Mardi 14 juillet 2020

Nous traversons la Nive pour aller déjeuner. Je ne sais pas encore que je me régalerai d’un plat local et d’une portion de frites généreuse ; le vent sera trop frais. Soudain, je lève la tête – où donc était mon regard ? – et le voici planté devant moi, les poings sur les hanches, cette moue amusée qu’on lui sait : Thomas. Il est la seule personne, dans mes connaissances, qui, je crois, vit ici au Pays Basque. Nous parlons brièvement, de lui, de moi, de là où nous vivons ; nous le savons. N’aurait-il pas grisonné depuis ?

Lundi 13 juillet 2020

Biarritz est un souvenir pluriel : quelques promenades d’avril durant l’enfance, quelques vacances chez N autour de 2000-2002, l’été 2007 probablement mais j’ai oublié, et puis ? J’ai choisi l’hôtel en plein cœur. Que dis-je ! il est juste là, voyez-vous ? En tendant l’oreille on entendrait les vagues.

Nous nous y baignons, c’est savoureux, nous sommes joyeux, la promenade avait bien évidemment été agréable, malgré le cuir rompu de ces sandalettes qui faisait ma fierté depuis leur achat à Lecce l’été 2004 et notamment nous avions ri de cette dame en bikini vert amande qui t’avait demandé de la photographier, là, allongée sur un parapet recouvert de sa serviette. Et puis vient l’heure de célébrer ce moment ensemble, la bouteille n’est plus fraiche mais je suis surpris de découvrir que le Blayais est capable de produire des blancs assez puissants pour me plaire ainsi, c’est la chance de n’y rien connaître et de ne rien attendre, on ne peut pas souvent être déçu. Les verres se remplissent et se vident, accompagnés de chips et de cacahuètes dont le sel n’a pas le goût de la mer mais celui des tarifs d’une minuscule épicerie sur le front de mer, dont le sel n’a pas non plus le goût des peaux après l’océan. Nous parlons de nous : le Blayais produit juste ce qu’il faut comme effet pour dire l’évidence. A quelques mètres, à notre droite, elle semble nous entendre. Ne tendrait-elle pas un peu l’oreille ?

 

Dimanche 12 juillet 2020

Nous nous retrouvons alors au milieu de cette tablée joyeuse ; quelques heures plus tôt, l’aurions-nous imaginé ? Tu me diras plus tard que tu aimerais cela, être ainsi en famille. Je sourirai alors d’un enfant qu’il nous faudrait avoir. Je te dirai surtout que les amis aussi font famille. Je sais que cela ne peut te consoler : la tienne est loin. Loin d’ici et loin de ton univers, loin de ce que tu ressens, vis, aimes. Loin de savoir ce que veulent dire tes silences, ou bien eux-mêmes silencieux de ne vouloir leur donner un sens.

Je réalise que la vie au numéro 16 de la rue T n’a jamais vraiment fait l’objet d’envolées paragraphiques, malgré toute l’importance – et c’est le mot « douceur » qui me vient à l’esprit en premier, suivi de « simplicité » – des huit mois vécus là-bas, chez I / avec I, mais ce « là-bas » semble signifier une distance qui n’est pas. C’est encore un peu ici.

Pour toi aussi, c’est encore un peu un ici, puisque le numéro 16 a aussi été le tien, et qu’on peut se rappeler qu’il a été le nôtre ; facilement on ne peut oublier, cette image nous le rappelle, là, de tes yeux rieurs qui cherchent à te cacher sous les draps.

Samedi 11 juillet 2020

Sur la plage il y a le vent. Il apporte les vagues qui s’y échouent et emporte les mots que nous disons. Nous sommes tous les deux allongés, ou face à la mer. Alors, même si nos regards se croisent, ainsi surtout nous parlons, comme si c’était plutôt au ciel ou à l’horizon qu’à l’autre, libres d’être entendus, libres de dire, aussi bien des banalités de plages atlantiques que des réponses qui interrogent. Nous avions apporté des livres, des jeux, mais ce sont nos paroles qui sont phrases et dominos. Dans cette relation qui est la nôtre, cette connivence changeante qui se prête à des danses et des contours amusés ailleurs que sur cette plage et qui petit à petit chatouille une complicité souriante et improvisée plus tôt lors d’un café au soleil, tu parles alors de ce dimanche de mai au sujet duquel E évoque, depuis, dans une joie pétillante, la robe de ta mère.
Cette plage où nous sommes, c’était un peu plus loin, là-bas, me ramène à lui. L’eau était froide, c’était février de l’année dernière, le 23, mais je ne grelottais pas autant. J’avais fait des images ; son bras cachait le haut de son visage.

Vendredi 10 juillet 2020

Ce ne sont que quelques mots de E qui donnent le signe de son absence à venir, et quelques mots de moi qui donnent le signe de ma présence possible.

Ce ne sont que quelques rires entre V et moi, quand on se rappelle les chansons et ce something else dont je n’ai rien dit hier.

Ce n’est que la voix de T, dont je dis que je pourrais faire une pièce. Je cherche alors les mots qu’il pourrait dire, pour les faire devenir autre chose ; ça viendrait du ventre.

Ce n’est que ça, et c’est tant.

