Mercredi 20 juillet 2022

Alors le corps d’A sous la lumière d’été. Son visage brille un peu sur la chaleur et cette même lumière.

Mardi 19 juillet 2022

L’homme aurait été assis dans l’ombre du couloir face à la porte ouverte sur le dehors.
Il regarde une femme qui est couchée à quelques mètres de lui sur un chemin de pierre. Autour d’eux il y a un jardin qui tombe dans une déclivité brutale sur une pleine, de larges vallonnements sans arbres, des champs qui bordent un fleuve. On voit le paysage jusqu’au fleuve. Après, très loin, et jusqu’à l’horizon, il y a un espace indécis, une immensité toujours brumeuse qui pourrait être celle de la mer.
La femme s’est promenée sur la crête de la pente face au fleuve et puis elle est revenue là où elle est maintenant, allongée face au couloir, dans le soleil. Elle, elle ne peut pas voir l’homme, elle est séparée de l’ombre intérieur de la maison par l’aveuglement de la lumière d’été.
::: Marguerite Duras ; L’Homme assis dans le couloir

Et puis il y a soudain ton regard dans le mien, surpris, amusé.

Lundi 18 juillet 2022

Hier son nom était apparu : j’avais soudain eu quelques doutes, entre les lignes ou dans les silences, alors je t’avais posé la question. Ce matin, tu réponds : boyfriend. Au milieu des mots, des textes et des images échangés depuis une semaine, il n’était pas intervenu. Au milieu de l’idée folle de venir, tu n’avais rien dit. It was mentioned very briefly, écris-tu.

Lundi 11 juillet 2022

Montreuil, métro Croix-de-Chavaux. C’était il y a presque vingt ans, l’été 2002, nous nous installions ici, à quelques rues. J’arrivais enfin à Paris. J’allais aimer cette ville et désaimer celui qui, dans ce journal, était appelé Fabio, d’abord dans le petit appartement de la rue Molière, puis dans les hauteurs du Clos des Français, sixième étage aux fenêtres donnant sur le ciel et une ou deux tours et, si l’on regarde vers le bas un douze février 2004, son dos courbé de tristesse après que je l’avais quitté à deux jours d’une Saint Valentin dont je n’aurais pas pu affronter le symbole et les mensonges à fournir.

Montreuil, métro Croix-de-Chavaux, bien sûr je me rappelle où est la rue Kléber ; c’est là que tu habites. Dans ce journal, parfois, je t’ai appelé Z. Je découvre ce lieu qui est aujourd’hui le tien, calme et blanc, un peu loin de ton énergie et de tes couleurs. C’est pourtant bien toi, c’est pourtant bien chez toi, on s’y sent bien, j’y retrouve ta cuisine, celle dont les épices savent vous titiller avec malice, comme toi. Ton balcon surplombe un parking, si je me retourne il y a un voisin, là, qui brasse je ne sais quel mobilier de jardin, une présence. Je te regarde et t’écoute, tu es un peu un autre que celui que j’ai connu et aimé, tu te construis dans cette ville immense où tu puises des espoirs de vie à deux dans des relations fugaces mais sincères, où tu t’épanouis d’un travail fait pour toi. Tu es bel et bien un autre, puisque autour de toi c’est différent : les jours n’ont pas les tensions d’autrefois. A cette sérénité, alors, je ne peux répondre que par la mienne. Peut-être me trouves-tu autre ?

Samedi 9 juillet 2022

Il y a toujours dans les escaliers de chez R, lorsque l’on franchit le deuxième étage, cette odeur étrange. Cela m’évoque toujours une personne sale car cela me rappelle surtout cet homme qui, une nuit d’hiver où le thermomètre était descendu extrêmement bas, s’était réfugié sur le paillasson du 383 rue des P. J’avais à peine vu son visage, tellement il était prostré, ne disait rien. Nos placards étaient vides, je lui avais donné deux pommes et du chocolat je crois ; il avait refusé la paire de chaussettes.

