Jeudi 6 mai 2021

Ainsi les heures passent légères et amusées, faisant, en pointillés, ressurgir agréablement ce passé qui n’est plus, fait de films qu’on fabrique.

Mercredi 5 mai 2021

Soudain, tu me proposes la mer. Et c’est insupportable. Parce que je t’imagine me parler de lui, de vous, de votre présent et de votre avenir. C’est donc l’idée de quelques vagues qui nous éloignent peut-être, à jamais peut-être.

Plus tard, je poursuis la lecture. Page 133 et surtout pages 136 -137, les mots sont là, je pourrais les reporter ici, les faire miens.  Mais il n’y a d’enfants, pas de chiens, de maison, de projets. Il n’y a que le présent et les jours qui défilent. Et il y a l’attente. 

Lundi 3 mai 2021

A la fenêtre, nous fumons une cigarette ; nous parlons de lui. Il était venu déjeuner et, sous le soleil, il était radieux. Je te dis que je devrais arrêter de le voir, c’est ce que tu penses, mais tu sais que je ne le ferai pas. Tu me dis que je suis amoureux, moi je n’ose pas prononcer ces mots, sûrement jamais écrits ici-même, et c’est comme s’ils tombaient sur le trottoir, ces mots, tellement là ils sont lourds de sens, lourds de cet impossible qui m’écrase, lourds de cette folie qui n’est qu’étincelles. Il pourrait y avoir mes larmes, aussi, elles tomberaient sur le bitume, mais je les ai séchées bien plus tôt. Elles ne sortent jamais bien longtemps.

Dimanche 2 mai 2021

Nous arrivons sous le pont, tu me montres la vue, tu me dis quelque chose pour m’inciter à faire une image, mais je te dis que ça montre trop, c’est trop évident. Tu ne comprends pas. Je ne sais pas comment expliquer pourquoi certaines images montrent trop : elles montrent ce que l’on a photographié, il n’y a rien derrière, rien à côté, rien à creuser. Des feuillages m’empêchent une frontalité qui oublierait la construction pour donner des lignes sombres. La vue sur la Garonne, si l’on tourne le regard vers la droite, n’est pas plus intéressante : c’est une vue sur la Garonne. Je la fais, je te montre. Tu vois ?

Vendredi 30 avril 2021

Ainsi j’aurai voyagé en une semaine, de la Sibérie contemporaine au Buenos Aires des années 80, du Tokyo des années 30 au Mexique d’aujourd’hui, et puis Taïwan, le Portugal, l’Inde, l’Uruguay, l’Italie ah oui Rome et la voix de Nanni Moretti. 15 longs métrages dont deux que je n’aurais pas terminés incluant ce qui est parait-il un chef d’œuvre, mais un chef d’œuvre de quatre heures auquel un jour, oui un jour, je redonnerai sa chance. Et un court-métrage avec des paires de fesses dans un vestiaire. Il aura beaucoup, beaucoup, été question de la mort. Du désir aussi. Souvent les deux réunis.

Jeudi 29 avril 2021

Annie Ernaux décortique alors des sentiments et des situations qui font écho à ce qu’on a pu lire ici, ou qu’on n’a pas pu lire parce que je n’ai pas pu les écrire. Ce n’est que quelques jours plus tard que je commencerai à tracer des lignes le long de quelques paragraphes, au stylo bille, chose que je n’aurais jamais fait autrefois par respect pour l’objet livre, mais, tout comme il faut réussir à ce détacher des passions, il faut se détacher des objets – d’autant que c’est beaucoup plus simple -, notamment un livre de poche, notamment parce que c’est assez pratique, là, ce petit trait dans la marge.

Et puis il y a la nouvelle photo sur le mur, arrivée jusqu’ici protégée de quelques gouttes de pluie par un film plastique, là, sous mon bras. L’image, c’est une voiture rouge, poussiéreuse, garée dans une rue d’Arica, au Chili. Une Mitsubishi. Elle aurait pu accompagner ce que je n’ai pas écrit là-bas le jour où je l’ai prise, le 4 octobre 2017. Elle pourrait encore. 