Jeudi 9 juillet 2020

Alors je ne dis pas à mes collègues ce que m’évoque le cake au citron que C a apporté pour son anniversaire : l’enfance. D’abord parce que je ne cherche pas à les interrompre, là, dans leur échanges culinaires, leurs comparaisons gustatives, leurs plaisirs acides. Ensuite parce je n’oserais pas dire que celui que ma mère, qu’elle confectionnait seule ou avec nous, était bien plus raffiné, à la fois doux et parfumé, dans un équilibre parfait pour nos papilles d’enfants. Enfin pour une troisième raison qui m’a traversé l’esprit au moment d’entamer ce chapitre et que j’ai oubliée. Peut-être ne voulais-je pas dans ce bureau aborder l’autrefois, en une phrase qui ici aurait glissé comme on sait, caressante comme la paume sur la douceur d’un agrume. Il y a dans mon souvenir le zeste qu’on râpait, je crois.

Néanmoins j’en ai repris, du cake. Néanmoins j’en reprendrai demain. Néanmoins j’emporterai le reste.

Mercredi 8 juillet 2020

Je reviens ces jours-ci à ces moments où je peux être avec moi-même, c’est-à-dire bien avec moi-même, apaisé de ce qu’il y a autour, ces gens que je ne connais pas, ce qui semble être du vide mais est rempli de vos présences potentielles, quelque chose qu’on pourrait nommer douceurs fantomatiques si on ne donnait aux fantômes que la définition d’une présence qu’on ne peut toucher au moment où ils sont là. J’avais répondu à B, lorsqu’il m’avait écrit pour me demander si je faisais la tête, que je regardais passer les nuages. Je l’avais alors laissé seul avec cette métaphore qui n’en est pas une, cette phrase à laquelle il manque quelques mots pour être parfaitement compréhensible. Demain je lui dirai.

Mardi 7 juillet 2020

Il me dit qu’il me fait perdre mon temps. Je lui dis que non, que j’aime écrire, et que ce que l’on se dit me nourrit. Il pourrait être un chapitre ou deux ; il ne sait pas encore que la vie est un roman.

Elle parle. Elle est seule à sa table, mais elle parle. Des expressions (tristesse, déception…) traverse parfois son visage. Depuis dimanche, j’ai pris mes habitudes. Trois jours suffiraient-ils ? C’est l’heure à laquelle frappe encore ce côté de la rue, le café coûte 1,60. J’ote de temps en temps mes lunettes pour lire ou écrire ce texte sur mon téléphone. Ainsi son visage n’est plus qu’une forme floue. À 1m d’elle, un barbu brun déjeune ; il a reposé son livre de philosophie.

Lundi 6 juillet 2020

« J’avais pas la grosse tête mais j’avais beaucoup d’ego. Je pensais que vraiment, j’étais sur terre pour quelque chose. Je le pense toujours, mais je pense que c’est pour une toute petit chose, une petite chose qui dure… une petite musique. »
::: Jean-Luc Verna

Il est tard. J’écoute cette émission dont tu m’as parlé entre 14h et 15h30, puisque j’ose ici exprimer le fait que oui, de 14h à 15h30, je m’étais octroyé ce moment avec toi, dans une liberté horaire qui s’impose aussi des moments plus propices pour se concentrer sur le travail, tard le soir ou hier, voyez-vous ça.
J’avais un peu insisté, je crois, pour que nous nous voyions aujourd’hui. Je voulais te voir, te parler, être seul avec toi, toi que voilà donc dans ce mouvement dont tu parleras, celui d’être « demandé par les autres ».

Je t’avais demandé et tu m’as parlé de Verna et de Chiha, c’est-à-dire de ce qu’ils avaient eu à dire sur les mensonges et les mathématiques. Tu m’as dit ce que tu avais à en dire, des mensonges et des mathématiques, dans des phrases un peu à l’emporte-pièce, dans une vision toujours à toi, qui souvent inverse, déplace, propose, sans pour autant s’envoler dans l’irréalité. C’est pour cela, sans aucun doute, qu’on te demande : pour t’écouter.
Je t’ai dit les souvenirs de leur présence et de l’émotion qu’il m’évoquent, dans une espèce de name-droping de surface. Hyper-émotif, avais-je dit en riant. Les émotions sont-elles trop fortes, effaçant ce qu’il pourrait rester d’autre, ou bloquant ce qui pourrait remonter des profondeurs, ou bien encore, avant qu’elles cèdent leur place, freinent-elles ce qui pourrait s’y installer ?

Dimanche 5 juillet 2020

Les vrais livres ont quelque chose de marin, ils sont conçus pour tenir la mer, la contredire même jusqu’à un certain point, à force de fendre les flots, traverser la vague et puis si possible, avec souplesse retomber dans son creux, armés qu’ils sont de varangues invisibles qui tiennent la coque et l’empêche de plier.
::: Tanguy Viel ; Icebergs

C’est un petit parc que je ne connais pas. Il y a des enfants qui jouent, des parents, des personnes âgées, une jeune femme qui lit et moi aussi. Je suis surpris : l’auteur pense, plus qu’il ne nous parle de ses pensées. Viel est alors celui que j’avais une fois entendu parler, le 21 octobre 2013, plutôt que celui que j’avais plusieurs fois lu. Et il évoque – en partie -, ce qui – en partie – me traverse en ce moment. Ou plutôt / aussi la solution à ce qui me traverse : nous sommes page 16.
Lorsque je prends conscience de ce que je lis, et du miroir qu’est le livre ouvert à l’ombre, je me demande si je comprends. L’écriture est un peu âpre, elle me demande un effort, puisque toujours mon esprit divague. A plusieurs reprises, je reviens, remonte, relis. Malgré la difficulté, je suis porté. Traversé mais porté. Non seulement la solution est dans le livre, mais elle est le livre. Elle est l’acte d’être face au livre, même si je n’atteins pas la « sérénité à effet immédiat » dont il est question page 17, mais je sais que je touche le point sensible, un point sur lequel j’avais déjà mis le doigt hier, en réservant des places pour 6 ou 7 spectacles de danse. Je me voyais déjà, heureux, être face à « ça ».  
C’est alors que la dame me demande si elle peut s’asseoir, là, sur le même banc, au bout. Oui bien sûr, je me décale, je regroupe mes affaires étalées à ma gauche et à ma droite, j’en plaisante ; elle ouvre un livre.

