Lundi 6 juin 2022

Je raconte à G, tandis que nous approchons du Rocher de Palmer, que j’ai du mal à écouter Michka Assayas, parce que ça, sa voix, son phrasé, me rappelle mes vingt ans, quand il intervenait chez Bernard Lenoir et que j’étais attablé à mon bureau d’étudiant. J’ai peut-être tendance à fuir la nostalgie parce que cela me rappelle des années que je veux enfouir, ou dont je veux enfouir certains pans – la solitude, etc. J’écouterais néanmoins aujourd’hui, volontiers, ce qui me faisait rire ou la voix de Laurent Bon.

Ce soir, au Rocher de Palmer, je retrouve le passé : G m’a invité, un peu plus tôt dans la journée, via un “Que fais-tu aujourd’hui ?”, à aller voir un concert de Cat Power. Cat Power, c’est surtout 2003, et l’album You are free, écouté, écouté, écouté, écouté. Il y a alors eu un moment d’hésitation, surtout quand j’ai su qu’il allait falloir rester debout, surtout quand j’ai pensé à moi, là, aujourd’hui, et cette incertitude dans laquelle je baigne en ce moment, mais être avec G – peut-être plus qu’avec Cat Power – me plaisait. Elle restera dans l’ombre.

Sur scène, elle restera dans l’ombre, précédée par une première partie réussie portée par une voix aux intonations dylaniennes. De Dylan, je préfère toujours évoquer la première chanson, que j’aime tant, de l’album Baez sings Dylan. G l’a vue, Joan, en concert : souvenir d’enfance, nostalgie douce, trémolo et vibrato. Bref, elle restera dans l’ombre, Cat Power, mais sa voix, c’était beau, c’était beau. On cherchera son visage, elle cherchera les paroles dans un classeur vert, susurrera ici une blague qu’on ne comprendra pas, et partira bien vite, sans offrir de rappel, sans que cela me gêne. 1h30 de concert, tout de même.

1h30 de présent. Je comprends, là, debout, que c’est bien le présent que j’écoute, que je vis. Ni nostalgie ni quoi que ce soit. Mais un mal de tête qui petit à petit m’étreint.

Samedi 4 juin 2022

Regarder qui est là. Se demander qui est le plus absent parmi les absents mais ne pas se le demander trop, se dire que c’est ainsi que la vie continue, que c’est ainsi qu’on peut faire famille, même s’il semble être un peu trop tard. Dans mes images j’attrape les sourires mais d’abord le visage de maman. Plus tard, la nuit tombée, elle montrera les étoiles.

 

Jeudi 2 juin 2022

Il y a sur l’agenda du mois d’août des espaces à remplir. Il y aura Arles, Lyon et puis ? Il y a sur l’agenda du mois d’août la crainte d’une forme de lassitude, celle née d’un nouvel été durant lequel personne ne m’attend entièrement ni ne m’accompagne totalement, puisqu’un été n’est pas un été sans les peaux sur les draps frais. Parfois on les repousse, ils sont au pied du lit.

Il y a la crainte de trouver Arles triste avant, ouf ! de découvrir Lyon et d’y revoir – ô joie – A, O, l’un avec la beauté farouche de ses vingt ans, l’autre avec la douceur de ce qui ne s’appelle pas une amitié. Et puis ? J’évoque encore l’idée de l’été, quelques jours chez S, tandis qu’il me fait découvrir la chaleur d’un lieu tout près de chez moi, bière locale et poutine bordelaise, la patronne vous tutoie d’emblée : “Je m’appelle Ludivine mais tu peux m’appeler Divine“. Avec S on évoque l’amour et la mort, l’été qui s’approche donc, et l’on rit encore de cette faune bigarrée, tendant plus tôt l’oreille dans les allées du jardin puisque la sono était morte, morte on ne sait pas pourquoi : les piles ? la malchance ? l’incompétence ? l’optimisme ? Et ça brillait parfois sous les liquettes et le botox.

Mercredi 1er juin 2022

Il y a toujours le regard puis le sourire, ou bien le sourire puis le regard, l’un ou l’autre appuyé, avant que l’un ou l’autre ne capitule. A partir de quel moment, combien de secondes, les yeux disent ce qui n’a jamais été dit ? Allons-nous longtemps nous taire ? Souvent il y a des silences, mais laissons-nous planer les mêmes ? Te rappelles-tu que je t’attends ?