Mercredi 28 avril 2021

Je n’ai jamais rien su de ses activités qui, officiellement, étaient d’ordre culturel. Je m’étonne aujourd’hui de ne pas lui avoir posé plus de questions. Je ne saurai jamais non plus ce que j’ai été pour lui. Son désir de moi est la seule chose dont je sois assurée. C’était, dans tous les sens du terme, l’amant de l’ombre.
::: Annie Ernaux ; Se perdre

Mardi 27 avril 2021

Je suis sur le canapé. Je clique. Encore. Le visage et le nom d’Emmanuelle Huynh apparaissent sur le site web de France Culture. Je clique. Elle m’embarque. Elle m’embarque dans la joliesse (Ah Debussy !), sa personnalité et ses souvenirs, et un peu dans les miens : le Japon, Le Dépays de Chris Marker, la Villa Kujoyama, et ce que Ch m’en avait dit, d’Emmanuelle Huynh, souvenir flou d’une douceur dans ses mots et d’un respect immense. Tout cela — tout ce qui gravitait autour de Ch et donc de moi plus ou moins directement — a presque entièrement disparu. Je ne mentirai pas : cela me manque (parfois ? souvent ?) tout ça, tout ce monde, ce gratin de gens différents, passionnés, artistes. Oh j’étais parfois un peu potiche, on invita quelques nombrils surdimensionnés à notre table, je vécus quelques moments d’un ennui mortel, mais il y avait une stimulation, quasi permanente. Ça questionnait. Avec le recul, aujourd’hui, je me dis que même l’ennui questionne quelque chose. S’emmerder n’est jamais inutile. Enfin j’espère. Parce que certains soirs, seul devant mes films “différents”, je m’emmerde sévèrement.

Et puis, plus tard, une autre femme, une autre voix, une autre histoire.

Lundi 26 avril 2021

Et soudain, Moretti, Nanni Moretti. Ce surprenant et magnifique visage d’autrefois – 1983 ! -, cette voix… et l’Italie. Je dis parfois que j’aimerais vivre à Rome, on me prend pour un fou, mais j’en aime son tumulte et tout ce qu’elle exhibe. Je dis toujours que j’attends la Sicile, mais je sais que j’aimerais l’embrasser longuement, trois ou quatre semaines : où donc loger cela ?

Samedi 24 avril 2021

Je porte ce pantalon acheté l’état 2004 en Italie. Léger, ample mais bien coupé, d’un motif écossais aux belles teintes douces dont la dominante est un gris que je ne saurais exactement nommer. Je l’ai tant aimé qu’il est encore là. Il porte les stigmates de toutes ces années d’usage : le bas déchiqueté que je n’ai jamais fait recoudre, et une légère décoloration sur les cuisses. Je l’enfile ce matin, après un rapide coup de fer à repasser, pour aller au cabinet médical ; il me semble adapté aux températures extérieures et pourtant j’hésite. Je sens que cela ne va pas : il est le passé. Pourtant je n’ai pas cette sensation avec d’autres vêtements qui ont résisté au temps et que je porte encore, telles ces bottines – achetées elles aussi à Lecce, l’été 2005 – qui ont pourtant souffert et dont le cuir a craquelé d’être abandonné quelque temps, tels ces débardeurs ou ce tee-shirt noir qui appartenaient à F. Je ne sais pas exactement ce que cela signifie, j’essaye de comprendre. Ce pantalon est peut-être le signe d’un temps définitivement révolu, celui d’une certaine audace due à l’âge, là où ce tee-shirt uni n’a rien d’audacieux, si ce n’est sa coupe et sa taille. Alors, au retour, après que j’aurai fait rire l’infirmière, pour éliminer cet étrange malaise que j’ai à le porter, je le remise, choisis ce bermuda bleu foncé qui se retrouvera poussiéreux au retour de l’après-midi, et glisse deux maillots dans mon sac : la piscine d’A m’attend. 