Lorsque F était rentré, l’homme n’était plus là. C’était un jeudi.

Vendredi 8 juillet 2022

Te revoilà et donc nous revoilà avec ce qu’on ne se dit pas, pas ce soir. Tu reviens avec ces accessoires qui, entre nous, seront un lien, une nouvelle forme d’attache de cuir et de métal telle que celle que je porterai alors au poignet.

 

Jeudi 7 juillet 2022

Il y a, aujourd’hui aussi, quelques visages connus, rares. Il y a un monde avec ses codes, ses références, ses éclats de rire, réuni pour regarder DragRace France sur un écran de grande taille. Je suis donc, une fois encore, double spectateur d’une émission de télévision et d’une communauté joyeuse, jeune, exubérante, fardée, même si la majorité des personnes ici n’a pas plus de mascara que moi. Je suis d’ailleurs plus intrigué – je cherche cependant un adjectif plus neutre – qu’amusé par ce qui se déroule sur l’écran. J’ai envie de creuser, doucement, ce qu’il y a en-dessous : sous les perruques… ou sous les larmes. J’ai envie de les regarder comme un photographe, et de les voir autrement. Car moi-même, je ne sais pas exactement ce que je cherche, ce que je perçois ou ce que je fais là. Je suis comme sur un fil, à une frontière, en un lieu où peut-être j’interroge ma propre place.

Et puis il y a M, nous parlons du projet qui nous réunit, encore lointain mais presque demain, un projet dans lequel, là aussi, j’interroge ma propre place.

Et puis je te dis qu’il est trop tard.

Mercredi 6 juillet 2022

Derrière son masque, un visage inconnu, une voix chaude, ferme, ne laissant échapper aucune incertitude. Au-dessus, des yeux verts, une chevelure bouclée, un cerveau rempli de toutes ces connaissances engrangées pendant toutes ces années d’études. Il remplace le Dr LL, en congés je ne sais où, il porte des baskets et me rappelle que le remplaçant d’il y a trois ans était un insupportable blanc bec sans masque.

Mardi 5 juillet 2022

Nous choisissons une table à l’extérieur. C’est un nous auquel j’appartiens rarement aux heures du déjeuner, car je préfère une solitude apaisante, ou d’autres visages que ceux que je cotois dès 9h00 à supposer que je sois alors arrivé au bureau disons plutôt 9h35. Je rejoins donc aujourd’hui leur habitude de manger ensemble, pour célébrer avec eux le départ prochain d’A. Je ne rejoins pas leur monde, c’est-à-dire celui qui transparait dans ce qu’ils disent, fait d’enfants et de prénoms d’enfants, de famille et de noms de famille, de goûters d’anniversaire, de mariage et de strip-tease (décrits comme) minables. Bien sûr nous en partageons d’autres, riant, c’est un exemple, d’idioties zodiacales.

Dimanche 3 juillet 2022

Ils dansent, et moi je m’ennuie un peu avant que tu n’arrives, après que je suis reparti.

Samedi 2 juillet 2022

L’étape la plus importante pour nous tous je parle sans avoir demandé à mes frères et sœurs mais je me doute de leur réponse c’est quand on a découvert la dernière porte celle qui ouvrait sur le jardin. Personne ne peut s’imaginer mais j’ai encore la sensation de l’herbe rêche sous les pieds nus et des cailloux invisibles qui me piquaient la peau tendre. Rien n’était hostile je regardais en haut en bas, le sol et le ciel et les couleurs et les formes et pour moi c’était comme si la chaleur du nid avait existé là avant et que nous venions de là et cette chaleur fondamentale aurait tout créé. J’étais sorti un jour de printemps et mon père avait déclaré c’est le printemps c’est comme ça que je l’ai retenu. Il y avait des fleurs dans un arbre et c’est la première fois que je tombais nez à nez avec une chose aussi belle et des couleurs qui me volaient les yeux. Dehors je me sentais bien parce que j’étais dans la chaleur pulvérisée dans des inventions magnifiques et folles et c’étaient des arbres, des plantes, des pierres. J’en ramassais pour les mettre dans mes poches et une chose aussi belle et des couleurs qui me volaient les yeux. Dehors je me sentais bien parce que j’étais dans la chaleur pulvérisée dans des inventions magnifiques et folles et c’étaient des arbres, des plantes, des pierres. J’en ramassais pour les mettre dans mes poches et je les faisais crisser et je pensais que c’était la chanson du monde. Les pierres elles étaient toutes précieuses et je louchais des heures sur le moindre scintillement et j’avais trouvé un galet avec des lignes lisses personne n’arriverait à faire si bien en faisant exprès. »
::: Dimitri Rouchon-Borie ; Le démon de la colline aux loups