Mardi 31 mai 2022

Il y a derrière toi tant de choses : vous êtes au passé. Et devant toi, bien plus. C’est cela qu’il faut voir dorénavant, cet horizon si grand devant toi, les montagnes et puis le reste. Je t’écoute, dans cet étonnant mélange de force et de fragilité que tu offres à voir et entendre, d’assurance et de paix. Et puis nous allons juste là, à cette autre terrasse où l’on s’assied peut-être un peu trop vite, sans demander, mais ça va. Les sushis, eux, ça va moins. Je ne dis rien sur le riz, médiocre ; on s’en fout, du riz.

Lundi 30 mai 2022

Alors il y aura ceux qui s’étonneront encore de ce rendez-vous donné à 19h17, ils y verront peut-être quelque mot d’une chanson, une précision suisse. Ils ne sauront peut-être pas que c’est mon anniversaire, il s’étonneront alors encore : “Mais pourquoi tu ne me l’as pas dit?

Samedi 28 mai 2022

Dans la littérature médiévale, Renart est le goupil affamé dont le roman retrace les aventures désordonnées, le mot de desroi désignant en ancien français le tumulte, l’agressivité ou tout simplement le désordre. Le desroi, ou l’envers du roi, nomme l’art rusé de ne pas se laisser gouverner. Renart n’a pas d’autres identités que sa propre joie à transgresser : il est non pas d’où il vient, mais où il va. Et où va-t-il ? Où la fiction le porte – là où se trouve son abri, son invitation fictionnelle, si l’on veut le dire ainsi. Ce récit sans contrainte s’adresse à des lecteurs affranchis – il faut être déjà libres pour se laisser libérer par les livres, je propose d’appeler cela se délivrer.
::: Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet ; Nous sommes d’ici, nous rêvons d’ailleurs.

Il y a dans les cartons, des images à la pelle, des mots aussi, qui parfois me feront rire, sourire. Ou pas. Ainsi, quelques mots de mon grand-père à mon père, sur une carte postale, parce qu’il sera absent pour son anniversaire, ou à ma grand-mère – “à ma femme que je n’oublie pas” précède la signature – sur une autre, montrent la distance, l’absence. A son fils, il signe Antonio, aussi. Le français de mon grand-père est parfait, élégant ; seul le futur remplace les terminaisons en ai par des é.

Vendredi 27 mai 2022

Dernier vendredi du mois, six mois plus tard. Que faut-il faire du temps qui passe ? Que faut-il également faire des jours, semaines, mois, qui ont précédé le 26 novembre ? Comment en faire quelque chose ? Qu’est-ce qu’on peut encore en dire ? Comment ne pas oublier ce qui aide à comprendre, à accepter puisque parfois encore on revient sur tout ça ? Comment oser oublier tout le reste, tout ce qui n’est pas “ça” et comment même y penser encore ? Il y a quelque chose d’effrayant dans l’oubli, qu’il soit volontaire ou involontaire, qu’il nous aide ou nous perturbe.

Jeudi 26 mai 2022

Tu as le visage que J aurait eu à ton âge, tu as sa voix, plus douce peut-être. Tu n’as pas sa verve, tu te retiens un peu. Et puis sur une terrasse, face au fleuve toujours brun dont les eaux si hautes t’avaient surpris, nous nous rafraichissons.

Mercredi 25 mai 2022

Nous parlons, parlons. Tu racontes le dimanche à Cologne, déjà lu autrefois mais oublié, et qui attend, page 49 de ces Lisières du corps, avec pour marque-page un morceau de carton déchiré d’une boîte de gâteaux mangés dimanche avant d’être viré du parc. Je dis ce CDI inattendu. Tu décris ce qu’on voit depuis la terrasse. Et nous regardons les tirages.

Car tu m’en as acheté, trois.

Il y a, rares, des photographies que j’ai faites sur les murs des appartements de mes amis. Ici, alors, je réfléchis : ça me fait quoi ?

Plaisir.

Qu’en sera-t-il si c’est un inconnu ?

