Mardi 17 mars 2020

Alors, quelques minutes, je descends. Je ne croise personne, il n’y a personne à croiser. Je ne croise personne car je ne marche pas, c’est-à-dire à peine, les 100 pas, devant la porte. Ça me suffit. Ma rue, l’une des plus animées de Bordeaux, est vide, cela suffit pour être ailleurs. Il est 18h. Je prends une photographie panoramique. Je la diffuse avec ce besoin de montrer quelque chose, besoin que moi-même je ne comprends pas toujours. Parfois après j’efface.
Il y a parfois quelqu’un pour vous faire une remarque sur le réseau social bleu foncé, hier déjà, c’est une phrase ou un lien. Parce que j’ai évité une explication, un verbe, parce que j’ellipse, bam, on vous dit que, on vous renvoie vers. Parfois alors j’efface.

Les 100 pas, donc, quelques minutes, mais je vais devoir apprivoiser le mur qui me fait face depuis l’appartement. C’est un sentiment étrange. Même si je sais que je vais pouvoir m’en échapper, pour faire le tour du pâté de maison, pour faire des courses quand le frigo sera vide, il y aura toujours le mur. Et au-dessus, le ciel. Demain il sera bleu, dit-on. Demain il fera chaud.

Evidemment je me dis que c’est le moment d’écrire, quelque chose de profond, sur soi, moi, là, seul face à moi et au mur. Peut-être est-ce le moment d’oublier les autres, mais qui suis-je sans eux, maintenant qu’ici ils ont trouvé leur place ? Maintenant qu’il y a leurs yeux, leurs mots, le souvenir de leur peau, leur absence, et tous ces Atlantiques.

Lundi 16 mars 2020

« J’ai regardé attentivement vos imageries successives. Sur le scanner, l’artère carotide interne droite peut être considérée comme guérie. »

Dimanche 15 mars 2020

Faudrait-il, alors, encore, sans que ce soit encore, parler des yeux ? Puisque ainsi, si près, les voilà rieurs.

Et puisque l’on parle de distance, faudrait-il parler de distance, de celle qu’il faut garder, ou de celle qui s’impose ? Dans les rues presque vides de Bordeaux, je marche, puis aux Quinconces, où l’on démonte la fête, puis sur les quais où l’on s’évite, heureux du soleil, jusqu’à ce que petit à petit, on oublie, on s’habitue d’être là, moi je tousse un peu, j’essaye de ne pas oublier, mais il y a tous ces gens alignés, et j’oublie qu’ils sont en train d’oublier, avec moi.

Samedi 14 mars 2020

Alors, tandis que nous craignons d’être seuls, et que peut-être nous pourrions en rire, il craint d’être avec l’autre – ils vivent encore ensemble -, avec qui il n’est plus – ils ne sont plus ensemble, puisque c’est à ceci que joue parfois le verbe être. Alors il n’y a pas de rire. Parfois il me regarde, assez fixement, de son regard sombre, et si c’est souvent quelque chose dont je ne sais pas quoi faire, nous y voilà encore, alors nos yeux insistent, sans que je sache quelle forme de présence il me donne ni quelle forme je veux lui donner, mais je lui souris. Je ne sais pas encore que c’est de la tristesse.

Jeudi 12 mars 2020

Est-ce qu’un président de la République a déjà prononcé le mot « savon » dans un discours ?

Mardi 10 mars 2020

C’est une maison bleue sur Fiske Avenue. Sur les photographies, le ciel est de la même couleur. Je m’y rêve. Dans toute l’acception du verbe, qui ne sait pas s’il peut oser y croire, s’il peut juste espérer, si au petit matin il saura que non, rien, forget it. Je m’y rêve aussi en la transposant ailleurs, ici, dans la réalité de ma vie, ici, en France, et le jardin serait mon royaume.
Nous venions de parler de nous, comme toujours nous parlons de nous, au rythme qu’il faut, ce rythme qui prend son temps puisque les semaines vont s’étendre, et qu’on sait qu’elles risquent de nous épuiser, tout comme l’incertitude. Peut-être jamais nous ne nous reverrons. Tu as beau parler de l’automne, c’est une saison incertaine, tu sais bien que d’ici là le vent peut nous emporter toi et moi dans une autre direction, dans un ailleurs, ou bien te retenir dans ce qu’il a lui, de réel, à tes côtés, puisqu’alors la lumière vive que peut-être je suis, là, aujourd’hui, de mon côté de l’Atlantique, se sera éteinte. Peut-être ne garderons-nous bientôt qu’un souvenir effacé. En attendant je te propose de venir jardiner, de lui dire que j’aime aussi nettoyer les vitres, que je serai discret, là, au pied de la maison bleue, tout comme j’ai aimé être au pied de la maison lumière en plantant mes pensées. Et juste là, prendre l’air.