Vendredi 23 avril 2021

Soudain, sur Mubi, me voici alerté que de nombreux films vont disparaître de la plateforme le 30 avril… Ayant vaguement délaissé le cinéma depuis quelques temps, la liste des courts et longs métrages qui m’attendent est interminable. Oh je ne fais pas mon Annie Girardot, pleurant qu’il m’a manqué derrière un pupitre de plexiglas sur lequel est posé un César brillant sous les projecteurs sniff sniff, d’ailleurs ça ne sert à rien de pleurer dira une grand-mère dans un film vu quelques jours plus tard, et d’ailleurs plus tôt j’avais fait rire mon médecin. Il faut dire que cela avait commencé tandis que j’attendais : “Bonjour M. Arnaud”, m’avait-il dit, s’excusant immédiatement de son lapsus. Je n’avais pas manqué de l’appeler par son prénom lorsque ce fut mon tour et il s’était senti obligé de se justifier – un ami d’enfance retrouvé je ne sais quand, ou un truc comme ça, nom de famille Arnaud. Mais c’est en lui narrant sans gêne mes péripéties qu’il éclata de rire. Souvent nous plaisantons. Peut-être a-t-il rougi.

Jeudi 22 avril 2021

Je m’arrête près d’un banc couvert de neige. Je regarde ma montre. Je vois l’heure. Mais l’heure n’est pas la raison pour laquelle je regarde ma montre. Je regarde ma montre et quelqu’un court autour. Le jour et la nuit. Je peux m’arrêter le jour, me réveiller la nuit, je regarde ma montre et un homme court. Je ne vois pas le temps passer, je vois courir l’homme inépuisable. Jamais il ne s’arrête. Pas la moindre pause.
::: Denis Lachaud ; L’homme inépuisable

Mercredi 21 avril 2021

Je suis dans son cabinet depuis un certain temps. Une batterie de tests et de questions lui ont permis d’éliminer toute pathologie sérieuse. Je ne suis pas avare en réponses, interrogations, tentatives d’exprimer ce que je ressens ; ce n’est pas toujours simple.
Le téléphone sonne. Je sens que c’est un appel personnel, et tout ce que je sais, c’est qu’il porte ce qui semble être une alliance, mais à la main droite. Il raccroche :
– “C’est mon anniversaire
– “Ah bon ? Vous aussi ?

Mardi 20 avril 2021

J’ai creusé une fosse pour ce récit. Je vais tout raconter face à elle, puis je la recouvrirai de terre pour y enfouir mes paroles, telle est mon intention. 
::: Keiichirô Hirano ; Ambre couleur de feu (dans Tempura)

Lundi 19 avril 2021

Le soir venu, emporté par le doux flux des projets qui prennent forme, voici que je sélectionne 22 haïkus (6 de printemps, 6 d’été, 5 d’automne, 5 d’hiver) c’est-à-dire que j’élimine, du premier choix fait il y a de longues semaines, ceux qui ne conviennent pas, verbe trop vaste mais qui suffira pour ce soir. Voici également que je regarde rapidement la maquette du livre #home et que j’écris à B à ce sujet, admettant avec les années de recul que cela manque peut-être un peu d’architecture. Et voici enfin que je pose sur le coin du bureau les carnets du Chili dont la matière attend et attend encore d’être manipulée. Revigoré par les jours passés, et ô joie, nullement encombré par la reprise du travail en ce lundi, je me sens traversé par quelque chose qui répond peut-être à ce que j’écrivais hier. Je sais surtout que la venue de J durant dix jours a été d’une importance capitale. Il a été un regard, une oreille, des mots, comme souvent. Mais nous avons été dans une temporalité et une géographie inédites, qui, chez moi et donc au milieu de ce qui fait ma vie, auront joliment poussé mes murs. Jusqu’à les redécorer ? 