Entre les pages 20 et 21 je glisse ce que j’ai trouvé pour servir de marque-page, à savoir, honteux et marmonnant, une ordonnance taché de fraise sans que je vous en fournisse l’explication (hier, la pharmacie, le marché). J’ai peu lu, mais me voilà repu. J’ai même pu, le temps de ces pages, envoyer au « groupe » quelques lignes de Gracq piochées là ; son nom soudain revenait, sans plage.

Samedi 4 juillet 2020

Alors tandis que je repasse des vêtements à manches longues en me demandant lequel je choisirai ce soir, et que j’écoute cette émission de radio nouvelle pour moi mais dont E m’avait parlé en me disant « Quoi tu n’écoutes pas ça toi ?« , il y a soudain cette version de Des ronds dans l’eau de Françoise Hardy chantée avec une pointe d’accent peut-être portugaise et en tout cas quelque chose qui roule. Françoise Hardy est encore là, ainsi elle revient de temps en temps, parfois de manière incongrue, mais n’ai-je pas déjà récemment dit ça ?
Cette chanson, un jour de printemps 2008, avait été la réponse de N à un post que j’avais diffusé, peut-être dans ce journal, peut-être sur le blog nommé Hot Dogme où je sévissais également. N répondait à la chanson La Question de cette même Françoise, chanson qui revient facilement quand on ne sait pas dire les mots et qu’on n’entend pas les réponses ou le sens de leur absence. « Et ton silence trouble mon silence. » dit-elle. Et surtout, dit-elle : « Je ne sais pas qui tu peux être, je ne sais pas qui tu espères. » puisque c’est ainsi que cela commence. Mais sait-on soi-même qui l’on peut être ? Sait-on soi-même qui l’on espère ? Ici, moi, aujourd’hui, non. J’aurais beau dire oui – en le croyant – non, n’y croyez pas.
Je ne sais pas non plus si j’ai l’impression que c’était hier ou il y a un siècle cette anecdote avec N du printemps 2008 : les romances qui n’existent pas, et puis celles après lesquelles on court, qui se heurtent au réel, ou qui se terminent sans savoir dire la fin, oui ces histoires sont encore d’actualités, ainsi c’était hier. Depuis, tant d’autres, de l’eau sous les ponts, huit ans partagés avec C, un ailleurs embrassés et des prénoms qui passent, ainsi un siècle.

Ensuite, tandis que je n’ai pas fini d’écouter cette émission, j’ai envie d’être dehors, pour prendre quelques couleurs peut-être un peu ; on prend ce que l’on peut. Je m’installe, ouvre le livre que je n’ai pas fini non plus, et les phrases sont d’une beauté telle que ça m’enveloppe comme le soleil et comme le silence enfin revenu ; les ouvriers du deuxième sont partis, ils ont tant braillés depuis ce matin dans leurs 65 mètres carrés vides. Je me dis alors, dans une formule un peu idiote, que c’est tellement calme que j’ai l’impression que le soleil est à moi. On prend ce que l’on peut.

Mercredi 1er juillet 2020

Il y avait encore un peu de lumière et j’ai fait quelques portraits de ces boutiquier. Il s’amusait bien de me voir là avec mes appareils et mes souliers crottés, venue de si loin, si assidu. Ils m’ont expliqué que les véritables modèles, ceux qui ont des barbes, prenne l’uniforme et pose contre un petit sou c’était déjà retiré et qu’il faudrait pour le moins un autobus avec guide pour les faire apparaître.
::: Nicolas Bouvier ; Du coin de l’œil

Dimanche 28 juin 2020

Depuis le 29 juin 2018, tu as été des paragraphes entiers de ce journal ou de ce qui ne s’y dit pas, des rires étouffés, des musiques dansées, des yeux dévorés et dévorants, des couloirs passionnés, des ruines photographiées, des définitions pour savoir ce qu’est « être ensemble », des moments pour savoir si l’on peut dire  »Je t’aime », une étincelle qui m’a éteint, des larmes et des baisers encore, des danses, des confidences et des alcools, des mois pétris de silences tristes ou de fatalisme, un retour d’automne. Tu es encore là. Tu es une initiale qui te commence et qui me termine, mais je ne sais pas exactement à quelle place de mon nom tu pourrais te loger. Tu es toutes ces fois où tu me téléphones, parfois d’une petite voix, parfois d’un éclat brillant ; souvent je loupe l’appel, nous en avons tant ri. Tu es encore là. Nous avons, en ce dimanche, rien qu’à nous, quelques heures ; hier tu aurais dû danser. Nous marchons le long de la Garonne. Nous parlons. Tu me racontes ce que je sais déjà, ou peut-être, ce que j’ai pu oublier, ce que tu n’as pas dit, ces gens par exemple. Nous rions parfois bien sûr. Tu portes des bottines, un pantalon crème, une chemise à motifs, tu es beau, beau aussi de ta joie d’être là dans cette ville qui te manque et là-bas nous nous asseyons, il est est encore tôt mais tu choisis un Saint-Emilion, moi une bière, j’ai soif. Je crois que notre histoire est belle dans son possible et pourtant elle ne cesse de crier son impossible. Je crois que nous n’osons pas être sérieux quand nous rions de demain. Je crois que je ne devrais pas parler que de tes yeux puisque nous sommes amis. Pourtant je mets mon bras. Alors tu prends ma main.