Lundi 9 mars 2020

Alors je te parle, te dis à voix haute ces pensées qui me traversent, parce qu’il faut bien parler, oser.
Cela, toi et moi on sait le faire, ouvrir notre cœur à ceux qui se taisent.
::: Hyam Zaytoun ; Vigile

Dimanche 8 mars 2020

Elle s’approche. Je dis qui je suis, peut-être m’a-t-elle reconnu. Je lui dis je dois toujours lui envoyer les photos des chevaux. Tant de photos. Comme hier. Aujourd’hui encore.
Peut-être me reconnaissent-ils. Toujours ils s’approchent, se laissent caresser, celui aux yeux clairs approche cette fois son museau de mon visage. Ils sont sales, si souvent sales, la crinière crottée, le flanc boueux, l’œil chiasseux. Elle le sait, elle le dit. Mais je lui réponds que l’important c’est la lumière ; je ne parle pas de leur regard.

Samedi 7 mars 2020

C’est de la joliesse de ses cheveux attachés qu’il faudrait parler. De cette fragilité, le cou cassé, le regard vers le sol comme le ciel n’était plus là. Des poules qui courent, s’engouffrent et que je cherche à faire sortir de là. De sa main agrippant le grillage. Des amas.

Vendredi 6 mars 2020

Alors, crier. Parce que l’idée même du fascisme ne peut que me faire hurler, ça part de là, à l’intérieur, au fond de moi, puisque c’est de là que je viens, c’est de là que je suis né, du hasard de l’histoire de ceux qui l’ont fui. Non pas qu’alors j’engueule celui qui voudrait bien parler, puisque quelque part c’est peut-être aussi un cri de peur.

Mardi 3 mars 2020

Le journal dit parfois quelque chose à ceux qui le lisent, entre les lignes ou sur les corps des lettres. Mais le journal est un piège, puisque je pioche, ici ou là je pioche, parfois parce que l’écriture sort comme ça, elle fuse, ça part d’une pensée, d’une suite sonnante de syllabes. Alors on pourrait croire que le non-dit est le non-important. J’y dis parfois le profond, parce que petit à petit j’ai appris à parler d’amour. J’y dis parfois le superficiel, parce que c’est là que les petits grains se logent, ceux de la peau, ceux de sable, les petits grains, les petits riens qui donnent des phrases.
Mais comment dire aujourd’hui ce qui soudain touche tellement en soi que c’est au-delà de l’essentiel ? Comment dire ce moment qui rompt le silence ? Comment dire ce moment où je suis dans ma cuisine ? Nous venons de parler. Je pense aux mots. A leur présence et à ce qu’ils disent, au-delà de ce qui a été prononcé. Comment écrire ? Je ne sais même pas s’il y a assez de place, ici, pour ça.

Lundi 2 mars 2020

Être arrivé ici, c’est n’en pas pouvoir sortir. Avoir atteint la ville, c’est être enfermé. Il n’y a rien de plus haut, rien de plus beau.
::: Julien Thèves ; Les Rues bleues

Dimanche 1er mars 2020

L’image alors montrerait le grain de ta peau, autour de laquelle je tournais, dans l’exercice périlleux du portrait. Le grain pourrait y froisser la toile et les rayures de ta parure de lit. Je t’aurais dit combien j’aimais la couleur de ton tee-shirt, de cette teinte bleu-vert, qu’autrefois je portais. Je t’aurais dit que la lumière était belle. J’aurais essayé de te faire rire. Un peu j’y serais parvenu.