(Il vous faut à tout prix lire ce livre)

Nous nous retrouvons, marchons un peu, là-bas nous asseyons. Les sujets défilent, beaucoup nous parlons de nous, toi de toi, moi de moi, avec, aux croisements de nos histoires, ce(ux) qu’il y a autour de nous : écrire, Antoine de B., les amours d’autrefois. Celles de demain interviennent aussi, dans un questionnement : qui y a-t-il entre ce que tu viens de vivre et ce que j’ai vécu ? Qu’y a-t-il, en quelque sorte, entre nous ?

La formule qui précède, alors, me fait sourire. Elle suggère, laisse supposer, le lecteur s’imagine, se demande, interprète, peut-être hâtivement, peut-être pas.

Et toi, maintenant que tu lis cela, souris-tu ?

Vendredi 1er juillet 2022

Alors tu me parles d’A. Peut-être que je devrais plutôt te faire parler de toi, te demander comment tu vas, où tu vas, comment tu vis.

Jeudi 30 juin 2022

«  Regardez. Regardez. »
Nous étions accroupies dans notre soupente, sur les planches qui devaient nous servir de lit, de table, de plancher. Le toit était très bas. On n’y pouvait tenir qu’assis et la tête baissée. Nous étions huit, notre groupe de huit camarades que la mort allait séparer, sur cet étroit carré où nous perchions. La soupe avait été distribuée. Nous avions attendu dehors longtemps pour passer l’une après l’autre devant le bidon qui fumait au visage de la stubhova. La manche droite retroussée, elle plongeait la louche dans le bidon pour servir. Derrière la vapeur de la soupe, elle criait. La buée amollissait sa voix. Elle criait parce qu’il y avait des bousculades ou des bavardages. Mornes, nous attendions, la main engourdie qui tenait la gamelle. Maintenant, la soupe sur les genoux, nous mangions. La soupe était sale, mais elle avait le goût de chaud.
::: Charlotte Delbo ; Aucun de nous ne reviendra: Auschwitz et après, I

Mardi 28 juin 2022

Et puis soudain, ils sont là, attablés. C’est Prudence que je reconnais, avec hésitation tout de même : il manque les perruques, le contexte, les strass. C’est peut-être plutôt lui qui me reconnait, il me sourit, me salue, un signe de la main. Je m’approche, ils me remercient, disent que les photos sont superbes. Je suis comme figé, je ne sais pas quoi dire, j’ai l’impression que je suis idiot, là, comme ça, que j’ai 15 ans, que je suis embourbé dans un mélange de timidité et de vide face à eux, eux qui étaient lumineux samedi.

Je dis “Le hasard fait bien les choses”, puisque les photos, je leur avais envoyées un peu plus tôt. C’est un peu idiot, cette phrase, elle n’est pas tout à fait à la bonne place. Le moment est comme grippé, et même les mots, ici, dans ce journal, ne savent pas quoi dire ou comment le dire. Ni poésie ni rien.

Et puis je les salue, je repars, pas loin, où je vais t’attendre, pas longtemps.

