Alors sa voix, soulagée.
Jeudi 16 janvier 2020
Il a déjà commencé à parler. Vous vous doutez qu’il parle de ce pourquoi je viens, cette proposition accrochée sur les murs, reprenant sous une autre forme un projet photographique qui creuse l’intime et pour lequel il a publié un livre à la couverture rouge frappée de caractères chinois de couleur blanche.
Forcément ça m’intéresse : l’intime, tout ça… À Pascale, je dis que ça me parle. Pourtant j’ai attrapé des bribes entre le discours entamé et le dossier de presse posé à côté de moi, je ne suis pas de savoir qui est cette femme pour laquelle il dit amie, même s’il nous montre quelque chose de corps nus, quelque chose c’est-à-dire quelque chose d’autre devant lequel longuement je m’arrête. Il a parlé de sa femme aussi, ses enfants, de la distance, Skype, et puis il y a des phrases en anglais, l’Asie, et sur les murs quelque chose qui ressemble peu à ce qu’on voit habituellement donc forcément cette quête d’un accrochage « différent », ça me parle. À Pascale je dis que moi aussi, je cherche, comment parler de l’intime, comment mélanger les images et les mots.
Et puis quelqu’un a dit que Sophie Calle avait fait un peu pareil. Mais non : Sophie Calle, j’avais ri.
Mercredi 15 janvier 2020
Ainsi contraint, je me rends deux mardis matin par mois dans un institut médical conventionné situé rue du Louvre, mes soins consistant à monologuer sous l’œil mi-clos d’un psychiatre nommé Jean-François Bardot. Je soupçonne ce Bardot d’assurer de telles vacations publiques dans le seul but d’arrondir ses fins de matinée, rajoutant une pincée d’épinards dans un beurre – vu ses tenues sur mesure et son Audi Q2 garé devant l’institut – qu’il doit épaissement tartiner dans le privé.
::: Jean Echenoz ; Vie de Gérard Fulmart
Mardi 14 janvier 2020
Aujourd’hui, jeudi 27 novembre 1997, la nuit tombe alors que le train traverse les Landes, ou les côtoie, entre Bordeaux et Dax. Au pied des pins s’étend par endroits une couche superficielle de brouillard très dense, comme un gaz de combat, et au-dessus, vers l’ouest, de déploie sur le fond jaune du ciel un éventail de petits nuages gris ardoise. Comme presque toujours, les efforts que fait le paysage pour ressembler à un tableau – ici, un tableau de Friedrich – me mettent de bonne humeur.
::: Jean Rolin ; Traverses.
Lundi 13 janvier 2020
Je regarde l’heure, mais j’ai encore du temps. Les pâtes chauffent. Tu m’avais dit que c’était beau, sans cela je n’aurais pas prêté attention à ce film. C’est peut-être un peu cela qui a déclenché mon retour dans ces salles qu’on dit obscures : te séduire un peu en montrant que je m’intéresse à toi, à d’où tu viens, nous rapprocher d’une manière ou d’une autre, pour une raison ou une autre, quoi qu’il advienne de nous, tandis que nous parlions de théâtre et qu’au milieu de la programmation est apparu ce film. Alors l’envie d’un film est devenue l’envie de films.
Il est 19h09 et je t’envoie un mot, léger. Autrefois on pokait les gens sur Facebook. Ailleurs on envoie un tap. Là c’est un peu ça, c’est une phrase, ma main se soulèverait, les doigts bougeraient un peu pour te faire signe, je sourirais en envoyant cette phrase où ma main dit faire autre chose, légère.
Et puis les heures passent. Celles du film, qui m’attrape. Celles du soir. Celles muettes.
Dimanche 12 janvier 2020
Samedi 11 janvier 2020
Quel est mon pays ?
Celui où je vis, où je retrouve donc E et L, terrasse locale, moi vêtu de ce nouveau manteau qui, depuis des semaines, me regardait à travers la vitrine, manteau qui est peut-être la représentation parfaite du manteau dont j’ai toujours rêvé, quelque chose qu’on enfile et qui, immédiatement, vous habille tandis que le vendeur me dit qu’il est fait pour moi et qu’il ne sait pas à quel point oui, il est fait pour moi entraînant alors le paiement du produit et le bénéfice de 40% de réduction.