Dimanche 22 mai 2022

Il n’a aucune de ces marques distinctives du corps qu’on note au premier coup d’œil, la structure imposante, la démarche veloutée, la belle gueule consciente de son effet, le soupçon de déhanchement qu’on met dans un coin de sa tête pour y repenser plus tard… On le croise une fois, deux fois, dix fois sans y prêter une attention particulière. Il n’est pas désagréable, certes, mais il fait partie du personnel, d’une part, et d’autre part on a suffisamment à faire pour se familiariser avec le lieu et ne pas d’emblée se garer dans les délices de la pulsion scopique à laquelle, dans les hammams plus que partout ailleurs, on donne libre cours, surtout lorsque les corps qui le peuple ne sont pas encore courants, habituels, corps pratiqués de longue date, mais corps neufs, bruns, sombres, résolument hors code occidentaux balisés. On est à Cihangir, un petit quartier de l’arrondissement de Beyoglu, à Istanbul, pas dans le Marais, on ne perd pas ça de vue parce que c’est essentiel, parce que c’est ça qu’on est venu faire là, se noyer dans l’autre indéchiffrable, dans l’autre brun corbeau, dans l’autre qui ne nous dira rien qui ne soit incompréhensible et qu’il faudra donc bien attraper.
::: Mathieu Riboulet ; Lisières du corps.

Soudain, furieusement, elle klaxonne ; il nous faut partir.

Samedi 21 mai 2022

C’est très simple, je voudrais retrouver le moment où soudain Marguerite s’est arrêté de me parler et que tout s’est suspendu. Je resterai d’abord là, sur ces secondes, puis je partirai, sans destination précise, juste partir. Sur un morceau de soie. J’aime toujours faire ça, revenir sur des moments modestes car à les déployer lentement on y voit se réveiller tant de formes et de couleurs, de la joie, des rires, des cris d’oiseaux sur la langue, un grand ciel, du sable, des feux et bien sûr un cœur qui bat le tambour. Les forêts, l’inquiétude et la peur ne sont jamais très loin.
::: Colette Fellous ; Le Petit Foulard de Marguerite D.

E. veut que l’on photographie là, au milieu des hommages à l’Ukraine, et moi je dis non, je dis non, ce n’est pas possible. On transforme l’idée, je crois que je l’impose un peu parce que je ne veux pas de cela, je ne veux pas me prêter à son jeu qui déplacerait tant ma pratique photographique, entraînant l’autre, l’inconnu qui passe par hasard, dans des mises en scène et dans nos images. Nous restons entre nous, les autres sont-ils d’accord ?

Jeudi 19 mai 2022

Tu me parles du fait que tu es arrivé au bout d’un récit. Je ne pense pas à te demander de quoi cela parle. Je ne sais pas pourquoi, inlassablement, j’interroge peu.

On évoque l’effort et le temps que cela demande d’écrire. On parle aussi de tout, de rien, et l’on parle – moi je parle beaucoup, non ? – sans m’épuiser. Sans t’épuiser non plus, semble-t-il.
Je te regarde. Je me demande comment nous pourrions être encore deux, puisque comme d’autres, nous aurions pu être encore deux. Tu me parles de D, tu me dis que c’est difficile entre eux, mais qu’ils vont s’en sortir. Tu dis probablement cela en pensant à nous. Est-ce qu’on aurait pu s’en sortir ? J’ai la réponse mais je ne l’écris pas. Je laisse le lecteur en proie au doute.
Aujourd’hui il y a toujours le piège de ce que tu dégages, il y a le piège de ces rares moments où nous nous voyons, cette harmonie, cette aisance. Et cependant, ce voile entre nous, le vois-tu toi aussi ? Je pourrais facilement dire, alors, que je t’aime encore, d’une certaine façon, peut-être aussi que je m’aime enfin avec toi, dans ces moments-là, éphémères, le temps d’un dîner, d’un partage. Peut-être parce que je sens, d’une certaine manière, que c’est moi qui tiens les rênes. Et puis je ressens l’espère de médiocrité qu’il y a à écrire cela ici dans toute cette brièveté.
Tu me demandes où j’en suis, moi, de l’écriture de ce livre. Tu ne me demandes pas ce que raconte l’autre manuscrit dont je te parle. Il raconte combien j’ai aimé A plus que tout. Plus que tout donc plus que toi.

Samedi 14 mai 2022

Je reviens te voir, et tu sais probablement pourquoi, tu l’as lu quelque part, dans mes yeux, mon sourire, pas celui que tu réclames mais celui qui t’écoutes, et qui t’écoutes encore, puisque tu parles, tu parles. Tu l’as lu forcément dans mon déplacement brusque, te regardant alors dans les yeux et te disant “Ah bon ? Il ne faut pas ?”