Jeudi 27 février 2020

Sur l’écran bleu social on célèbre les 25 ans de l’album de PJ Harvey, To Bring You My Love. Combien de fois l’ai-je écouté ? C’était autrefois. Je n’étais pas celui que je suis aujourd’hui. Je ne sais pas si j’étais alors en quête d’une identité en écoutant ces musiques différentes mais j’essayais d’être sur un autre chemin, ne serait-ce que musicalement.
En face de moi, là, dans le tram, tandis que PJ me fait repenser à celui que je veux oublier et qui soudain revient, comme quand il me vient à l’idée d’écouter des albums parus avant septembre 1996, deux garçons parlent. Ils n’ont peut-être pas 18 ans. Ils sont peut-être d’origine pakistanaise, me dit leur langue, leur peau, leurs yeux noirs, si noirs. L’un porte un jean déchiré au genou gauche, générant une ouverture – telle que celles que je portais aussi avant septembre 1996 – d’environ 9 centimètres sur 5. Celui en face de moi, alors, touche la peau de l’autre, là, par petits mouvements, entre des caresses amoureuses et des grattouillis. Il n’y a peut-être rien d’amoureux dans ce geste, ils sont peut-être frères, c’est peut-être juste comme ça entre amis, juste comme ça.
Mais ce n’est plus autrefois : il y a soudain la peau.

Puis tes yeux. Un peu moins grand peut-être.

Mercredi 26 février 2020

– Oh au fait tu sais la fille d’hier ?
– Mmm ?
– Ben je viens de la croiser, elle bosse dans le bâtiment.

Mardi 25 février 2020

Mon livre est ouvert. J’ai entamé un paragraphe, elle vient s’asseoir en face de moi. Elle est peut-être américaine, quoi qu’il en soit elle a cette voix nasillarde qui recouvre le ronronnement du tram. Elle parle fort, le casque qui recouvre ses oreilles recouvre probablement aussi sa voix. Alors je la regarde. Avec insistance. Je la fixe. Vraiment. Je penche un peu la tête, vous voyez,comme ça, pour peut-être attraper son regard. Mais je n’existe pas. Ou bien j’existe trop. Elle croit peut-être que j’ai envie de lui parler, de la dragouiller, elle se dit peut-être « Oh no, another daddy trying to talk to me. »
Et puis un sourire de connivence se dessine sur le visage d’une dame. Je lui réponds, souris jaune. Un court moment j’essaye de plonger dans mon livre, mais non, c’est impossible, c’est cette voix, forte et comme ça, gnagnagna, qui dit alors you know he was really attractive, he was a model et là je comprends qu’en plus elle va nous faire vivre sa vie au lieu comme tout le monde de la tapoter sur Whatsapp au milieu de smileys.
Le sourire de la dame encore me croise, alors je lui parle, à la dame, fort, très fort, je couvre tout, le tram, l’Américaine, je dis que parfois j’ai envie de lire des passages à haute voix, très fort et les gens se retournent.
L’Américaine s’arrête, me fixe, les yeux ébahis. Sa main gauche relève légèrement le casque de l’oreille. « You’re yelling! » lui dis-je avant même qu’elle se lève en me disant qu’elle va plus loin.
Mais pas assez.
Derrière la lecture il y a encore sa voix, and the attractive guy.

Lundi 24 février 2020

Deux heures à peine s’étaient écoulées depuis le drame. Et Kowalzki était déjà là.
::: Yves Ravey ; Pas dupe

Dimanche 23 février 2020

Je cherche un coin, de soleil et de banc, en attendant C., alors je prends le bout qui reste, à côté de cet homme. Je ne sais pas à quoi je pense, peut-être à rien. L’homme se lève, avance un peu. Il est déjà trop loin lorsque je veux le prendre en photos, dans des vêtements qui de toute façon ne trancheraient pas avec l’arrière plan, telle sa doudoune sans manches couleur taupe et il s’éloigne encore, il attend quelqu’un, leur rencontre est imminente. Et puis je l’oublie. A peine plus tard je me lève, avance un peu. C m’écrit qu’il est derrière moi.
Alors nous marchons, je propose d’aller plutôt au soleil. Son rythme est le mien, nous parlons sans prendre d’images. Car nous sommes là ensemble pour cela, prendre des images, tel que nous en avions convenu un matin place des Chartrons. Nous hésitons à traverser la Garonne, poussons vers Saint-Michel dont il aime les petites rues. Pour les premiers clichés nous regardons la même chose, ces fleurs, ce vélo. Marchons encore. Place Sainte Croix, à nouveau le soleil. Et à nouveau l’homme du banc, dans sa doudoune taupe. Celui qui l’accompagne a préféré un bleu électrique. Qui trancherait.

