elle m’éblouit dans l’exercice difficile d’y voir clairement pour ne pas en louper, des cèpes. Je suis seul, là, je pense à mon père, toujours en descendant dans les bois chercher des champignons je penserai à mon père, à ce mélange de fierté et de joie qu’il avait en m’appelant “Eh viens voir” dès qu’il en trouvait qui, dirais-je, avaient de la gueule parce qu’ils étaient plusieurs, parce qu’ils étaient intacts, parce qu’ils se cachaient un peu. Maman dit que le vrai plaisir c’est de les trouver. Il l’avait, ce plaisir, tout comme je l’ai aussi, bien que j’aime descendre dans les bois en toute saison ; c’est ma respiration, parfois brève, le temps d’un “ça me suffit”.
Samedi 22 octobre 2022
Je suis sur le canapé dont je n’ai jamais décrit les motifs art déco du tissu des assises, je lis à voix haute, c’est fort et c’est aussi un moyen d’épouser les mots parce que je sens que, faute de concentration, je n’ai pas entièrement pris la mesure de cet ouvrage. Je ne veux pas arrêter de lire, il me reste les deux derniers chapitres mais l’heure avance ; on m’attend. La fin du livre d’Anne Maurel, ce livre qui parle de son grand-père et donc qui me touche, m’intéresse, m’influencerait peut-être, la fin atteint même l’Amérique du Sud, coïncidence qui me trouble.
C’est encore un de ces samedis qui s’allongerait facilement sur le papier tant il est gorgé de livres, de souvenirs, d’émotions, de visages.
Ainsi, cette jeune femme, devant la table “Annie Ernaux” de la librairie, à laquelle je me mets à parler parce que H m’y a invité sans savoir qu’Ernaux c’était pour moi tout un monde, un monde dont je ne connais peut-être que la moitié des livres – c’est déjà pas mal, direz-vous – mais un monde qui m’a tellement influencé, notamment dans la présence des images dans La Honte ou L’Usage de la photo. “Ça a dû vous faire quelque chose le Nobel”, me demande la jeune femme. Oui. Je m’étends un peu, pas trop, je dis que c’était un peu un cadeau qu’on m’avait fait.
Vendredi 21 octobre 2022
Mais qu’est-ce que tu me laisses dire ? Est-ce que j’ai une place au milieu de tes mots ?
Jeudi 20 octobre 2022
Je m’arrête, je souffle. Elle dit “Bravo !” J’ai appliqué, à la lettre ou quelque chose comme ça, ses instructions. Elles correspondaient, il faut le dire, avec ma façon de vouloir lire le texte et un peu plus que le lire pour dépasser le respect des points et des virgules, le faire vivre un peu, le déplacer un peu vers moi : une voix plate comme pourrait l’être celle du narrateur, puis parfois accélérer en une fin de phrase quand apparait un semblant subtile de style indirect libre.
Je crois que j’ai ici, au milieu et avec les autres, le plaisir du bon élève, peut-être comme autrefois, écolier qui a pour récompense les félicitations. J’essaye de creuser en moi pour savoir si c’est un “peut-être” que je dois écrire dans la phrase qui précède ; je n’ai pas toujours eu du plaisir à être bon élève, on reçoit reçoit des coups, des coups d’œil en coin ou des airs agacés.
Je n’ai plus, comme autrefois, la peur de parler devant les autres ; une pointe de trac seulement, ainsi je tremble un peu : la main droite. C’est une exaltation je crois, je suis là pour être, sans doute, et pour exprimer. Un autre que moi – le seul homme à part moi – est là aussi pour être, un peu plus bruyamment. Il se pourrait qu’il me procure des airs agacés.
J’essaye de creuser ce que veut dire, au fond, ce que je viens d’écrire, pour me rappeler comment c’était, autrefois. Et puis d’où vient le plaisir, au-delà de celui que provoque le fait de lire à voix haute, parce c’est un truc qui sort de soi, un machin inexplicable, comme un chant mais sans fausse note, c’est puissant. Mais au-delà ? Pourquoi suis-je ici ?
Mardi 18 octobre 2022
Et puis ça s’éternise alors on se retrouve, là, toi et moi, à attendre un tram. En face de nous un arrêt vide dans ce quartier qui me semble toujours un peu inexistant, comme un entre deux – en l’occurrence entre ma maison et mon travail. Soudain je fais une image, laide, faite sans vouloir interrompre ce que l’on se dit tandis que nous parlons de tout, de rien, surtout de rien puisque je devrais ne parler que de tes yeux et comme dans le tram tu portes un masque, les voici encore, peut-être même plus, soulignés ainsi. Tu auras, ensuite, une correspondance ; nous en aurons une, aussi, peut-être, veux-tu que je t’écrive ?
Lundi 17 octobre 2022
Alors se faire tester, pour savoir, mais savoir quoi, sinon confirmer ton impatience ?