Je sais pourquoi tu parles, parce que tu me le dis – un manque d’assurance, etc. – et parce que j’espère que ce n’est pas pour une autre raison. Tu dis beaucoup de toi, comme pour combler les espaces que tu ne voudrais pas m’entendre difficilement combler moi-même. Comme cela arrive parfois, je me sens alors au ralenti – plus tard je te dirai “vide ” – tandis que toi tu vrombis à mille à l’heure comme une vieille carrosserie qu’on aurait retapée, rutilante, sonorité rocailleuse et chaude, pleine de vécu. Tu parles de ton corps, tu dis que tu as pris un coach, que tu vas redevenir comme avant. Tu parles aussi du temps béni de tes heures de gloire, de tes livres, de tout ce que tu sais, mais que sais-tu alors de moi ?

Pourquoi n’attends-tu pas de savoir quelque chose de moi et, puisque tu y fais allusion, par exemple, quelque chose des livres qui habitent ma maison, comment et pourquoi ils m’accompagnent ? Quelque chose que j’aimerais changer moi aussi ? Quelque chose qui m’attendrait demain ?

Vendredi 13 mai 2022

De tout là-haut, on voit la ville, la vierge dorée, les clochers, le léopard de Saint Eloi, c’est le prix à payer pour un spritz à dix balles et un rosé par là-dessus, au milieu de cette faune qui guète, ô proie de velours, un siège. Voilà qui change un peu des terrasses au ras des villes, voilà qu’on se retrouve à trois, le quatrième larron pris par quelque imprévu. Et l’on se grise un peu puisque on n’est pas tentés par trois tartines planquées dans un sac en papier.

Jeudi 12 mai 2022

Il y a cinq ans, j’ai passé une nuit malhabile avec un étudiant qui m’écrivait depuis un an et avait voulu me rencontrer.
::: Annie Ernaux ; Le Jeune Homme

Après que Marielle Macé m’a demandé mon prénom, et alors qu’elle écrit quelques mots avec un stylo publicitaire que m’a tendu le disquaire et sur lequel est noté le nom de Corinne Atlan, ce qui m’a déclenché un rire un peu idiot, je lui dis que j’avais justement, hier, vu son nom sur quelque chose que j’avais écrit, et qu’elle y parlait des oiseaux. Elle a dû se demander pourquoi je lui disais cela, et moi-même me le suis-je demandé. C’était je crois quelque part vers la fin de mon manuscrit, je n’avais plus la référence, tout était donc flou. Après l’heure passée à l’écouter parler des oiseaux, ce flottement que j’imposais par mon manque de précision et mes points de suspension, était, malgré tout, presque dans le ton : quelque part bien au-dessus du sol.

Mardi 10 mai 2022

Le premier janvier 1981, vers midi, je m’éveille avec une gueule de bois carabinée dans une chambre que je ne connais pas. Contre moi est allongée une jeune femme brune que je ne connais pas davantage. Désireux de ne pas briser l’enchantement, je me blottis contre son dos et me rendors jusqu’à ce qu’elle m’arrache à mon deuxième sommeil en m’apportant un bol de café et une tartine. Une belle plante, indéniablement, vêtue maintenant d’une culotte et d’un ample tee-shirt en coton sur lequel est écritTake it easy. Les seins qui ballent derrière ce message donnent envie de le traduire trop littéralement, mais, de toute évidence, ma chance est passée. La fille s’appelle Ariana, et parle français avec un ravissant accent italien. Il se confirme que nous avons passé la fin de la nuit ensemble dans cet appartement que lui prête une amie lyonnaise. Tandis que me reviennent en mémoire les fragments d’une scène de gymnastique rythmique sexuelle assez fastidieuse, elle me confirme que nous avons essayé de faire quelque chose qui s’apparente à l’amour. D’après elle, je me suis montré opiniâtre et vaillant, mais hélas trop ivre pour conclure. Elle ne s’en formalise pas, mais en revanche il faut maintenant que je m’en aille vite car elle doit prendre un train pour Paris à quinze heures et il lui reste mille choses à faire d’ici là. Petit à petit, se reconstitue le puzzle du réveillon à Charbonnières, chez des amis d’Antoine où cette Ariana est arrivée avec un petit groupe sur le coup de minuit. Il me semble que nous avons longtemps discuté ensemble – mais de quoi, au juste ?
::: Emmanuel Venet ; Virgile s’en fout

Oh bien sûr tu sais que j’ai pu attendre cela de nous, marcher ainsi, ou bien t’attendre là, comme ce soir.