Dimanche 18 avril 2021

Tu es là mais nous ne sommes pas là. Nous sommes dans cet espace, chez moi, dans lequel, si c’était un rêve, tu flotterais peut-être. La conversation ne parvient pas à s’installer. Il y a quelque chose qui la retient, c’est souvent le cas lorsque je suis chez toi, mais ce quelque chose, là, maintenant, c’est ce qui fait que tu m’as écrit ce matin ; je crois que nous ne rions pas. Tu fais la remarque de l’absence d’un écran de télévision, tu ne poses pas de questions lorsque je te dis que je suis content de la semaine de vacances qui vient de passer, parce que notamment j’ai fini la maquette d’un des livres et que j’ai repris l’écriture d’un autre. Je suis alors gêné d’en parler, parce que tu n’auras pas cette place, tu n’auras pas ton livre ; peut-être verras-tu plus tard, sur mon bureau, alors que tu seras installé pour travailler un peu, une sortie papier sur laquelle s’affiche ce titre qui parle d’amour et que j’ai laissé sans y prendre garde. Tu t’étonnes aussi des livres qui ornent le mur du salon, tant de livres, tu dis que toi, une fois que tu les as lus, tu ne les conserves pas. Tu t’étonnes que parfois je les relise. C’est rare, mais ça arrive. J’ai surtout besoin de les avoir près de moi, qu’ils soient là, ainsi quand mon regard les croisent, j’ai le souvenir de l’émotion qu’ils m’ont procurée. Souvent, vois-tu, je ne me rappelle que cela : les personnages n’ont plus de noms, plus d’histoires, plus de contours. Il m’en reste, quelque part, une petite musique. Comme vous. Mais oserais-je dire que parfois, vous non plus, vous n’avez plus de noms ?

Samedi 17 avril 2021

Cette nuit-là, Remedios est rentrée plus tard que d’habitude. Le gardien était en congé, la station-service baignait dans les premières lueurs de l’aube. Une voiture a déposé ma femme devant la piste. J’ai observé la scène de la cuisine, à travers les fentes des persiennes. Remedios est sortie du véhicule, cheveux dénoués, en appui sur la portière ouverte. Elle s’est attardée à bavarder avec le conducteur, dont je ne parvenais à distinguer le visage, mais je n’avais aucun doute sur son identité. Et puis, j’ai attendu derrière les volets. Le moteur s’est arrêté. Ma femme, le col de sa robe couvert de paillettes, a fait le tour de la voiture. D’un pas tranquille, légèrement déhanchée, longeant le bord de la carrosserie, elle s’est appuyée contre l’aile avant, côté conducteur.
::: Yves Ravey ; Adultère

Tu portes comme souvent ce vêtement bleu, protégeant de la pluie et du vent. Je t’avais dit, la première fois que je t’ai vu le porter, que j’avais eu le même, mais que les manches étaient trop courtes pour moi. Là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique et de l’Amérique, je l’avais alors offert à P. Je lui avais laissé un peu, ainsi, quelque chose venant du pays où nous nous étions rencontrés, de l’autre côté de son océan.

Vendredi 16 avril 2021

Un pléonasme est une figure de style désignant une redondance répétitive, voire une répétition redondante réitérée à plusieurs reprises.
::: Thierry Maugenest ; Bâchez la queue du wagon-taxi avec les pyjamas du fakir

J’ai mis un point final à la maquette de ce qui est notre histoire et que j’ai appelé “Présence de l’amour à l’intérieur“, tu le sais déjà. L’objet ira prochainement, avec audace, affronter le regard de quelques éditeurs. Pourtant, je sais qu’il manque des moments essentiels, il manque tant de nos rires, il manque comment tu m’appelais Monsieur Camomille, il manque comment tu marchais dans les ruelles d’Ivry avant cette dernière nuit ensemble. Il manque ton visage, m’a dit M.

Jeudi 15 avril 2021

Oui, je sais, j’ai vu, dis-je quand il est question des messages d’anniversaire laissé sur ta page Facebook. Mais moi j’appelle. Ainsi j’entends ta voix apaisée, voire joyeuse. Je ne te dis pas que j’ai repris l’écriture du livre et que j’essaye tant bien que mal d’inventer une histoire et de nous rendre absents.