Samedi 22 février 2020

Tes yeux grands ouverts, presque insolents, croisent les miens. Je m’y arrête. Ici, déjà, j’ai parlé de l’insolence de la jeunesse. Plus mon âge avance, plus je l’affronte, m’y confronte, hier encore j’avais vingt ans, je ne suis pas sûr que je caressais le temps, alors sans doute je ne caressais rien. Cherchant peut-être l’insolence de mon âge, j’ai osé cet anneau, j’ai osé être de peu couvert et dehors il fait froid. Il y a moins de monde que la semaine dernière, nous pouvons plus facilement danser, bouger, rire… Mon groupe se mêle au tien, le tutoiement devient pluriel, allègrement, alegria.
Le matin j’avais revu J, les années passent et toujours nous sommes là, toujours ses yeux sont bleus. Presque innocents.

Vendredi 21 février 2020

Soudain, juste pour une remarque au sujet de Benjamin G, la sexualité s’invite à table, puis les corps, ceux des autres, inconnus ou regardés avec dégoût, moquerie, désir, complexité certes, il le lit « complexe », mais quoi qu’il en soit peu de bienveillance. Je dis qu’en 2020 il serait tant de cesser de se moquer des différences, je dis, j’affronte, avec presque l’élan d’un avocat (du diable ou de moi-même) car je suis effaré de ce que j’entends. Le corps des autres est, chez une collègue déterminée à prendre parole, comme un champ de mines, un horizon inconnu, un étalage à masquer dès qu’on atteint des limites qui sont les siennes en terme d’âge, de rondeurs, de plis de la peau, de jeunesse disparue, de montrable. Dans mon plaisir de défendre tous les corps, et dans mon expérience de souvent les avoir regardés en dehors de toute considération (et lieu) de désir – ceux des hommes japonais, surtout, au bain – je me retrouve à dire ce qui franchit la frontière du travail. Exercice périlleux avant d’entamer mon fromage blanc. Qui pourrait alors rougir.

Mercredi 19 février 2020

Tram. Il porte des matières souples, cheveux poivre et sel. Il lit un livre, ou tente de, l’esprit attrapé par la lumière extérieure et la crainte de vêtements froissés.

Mardi 18 février 2020

Alors voici qu’elles hurlent, des hurlements de joie, des hurlements de quoi, dans l’espace exigu du bar. Après que finalement j’ai retrouvé allégresse et dynamisme, après que je vous ai rejoints et commandé un verre, après que tu m’as souri tant, après que tu as approché ta main, elles hurlent. Grimaçant nous partirons, cependant joyeux.

Lundi 17 février 2020

Tu as eu ce mouvement de tête quand tu m’as aperçu. Tes cheveux l’ont suivi, il y avait entre nous quelques tables. Et tu m’as souri.
Quelques heures plus tard, quand tu es reparti, après que ton visage avait été flou près de moi, puis sur une image où tu souriais tant, puis tes cheveux encore dans un autre mouvement, je me suis dit que je devais écrire. T’écrire, c’est-à-dire écrire toi. Ainsi te garder.
Mais j’ai appelé Z. Il restait moins d’une heure avant qu’il ne parte. Je me suis alors pressé, pour à peine lui parler de toi. Il pleuvrait.

Samedi 15 février 2020

Nous marchons. Je regarde les arbres. C’est ce qu’il manque dans mon quotidien minéral, même si cette pierre imposante fait la force du centre de Bordeaux. Je regarde les arbres puis les maisons. En rentrant chez moi, je me demande pourquoi je ne t’ai pas photographié, ne serait-ce comme je le fais parfois avec d’autres qui marchent à côté de moi, un détail, une main, une courbe dans les vêtements, ton corps imposant ou ce léger sourire qui éclaire joliment ta barbe.
Ainsi, le tram D m’amène dorénavant jusqu’à toi, et surtout jusqu’aux pourtours dont je ne sais que peu. Au-delà des Barrières, je déplace mon horizon. Pour mieux aimer la ville.