Samedi 27 juin 2020

Et c’est ainsi qu’un pluriel, que j’avais entendu 8 huit jours plus tôt mais qui semble-t-il n’avait jamais été prononcé, et que Z avait bel et bien dit mardi au téléphone et que l’on en avait ri, oui voici donc qu’un pluriel provoque un trouble, la gêne de M, son agacement, puis plus tard son déplacement vers le canapé, canapé dont la position n’est plus remise en cause contrairement à celle de la table et des chaises qui imposent leurs dimensions et leur instinct grégaire contrairement à nous, ce soir, en l’absence de J – shooté à l’analgésique de niveau 2 – et Z – shooté au train loupé – qui auraient sans nul doute mis l’ambiance comme ils savent le faire via leur voltage et leur joie, mais non, le bus est à minuit, tu veux rentrer ?

(…Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.)

Vendredi 26 juin 2020

Je cultivais ma préférence pour le vague. Seuls m’importaient les paysages à demi réels des contes. Mais la langue qui les décrivait devait être précise : alors l’image mentale pouvait s’épanouir avec une netteté que n’avait pas pour moi la réalité dite « concrète ». Ainsi, en dépit de ma visions floue, j’avais sans le savoir opté aussi pour l’acuité du regard, à travers l’amour des mots justes.
Peut-être est-ce pour cela que j’ai choisi par la suite le métier de traductrice, voué à la recherche des correspondances les plus exactes possible entre une langue et une autre. Et pour cela encore qu’intuitivement, sans rien en connaître, je me suis intéressée très jeunes à un pays où la brume, les phénomènes évanescents, l’ombre et les rêves sont rois, et où pourtant les trains partent et arrivent à l’heure.
::: Corinne Atlan ; Petit éloge des brumes

Mercredi 24 juin 2020

Il m’avait demandé si cela me gênait qu’un ami à lui nous rejoigne. Je ne voyais pas en quoi cela m’aurait gêné ; évidemment j’ai dit non, il peut venir. Une fois chez eux, j’ai goûté quelques pâtes, alléché par l’odeur et la composition ; c’est encore M qui avait cuisiné c’est encore lui qui était aux fourneaux quand je suis arrivé, similitude de la scène en arrivant et du repas, nous avons souri de cela, c’est tout cependant, pas de quoi se poiler des heures. De toute façon, je crois que je n’étais pas d’humeur à rire. Je ne me reconnaissais pas, d’ailleurs, dans cet état un peu éteint, un peu froid, un peu agacé, que j’avais ce soir. La chaleur, sans doute : mes yeux semblaient avoir traversé le désert.
L’ami en question est alors arrivé. Nous nous connaissions. J’avais oublié son prénom. Probablement, il avait oublié le mien.

Lundi 22 juin 2020

Je répète ce que je te dirai. Et je répète ce que je ne te dirai pas, c’est-à-dire ce que ce soir, je pense dire, mais qui ne sera pas dit (par oubli, crainte, maladresse, indifférence, bouche pleine). Je ne répète pas comme un acteur, je répète comme quelqu’un qui pense à ce qu’il dira peut-être, là, dans sa cuisine, en mangeant du fromage.

Ici donc soudain tu interviens. C’est inattendu. Disons ce que c’est un mélange d’attendu et d’inattendu, ça dépend comment on les entend, ces adjectifs, ça dépend de quoi on parle, tu vois. Tu vois ? Et dans une envolée Cixoussienne, on rirait de l’a-tendu. 

Dimanche 21 juin 2020

Ainsi nous voilà, tandis qu’on entre dans l’été. Quelques heures plus tôt nous ne le savions pas, ça, nous ici. Mais nous savions, – depuis quand ? -, nous savions que ça arriverait. Tu sais, il y avait eu ce soir de février : tu n’étais pas venu.

Samedi 20 juin 2020

Il est 11h18. Il commence par l’habituel « Salut ça va ? » mais propose tout de suite de nous voir : « une session photo cet aprèm ? »
Il est encore dans son lit, un peu déprimé ces jours-ci. Je réponds « Ah zut ». Je réponds souvent Zut. C’est peut-être un peu trop léger parfois, ça ne donne pas l’impression que je compatis, mais ça sonne, et puis c’est avec un z.

Il est 15h00. Nous nous retrouvons au coin du cours du Médoc, marchons jusqu’à la voiture, roulons, suivons les indications erronées de Google pour cause d’homonymie, et nous voilà. Le Parc Majolan d’abord et sa folie des années 1870 d’abord. La réserve naturelle des marais de Bruges ensuite. Du premier on se satisferait d’une photogénie ensoleillée. De la deuxième, on respirerait le presque rien, le peu de vent. Et l’on chercherait les oiseaux.