Celui d’où vient une part de moi, puisque l’histoire m’a fait naître ici des décennies après qu’on sera venu de cette Espagne que je partage avec J, lui qu’elle constitue à 100%, moi à 25. Cette différence chiffrée en fait-elle une ? Devant les panneaux de l’exposition que nous visitons ensemble et dans laquelle je tente de glaner quelques savoirs et quelques idées (de phrases ? de paragraphes ? d’idées ? Oui des idées d’idées, un élan à l’écriture quoi…) pour cette arlésienne littéraire dont à peu près tout le monde ne sait rien, devant les panneaux donc nous sommes face à notre place ici et à notre nom.
Celui où Plossu nous emmène ensuite, mais me voici déçu, la Rome du photographe ici m’indiffèrerait presque. L’auteur n’est pas là, j’avoue ne pas être venu pour lui, j’étais venu parce qu’on était là, tout près, j’ignorais qu’il devait inaugurer, mais n’ignore pas qu’il est l’un des responsables de cet autre pays dans lequel je vis, le pays photographie. Et l’Italie sinon ? Elle revenait, ce matin encore, comme un horizon, l’envie qu’elle soit pays.
Celui où le cinéma me ramène ce soir, le cinéma et toutes les images et les sons que porte cet art, les sons et donc la langue, ce Japon qui dans un Jésus doux, écrasant du poing ce que la religion veut être et nous faire croire, ce Japon qui joue un peu dans la neige. Je dis en général que c’est mon deuxième pays, c’est ainsi, un amoncellement de mois, je m’en limite à ça, une donnée chiffrée, un monde vaguement connu, duquel je peux parler, dire une géographie, des paysages, des habitudes. Mais soudain, cachée dans le bruit d’une porte qui coulisse, dans le profil d’une rue bordée de maisons bleutées, ou dans la présence d’une particule à la fin d’une phrase, soudain la nostalgie.
Vendredi 10 janvier 2020
T est là. Il est venu me vêtir. De sa douceur, aussi, m’envelopper. De son délicieux accent, aussi. Alors il me demande si je veux faire un goûter, et sort de son sac une boisson chocolatée et des barres fourrées dont le goût s’accorde. Nous parlons de Noël, je parle de toi, alors t’envoie un message, disant que je parle de toi. Ainsi ton silence se rompt, comme un flottement, comme on sort joliment du sommeil, prononçant quelques phrases ponctuées de smileys sans nez.
Jeudi 9 janvier 2020
Je suis en retard de 8 minutes, optimiste 15 minutes plus tôt sur le temps de parcours. Mon appareil photo est à l’épaule quand je franchis sa porte, alors il me demande si je me suis arrêté faire des photos en chemin. Oui, je me suis arrêté. Ainsi je lui montre la silhouette de ce jeune homme devant le trumeau du porche de Saint André, juste le temps que je l’attrapasse au vol, puisque bien vite il repartit : il s’était arrêté faire des photos en chemin.
Mercredi 8 janvier 2020
Mardi 7 janvier 2020
– Moi : Alors là, elle me dit « Oh Bordeaux ? Les pauvres commerçants ! Ils étaient complètement désastré hein ! »
– Lui : …
– Moi : Alors je lui réponds blablabla et puis oh mais enfin blablabla… Sainte Catherine… touristes…
– Lui qui poursuit le dialogue…
– Moi qui explique…
– Lui qui continue…
– Moi : J’ai dit « désastré » ?
– Lui : Oui.
Lundi 6 janvier 2020
« Non mais tu m’imagines, moi, faire boucherie ? » braille-t-elle soudain au type qui l’accompagne, de cette voix pincée dont les décibels néfastes brouillent le silence et ma lecture depuis que je suis monté dans la rame. Sa gouaille pourrait aller de pair avec l’ambiance parisienne du roman, mais le narrateur n’évoque pas, lui, les magasins Séphora, auxquelles l’après-guerre a échappé.