Mercredi 14 avril 2021

Je te demande si tu as perdu du poids. Tu me dis que non, tu ne crois pas, mais tu me demandes si j’ai un pèse-personne. Je n’en ai pas. Ton visage a changé, c’est peut-être simplement parce que tes cheveux sont très courts aujourd’hui. Chaque fois que tu viens, je le pense, et aujourd’hui tu as presque perdu ce visage de l’enfance que tu portais quand nous nous sommes rencontrés. En te photographiant, je te dis que tu es beau, je le dis plusieurs fois, je dis plus précisément que c’est facile de te photographier tellement tu es beau. J’aime quand tu ne souris pas. Alors je te dis de faire la gueule. Et nous rions.

Et les tu se succèdent et vos visages aussi.

Le tien est en vidéo et depuis deux jours il s’est encore plus assombri. C’est ton père, cette fois, qui t’exclut. Et dans tes paroles, c’est toi qui définitivement balaye ta mère d’un revers de main ; elle est devenue le diable. Pourtant, dans un mouvement de légèreté, tandis que ton malheur t’entraîne vers des projets loin d’eux, dans une autre maison, dans d’autres habitudes, je te dis qu’aller là-bas, pour moi, devient possible, peut-être. C’est étrange, je ne l’avais jamais imaginé : il ne m’avait jamais traversé l’esprit que je pourrais voir un autre désert. Tu souris, et tout de suite tu dis que la ville n’a pas grand intérêt. Alors je m’enthousiasme et j’imagine déjà mon regard à l’affût et des alignements d’immeubles bordant le rien. Tu acquiesces.

Mardi 13 avril 2021

La journée commence par la nouvelle chanson de Clara Luciani, clip acidulé sur l’écran du téléphone tandis qu’en arrière-plan il y a la radio qui sort du pied du lit et que je n’écoute pas réellement. Les paroles de la chanson sont à l’image du projet du jour : relire ce livre qui parle de toi, et qui montre ton corps, nos mains, ta nuque, nos frôlements. Elles parlent d’un amour perdu, du souvenir ému d’un corps nu. C’est pourtant un air sur lequel on dansera bientôt.

Nous ne sommes plus hier. Il n’y a plus de douleur. Il y a enfin, dans la journée, cet état dans lequel j’entre pour travailler. Peut-être qu’il me fallait souffrir de ce qu’il y a à-côté, c’est-à-dire des jours sans rien, sans ça, sans créer. Peut-être que je souffrais d’attendre. Mais d’attendre quoi ? De nous retrouver, là ? Encore parfois traversé par mon amour pour toi, je ne sais pas pourquoi je m’obstine à nous regarder vivre.

Mais je relis le texte, corrige encore, rectifie. Tout a a beau être extrait de mon journal, il faut quelques reprises, je dois gommer quelques flous, me battre contre quelques fantômes. Ainsi j’efface ce passage qui évoque un prénom qui n’était pas le vrai : il y a, dans nos histoires de garçons, des prénoms changés, des peurs, des discrétions. Il y a, dans son prénom que je croyais être celui par lequel on l’appelait, le souvenir net de mon émotion lorsque, déjà reparti loin d’ici il m’avoua la place que j’avais eu : il y a, dans nos histoires de garçons, un premier. J’avais été le sien.

Lundi 12 avril 2021

C’est un jour qui démarre à 7h49 quand le vacarme de l’installation d’un échafaudage résonne dans la cour deux jours plus tôt que prévu. C’est un jour douloureux, ça se passe dans la tête, et rien n’y fait car résonne dans le crane tout ce que j’ai à faire durant cette semaine de vacances qui débute, avec en petite cerise aigre sur le gâteau trop sucré ce que j’aurais dû faire avant de partir en congés. Ce que j’ai à faire ? Lire, écrire, compter, faire, défaire, prévoir, mettre en page, corriger, calibrer… et rentrer les plantes et les fleurs deux jours plus tôt que prévu, installant un joli jardin d’hiver devant la fenêtre.

Alors je fuis les écrans ; ils n’aident pas la douleur à s’évaporer. Je fuis aussi la rive gauche pour marcher démasqué. J’essaye de me libérer l’esprit, mais ça grésille là-haut. Je sais qu’il suffit de penser au plaisir que j’aurai, sur les deux projets d’écriture. Je sais qu’il suffit que je pense à autre chose aussi, ça tombe bien, te voilà. Tu me parles de lui, de vos projets, de ce que la vie peut-être pourrait vous offrir. Ma tête part alors sur d’autres chemins le temps que tu es là. Et la lumière assombrit encore plus tes yeux.