Lundi 27 juin 2022

Soudain ton visage apparaît. Tu es dans les images que je trie, encore, encore et ta beauté me frappe, c’est une gifle, que tu es beau là, là, ou là encore, grave, à la foi docile et sûr de toi devant l’objectif, innocent sans l’être, je crois que personne d’autre ne sait faire ça, faire cette gueule, avoir cette gueule.

Sur l’une d’elles le cadrage est beaucoup trop serré, c’est dommage c’est peut-être la plus belle de toute, il y a la présence de tes yeux, ils crèvent l’image ; tes cheveux sont ras.

Dimanche 26 juin 2022

Soudain ton visage apparaît. Enfin, je ne suis pas très sûr. Tu es là, sur mon petit écran, nous discutons. Est-ce toi qui passe là-bas, au même instant ?

Samedi 25 juin 2022

En ne venant pas hier, vous m’avez permis de parler de votre absence.
::: Jean-Pierre Léaud, dans La Maman et la Putain de Jean Eustache.

Soudain ton visage apparaît. Au milieu de la foule, éclairé par un spot. Plus tard je pourrai venir vers toi, nous nous embrasserons, la surprise retombée, à peine. O est là avec toi, elle rit peut-être de notre intimité palpable, elle sait peut-être que. Tu n’es que de passage, le week-end : les chants.

Tu es arrivé tard, tu as manqué un peu de cette folie. Mais elle continuera. Je suis accompagné sans l’être vraiment, il y a ceux que j’attendais – A, F -, et ceux que je n’attendais pas  – A, L… Je ne sais pas encore, tandis que l’on s’étonne d’être là l’un et l’autre, que celui me regardait et me regarde encore, me fixe même et me sourit, celui qui m’a demandé mon prénom avant d’aller chercher d’autres bières, celui-ci ne me laissera pas, non, son numéro de téléphone. Je suis marié, dira-t-il. Tu entends ça ? Ici, aux regards de tous, je note cette anecdote : elle aurait presque éteint les étincelles de ce samedi soir.

Mais ensuite on dansera.

Vendredi 24 juin 2022

Alors, comme parfois, je cherche quoi faire de mon corps. Je cherche comment en faire des images.

Jeudi 23 juin 2022

J’ai posé trois petits bouts d’écorce sur une feuille de papier. J’ai regardé. J’ai regardé en pensant que regarder m’aiderait peut-être à lire quelque chose qui n’a jamais été écrit. J’ai regardé les trois petits lambeaux d’écorce
comme les trois lettres d’une écriture d’avant tout alphabet. Ou, peut-être, comme le début d’une lettre à écrire, mais à qui ? Je m’aperçois que je les ai spontanément disposés sur le papier blanc dans le sens même où va ma langue écrite : chaque « lettre » commence à gauche, là où j’ai enfoncé mes ongles dans le tronc de l’arbre pour en arracher l’écorce. Puis elle se déploie vers la droite, comme un flux malheureux, un chemin brisé : ce déploiement strié, ce tissu de l’écorce qui se déchire trop tôt.
::: Georges Didi-Huberman ; Ecorces

Seul, dans ce CAPC où la foule virevolte, je m’ennuie. Je suis là pour, disons, être là, dire que j’ai vu, j’ai fait, je suis allé, dire que je ne suis pas resté chez moi. Ma solitude me colle à la peau, je pense tout le monde voit que je suis seul, que je m’ennuie, seul, que je n’ai pas envie de rester. Alors que tout le monde m’ignore. G ne me réponds pas, de toute façon ça ne capte pas.

De toute façon, tu m’attends ou plutôt nous nous attendons, et finalement toi aussi tu pars de là où tu es, un autre vernissage. Je ne sais pas si tu as vraiment hâte de me revoir, je me méfie des mots.

En repartant de chez toi, il pleut. Il est tard. Je lirai pourtant un peu ce livre pioché dans l’étagère. C’est ce livre que j’avais offert à JLM ; il y a la pastille qui cache le prix.