Dimanche 5 janvier 2019
Et puis c’est revenu, là, au fond, quelque part dans les tripes. Ça n’a pas été soudain, il y avait eu quelques frétillements, quelques titillements, dont quatre films en si peu de soirs sur Mubi. Hier, sur la table du bar, J avait posé le programme de la salle de cinéma d’où il revenait de presque trois heures dans le noir ; j’avais feuilleté l’objet délicatement.
Alors j’y suis allé. Avec envie.
C’était comme si j’allais retrouver un vieil ami, je voulais passer du temps avec lui, plonger dans ses bras. Il aurait dû être chinois et m’embarquer dans les monts Fuchun, il a été brésilien, et il m’a tenu, comme ça, durant 2 heures et vingt minutes. A la fin, ému, il m’a chanté une chanson d’Amalia Rodrigues. Ç’avait été beau.
Samedi 4 janvier 2020
Depuis hier, la femme de Kyushu est sur le mur. Elle tient sa chevelure devant un horizon nuageux presque absent, il vient de commencer à pleuvoir.
Nous ne parlons pas d’elle au cours du dîner. Il est pourtant question de cheveux : les miens et ceux avec lesquels mes amis luttent. Il est pourtant question d’images : moi ici ou là sur le mur d’E. Il avait pourtant été question d’horizon : on avait choisi le 10 avril.
Vendredi 3 janvier 2020
Jeudi 2 janvier 2020
Mercredi 1er janvier 2020
2020 !
Mardi 31 décembre 2019
Regarder l’année passée, voir des noms, des présences, des rencontres, des yeux, des aimés, aimés dans toute l’acception d’un verbe qui tant embrasse : famille, amis, eux, toi, vous.
A l’heure du bilan d’une année forte, les initiales s’alignent, une cédille s’impose, une dissection carotidienne s’immisce, les photographies s’empilent, les mots continuent ici, les trains m’emmènent vers ou avec l’autre, les amitiés se renforcent ou se créent, les whatsapperies quotidiennes lancent encore et encore leurs smileys hilares et leurs larmes de joie aux coins des yeux.
A l’heure du bilan, je vois l’absence d’exposition en 2019, ce livre qui s’enlise mais 22 images du Japon dans ce beau livre à la couverture rose, un nouvel appareil photo et tant d’idées exaltantes avec l’envie de leur donner vie.
Ce 31 décembre, il y a aussi un film, Le Pays des sourds, touchant, simple, sobre, donnant à voir la dure réalité d’une partie de la population que là, dans ce qui devrait être un moment de joie, on force à parler. Plus tard la pièce montée s’effondrera. Peut-être qu’on pourrait en rire, ce n’est rien, quelques choux, et une nougatine un peu émue.
Ce 31 décembre, il y a aussi toi, qui te découvres, autre, ainsi, là, dans cette tenue qui nous amuse mais qui soudain te construit. Nous rions, oh nous rions bien sûr, de te voir si belle en ce miroir, mais tu m’émeus. Sur la terrasse, dans ce questionnement permanent sur toi, tu répètes que tu es normal, pour t’en convaincre. Nous nous amusons, sommes heureux, et tout cela est normal. Il y a un an nous étions ensemble, rien que tous les deux, dans ce duo que j’aime. Ce soir nous sommes encore là, toi et moi, notre duo a cette même forme qui, au détour d’une danse, se rapproche un peu. Encore là toi et moi mais entourés d’eux. C’était cela 2019, non ? Être avec vous.
Lundi 30 décembre 2019
Dimanche 29 décembre 2019
Je te dis que je pourrais écrire cela, cette manière que tu as eu d’attendre, là, debout, hésitant, assez longtemps, puis un thé à la main, toujours là, toujours hésitant. J’avais dit Oui, j’ai du thé. Mais j’avais dû chercher ; une petite boîte d’Earl grey, là.
Je te dis que je pourrais écrire que je t’ai dit que je pourrais écrire sur toi, attendant ainsi, et les temps se prendrait alors les pieds dans un tapis. Volant, avant la nuit.