Vendredi 19 juin 2020

Il a froid mais il dit que ça va. Je ne sais pas si je dois insister, monter chez moi lui prendre un pull (à sa taille ?) puisque nous sommes juste à côté. Je pense que je devrais le faire mais je ne le fais pas. Je pense à ce qu’il pourrait penser si je suis trop bienveillant, pourtant j’ai envie d’être bienveillant, et d’ailleurs est-ce bienveillant d’empêcher quelqu’un, avec qui vous dînez, d’avoir froid ? D’ailleurs que pourrait-il penser puisque il ne pense probablement qu’à une chose : avoir moins froid et que par conséquent il doit me trouver impoli de le laisser là ainsi. Je pense à ce qu’il se demande, par exemple pourquoi nous sommes là, par exemple qui tu peux être pour moi, toi que je retrouve après, par exemple à quoi je pense en le voyant en face de moi. Je pense trop. Et je crois que ça le refroidit.

Jeudi 18 juin 2020

F me demande alors si j’ai fait des photographies durant le confinement ; et ce que j’ai écrit. Je ne sais plus.

Mercredi 17 juin 2020

Elle s’appelle Gordana. Elle est blonde. Blonde âcre, les cheveux rêches. Entre les racines noires des cheveux teints, la peau est blanche, pâle, elle luit, et le regard se détourne du crâne de Gordana, comme s’il avait surpris et arraché d’elle, à son insu, une part très intime. Sa bouche est fermée sur ses dents. Elle s’obstine, le buste court et têtu, très légèrement incliné, sa tête menue dans l’axe. On devine les dents puissantes, massives, embusquées derrière les lèvres minces et roses. Le sourire de Gordana éclaterait comme un pétard de 14 juillet. On ne la voit pas sourire. On imagine.
::: Marie-Hélène Lafon ; Nos vies

Le livre était posé sur la table depuis l’achat ; la nappe est bleu canard, il y traine des livres, des carnets, des miettes, des masques, un bloc de post-it, un stylo, la housse du MacBook, un dessous de plat aux teintes assorties, provenant de mes aïeux de Saintonge. Maud en avait dit, du livre, l’autre jour, quelque chose de bien et mon esprit qui divague n’en avait retenu que l’idée d’une lecture indispensable. Depuis le livre m’attendait encore. Avec ce titre, forcément, il m’attendait : Nos vies.

J’étais revenu, j’étais de nouveau là pour lire et regarder. J’avais même failli faire une image pour Instagram, voire une vidéo, soyons fous. Hier déjà, j’étais enfin sorti de cet état où l’on ne sait pas trop quoi faire de soi-même et qui depuis deux semaines ne voulait pas partir.

J’avais même relu le Japon pour en faire quelque chose : j’étais là, avec le présent et la possibilité de regarder le passé. Mais aujourd’hui, je pensais à cette phrase que Gazel – osons ici glisser l’un de ses surnoms en hommage à ses yeux – m’avait écrite hier soir : « Pourquoi tu le vois s’il te rend triste ?« 

Le livre avait d’abord donné deux pages le temps d’un peu de soleil, la bouche encore pleine du goût du repas. Et puis, la nuit venue, j’avais eu envie. C’était beau. Parfois je m’arrêtais, c’était beau. Ça giflait, les mots. Et j’avais une putain d’envie d’écrire comme elle tout en tenant la raquette électrifiée, à l’affut des moustique et des mites, scène incongrue dont je riais.

Mardi 16 juin 2020

Je ne t’attendais pas là. Je pensais avoir un peu d’avance, une quinzaine de minutes et donc ranger l’appartement, dont l’état était assez désastreux et tu aurais sonné, à 18 heures environ, comme convenu. Mais tu étais assis, place Lafargue, tu étais beau, bronzé, les cheveux courts, et ton pantalon vert irradiait. Toi aussi, bien sûr. Je t’ai pris dans mes bras, bien sûr. Ce n’était pas possible autrement. Je ne sais plus exactement quel était ce vert, pourtant il était magnifique et nous en avons parlé. Pistache peut-être, ou bien que diriez-vous de tilleul ? Il tendait vers le jaune je crois et j’en suis sûr s’accordait joliment avec tes chaussettes prune et la neutralité de ton tee-shirt gris. J’avais touché la toile, d’un doigt, là sur ta cuisse, pour en connaître la texture. C’est donc étrange, quelques heures plus tard seulement d’avoir oublié la teinte. Mais peut-être que simplement, ne sachant la nommer, je ne sais plus la voir. Ou peut-être que j’essaye encore de t’oublier.


Dimanche 14 juin 2020

Si je dois te voir deux fois par semaine je vais t’aimer.
Et j’ai peur de ça.
Je ne veux pas tomber amoureux
.
Wow
– Wow bien ou pas bien ?
– Ben je suis surpris.
– Je sais.
Mais positivement ou négativement hahaha ?

Je ne sais pas, je suis surpris.
– Essaie de savoir otherwise we will never know
.

Samedi 13 juin 2020

Matin. Ce qui semble être une amitié prenant forme se retrouve sous la pluie. Tu m’avais fait cette proposition de nous retrouver là, pour découvrir les plantes sauvages comestibles lors d’une balade guidée par un amoureux-connaisseur des plantes, et forcément on pouvait l’imaginer la barbe plutôt hirsute, le cheveu plutôt en bataille ; j’avais accepté avec joie. Il pleuvra donc en mangeant des fleurs de mauves, en frottant l’odeur de poire des fleurs de carotte sauvage, en imaginant le goût d’un pesto de plantain. Et tu m’auras parlé de ce Brésilien qui repart.