Vendredi 14 février 2020

Alors, après, lorsque la nuit s’est définitivement établie, je rouvre le livre. Il n’avait pas réussi à trouver sa place auprès de moi lorsque je l’avais entamé, il y a trois mois ; sans doute lui fallait-il du temps. Ce soir je leur ai donné du temps, au livre, au protagoniste, à sa mère restée dans le ghetto de Varsovie.
Sans doute mon esprit savait-il que cette histoire ne méritait pas d’être picorée par petits groupes de pages, qu’il fallait cela, puisque ceux dont on parle avait souffert du temps qui traîne, qu’on leur devait bien cela, de leur en consacrer, d’être là avec eux, peut-être une heure, je ne sais pas, la nuit était installée et moi aussi, calé ainsi, l’oreiller, la couette, la chaleur de la chambre, l’appréciable solitude revenue, malgré le regard porté sur la date et le sentiment qu’elle s’installe, la solitude.

Jeudi 13 février 2020

C’est tout de même curieux, une lettre. toi qui viens de recevoir celle-ci et qui me lis, tu sais déjà combien de pages elle contient, alors que moi qui la commence, je l’ignore. Sera-t-elle  longue ou court, passionnante ou ennuyeuse, pleine à ras bord de ce que j’ai l’intention d’y mettre ou vaseuse et circonlutoire — je sais, ce mot n’existe pas, je viens de l’inventer parce que j’en avais besoin — comme il m’arrive souvent de l’être moi-même devant les choses à dire et que je n’arrive pas à formuler.
::: Michel Tremblay ; Hotel Bristol New-York, N.Y.

Mercredi 12 février 2020

Nous voici sur mon canapé, après l’idée d’un thé, convenant que l’exigu restaurant manquait d’intimité. Si j’osais une opposition et une exagération je dirais qu’au contraire les saveurs avaient frisé l’immense. Comme tes yeux.
(Tout ça pour en venir à ça)

Mardi 11 février 2020

Je m’assieds. Déjà surpris par le volume de la maison, comme une respiration à la japonaise, je dis à J que les fauteuils sont beaux. Oui, ceux-là. Le nom de celle qui les a dessinés m’est bien connu ; elles sont amies. Ainsi, avant d’aller vers le Japon respirer mes souvenirs et ses projets de séjours, nous voici ici, dans le design français du 21ème siècle, dont les couleurs m’enchantent.

Lundi 10 février 2020

Marcher. Attendre. Se rappeler les minutes devant le pas de porte, la dernière fois. Repartir. Le lendemain, lire « Excuse-moi, je me suis endormi. » Ne pas y croire.

Mercredi 5 février 2020

Le petit cadet leva ses bras au-dessus de sa poitrine, gonfla ses joues, pinça les lèvres. Ensuite il souffla doucement dans l’obscurité de ses bras.
Ce que j’entendis ne fut pas un sifflement ni un chant, plutôt un son léger mais ferme. Il joignait le soulagement d’être enfin arrivé après de longues heures au fond de la met à l’illimité de voyager encore plus loin.
::: Yoko Ogawa ; La Mer

Mardi 4 février 2020

Je t’écris qu’après toi je ne vais pas m’investir dans le premier qui vient, que j’ai connu la high quality, que je suis devenu picky. Les smileys s’immiscent, tel ce clin d’œil après ta réponse. J’ajoute que mon défi est d’aimer quelqu’un autant que je t’ai aimé…. mais que je sais cependant que tu peux être méchant. Tu comprends peut-être à quoi je fais référence mais tu réponds dans un trait d’humour et change de sujet au bon moment, ou peut-être un peu trop tôt, qu’en penses-tu ?
Le sujet suivant, c’est cet homme qui t’a demandé à l’instant s’il pouvait te trancher la gorge. Tu a ri, tu en ris encore. Bien sûr tu lui as donné quelques pièces. Je ne pense pas à rebondir sur celui qui, dans le tram, entre les mots peur, Dieu et mort recouverts pas le bruit ambiant déclarait : « Aujourd’hui, j’ai lavé 57 corps. » Le nombre d’enfants aussi, il le connaissait.