Samedi 28 décembre 2019
Je pourrais d’abord évoquer les dimanches soir. Ils me causaient de l’appréhension, comme à tous ceux qui ont connu les retours au pensionnat, l’hiver, en fin d’après-midi, à l’heure où le jour tombe. Ensuite, cela les poursuit dans leurs rêves, parfois pendant toute leur vie. Le dimanche soir, quelques personnes se réunissaient dans l’appartement de Martine Hayward, et moi je me trouvais parmi ces gens-là. J’avais vingt ans et je ne me sentais pas tout à fait à ma place. Un sentiment de culpabilité me reprenait, comme si j’étais encore un collégien : au lieu de rentrer au pensionnat, j’avais fait une fugue.
Dois-je vraiment parler tout de suite de Martine Hayward et des quelques individus disparates qui l’entouraient, ces soirs-là ? Ou bien suivre l’ordre chronologique ? Je ne sais plus.
::: Patrick Modiano ; Souvenirs dormants
Vendredi 27 décembre 2019
Voir J. Dire un peu de ce qu’il ne sait pas, rester flou.
Voir N. Dire un peu de ce qu’on ne doit pas dire, rester flou.
Voir O. Caresser les lignes de l’objet. Dire ce qui va suivre.
Ne pas voir L. Ne pas dire ce que je voulais dire. Le laisser parler de mes silences. Passer pour. Abandonner. Finir.
Jeudi 26 décembre 2019
Nous parlons des images du Chili, de cette proposition qui m’entête de les relier à une île, à un lieu qui n’en est pas un. Nous avons parlé des ailleurs qui t’attendent et que tu espères.
Et je te dis enfin que j’ai un autre projet photographique. Dans lequel tu es. Je dis enfin les mots que d’autres fois j’avais imaginé pouvoir te dire, juste ça, parce que ces images de toi il faut que je m’en extirpe, parce que j’en ai fait beaucoup et tu acquiesces et je t’en montre trois. Tu aimes la première, tu ris en la voyant : elle est un souvenir joyeux de notre histoire. Sur la troisième, que je ne t’avais jamais montrée mais que peut-être tu avais vue sur ce réseau social, tu es nu, de dos, assis sur mon lit. Je dis que la photo est belle mais je passe un peu vite, un peu gêné. Je dis qu’il y a aussi les mots, tu sais ces mots en images, et qu’ils rejoindront ta présence. Présence de l’amour à l’intérieur, cela pourrait s’appeler. Je ne te le dis pas. Je ne te redis pas non plus que je t’ai tant aimé.
Mercredi 25 décembre 2019
La chanson se fait discrète. Ma voix aussi, les paroles oubliées. Plus tard, aux amis, je la chanterai.
They’re cutting down trees.
Putting up reindeer
Singing songs of joy and peace,
Oh, I wish I had a river I could skate away on.
Stays pretty green.
I’m gonna make a lot of money
Gonna quit this crazy scene.
Oh, I wish I had a river I could skate away on.
Mardi 24 décembre 2019
Lundi 23 décembre 2019
Dimanche 22 dimanche 2019
Samedi 21 décembre 2019
Vendredi 20 décembre 2019
Jeudi 19 décembre 2019
Mercredi 18 décembre 2019
Il n’est pas huit heures, je suis sur le campus, déjà. Les travaux du futur bâtiment, dit » recherche », biiip biiip biiip, illuminent un coin de nuit ; le soleil n’est pas levé mais offre une dominante bleutée à l’horizon. Je sors mon nouvel œil, clac. L’image est nette. La nuit vient de perdre un peu de son sens.
Mon D700, après dix années de très bons et très loyaux services, dix années d’un usage intense et presque quotidien, brinquebalé dans tous les sacs à dos et à main que j’ai possédés, subissant les chocs contre le mobilier urbain, le froid des neiges japonaises, la poussière du Chili et le sable du Kenya, montrait des signes de faiblesse. Il a été mon œil, ma main, mon inséparable.
Depuis plusieurs semaines, il ne s’éteint plus.
Le voici en sommeil.
Son remplaçant sera un nouveau virage, comme l’ont été tous les changements de matériels photographiques (téléphones portables inclus) et de supports (instagram inclus). Je peux à présent faire des photographies dans des conditions de lumière très faibles. Je peux à nouveau (comme avec mon Fuji, 2006 – 2009) faire des images en visée ventrale. Je peux faire des vidéos. Je peux surtout continuer à regarder le monde… quel que soit le matériel.