Samedi 10 avril 2021

Tu parles de S en riant, mais le trait d’humour ne m’amuse pas, il n’y a, pour moi, dans la seconde où tu prononces cela, que la réminiscence de l’insupportable de cette période traversée alors. Je réplique sans réfléchir une seule seconde, c’est cinglant comme un coup de fouet, blessant sans aucun doute, mais les circonvolutions de la discussion se poursuivent sans que je retire immédiatement ce que je viens de dire, ou que je l’explique a minima, à supposer que ce soit justifiable d’évoquer les manières que nous avons, l’un et l’autre, de régler nos blessures, à supposer que ce soit justifiable de comparer ce que tu traverses et ce que j’ai vécu. Plus tard, trop tard de toute façon, je t’envoie un mot court pour colmater la brèche. Tu répondras, plus tard, mais pas trop tard. Nulle brèche. Je te précise qu’il y a dans ces déjeuners-discussions quelque chose qui m’épuise. Un autre jour, à une autre occasion, dans d’autres circonstances, tu riras à nouveau de S, tu riras à nouveau de moi, tu diras à nouveau, en tirant le trait, que c’était l’homme de ma vie, et je rirai comme tant de fois.

Et puisque il est question de brèche refermée, revoilà Z.

 

 
 

Vendredi 9 avril 2021

Il est tard, presque minuit. Je me mets au lit en sachant que je pourrais écrire des lignes et des lignes sur le passage chez les coiffeur, mon retard de cinq minutes en référence à la fois dernière, trois mois plus tôt jour pour jour, trois mois plus tôt pour entendre ainsi dire B, mon coiffeur, en me passant une main dans les cheveux, que j’ai une belle épaisseur. Du plus loin que me reviennent mes souvenirs chez le coiffeur, l’épaisseur de ma tignasse a toujours été remarquée, posant problème ou réjouissant le professionnel selon ma demande. Bref, je suis donc au lit, et je pense à ce moment chez toi, là encore on pourrait en écrire des lignes puisque tu n’avais rien pour accompagner la bouteille de vin blanc et que je suis reparti trois heures après être arrivé malgré l’horaire cendrillonesque. Bref je suis donc au lit, fatigué, depuis mon retour je n’ai rien fait qui mérite des lignes et des lignes, et je reprends le Camille Laurens, imaginant en lire quelques pages. Puis voici quelques autre pages. Et encore d’autres, des lignes et des lignes… Je suis bien, il y a cette volupté d’être plongé dans la littérature, chose rare pour moi dont l’esprit vagabonde si facilement, mais cette fois j’y suis, c’est presque comme de la méditation : ce que l’auteure raconte – et comment elle le raconte – m’emporte. 85 pages plus tard, le livre est terminé.

Jeudi 8 avril 2021

Ta présence, que l’on n’attendait pas ; le malheur, triste malheur des uns, fait le bonheur de t’avoir avec moi pour un soir de plus. Notre amitié n’a jamais traversé une telle temporalité je crois. Encore nous parlons. Encore ta présence me pousse à revoir ce qui m’entoure et ce qui est en moi. Encore il y a les autres ; il te font parfois tant sourire. 

Mercredi 7 avril 2021

Tu veux du soleil, nous l’attrapons au coin d’une rue, sur un bord de trottoir, en partageant une foccacia ; il est tôt, tu as faim, tu sais que je m’adapte pour ce type de choses. Tu veux une bière, mais à ce jour il n’est plus permis de les boire de la même façon, sur un bord de trottoir, au coin d’une rue, d’ailleurs la police est place Lafargue, alors nous allons chez moi, de toute façon il y aura du soleil, te dis-je. Pourtant il n’est plus sur la coursive, mais il s’engouffre dans le salon, et te voilà posant, dans un triangle de lumière. Finalement ébloui, tu te déplaces après que j’ai photographié le tricolore de tes vêtements.