Soir. Alors je vois que tu ne veux pas laisser croire que nous pourrions être… être quoi ? Je vois aussi que tu t’ennuies, un peu. Je vois aussi qu’ainsi, l’un et l’autre, dans cette forme précipitée, nous sommes. Ce n’est pas rien, d’être, même si c’est trois fois rien. Je sais déjà tout ce qui nous sépare l’un de l’autre et ce qui nous sépare d’un possible ; je nous vois donc avec sérénité, liberté. Je sais que nos rires nous rapprochent. Je sais que je voulais que tu sois là pour que quelqu’un soit là. Je crois voir que tu caches beaucoup sous ton rire, j’en sais peu.

Vendredi 12 juin 2020

Nous.

J’hésite à n’écrire que cela : nous. Tu sourirais en lisant cela. Cela qui n’a pas besoin d’autre chose. Nous. Nous sommes là, toi et moi, et nous parlons, de toi, de lui, de moi. Il intervient dans la conversation sans embarras, je crois, si ce n’est un petit quelque chose qui freine peut-être les échanges, évidemment, puisque mes nuages et ton éclaircie. Dorénavant, et pour toujours, nous partageons cette histoire, dont on ignore les contours à venir, dont on ne sait pas ce qu’elle fera de nous, là, au moment où je suis chez toi et que tu as sorti ces bouteilles de bière de 25cL et qu’ensuite je te dirai, comme souvent, « Paye-moi une clope » et que nous irons à cette fenêtre où la dernière fois je ne pouvais plus rien regarder.
Elle a un autre goût, cette histoire dont on parle, que celle que nous avions mordue ensemble, mutuellement, assez fortement ; il y a dans notre amitié les traces que nous avons laissées l’un sur l’autre – il y a 18 mois jour pour jour lorsque j’écris ces lignes.
En nous disant qui il est, disons-nous ce que nous avons été, ou ce que nous n’avons pas été ?

Mercredi 10 juin 2020

La nuit tombe. L’espace où il habite, habillé de la lumière du néon de la cuisine, sous les placards, devient froid. Nous pouvons peut-être, alors, trouver quelques images à faire. Je ne suis pas habitué à l’exercice, lui non plus, je voudrais que tout glisse comme un soir entre amis, qu’on oublie l’objectif, les idées farfelues, les poses, et que ses cheveux, si présents – c’est pour eux que je suis là – le soient autrement.

(Mais j’aurais pu parler des yeux, noirs, qui dans le tram…)

Mardi 9 juin 2020

Elle marche devant moi. J’ai beau deviner que c’est elle, il semble que le masque transforme aussi l’arrière de sa tête : je ne suis pas sûr. Elle s’assied sur le banc, je passe devant et ses yeux me disent qu’en effet, c’est elle. Une fraction de seconde, j’hésite à faire comme si je ne l’avais pas reconnue : son accent est fort et la comprendre est parfois un défi. Indienne, Pakistanaise ou Sri-lankaise, ses R disparaissent sous la langue et dans un anglais parfait qu’elle déroule à chaque fois sans que toute la machine à traduction simultanée constituée de mon système auditif et de mes bidules neuronaux parviennent à suivre ou décrypter. Avec le masque et le bruit du tram, je crains alors le pire.
La première fois, c’était à la fête chez V. Ah non pardon, la première fois, c’était à la soirée de gala, et ils s’y étaient mis à plusieurs : j’avais souri. Mais revenons chez V. L’ambiance était survoltée, les décibels au-delà du raisonnable, les voisins ne disaient pourtant rien : certains étaient invités. On s’amusait comme des fous, j’étais probablement le plus âgé du lot au milieu de tous ces étudiants et doctorants en majorité en neurosciences qui me connaissaient de nom ou de visage et qui devaient se dire que finalement j’étais amusant. Nous voici donc au bord de la fenêtre, j’avais probablement piqué une clope à quelqu’un (à cette fille, là, je crois) et l’un de nous, c’est-à-dire elle (la fille du banc, cette fois) ou moi entama la conversation. Je gérais la situation jusqu’à la question fatale, qu’elle dut poser trois fois. Aujourd’hui encore, je me demande s’il fallait répondre « Oh yes. »

Lundi 8 juin 2020

Je t’ai dit, vendredi, que j’aurais dû t’écrire. La conclusion, c’était qu’il n’était pas trop tard.

Mais tu m’as eu, avec tes mots, ce soir, tu m’as devancé. J’aurais pu ne jamais les voir car je me lasse d’aller là, pour regarder tout ce presque rien.
Mais tu m’as eu ce soir ; reviendrai-je, alors ?

Dimanche 7 juin 2020

Soudain, à force d’y penser encore et d’en avoir parlé, cela sort, mais sous une autre forme, surprenante voire absurde après la phase d’acceptation qui n’en était donc pas une : une colère, oh pas à casser des assiettes, mais à dire merde, quoi, merde et tout le reste, bien fort à faire fuir les souris.
Mais je ne veux pas que ce week-end, qui est passé par l’indifférence, l’oubli, l’obsession, le désir ou encore l’agacement, n’ait eu pour seul éclat de rire qu’une moquerie, peut-être blessante pour J. 
Alors M.
M surmonté de petits ronds.
Et nous rirons.