Mardi 17 décembre 2019
Avec un Z ?
Oui, un Z6.
Dimanche 15 décembre 2019
Samedi 14 décembre 2019
Un samedi. Un joli garçon en terrasse qui drague une jolie fille, ses mains qui s’approchent de la sienne, son sourire, ses yeux, ses gestes qui cherchent à provoquer pour que peut-être elle lui attrape ce doigt qu’il tend et qu’un contact enfin se produise. Vous trois – c’est-à-dire nous quatre – et une crispation parce qu’il y a dans le travail de chacun des zones de blocage et de conflit. Une foule, des gants trop chers, une écharpe abordable made in China 30% laine / 70% acrylique (et vieilles dentelles). Et ta peur.
Confronté à cet inévitable – l’amour des hommes – et la réaction probable des autres – ta famille, tes amis – s’ils l’apprenaient, tu cherches des guides, des réponses. Je te retrouve alors tel que je t’ai connu et aimé, dans le décorticage de ta culture, dans ce que dit cette chanson où le beloved n’est pas du sexe opposé. Mais ton corps a changé.
Vendredi 13 décembre 2019
Les bavardages de Doillon n’avait pas tenu bien longtemps sur l’écran. Truffaut et ses Mistons les avait remplacés dans toute la joliesse d’un court métrage traversé par les turpitudes d’ados d’autrefois. Et puis. Et puis Antonioni fit marcher Monica Vitti, manteau vert, paysage lunaire. A gauche, des hommes en manteau sombre. Je suis alors revenu en arrière, j’ai fait des copies d’écran, c’était splendide, elle l’était aussi, surtout juste après, mangeant un sandwich entamé par un ouvrier puis du regard, l’homme blond. C’est à la quatorzième minute du film que je me suis dit que depuis quatorze minutes tous les plans étaient beaux. Puis elle se réveilla, fiévreuse ; j’étais moi-même au lit.
Jeudi 12 décembre 2019
Il s’agit de s’immiscer dans un nouveau cercle, amical et associatif, en rendant service et, en retour, en se nourrissant de mots, de présences, de valeurs, de projets. Celui-ci a de nouveaux contours, l’épaisseur d’un roman, le toucher d’une couverture de livre ; il fait un bruit de papier et de partage. Autour d’une table, déjà, il a le goût du vin et de la sauge ; inévitablement, l’odeur suave du Japon.
Mercredi 11 décembre 2019
Mardi 10 décembre 2019
S’assoupir.
Lundi 9 décembre 2019
Dimanche 8 décembre 2019
Sur les 164 photographies prises entre 21h17 et 4h25, il y a des visages souriants, des hilarités, parfois un regard charmeur ou perdu, une bouche accrochée à un micro, parfois moi aussi, mais mon costume a alors déjà été arraché dans un moment un peu fou après qu’elle – prénom oublié – aura voulu y entrer avec moi.
Je choisis de ne pas faire apparaître, sur le journal d’hier, le visage de V, joyeux et chantant en Santa costumé. Il aurait pourtant toute sa place, pour garder trace. Bientôt il partira ; il restera de nous deux photographies. L’une au format portrait, prise par je ne sais plus qui, dans un duo plus stone que Charden, où la couleur de mon tee-shirt est assorti à son vêtement. L’autre au format paysage. Probablement, autour de nous, des sourires.
Samedi 7 décembre 2019
Je te cherche. Au loin je reconnais ton manteau gris clair, quelque chose proche du vair, je presse le pas, te tape sur l’épaule. Tu te retournes, me dis « Bonjour Arnaud, ça va ? » comme si de rien n’était, comme si on s’était vus hier.
Tu choisis le bar, c’est une bonne idée, je ne le connaissais pas. Tu ne veux pas de gâteau. Ni d’une deuxième cuillère. Tu me racontes les mois passés depuis mi-mars, les kilos perdus, le stage, la quête d’un travail, ce logement que tu partages avec ce garçon et cette situation qui t’a poussée à me revoir. Tu regrettes ton silence et les restaurants manqués, mais je te dis que c’est ainsi, que c’est peut-être mieux, que je suis heureux de te voir, comme si on s’était vus hier.