Mercredi 22 juin 2022

On se retrouve en cercle, je suis un peu en retard alors que j’étais en avance ; nous sommes trois hommes, neuf femmes. Nous sommes là pour lire, à voix haute, dès la rentrée, ensemble. L’idée m’enthousiasme, vraiment. Lorsque vient le moment de parler un peu de nous au groupe et surtout à celle qui animera l’atelier, je dis que moi, oui, je lis parfois à voix haute dans mon lit, seul le soir. Je dis que parfois je t’envoie des extraits. Je dis d’abord “à des amis” et puis je rectifie, je dis : “à un ami, étudiant en lettres”.

Une fois rentré, au moment de dîner, je t’envoie un message. J’aime te parler ainsi. Ce n’est peut-être pas assez souvent. Je te demande si tu es bien arrivé, là-bas, loin. Je te dis que j’ai parlé de toi. Je ne dis pas que tu me manques, enfin si, mais pas comme ça, à la fin du message, parce qu’en te parlant, ça monte, comme ça, le manque de toi. Je me dis que si j’avais vingt ans de moins, je prendrais un avion et je viendrai te voir. Je serais un peu fou.

Je réécoute ensuite l’extrait de Riboulet que je t’ai envoyé le 22 mai. Deux minutes et dix-sept secondes. J’aime ces moments où je laisse assez de silence, où je me pose aux virgules. Et puis je lis à haute voix, dans la cuisine, comme la femme qui était à ma droite et qui a dit “Moi je lis dans ma cuisine”, cet extrait que tu m’avais envoyé de La Mort en été, de Mishima et qui commence par cela : “Elle perdit l’habitude de se souvenir”.

Nous avons toi et moi ce même amour des phrases. Elle en est un exemple. Les phrases, c’est parfois comme des cadeaux. C’est évidemment pour cela que je suis un peu fou – de toi ou de nous -, pour cette manière qu’à la littérature – qui te dévore tant, tellement plus qu’elle ne me dévore moi, qui te fait tant briller aussi – de nous faire être ensemble, le peu qu’on l’a été et le peu qu’on l’est encore. Il ne s’agit pas uniquement de tes yeux malicieux, il s’agit, oui, des phrases, que d’autres ont écrites, et qu’on pourrait croire écrites pour nous.

Mardi 21 juin 2022

Il y avait donc cette boîte contenant des CD, avec des photos ou des compils, dites “compils pour l’auto-radio”. Je l’avais rapportée de chez maman récemment, elle y trainait depuis longtemps, cette boîte, dans une caisse plastique dans laquelle il y a quoi d’autres ?… oh… je ne sais plus. La caisse est au pied de la fenêtre, enfin presque, sur le côté. Il reste encore là-bas des machins, plein de machins, pas jetés, par possible. Pas grand chose, mais tout de même…

Sur l’un des disques, soudain, Paco Ibañez. Il est arrivé comme ça, l’émotion aussi.

Tú no puedes volver atrás
porque la vida ya te empuja
con un aullido interminable,
interminable…

Soudain. Sans comprendre les paroles, parce que l’émotion vient de la voix, de la langue, d’un adjectif. Parce que bien sûr surgissent les images d’un matin froid pour dire adieu, une autre forme d’adieu. Parce que revient l’idée que je ne sais que peu de sa sensibilité, si ce n’est qu’elle était bien enfouie.

La chanson suivante c’est aussi soudain, et c’est autre chose. Et me voilà dansant, sans pour autant enfouir.

Samedi 18 juin 2022

Sans maquillage ni postiche, te voilà donc. Sur l’une des images de dimanche, j’avais manqué ton sourire et ton regard droit dans le mien, ou dans l’objectif, c’est tout comme. En revoyant la série, le soir, j’étais déçu, j’étais persuadé qu’ainsi, j’avais attrapé son visage et conservé cet instant. Ce soir, bien entendu, tu ne portes pas non plus cette robe qui, sur une autre photo, dévoile ton dos. Tu l’adores, dis-tu, cette photo.