Dimanche 2 février 2020

Je suis sur les deux images que tu m’offres. Je suis surpris, forcément touché, inquiet : où les ranger sans les abîmer ? Elles sont extraites d’une pile, rangée elle-même dans une boîte, une pile dont l’harmonie et la douceur me plaisent : il y a beaucoup de toi dans ces images. Il y a ce regard, ce plaisir du presque rien, une exigence qui s’estomperait à l’approche d’une main, peut-être cette clairvoyance, peut-être ce que tu attends du monde. Peut-être qu’ici je ne t’avais jamais tutoyé. T’en souviendrais-tu ?

Vendredi 31 janvier 2020

Il fait de grands gestes, je ne saisis pas. C’est mon tee-shirt qu’il montre, qu’il aime. Ainsi nous engageons la conversation. Avec lui, deux touristes américains. Il est anglais, il vit à Paris ; ils se sont rencontrés, là, un peu plus tôt. Je ne sais pas encore que nous rirons beaucoup. Je ne sais pas non plus que nous ne parlerons pas d’Ursula Schultz-Dornburg, ni de Sebastao Salgado, et pourtant.

Jeudi 30 janvier 2020

Tes postures, tes propositions et tes silences recouvrent ce je n’ose pas demander et ce qui depuis quelques semaines faisait signe, sens ou trace : nous n’avons été qu’éphémères. Tu ne m’as rien dit avant que j’arrive ce soir, et il y a quelques jours tu avais même répondu « Non », dans une exclamation, à une question pourtant claire, posée de manière légère, afin de montrer que j’avais compris comment notre chemin serait balisé, question à laquelle tu aurais dû répondre « C’est vrai » ou « Je ne sais pas » si tu osais dire les choses et user de smileys embarrassés pour adoucir les situations. Mais non. Tu m’as laissé venir, venir jusqu’à toi, sans comprendre – semble-t-il – que je venais pour toi. Heureusement que Paris va au-delà de toi, qu’on y croise même dorénavant Z et qu’on dîne avec lui, puisque même cela tu n’as pas su faire : m’accueillir.

Enfin, dans ton silence entendre que nous étions éphémères.

Mardi 28 janvier 2020

Le film est de ces films français qu’on regarde comme une chronique qui, tôt ou tard, nous rappellera des souvenirs, bons ou mauvais, de notre vie amoureuse. Et puis il y a une chanson, c’est en italien, l’air rappelle un peu Love in Portofino. Alors on attend la fin du film, on googlise que le début des paroles, on trouve un autre version de la chanson, chantée par Luigi Tenco. On lit les mots qui disent : J’ai compris que je t’aimais quand j’ai vu qu’il suffisait de ton retard pour sentir s’évanouir l’indifférence, pour avoir peur que tu ne vinsses plus, parce qu’il y a ce sifflant délicieux subjonctif imparfait : venissi.
Et puis on chante.
Venissi, aussi.

Lundi 27 janvier 2020

Je glisse alors les cinq blinis rescapés de samedi soir dans le grille-pain. Branche. Appuie. Paf. Noir. Noir noir ? Noir noir !
Dehors il fait nuit, par conséquent ici aussi. Nul réverbère depuis mes fenêtres. Tu avais heureusement ton téléphone dans la main, la lumière qui s’en dégage te guide jusqu’à moi, puis nous jusqu’à l’alignement de fusibles. Clac. Lumière. Ici ou là ça clignote, sur le four il est minuit.
Dans le grille-pain, on dirait que certains blinis ont tenté de s’enfuir, les voilà coincés dans les grilles métalliques du petit matériel d’électro-ménager dont les courbes sont d’autrefois. L’un d’eux restera là, ça nous en fait donc 4, plus simple à partager quoi qu’on n’aurait pas hésiter, courtois, à abandonner sa part ou, trop gourmand, à couper l’individu en deux.

Dimanche 26 janvier 2020

Sur sa table basse, une revue sur la communication publique. Il me dit que je devrais m’y abonner. Il a raison. Je lui dis qu’il me faut revenir aux fondamentaux de mon métier, et pour cela lire, lire ce qui ce fait, ce qui se dit et ce à quoi d’autres ont déjà réfléchi ou ce que d’autres ont déjà analysé et trouver le temps de réfléchir derrière tout ça, le digérer pour retrouver une légitimité, une assurance, une clarté, les mots. Je lui parle de tout ce que j’ai à faire et il y a les mots multitude, grand écart, précipitation. Je regarde derrière moi, je vois que le CELSA c’était il y a bientôt 7 ans. Je sens que quelque chose m’échappe.
Au téléphone il y a ensuite Z. Nous parlons de ce projet qui aurait pu m’emmener dans son pays si j’avais dit « Oui » et si j’avais été sélectionné, mais les raisons du « Non » sont multiples. Il me demande alors ce que c’est qu’être artiste. Mais il préfère que l’on attende de se revoir. Je chercherai sur Internet, d’abord, dit-il.