Vendredi 6 décembre 2019
Il y avait certes cette mention sur une porte du couloir menant du bâtiment de l’administration — dont les portes du rez-de-chaussée étaient soudain décorées de guirlandes et autres bricoles pailletées qui tranchaient un peu avec la rigueur comptable qui se cachait derrière et j’ai mis un cadratin pour que vous puissiez suivre même si je ne suis pas sûr que ce soit un usage très correct — à l’imprimerie, et il y avait ce que l’on m’avait dit un jour, au détour d’une conversation, sur l’usage des locaux de cette partie de la fac.
J’allais donc tranquillement voir mes collègues, avec qui les échanges se font toujours dans la bonne humeur — j’aime beaucoup mes collègues de l’imprimerie et l’ambiance qu’il y a au milieu des machines, peut-être parce que j’aurais adoré y travailler — pour leur montrer que les chemises à rabats réalisées par le prestataire avec quantité minimale de 500 exemplaires et avec pour conséquence une dépense qui m’avait fait un peu faire la grimace mais bon c’est ainsi, oui donc que les chemises avaient un petit problème de fabrication, à savoir deux mm en trop ici ; vous voyez ça dépasse.
Je passais donc dans le couloir. La porte était ouverte. Les macchabées étaient là.
Vous ne vous y attendiez pas ?
Moi non plus.
Ils étaient deux. L’un sous un drap. L’un dans une boîte ; vous voyez ça dépasse.
Mais je n’ai pas ri.
Même pas jaune.
Ni noir.
Maintenant je sais. J’ai vu. La mort est là. Ce ne seront plus des bruits de couloir.
Jeudi 5 décembre 2019
Oh bien sûr on n’ira pas, ici, sur le terrain glissant des certitudes. Mais on s’arrêtera sur celui des luttes, indispensables. Dans le miroir qui montre notre visage, je vois depuis longtemps celui qui ne participe plus. Mais il fait beau. Alors je retrouve les visages d’autrefois, les drapeaux d’autrefois, les airs d’autrefois, quand on marchait sur les boulevards parisiens et sous les slogans.
Dans mon souvenir, les cortèges étaient hurlants mais regardez-les qui s’avancent, drapeaux rouges CGT, drapeaux rouges FO, drapeaux rouges PCF, dans une lutte presque silencieuse rompue par une explosion de pétard. Paf. Puis une fusée de détresse. Wiiiiz. Mais tout de même, lui, là, tandis que place de La Victoire je les regarde passer, cherchant un visage à immortaliser, lui donc il s’égosille dans son micro au pied d’un ballon géant et d’une sono qui s’épuise en voulant maintenir les 42 régimes. Me tendrait-on une perche avec ce mot, régime ? M’attendrait-on sur un trait d’humour bananier ? Attendez-vous la grande Zoa ? Tsssst non, personne à propos des régimes n’a ce tic*.
* J’ai aussi tenté un truc du genre « Il n’y a plus guère d’esprits brillants que les régimes n’astiquent. » mais c’était bancal.
Mercredi 4 décembre 2019
Un thé ?
Mardi 3 décembre 2019
Je me retourne. Ils sont derrière moi sur papier glacé. C et P scrutent l’horizon par une fenêtre, H se rhabille, J, N, Z et K me regardent. Je réalise qu’ils sont là, que tu les as côtoyés durant ces jours. Souvent je les oublie, mais souvent le regard de J m’agrippe.
Tu as regardé les photos ? Le mot mausolée t’amuse.
Je n’ai jamais évoqué leur présence avec A, lorsqu’il venait, peut-être parce que la sienne gommait leurs visages. Il manque, d’ailleurs, A. D’autres aussi : de F il y devrait y avoir cette photo dans un train de février. K est là car j’aime l’image, l’esquisse de son sourire à califourchon sur ce sofa de skaï et sur la tête ce bonnet qu’il n’avait peut-être pas quitté de la journée. Peut-être même pas dans ce bar ; nous y avions tans ri.