Vendredi 5 juin 2020

J’attends 11h43 pour envoyer à S la lettre terminée vers 3h du matin, exutoire qui me fait dire que, si c’est avec Z que j’ai cette relation, peut-être la plus saine aujourd’hui, peut-être la plus légère, peut-être la plus honnête, c’est parce que je lui avais écrit, pour exprimer ce qu’il y avait à exprimer, en un bilan et un espoir ; un tableau excel accompagnait le fichier word en un trait d’humour nécessaire et séducteur. Écrire, c’est hurler sans bruit, dit Duras. C’est aussi comme vomir et pleurer : il faut que ça sorte, et il ne faut pas avoir honte que ça sorte.
A 11h25, tu m’avais envoyé une image, riant. Tu cherchais sûrement à faire signe sans savoir comment, et curieusement ma réponse ne rit pas (c’était pourtant drôle) mais entame un échange au milieu duquel je t’envoie cette phrase d’Audiberti qui me poursuit et qui en un PS clôt la lettre : « Les lettres d’amour, c’est à soi qu’on les écrit, pour les lire en les écrivant. Quand les lettres d’amour parviennent, l’oiseau est mort, quatorze couteaux à fromage de banalités dans le poitrail. »
Tu réponds « Wow » et sous tes conseils, je file à la librairie acheter Le Choc amoureux, dont je lis les premières pages sur la coursive avant d’aller voir S, dernière étape éteignant l’éruption volcanique. Je sais que bientôt nous rirons de tout cela.

Jeudi 4 juin 2020

Retrouver enfin, sous quelques tubercules sains, la source de l’odeur qui semblait faire vouloir dire à la pomme de terre concernée : « Sortez-moi de là« . L’expression « patate pourrie » fit alors intervenir quelques souvenirs d’enfance faiblards, une cour d’école peut-être où nous nous courrions après.

 

Mercredi 3 juin 2020

Il est 9h12. Je n’ai pas eu de difficulté à me réveiller deux heures plus tôt, comme une envie de sauter dans ce lendemain, et après si peu de sommeil, d’en rire, de mettre des smileys qui rient aux larmes pour en effacer d’autres, car c’est moi, je balaye tout ça, j’avance, j’ai les boules mais j’avance, je rumine mais j’avance, je ne t’en veux pas mais je refais le film au risque de t’en vouloir, je répète tes mots au risque de les haïr, je t’écris au risque de lire tes réponses, je te pose des questions au risque de m’en poser d’autres : je cherche à éteindre le feu qui a embrasé le rien de paille sur lequel je dormais mal et seul, et donc ici j’écris ces mots que tu liras sûrement, sans savoir qui est ce « tu » si c’est toi ou si c’est l’autre, parce que je sais que toi, tu aimes me lire, parce que je ne sais pas si toi, tu me lis. Vos tu se mélangent comme hier vos corps et j’ai besoin d’en laisser la trace, pris au piège de l’écriture, encore, pour que peut-être ça devienne beau, tout ça, en quinze lignes qui s’acharnent à détourner ce qu’on a à peine eu le temps d’être (ou, dirais-tu peut-être, ce qu’on a simplement été et qu’on est encore ?) et qui s’acharnent donc à vouloir dire qu’on ne sera pas, parce que ça a plus de gueule, même trop maquillée, qu’un haussement d’épaules ou qu’un silence qui attend. Je pense à ton visage et j’en cherche tout de suite d’autres, comme tu as peut-être pensé au mien en regardant le sien, perdu ou éperdu.

Il est 9h12 et S m’écrit : « Grandma passed away. I had a dream about her telling me that I should take care of myself and that I always remind her of her beloved brother. Woke up with a text from my sister telling me she passed. » S, initiale partagée, S pour vous deux sans cédille, puisque bien sûr il y a toujours le fantôme d’A et son visage sur l’écran, celui de S aussi, tout cela se mélange, je me perds, comme je vous perds vous là qui me lisez, dans les lettres sifflantes comme dans les pensées, les incompréhensions, les mots, le souvenir bien sûr précis de toi qui bougeais à peine contre moi. Alors le soir nous parlons, mon visage et celui de S se regardent, je souris bien sûr, nos visages se répondent, je puise dans les bonheurs qu’on m’offre tel l’éclat de ses yeux, dans les espoirs que je n’offre peut-être pas en disant, à demi mots, que c’est presque impossible. Je blague. Nous rions. Encore. Pendant 45 minutes il y a des interférences, de son côté une voiture qui passe bruyante, du mien des nuages, mais je ris, je veux lui offrir un peu de joie teintée de mensonges, mais non je ne mens pas, tout comme je crois que tu n’as pas menti : je propose, j’hésite, je me prends de plein fouet ce qui fait qu’on est là, à se tourner autour, à dire et à s’entendre dire des douceurs et des désirs auxquels on croit ou l’on voudrait croire, un court instant.

Et puis je pense à J, perdu dans ce même monde où l’on dit et ne dit pas.

Mardi 2 juin 2020

Je me prépare. J’ouvre le sac dans lequel hier j’avais glissé de quoi éventuellement m’accompagner, et j’extrais donc ce livre, ces Fragments d’un discours amoureux, qui ne me disait par grand chose qui vaille ; je sentais bien que je n’avais pas la tête à ça. Mais peut-être, en une citation glanée au hasard, aurait-il résumé l’état d’esprit multiple qui me hantait, ou une portion, celle de l’attente notamment, déjà proposée en ce journal, un 24 janvier. Les années passent, et je ne sais plus qui j’attendais. Peut-être personne, jouant avec les non-dits pour parfois ne rien dire.