Lundi 9 mai 2022

Quel plaisir alors de pouvoir se livrer à toutes ces fantaisies ! Par exemple, on va perdre, oui, perdre deux heures dans l’arrière-boutique d’un bar inconnu (il y a aussi à Londres des bar ; ils s’ouvrent seulement à certaines heures et on y entre en se glissant comme un voleur) et on cause avec le garçon de café, des derniers records d’aviation. Ce garçon ne se doute de rien, il ne sait pas qu’il doit mourir un jour ou l’autre (et moi je le sais).
::: Jean Grenier ; Les Îles

Je t’envoie ces mots, lus, provenant du chapitre intitulé “Les Îles Kerguelen” que j’ai trouvé magnifique. J’ai la voix plus basse que l’autre jour, quelque chose d’un peu cassé. Juste avant, j’avais chanté un peu puisqu’après une chanson de Mercedes Sosa, tu m’avais écrit  “c’est très beau , mais j’ai cru que t’allais me chanter un truc haha“. Et donc ces mots, tu ne les reconnais pas, c’est pourtant toi qui m’a poussé dans ces pages, combien de fois ?

Samedi 7 mai 2022

Alors je m’emporte. Est-ce parce que j’aimerais que l’on m’emmène ?

Non.

Mais je ne résiste pas, à jouer avec les mots. Pour faire diversion ?

Non plus.

Mercredi 4 mai 2022

Je te dis que je ne comprends pas vraiment, ce qu’ils veulent dire en se disant “Appelle-moi par ton nom.” Je n’ai jamais cherché ce que cela pouvait réellement signifier, une fois l’esprit traversé par l’idée d’une fusion qui fait qu’on deviendrait l’autre, ou qu’on deviendrait un. Tu me dis que toi non plus, tu ne comprends pas vraiment. Mais tu as lu le livre, alors tu me parles, brièvement, du rapport à l’écriture, entraperçu dans le film par quelques pages dans un carnet. Tu dis que tu as pleuré. Nous n’en verrons pas la fin.

Vendredi 29 avril 2022

Alors, dans cette histoire de solitude, sur les plus belles images, elle est absente.

La Fille aux Allumettes / Aki Kaurismäki / 1990

Jeudi 28 avril 2022

Elle est assise devant moi, concentrée, attentive, soucieuse d’apporter des réponses à mes questions. Sa petite taille, la minceur de son corps enfoui dans une robe de chambre et l’expression sérieuse de son visage la font ressembler à une enfant un peu malade, momentanément consignée dans sa chambre. Quand elle sourit, des rides strient la peau fine, pâle, presque transparente. Sa voix singulière est demeurée la même malgré quelques hésitations. C’est celle de Thérèse, la bouleversante criminelle des Anges du péché, le premier film de Robert Bresson, tourné à Paris, en 1943. Pour moi, elle s’efforce d’évoquer l’homme qu’il a été. Cette femme s’appelle Jany Holt.
De temps en temps, elle se tait. Mais ses silences sont pleins, je ne sais pas de quoi, peut-être d’autres morceaux de sa vie dans lesquels elle s’attarde. Je me tais aussi, ma respiration suspendue à la sienne. J’attends qu’elle se rappelle que nous sommes là, qu’elle reprenne le récit commencé.
::: Anne Wiazemsky ; Jeune fille

Soudain, puisqu’elle parle de Godard, je me lève, vais à la lettre W dans les étagères de livres et le prends. J’ai envie de ça. Depuis longtemps : je me souviens lorsque le livre est paru. C’est le moment.

Finalement, c’est peut-être celui-ci le livre que je cherchais, quand je te disais que je n’avais plus envie. J’avais écouté un peu plus tôt une conférence de presse que Godard avait tenu à Cannes, après le film Passion. C’était passionnant, brillant, drôle, piquant. Et puis voilà cet extrait ce soir, que je lis dans le téléphone.

Mercredi 27 avril 2022

J’avais retrouvé cette terrasse avec E et finalement une assiette de frites, comme l’autre fois. Il y avait, dans nos échanges, ceux qui remplissent nos vies, les rythmes qui nous traversent, les évidences et les vides que nos amours proposent, lui ou moi, c’est selon.

Et puis, voilà, il est bien tard et je te susurre, comme tu le souhaitais, des mots. Je te susurre du d’Ormesson, c’était bête, c’est finalement drôle. Comment c’est venu ? Ah oui j’ai dit que tu étais de droite, que ça ne m’étonnait pas.
Alors je lis d’une voix qui chuchote, un extrait au hasard sur Internet. Au bout de quelques phrases, c’est finalement insupportable.