Lundi 2 décembre 2019
Dimanche 1er décembre 2019
Samedi 29 novembre 2019
Transformé, T nous accueille dans cet antre chaleureux où les tapis se chevauchent, les flamands sont d’une feutrine respectant la couleur d’origine sans avoir ingurgité la moindre crevette et la petite chambre sert de cabine d’essayage pour définir si oui, le XS grignote les aisselles. Une contrepèterie oserait peut-être demander ce que le XL fait aux aigrettes, mais tandis que le lecteur chercherait un verbe inconnu, on passerait aux jeux, dans ce qui semble être un moment venant d’outre-Manche, entre flegme et humour bien à soi, donnant aux franchouillards de quoi presque rougir.
Vendredi 29 novembre 2019
Sur les réseaux sociaux, il montre une image où l’on voit son père, de dos, marchant. Son père est, depuis, parti, parti comme dit dans un euphémisme douloureux. M et moi nous connaissons depuis 10 ans, presque jour pour jour. Je suis soudain dans le rôle du lecteur qui découvre, chez celui qu’il connait, une sensibilité, un phrasé et le besoin de dire. Dire ce qu’une image et un panier rouge de plastique ne disent pas.
Jeudi 28 novembre 2019
Tu avais noté que ce serait un 28. « Hé tu sais que… » avais-tu écrit. J’avais aimé que tu regardes ainsi les jours, dans leur numérologie cyclique, comme moi j’aime le faire, juste pour dire, comme ça : « Tiens. » Parfois ils m’offrent un élan pour l’écriture, je m’y accroche. Comme aujourd’hui.
Mercredi 27 novembre 2019
Elle domine le village, lui-même haut perché avec ses raidillons coupe-jarrets, ses monte-à-regret cabrés vers le ciel, l’emmêlement têtu, le ruissellement gris bleu de ses toitures d’ardoises, ses étagements de balcons, de tourelles en encorbellement arrimés aux redans du rocher, avec l’ample retombée de ses jardins en terrasse, ses volées de marches dévalant la pente, impatientes de se faufiler au milieu du quant-à-soi des vergers, entre les hauts murs de granit, gainés de mousses et de lichens, alourdis par le débord cornucopien des arbres en espalier, la plénitude tentatrice des reines-claudes, des figues fleurs, des sanguinoles ou des pavies, tunnels d’ombres et de feuillages le long desquels on dégringole en criant à tue-tête pour déboucher enfin, hors d’haleine, échevelés, les joues en feu, au milieu des éclats de rire des berges, des courses trébuchantes sur les bancs de galets, face à l’éclaboussement des corps nus dans l’eau froissée de soleil.
::: Christophe Pradeau ; La Grande Sauvagerie
Mardi 26 novembre 2019
Lundi 25 novembre 2019
Dimanche 24 novembre 2019
« Le boulot était un horreur, donc l’univers me devait un cadeau. » m’écrit N en me parlant de V, avec cette approximation sur le genre du mot et cette construction de phrase correcte mais avec ce je-ne-sais-quoi de fragile. Peut-être est-ce parce qu’en le lisant j’entends sa voix, une hésitation, et son sourire qui laisserait à peine le temps au point de s’installer à la fin de la phrase. Quelques lignes de dialogue plus tard, il ose un regard amusé sur le temps qui passe et sur ce que, de soi-même et de notre jeunesse, l’on retrouve chez d’autres tel que V.
Lorsqu’il m’est venu à l’idée de prendre rapidement des nouvelles de N, je venais de brancher la clé USB intitulée AU REVOIR, dont j’espérais à nouveau lire le contenu, puisque un incident technique récent m’a fait découvrir quelque solution pour récupérer des fichiers perdus. Je n’ai jamais jeté cette clé, devenue illisible loin d’ici, il y a deux ans, chez P, là où il ne pleut jamais et il y aurait tant à dire sur le fait d’avoir là-bas, avec lui, perdu ce que C m’avait donné deux mois plus tôt. Je n’ai jamais regardé entièrement le film qui s’y trouve, mais j’y sais la voix de Duras (et qui d’autre ? Yann Andréa ?) et j’y sais C et moi qui nous jetons des boules de neige dans un ralenti qui tentait peut-être, dans un étirement douloureux, de faire encore durer notre relation. Quelque chose du bonheur de notre histoire se trouve dans ces images en mouvements prises un soir d’hiver et je crois, en y pensant, encore entendre son rire. Ces images pourrait rejoindre cette photographie que j’aime tant, où C court dans la neige, chez J. Il s’éloigne, entouré de blanc, dans un flou de mouvement. Je ne sais pas exactement ce qui me pousse à garder cette clé et vouloir – ce sera vain cette fois encore – en récupérer le contenu. Je ne sais pas si c’est la curiosité, le respect pour C, l’idée que cela pourrait générer quelques lignes ici… ou simplement le besoin de me débarrasser de ce film fantôme et de l’affronter enfin.