Jeudi 23 janvier 2020

Où l’on apprendra que ce n’est pas l’augmentation des apports énergétiques ou des apports lipidiques qui a entrainé une croissance du pourcentage d’obèses mais l’arrivée de la voiture et de la télévision. Du coup j’ai droit à du rab de frites ?

Mercredi 22 janvier 2020

– Et sa sœur elle s’appelle Cayenne.
– Comme la Porsche ?
– Hein ?
– Ouais ça me fait penser à la Porsche Cayenne.
– Mmmm… Non, comme l’île.

Dimanche 19 janvier 2020

C’était je crois le 2 février 2018, à la cité scolaire de Nontron. Elle avait oublié les photographies qu’elle devait m’apporter. J’en fis peu de cas, comme avec les autres élèves, et d’ailleurs, c’était beaucoup mieux comme ça, souvent. Ils me racontaient les images, la circonstance de leur prise de vue, ce qu’on y voyait. Souvent ils se trompaient.
Elle me raconta l’une des images en précisant d’abord le lieu : une chambre d’hôpital où elle se faisait soigner pour un cancer. Elle me dit que l’infirmière entra, avec des clowns, et qu’elle prit une photo d’elle dans son lit. J’imaginai alors une vue de loin, la jeune fille entourée des murs tristes de la chambre et de tout l’inévitable matériel médical.
Le lendemain, elle m’apporta les photos. La première aurait mérité à elle seule une histoire mais allons tout de suite à celle qui nous intéresse. Elle ouvrit donc la chemise cartonnée, et me tendit l’image, une photocopie laser couleur remplissant un A4. Ses lèvres rouge vif se détachaient sur des teintes douces et blanches ; c’était un portrait très serré, sur sa tête un foulard.
L’image était magnifique. J’avais rarement ressenti une telle émotion : la veille d’abord, et puis là.

Lorsque, quelques mois plus tard, nous avons fait l’exposition liée au projet, elle ne voulut pas monter cette photographie. Elle accepta que je la garde, nonobstant un subjonctif présent. Depuis, je l’avais égarée.

Ce dimanche soir, une fois rentré chez moi après qu’on avait parlé des ambiances d’hôpital sans clowns qui entrent rigolards dans une chambre d’enfant, il me prit sans hésitation de ranger mon appartement : il méritait qu’on remît un peu d’ordre pour accueillir potentiellement, le lendemain, JLM, qui devait passer chercher je ne sais quoi. Mon regard se posa sur cette immense publication, posée dans la petite corniche, qui commençait à se tordre. Depuis des mois, je l’ignorais bêtement. Je l’attrapai, la feuilletai. L’image y était, glissée entre les feuillets : lèvres rouges, teintes douces.

Samedi 18 janvier 2020

Where
Where are they now?
The ones with whom I laid in summer
You lover somehow
I’ll find a way to keep forever

Je pense à toi depuis que j’ai acheté cela en ligne, une heure plus tôt. Je pense à toi sans y penser réellement, parce que c’est toi qui m’a fait découvrir Michelle Gurevich et parce que certaines de ses chansons ont été nous et ce que nous avions à nous dire.
Alors je lis les paroles de celle-ci
Alors soudain tu reviens dans les mots. Tu es encore là. Comme en été, lover somehow. Forever.
Alors je t’envoie une image. Je suis surpris que nous n’ayons pas signalé la nouvelle année par des vœux. Pourtant, peu de temps avant minuit, ce 31 décembre, encore nous échangions. Sur ma carte de vœux, il y a ce cœur qu’ainsi je t’envoie. À tout le monde il s’adresse. À toi il dit autre chose.
Alors tu me réponds. Tu m’envoies des images de cette mer qui coupe ta ville en deux. Je le suis peut-être aussi un peu, coupé en deux, traversé par les flots. Forever ?