Vendredi 17 juin 2022

Nous nous reverrons le 8 juillet, et presque deux années auront passé. Alors nous parlons de cet endroit où nous pouvons encore nous rejoindre, c’est-à-dire où ma photographie regardera tes objets.

Samedi 11 juin 2022

Ça commencerait par la fin, la fin de ce moment entre nous en attendant le prochain. Dans le hall de la gare Montparnasse – le réveil avait sonné bien tôt -, nous nous embrassons donc. Je pars rejoindre C au musée d’Orsay. Paris est ensoleillée, je la retrouve enfin. Petit à petit elle ne manque plus vraiment. Avec le temps, va, tout s’en va, chantait Ferré, c’est aussi vrai avec les villes alors ?

A Orsay on retrouve Sophie Calle. Il peut donc arriver qu’elle me déçoive. Peut-être que je suis arrivé au bout de quelque chose avec elle, peut-être qu’elle m’a assez donné de pistes sur ce que l’on peut faire de sa propre vie. Peut-être que cette fois-ci, il manque pour moi une pointe de douceur, une pointe de légèreté, une pointe d’humilité aussi. Cette fois-ci, et le prix du catalogue à 69 euros n’aide pas, elle ne me parle pas, ou du moins je n’ai pas envie d’entendre ça. Je n’avais surtout pas envie que quelqu’un d’autre parle avec elle, surtout pas envie de ces textes, là, apposés, vains, écrits d’une plume qui m’indiffère, qui ne me donne rien. J’exige trop ? Il y a pourtant dans la deuxième salle la beauté sombre des tableaux dans la nuit, surplombés – zut ! – d’une phrase inutile.

Puis Maillol – vite fait – puis Gaudi. Passée la claque de l’entrée de l’expo, il s’agit de se faufiler au milieu de la foule et des espaces trop étroits. On étouffe. L’art nouveau disparait petit à petit de ma vie, mon blog n’est plus là, mon investissement pour le Cercle Guimard non plus. Il s’agit de respirer.

Ce samedi parisien se poursuit avec C entre le café d’un palace et l’anguille d’un restaurant japonais, c’est apaisé, agréable, bien sûr on parle des amis, puis seul, une boutique tentatrice, des fripes, et puis Beaubourg, enfin.

Enfin parce que l’expo sur l’Allemagne des années 20 est d’une densité magistrale. On pourrait s’y épuiser puisque facilement je m’épuise dans ces expositions fleuves où mon esprit volage cherche des accroches et voudrait tout embrasser en un clin d’œil, comprendre tout de suite, savoir enfin, ne pas oublier. Le sixième étage de Beaubourg sait toujours – toujours ? N’ai-je pas le souvenir de moments aux foules extravagantes ? – utiliser les espaces et laisser de la place aux spectateurs. Cette fois-ci, on navigue, on peut se perdre, revenir, croiser.

Et puis on repartirait.

Vendredi 10 juin 2022

A la terrasse je te retrouve. Nous ne nous connaissons pas : tu as vu mes images et tu es de passage. Nos vies professionnelles actuelles auraient pu nous faire nous rencontrer avant, ou bientôt. C’est aujourd’hui, par la photographie.

L’instant se prolongera, dans tant et tant d’images, les couleurs des tenues et leur matière, du blanc du jaune du rouge des strass des transparences, les regards que l’on pose, toi sur moi, moi sur toi, soudain tu te détournes, parfois tu n’attends pas alors il est trop tard, ou bien tu laisses, tu as aussi compris le temps qu’il me faut pour un angle, une lumière, moi jamais sûr de moi.

Jusqu’au soir volubile, dans ce bar où la foule, elle aussi, est autrement vêtue.

Jeudi 9 juin 2022

Alors je reviens chez toi, fatigué de la journée, fatigué de la nuit précédente bousculée et raccourcie par les voisins. Je tente de masquer tout cela, j’ai un peu dormi avant de venir, et je te raconte les petits bonheurs des jours passés, j’essaye d’être un peu quelqu’un d’autre pour voir s’il suffit d’être moi-même.