Je renomme le livre. Il devient d’abord dans ma tête le Discours d’un fragment amoureux, mais prolongeons ici le jeu, puisque – comme je le dirai à JLM plus tard -, c’est l’humour qui nous sauvera, l’humour ou le fatalisme, et donc ce sont DES fragments amoureux, ou quelque chose d’autre, un amoureux fragmenté, en une fêlure qui prolonge la multiplicité de la veille, comme un éclat – paf – qui se prolonge en étoile. Fragmenté car en attente, craintif, rêveur, fou, inconscient, possible, amoureux de quoi ?, pourquoi ?, déjà ?, comment ?, amoureux des moments fragiles qui n’ont encore rien produit sinon l’attente, la crainte… oh donc déjà ce n’est pas rien… les idées qui voltigent, les questionnement, les amis qu’on appelle et à qui l’on dit les fragments, à qui l’on dit que peut-être ça me permettra d’écrire un texte, que l’écriture sera là si jamais, la résilience et tout ça si jamais, mais déjà le lendemain j’ai oublié mes mots, et à 13h18 je t’avais écrit que ça me ferait peut-être écrire un beau texte triste etc. etc. et ça tourne en boucle, et on refait le film, et on répète les scènes, les mots.

J’hésite une fois de plus à arrêter ce journal. Hier je pensais peut-être en écrire un autre. Pour moi. Pour ne pas oublier ce qui me traverse au moment où ça me traverse. Sans jouer avec l’écriture et tout ce tralala. Ce petit tralala ? Celui-là, il en dit trop ou pas assez. Ou peut-être qu’il dit mal la complexité de ce qui me traverse. Peut-être qu’il écrase, en un phrasé ampoulé, ce que j’espère ce soir, ce que j’admets ce soir, ce que je regrette ce soir, et tout le reste, et tout ce que je t’ai dit, plus simplement, et tout ce que je t’ai dit, plus simplement, et que ça fout tout en l’air.

 

Samedi 30 mai 2020

Te répondre, oui bien sûr. Boire, déjà. Vous présenter, simplement. Poser ton verre, ici. Dîner, parler, écouter, recevoir ; merci. Attendre qu’ils s’en aillent, parce que. Te dire qu’il reste du vin, encore. Te chuchoter, bien sûr. Ne pas lui dire, bêtement.

Jeudi 28 mai 2020

« Une nuit, quelques jours après la catastrophe, le ciel était pur. Orion était magnifique. J’ai pleuré. Les gens étaient devenus des étoiles. » se rappelleKenji Sano, un commerçant de la ville sinistrée de Kamaishi, du département d’Iwate.
::: Magazine Tempura n°1

Mardi 26 mai 2020

Nous voici enfin, l’un en face de l’autre, deux mois et douze jours plus tard. J’hésite à écrire « enfin ». Je sais pourquoi j’ai envie de l’écrire, pourquoi c’est exact de l’écrire, parce que cet adverbe a sa place, là, ce soir, deux mois et demi, tout de même !
Je vérifie la date. C’est bien cela. J’avais oublié que déjà j’avais parlé de toi. De ton regard. Ce n’est pas tout à fait le même ce soir, même si la tristesse l’a peut-être traversé quand tu l’as évoqué, lui, amer, déçu. Tu parles du temps qu’il faudra pour laisser un autre être auprès de toi, mais je crois que ce n’est pas ainsi que tu le dis ; j’ai oublié. Tu précises le temps que tu penses nécessaire ; je souris. Je souris peut-être parce que j’ai déjà un peu bu. Je souris sûrement parce que j’ai envie de dire quelque chose. Je souris bien sûr parce que j’entends ce que tu dis. Et nous buvons encore.

Dimanche 24 mai 2020

Être bien, là, et rester, rester encore, tard, jusqu’à l’heure des promesses de se revoir vite.

Samedi 23 mai 2020

Où il serait question, à la fin d’une journée passée à courir après le temps et une souris, d’une tarte aux pommes et de sa cuisson.

Jeudi 21 mai 2020

Soudain, le silence. Par chance je n’étais pas endormi, pourtant il était tard. Précisons plutôt que j’allais m’endormir, et que, tac, c’est le silence qui m’a fait bondir. Peut-être un petit bruit distinctif (un tout petit clac qui proviendrait par exemple du compteur électrique ?) m’avait-il extirpé de ma torpeur, mais je ne veux pas le savoir, je veux écrire ici que j’ai été réveillé par le silence, c’est beaucoup plus joli, même si soudain je me demande si cela n’a pas été utilisé dans certains films d’horreur.
J’appréciai, en un sourire immense perdu dans le noir et une interjection, cette sensation de sérénité soudaine, presque oubliée, due au silence complet, mais la voilà rompue par la voix de la voisine – je l’aurais parié, elle est totalement flippée – qui, deux étages plus bas, s’inquiétait plus, semble-t-il, de la situation électrique que de déranger je-ne-sais-qui au téléphone – sa mère ou sa propriétaire, sans que je sache encore si c’était la seule et même personne. 

Lundi 18 mai 2020

Je ne m’attendais pas à venir ici, de l’autre côté, pour voir le soleil décliner, et les températures avec lui. Je ne m’attendais pas à ce qu’on prenne le temps. Je ne m’attendais pas, et toi non plus, aux géographies communes, gersoises au japonaises, au prénom qui m’est ami et qui t’a été enseignant. Je ne m’attendais pas à ce qu’il nous rejoigne et qu’on se connaisse via 6 phrases échangées et perdues dans février. Et c’était bien.

Dimanche 17 mai 2020

L’herbe. L’ombre. Le temps. Vous. La mamá. Les mots. Le partage. Tout ça.