Dimanche 16 octobre 2016
On gardera les habitudes du dimanche, le marché au matin, à la différence qu’il y a là comme un fond d’incertitude, moins étrange, moins fatiguant aussi, que assommante fébrilité d’hier mais l’on s’interroge ; c’est quoi ça ? Alors l’après-midi c’est une foule autour de ma solitude sur ces fichus bords de Garonne ensoleillés, toujours le même horizon longeant la même courbure lunaire du fleuve jusqu’aux hangars puis demi-tour, peut-être les mêmes gens, le même gars qui fait du roller toujours au même endroit, ah non tout de même il y a ce jeune photographe qui s’approche de ceux qu’il prend en photo, mais il marche trop vite, il s’éloigne, dommage, j’aurais aimé lui parler. Ah non, il y a Barbra S aussi, là, qui passe dans l’air.
Samedi 15 octobre 2022
Vendredi 14 octobre 2022
Au départ elle me dit tu. Par habitude, évidemment. Je n’ai pas encore rempli la fiche où je noterai mon âge, où je confirmerai mon consentement.
Il prend le relais et me dit de le suivre. Il est très percé, très tatoué, il me vouvoie aussi. Je ne sais pas ce qui me gêne, pourquoi ça me gêne. Je n’aime pas qu’on me tutoie dans les commerces, d’habitude. A mon âge, quoi qu’il en soit, c’est rarissime.
Il me parle du protocole, me demande pour la taille de l’anneau ; il porte une attention particulière à ce qu’il soit positionné symétriquement avec celui de gauche. Il mesure, fait une marque au feutre bleu, me demande de regarder. Je me relève, vais devant le grand miroir : c’est parfait. Je souris. On peut y aller.
La dernière fois que que je me suis fait percer le corps, c’était en 2003, en janvier. L’oreille droite, en haut. La fois précédente, je dirais au printemps 1996, j’étais étudiant à Poitiers, j’y étais allé avec V probablement : l’oreille gauche, le lobe.
N’avoir qu’un seul lobe percé commençait à me paraître incongru, déséquilibré, depuis quelques semaines. Pourquoi ? Je ne sais pas si c’est la dissymétrie de mon visage accentuée et déplaisante depuis ma dissection carotidienne – cet œil droit plus fermé que le gauche depuis mars 2019 – qui a fait naître cela petit à petit : me fallait-il, à un moment ou à un autre, faire diversion ? Non, je crois que c’est né cet été lorsque j’ai pris conscience que je perdais mes cheveux, là, dessus, et qu’il en était fini des coiffures incongrues, les cheveux dressés en une forme de vague, une crête-vague, un mouvement qui amusait parfois les collègues. J’avais envie de décider moi-même d’un changement d’aspect qui éventuellement irait de paire avec mes cheveux courts et avec cette moustache qui va et vient depuis des années – 2008, je crois – et qui actuellement s’impose.
C’est aussi dû, le souvenir est net, à A qui portait de magnifiques pendants d’oreille rouge lors de la soirée Lips and Love, et à JS dont j’admire, depuis que je l’ai rencontré – le lendemain de la Lips and Love -, la joliesse de ces bijoux et l’audacieuse facilité avec laquelle il les laisse scintillo-onduler au bord de son visage.
Alors j’avais pris rendez-vous pour 14h, délice d’agenda avec un vendredi après-midi non travaillé.
Et me voilà, là, 48 ans, me regardant dans la glace une fois l’anneau posé, heureux. Mais ne disant pas au perceur qu’il peut me tutoyer malgré ma perte de cheveux, ma moustache de quadra et ma veste de costume.
Jeudi 13 octobre 2022
Tu viens quand il ne faut pas car la lumière n’est pas là, et puis rien ne va, ni les cadrages, ni l’arrière-plan, ni les minutes précédant ton arrivée où j’avais vu l’absence de mon nom. Dehors il pleut et j’ai peu de temps pour toi, pour nous. Mais nous descendons, dans l’escalier tu me demandes si je sors avec quelqu’un. Tu t’étonnes de mon Non, tu fais référence à G, je crois. Je grommelle quelque chose ; en anglais je n’ai pas la force d’en dire plus.
Dans l’obscurité de la cave tout va mieux : la lumière qu’il me faut pourtant dompter, la liberté dans les cadrages, l’arrière-plan, l’équilibre entre ce que tu veux pour tes objets et ce que je peux pour toi.
Puis, dans le peu de minutes qu’on a autour d’un verre de vin, tu me parles des garçons que tu as rencontrés ici. Je te laisse dire. Je ne sais pas quoi répondre puisque je suis pressé, je n’ai pas le courage de commenter beaucoup, pas la force d’en dire plus là non plus, l’anglais m’épuise parfois. Mais c’était pathétique ; j’ai envie d’en sourire.
Mercredi 12 octobre 2022
Il n’est pas 18h13, il est un peu plus tard ; nous nous retrouvons. “J’ai du temps et un livre“, m’as-tu répondu quand je t’ai prévenu.
Je donne toujours mes rendez-vous ici, il y a toujours de la place et nous choisissons une terrasse où le service sera efficace. Tu as du temps, mais pas tant, tu files au théâtre, c’est à 20h. Je me dis qu’ainsi je pourrai voir C, il joue à l’Arlésienne depuis qu’il est arrivé, et ce soir au basket ; demain il repart.