Le hasard avait fait se rencontrer N et C dans un bar du marais, et les voici donc à nouveau réunis dans un même moment de ma vie, ce dimanche après-midi, distants cependant d’un saut de ligne. Plus tôt j’avais mangé un feuilleté débordant du souvenir d’A, et le petit Totoro offert par P avait fait signe au milieu du bazar du bureau.
Plus tard, le soir venu, Serge, puisque parfois les prénoms se donnent entièrement, me fera changer la lumière, ne supportant pas l’ampoule nue au plafond. Comme C.
Samedi 23 novembre 2019
Alors nous voilà, nous esclaffant en descendant du tram, légers et joyeux, peut-être un peu grisés par le vin et les usagers qui nous regardent amusés. Le trajet n’est alors pas la plus courte des lignes droites, mais finalement nous arrivons, dans cette ambiance heureuse d’un samedi soir fiévreux où l’on attend pas que les bides gisent.
Mais bien vite on oublie ce jeu de mots — et en écrivant soudain je repense à l’amie d’A, à cette terrasse de Sébasto où avait crissé un siège et la distance entre nous, qui racontait que son temps préféré était le présent de narration — et l’on revoit T, L, R, E, V, I qui se fait appeler J, etc., etc., ribambelle de visages, soudain l’un barbe pailletée, puis l’autre bonnet-d’âné, etc., etc., qui sais-je encore, et puis nous, revenons à nous, sautillant pendant Corine, slowant dans – je cite – le meilleur moment de la soirée, nous séparant trop tôt, mais J tangue un peu trop. Alors, dans cette forme de solitude au milieu d’autres, spectateur resté là dans mon blouson trop chaud, je regarde la foule. C’est La Bordelle. Et j’aime ça.
Vendredi 22 novembre 2019
Jeudi 21 novembre 2019
Mercredi 20 novembre 2019
Elles sont assises, là, juste en face. Nous sommes montés au même arrêt. Je les avais doublées en arrivant sur le quai ; l’odeur de la cigarette m’avait frôlé. C’est la mère qui fumait, la mère dont les yeux sont maintenant rivés sur son téléphone. Alors la voix annonce « Hôtel de police » et la petite fille, de sa voix fluette, dans un léger mouvement de tête :
– Ah si on voulait porter plainte ce serait là ?
– …
– Maman ?
– …
Mardi 19 novembre 2019
La foule attend que la fusée se détache de terre, et c’est peut-être là que le film décolle. Peut-être même que c’est là que, moi-même, je suis pris dans un même mouvement ascensionnel, pourtant scotché au fauteuil bleu. Les gens, là, des femmes blondes et des militaires, des inconnus ayant aligné leur mobile-home et sorti leurs jumelles, attendent.
Une heure et demi plus tard, en liesse, une autre foule, faite d’autres gens, dans un autre ailleurs, au milieu des buildings et des confettis, accueille les héros de la mission Apollo 11, dans des couleurs et un mouvement époustouflants tandis que sur scène trois musiciens continuent de nous envouter de leurs nappes.
J’étais venu vaguement à reculons, un peu obligé, un peu curieux, un regard sur l’horaire, l’autre sur le vide de mes sorties culturelles bordelaises tous les soirs de cet automne. Et puis, durant 1h40, je viens de retrouver ce truc qui s’appelle le cinéma. Alors j’apollodis (jeu de mots avec Apollo et applaudis mais je sens bien que c’est un peu opaque).










