C’est la photographie qui a été le lien entre toi et moi, il y a des mois, et nous voilà enfin. Entre la photo et le théâtre il y a le cinéma dans ce que nous racontons, ainsi ce film que j’irai voir demain, ceux qui t’ont vu grandir, ainsi ce Breillat, souvenir de février 2004 pour moi. Olivier Steiner aussi, intervient dans nos paroles. C’est un monde là sans être là, “mon ancienne vie” je dis souvent en souriant. Samedi j’irai au théâtre, peut-être t’y verrai-je dans la foule impatiente et sur mon agenda j’ai griffonné des dates.
Mardi 11 octobre 2022
– Demain tu es disponible à partir de quelle heure ?
– 18h13.
– C’est précis.
– Pas plus que 18h15.
– C’est vrai. C’est même tellement juste que c’est troublant de poésie.
Lundi 10 octobre 2022
Tu m’envoies 3min26 de piano, il est 8h58. Une improvisation, écris-tu, tu attendais V, c’était samedi. Je ne peux alors que me rappeler un samedi matin d’avril 2004, F jouant au piano, les notes arrivant jusqu’à moi, me réveillant peut-être. Il est difficile de ne pas aimer, alors.
On voit tes mains, parfois ton visage intervient, il se penche dans le cadre. Le mouvement des mains est beau, n’est-il pas toujours beau ?
V, tu l’attends. Pas seulement les samedis matins quand il vient jouer. Quand tu le dis, son prénom t’éclaire ; en un mouvement de tête tu souris.
Dimanche 9 octobre 2022
Alors tu ris, gêné.
Samedi 8 octobre 2022
De là-haut on regarde les lumières de la ville, avant de dire, attablés, ce qui ne se dit pas et que je rêve d’écrire. Il y a ici, là, et là-bas dans le couloir, des photographies que j’ai faite. J’en parlais hier, elles rejoignent sur tes murs des tableaux magnifiques, des dessins peut-être – trop souvent je virevolte -, une palette de gris. L’exception est cet homme beau comme jamais ; on l’a connu ailleurs, joliment figé en petit format sur la page d’un livre et dans un texte qui le dit. Ici il est immense, avec lui tu t’endors.
Vendredi 7 octobre 2022
Elle dit “Ah ! Les photos japonaises“. Je dis que je suis très heureux de la rencontrer tandis que nous nous serrons la main. Elle répond qu’elle aussi : les photos ! Elle ne se rend peut-être pas compte à quel point je suis heureux qu’elle les aime, mais elle ne sait pas non plus combien j’aime que S les aime. Il y a des gens, comme ça, autour de moi, des gens que j’aime, des amis, et qui aiment mes images, alors ils vivent avec, elles sont là, chez eux. Et en plus ils les montrent. C’est quelque chose, hein.
Et puis elle sourit, elle ajoute qu’elle dirait bien quelque chose au sujet des bretelles, et donc elle le dit sans le dire. Toujours ça fait mouche, les bretelles. S rit, il dit qu’on a envie de tirer dessus, il le fait. Elle n’oserait pas. Nous rions.
Un peu plus tôt elle parlait d’amour. J’aurais pu lui dire que c’est un souvenir de toi. D’ailleurs nous sommes en octobre.
Un peu plus tôt c’était bien, beau, drôle, j’aime tellement l’entendre parler d’elle ou des autres : de Ramuz, d’Ernaux. Il faudra lire Ramuz. Elle a lu, aussi, c’était une leçon de lecture et c’était tellement beau. Un passage de quoi déjà ? Et puis un autre, d’un texte en construction. Elle voulait qu’il se frottât, ainsi, à des lecteurs.
Et puis j’ai noté ça, en lettres rouges, dans mon agenda : “C’est venu avec le métier de vivre.”
Jeudi 6 octobre 2022
On s’est transmis peu ou pas de récit, d’une génération à l’autre, rien que des silences et des deuils. Pas de maison de famille, peu d’assises dans le temps ; pas d’attache, non plus que d’attachement ; nous avons plusieurs fois déménagé sans rien emporter. De mon grand-père, qui ne possédait rien, je n’ai longtemps gardé qu’une photographie sans cadre, un petit format, en noir et blanc, que j’ai, moi aussi, fini par égarer dans un déménagement. Aujourd’hui il me reste sa croix de guerre 14-18 à étoile d’argent, posé sur une étagère de ma bibliothèque : dépôt du temps davantage que relique. Rarement exposé à l’air, presque jamais sorti de la boîte en fer ou mon grand-père l’avait rangée, les couleurs du ruban, vert rayé de rouge, sont restés vives, elles n’ont pas passé. Il avait toujours refusé de la porter accrochée à son gilet. Comment est-elle venue en ma possession ? Je ne m’en souviens pas. comment a-t-elle atterri sur une étagère de ma bibliothèque ? C’est un mystère.
::: Anne Maurel ; La fille du bois